CHAPITRE PREMIER

Quand le vaisseau atteignit les eaux homananes, les onze chiens en étaient devenus vingt-quatre. Biais passait le plus clair de son temps enfermé avec son lir, tandis que Shona et Aidan exploraient la magie du kivarna.

Ils furent presque déçus de perdre l'intimité qu'ils avaient connue sur le bateau, loin des responsabilités qui les attendaient.

Quand ils entrèrent dans le port d'Hondarth, Shona montra l'île enveloppée de brouillard, si proche de la côte.

— C'est elle, n'est-ce pas ?

— L'Ile de Cristal ? Oui. Les shar tahls disent que c'est le lieu de naissance des Cheysulis. Les Premiers Nés sont apparus là, puis ils sont partis pour Homana.

— C’est là qu'il l'a emmenée...

— Qui a emmené qui ?... Oh ! Et c'est là qu'elle l'a tué.

— Strahan a fait de cet endroit un domaine ihlini. Elle me l'a dit.

— Pendant un certain temps. Mais il n'y a plus personne sur l'île. Elle est redevenue un lieu éminemment cheysuli.

— Cheysuli..., soupira Shona. Pendant des années, j'ai prié pour parler aux lirs et prendre leurs formes... Mais je n'ai rien, sinon le kivarna.

— C'est suffisant, me semble-t-il, dit Aidan en souriant.

— Pourrions-nous aller sur l'île ? demanda Shona. Ma mère m'en a tant parlé...

Biais apparut flanqué de sa louve rousse.

— Si c'est le lieu de naissance de notre race, nous devrions tous nous y rendre. (Il jeta un coup d'oeil ironique à Aidan.) Mais peut-être n'en as-tu pas besoin, cousin ? Tu es si sûr de ton héritage...

Aidan céda et ordonna que le vaisseau fasse route vers l'île.

Un chemin pavé de pierres blanches menait de la plage à l'intérieur des terres.

— Où conduit-il ? demanda Shona, faisant avancer les chiens adultes qu'elle avait emmenés avec elle.

— Au château, sans doute, répondit Aidan, (Il désigna une masse blanche visible entre les feuillages.) Karyon en avait fait une prison pour son épouse exilée, Electra. Puis Strahan s'y est caché un certain temps. Maintenant, le palais est inhabité.

Les herbes sauvages avaient envahi le sentier, mais il était assez facile à suivre grâce aux pierres. Il les conduisit directement devant les portes de bois massives de la cour extérieure.

— Regarde, dit Shona. Keely a grimpé le portail à cet endroit. Taliesin est mort non loin d'ici. Il l'a aidée à s'enfuir, puis il a retenu Strahan le temps qu'il fallait.

Aidan fit un signe de tête, écoutant à demi les commentaires de Shona.

La jeune femme poussa le battant de fer.

La rouille tomba en poussière, suivie par les charnières. La porte s'écroula.

Shona la rattrapa. Aidan avait tendu la main pour la retenir, se coupant légèrement le pouce.

Il suça le sang de sa blessure.

— Vas-y, dit Shona. Ou veux-tu que je passe la première ?

Teel ? demanda Aidan.

Je sens de la moisissure et de l’humidité. Et un cousin, quelque part...

Rien de plus ?

Pas ici.

Ce n'était pas la réponse qu'Aidan espérait. Que voulait dire son lir ?

Devant eux, la poussière avait été soulevée par des pas : les bottes d'un homme et les pattes d'un loup.

Ils entrèrent dans le palais.

— Regarde ces colonnes ! s'écria Shona. Spiralées et couvertes de runes ! Peux-tu les lire ?

— Certaines. Cela a quelque chose à voir avec la bénédiction des dieux, et la création des Premiers Nés.

Aidan se tut, frissonnant.

Ils continuèrent d'avancer.

Sur une estrade, ils aperçurent...

— Le Lion ! cria Aidan. (Puis, soulagé ) Non. Celui-là est plus petit et moins décoré.

Quelque chose bougea sur le trône.

Un dieu venu lui parler, ou, plus probablement, le tancer pour ses échecs.

— C'est Biais, dit Shona en riant.

— Il me convient, dit celui-ci, une jambe négligemment posée sur l'accoudoir.

— Pas mieux qu'à moi, skilfin ! rugit Shona.

— Tu le veux ? demanda Biais en regardant Aidan. Me combattrais-tu pour lui ?

Aidan toucha le bois en forme de patte de lion.

Etrangement, au contraire de l'autre, qui l'avait renié, ce lion-là l'accepta.

Biais se leva.

— Tiens, prends-le. Il est à toi. Tu y as plus de droits que moi. Au moins jusqu'à ce que j'aie réglé mes affaires avec mon père.

— Ton jehan est un traître. Un hérétique ! Veux-tu devenir comme lui, et être exclu des clans ?

— Mon jehan ignore jusqu'à mon existence. Ma mère ne lui a jamais dit qu'elle était enceinte. Je ferai ce que je déciderai...

Le kivarna d'Aidan lui parla d'une mission à accomplir, d'une connaissance à acquérir et d'un peuple à naître. Il se détourna de Biais, regardant Shona.

— Tu veux bien m'attendre ici ? J'ai quelque chose à faire.

— Ici ? Tu vas bien, Aidan ?

— Oui. Je dois y aller.

— D'accord. Mais si tu restes trop longtemps absent, je partirai à ta recherche.

— Moi, ajouta Biais, je reste ici avec l'animal. Je l'aime bien.

— Skilfin, murmura Shona.

Aidan s'éloigna, n'accordant aucune attention à leur joute verbale.