32

N'ayant plus le choix, les jeunes amis de Terra Wilder, qui se faisaient jadis appeler collectivement Merlin, envahirent le bureau de Philippe Cyr pour lui raconter ce qui s'était passé dans le cimetière de Nouvelle-Camelot. Ils se mirent à parler tous en même temps, si bien que l'inspecteur de police dut les faire taire pour comprendre quelque chose à leur histoire.

— Je vois bien que vous êtes bouleversés par ce qui vient d'arriver, mais je ne pourrai pas vous aider si vous ne nommez pas un porte-parole parmi vous.

Ils se tournèrent tous vers Frank.

— Nous avons vu monsieur Medrawt plus tôt aujourd'hui, commença-t-il. Nous l'avons même suivi jusqu'au cimetière.

— Et c'est maintenant que vous me le dites ?

— Nous l'aurions perdu de vue si nous avions pris le temps de communiquer avec vous à ce moment-là.

— Qu'est-il allé faire par là ? Se recueillir sur une tombe ?

— Nous n'en savons rien, puisque des loups nous ont attaqués avant que nous puissions le rattraper.

— Des loups ? Pourquoi s'en prendraient-ils à des humains alors que nos forêts regorgent de gibier ?

Frank garda le silence, ne désirant pas vraiment lui mentionner le côté surnaturel de cette affaire.

— Êtes-vous en train de me faire marcher ? s'inquiéta Philippe.

— Non ! firent les citadins en chœur.

— Les loups préfèrent nous éviter et ils n'ont jamais été aperçus dans le cimetière. Êtes-vous certains que ce n'étaient pas des chiens errants ?

— Ils étaient beaucoup trop gros pour être des animaux domestiques.

— Alors, voilà ce que je vais faire, annonça le policier. Vous allez m'accompagner au cimetière et me montrer l'endroit exact où se sont produits ces événements. Comme vous le savez déjà, je suis un excellent chasseur. Si des loups sont passés par là, je le saurai tout de suite.

— Et Medrawt ?

— Ne vous en mêlez plus. C'est moi qui l'arrêterai s'il s'y trouve encore. Il me faudra aussi des preuves qu'il a bel et bien été vu en ville aujourd'hui.

Katy lui montra aussitôt la foule de photos qu'elle avait prises du balcon de l'imprimerie.

— Aucune dans le cimetière ?

— C'est un lieu sacré ! s'exclama-t-elle, offensée. Je n'ai pas osé.

— Cela m'aurait pourtant été fort utile.

L'inspecteur fit monter toute la bande dans son énorme jeep et traversa la cité en se demandant pourquoi toutes ces étrangetés se produisaient tout à coup à Nouvelle-Camelot. Depuis qu'il avait accepté le poste de chef de la police, il n'avait eu que des crimes mineurs à traiter.

Lorsqu'ils arrivèrent en vue de l’entrée du cimetière, ils distinguèrent devant les grilles la silhouette d'une personne qui portait une longue cape noire.

— Est-ce lui ? demanda Julie.

— Ne sautons pas aux conclusions, les avertit Karen. Beaucoup de gens se vêtent ainsi dans cette ville.

Philippe arrêta la voiture, et Fred en descendit le premier. Le musicien contourna l'inconnu en même temps que le policier et reconnut les traits de la mairesse. Elle était parfaitement immobile et regardait fixement au loin, comme si elle était en transe.

— Ne franchissez pas ces portes, murmura-t-elle.

— Madame Goldstein, vous ne devriez pas rester ici, lui conseilla Philippe.

— Une présence maléfique hante cet endroit.

— C'est justement pour cette raison que vous devriez retourner à l'hôtel de ville, insista Fred.

Le reste de la bande s'agglutina derrière eux.

— Madame Goldstein ? s'étonnèrent-ils.

— Vous m'avez fait prêter serment de protéger cette cité contre les criminels, alors laissez-moi faire mon travail, la pria l'inspecteur.

— Celui qui se cache ici n'est pas un homme ordinaire. C'est une créature qui se nourrit de notre force vitale.

— Un vampire ? paniqua Katy en pensant à ses filles qui s'amusaient au camp de jour.

— Les vampires boivent du sang, lui rappela Julie.

— Il a empoisonné Galahad, ajouta Karen. Il n'a pas tenté de lui vider les artères.

— Ne me suivez pas, les avertit Eisa en s'avançant vers les grilles.

— Un petit instant ! protesta Philippe.

Elle poursuivit sa route dans l'allée principale comme si elle ne l'avait pas entendu.

— On ne peut pas la laisser y aller seule, se troubla Julie.

— « On », c'est qui ? la questionna Frank, qui ne voulait plus rencontrer de loups.

— Ce qui va bientôt se passer pourrait nous inspirer un nouvel album, suggéra Karen.

— Ce n'est pas une mauvaise idée, acquiesça Fred.

Il emboîta aussitôt le pas à l'inspecteur.

— Fred, retournez à la voiture, lui ordonna ce dernier. Il s'agit d'une opération policière.

— Je ne vous accompagne que comme témoin, rassurez-vous. Dans les films, les inspecteurs demandent toujours des renforts, non ?

— Vous n'êtes pas armé.

— Et je n'ai aucun désir de l'être. Je veux juste voir ce qui va se passer.

— Ma première responsabilité est d'assurer la sécurité de la mairesse.

— Alors ce n'est pas une bonne idée de la laisser prendre autant d'avance.

Philippe se retourna et constata qu'Eisa avait presque atteint le centre du cimetière. Il hâta donc le pas, ne se préoccupant plus de lui.

La mairesse s'arrêta au milieu du rond-point où convergeaient toutes les allées du cimetière et enleva son grand capuchon. D'entre les monuments funéraires sortit alors une autre silhouette que Fred reconnut avant même d'arriver sur les lieux.

— C'est Medrawt ! s'exclama-t-il.

— Surtout, n'intervenez pas.

Mais les deux hommes n'allèrent pas plus loin. Devant leurs yeux s'éleva une membrane diaphane qui semblait sortir de terre.

— Mais qu'est-ce que c'est ? s'étonna l'inspecteur.

Il tenta de passer sa main à travers la mince pellicule, mais elle refusa de céder sous la pression. Au toucher, elle était froide et moite. Philippe tenta de la déchirer avec le canon de son arme, en vain. La mairesse était immobile devant l'alchimiste, qu'elle ne semblait pas du tout craindre.

— Quittez cette ville maintenant ou vous en subirez les conséquences, menaça-t-elle.

— Tiens, tiens. Une oréade qui menace une ombre ?

— Vous ne faites plus partie du jeu, Mordred.

— Pour cela, il aurait fallu que je sois éliminé lors du match précédent, ce qui n'a pas été le cas, rétorqua-t-il avec un sourire sournois.

— Les règles condamnent sévèrement la fourberie et la déloyauté.

— Et qui m'accuse de telles choses ?

— Le Grand Conseil.

Le visage de l'alchimiste devint blême.

— Votre seul plaisir est de mêler les cartes, et vous savez aussi bien que moi qu'il n'est pas permis de servir deux maîtres.

— Les guides sont alors bien mal informés, car je ne sers que mes propres intérêts.

— En vous attaquant à sire Galahad, vous avez clairement affiché vos couleurs. Il est clair pour nous tous que vous servez Mathrotus. C'est la dernière fois que je vous le demande ; retirez-vous du jeu.

— Pas sans avoir été entendu.

— Soit.

Une colonne de lumière blanche tomba du ciel, enfermant la mairesse et l'alchimiste dans son faisceau.

— Dieu du ciel…, murmura Philippe en faisant le signe de la croix.

— C'est peut-être juste des extraterrestres, voulut le rassurer Fred, fasciné par le spectacle.

— Parlez, Mordred, commanda Eisa.

L'alchimiste plongea la main à l'intérieur de sa cape en levant les yeux vers le ciel.

— Votre règne s'achève, déclara-t-il sur un ton haineux.

Il n'eut pas le temps de faire un autre geste. De petites étoiles descendirent le long du rayon de lumière et s'attaquèrent à lui comme un banc de piranhas, lui trouant la peau et lui arrachant des cris de douleur. La mairesse demeurait immobile et imperturbable, tandis que le Conseil condamnait Medrawt à une mort horrible. Lorsque le vêtement du traître tomba enfin sur le sol, il ne restait plus rien de lui.

— Je vous avais prévenu, murmura-t-elle.

La colonne éclatante disparut aussi brusquement qu'elle était apparue, puis la membrane qui avait empêché Philippe et Fred d'intervenir se dissipa.

— Madame Goldstein ! s'exclama le policier en bondissant vers elle.

— Vous aimez vous balader dans le cimetière, vous aussi ? s'enquit-elle en lui souriant.

— Pas vraiment, non. Je vous y ai suivie pour appréhender le criminel qui a tenté de tuer Galahad.

— Je n'ai pourtant vu personne.

Les deux hommes se consultèrent du regard avec consternation. Philippe allait lui pointer la cape sur le sol lorsqu'il constata qu'elle avait disparu.

— Vous ne vous rappelez absolument rien de ce qui vient de se produire ici ? s'étonna Fred.

— Lorsque je viens ici, c'est pour vider mon esprit de toutes ses pensées obsédantes, alors je me contente de marcher sans vraiment regarder où je vais. C'est excellent pour la santé.

Elle poursuivit sa route en direction de l'une des allées.

— Vous ne la suivez pas ? le pressa Fred, éberlué.

— Dans un instant. Montrez-moi d'abord où vous avez vu les loups.

— C'était juste là.

L'inspecteur se pencha sur les empreintes formées dans le sol.

— Verdict ?

— Il s'agit d'un animal que je ne connais pas, avoua-t-il. Je vais rapporter l'incident au service de la faune. Rejoignez vos amis. Je me charge de ramener la mairesse chez elle.

Fred ne se fit pas prier. Il retourna aux grilles au pas de course.

— Ne me dis pas que tu as rencontré d'autres loups, s'alarma Frank.

— Vous ne me croirez jamais.

Il leur raconta tout ce qui venait de se produire. Leurs yeux s'écarquillèrent de plus en plus au fil du récit.

— Qu'est-ce que tu as fumé ? laissa tomber Katy incrédule.

— Fred a beaucoup d'imagination, mais il ne ment pas, le défendit Karen.

— Qu'est-ce qu'une oréade ? voulut plutôt savoir Julie.

— Allons-nous renseigner, décida Frank.

Ils le suivirent à pied jusqu'à l'église et s'entassèrent dans son bureau. Ils trouvèrent tout de suite ce qu'ils cherchaient sur Internet.

— Notre mairesse est une nymphe des bois et des montagnes ? s'étonna Karen. Depuis quand ?

— Probablement depuis toujours, déduisit Frank.

— Mais elle ne semblait pas être elle-même lorsqu'elle parlait à Medrawt, leur rappela Fred.

— Elle doit avoir une double personnalité, devina Katy.

— Si nous pouvions communiquer avec le magicien, nous pourrions l'informer que Mordred a été éliminé et qu'il ne lui reste que le sorcier à affronter, indiqua Frank.

— Quelque chose me dit qu'il le sait déjà, répliqua Fred.

— Si madame Goldstein est du bon côté, est-ce qu'on ne devrait pas la protéger ou quelque chose du genre ? demanda Julie.

— Crois-moi, elle est parfaitement capable de se défendre toute seule, affirma Fred. Nous devrions plutôt nous concentrer sur ces étranges loups avant qu'ils ne nous dévorent tous.

— En parlant de loups, il faudrait que je rentre maintenant, annonça Katy. Les filles vont bientôt revenir à la maison, et je veux m'assurer qu'elles soient au courant du danger.

Les amis décidèrent de se séparer et de réfléchir à ce qui venait de se passer avant de se réunir à nouveau. Dans la tête de Fred germaient déjà plusieurs chansons sur les ombres et les oréades.

Capitaine Wilder
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