Chapitre 20

 

 

— Vous n’êtes pas une Moroï ! poursuivit-il.

Même s’il ne criait pas, sa remarque avait suffi à attirer l’attention de ceux qui se trouvaient autour de nous.

— Vous êtes Rose Hathaway, n’est-ce pas ? Comment osez-vous souiller notre sanctuaire de votre sang impur et… ?

— Ça suffit, l’interrompit une voix autoritaire. Je m’en occupe.

Même si la personne qui venait de parler portait un masque, il était impossible de confondre cette voix avec une autre. Tatiana, qui portait une robe grise à manches longues et un masque orné de fleurs argentées, se glissa entre nous. Je l’avais probablement aperçue dans la foule sans la reconnaître. Tant qu’elle s’était tue, elle n’avait été qu’une participante anonyme.

À présent, la salle tout entière était silencieuse. Daniella Ivashkov accourut derrière elle et écarquilla les yeux sous son masque en me reconnaissant.

— Adrian…, commença-t-elle.

Mais Tatiana avait pris la situation en main.

— Suivez-moi, ordonna-t-elle.

Il ne faisait aucun doute que cet ordre s’adressait à moi et qu’elle s’attendait à ce que je lui obéisse. Elle fit volte-face et se dirigea à grands pas vers l’entrée de la salle. Je lui emboîtai le pas, Adrian et Daniella sur les talons.

Dès que nous nous retrouvâmes dans le tunnel, Daniella se tourna vers Adrian.

— Qu’est-ce qui t’a pris ? Tu sais bien que ça ne me dérange pas que tu amènes Rose à certains événements, mais ce que tu viens de faire est tout à fait…

— Inapproprié, conclut sèchement Tatiana. Même s’il n’est peut-être pas inutile qu’une dhampir constate à quel point nous respectons les sacrifices que son peuple accomplit pour nous.

Sa remarque, qui nous surprit tous, fut suivie d’un silence. Daniella fut la première à se ressaisir.

— Peut-être, mais la tradition exige que… Tatiana l’interrompit encore.

— Je sais parfaitement ce qu’exige la tradition. C’est un grave manquement à l’étiquette, mais la présence de Rosemarie ne contrarie pas nos intentions. La mort de Priscilla…

La voix de Tatiana ne se brisa pas tout à fait, mais elle perdit un peu de son assurance habituelle. J’avais du mal à imaginer que quelqu’un comme la reine puisse avoir une meilleure amie, mais c’était pourtant le rôle que Priscilla avait joué auprès d’elle. Comment aurais-je réagi à la mort de Lissa ? Je n’aurais certainement pas été à ce point maîtresse de moi.

— La mort de Priscilla va me peiner pendant très, très longtemps, parvint-elle à reprendre. (Son regard perçant se posa sur moi.) J’espère que vous comprenez à quel point nous avons besoin de vous et de tous les autres gardiens, et quelle importance nous vous accordons. Je sais qu’il arrive à ceux de votre espèce de ne pas se sentir apprécies à leur juste valeur. Ce n’est pourtant pas le cas. La mort de ces gardiens a créé un vide dans vos rangs et nous a rendus encore plus vulnérables, comme vous devez le savoir.

J’acquiesçai, toujours surprise que Tatiana ne soit pas en train de me chasser en hurlant.

— C’est une perte tragique, répondis-je. Et cela rend notre situation encore plus délicate, puisque la rareté des gardiens nous fragilise, surtout quand les Strigoï s’unissent pour nous attaquer. Nous ne sommes pas toujours assez nombreux pour leur faire face.

Tatiana acquiesça à son tour et parut agréablement surprise que nous tombions d’accord sur quelque chose. Nous étions deux.

— Je savais que vous comprendriez. Néanmoins… (Elle se tourna vers Adrian.) Tu as eu tort de l’amener. Il y a des limites à ne pas franchir.

— Je suis désolé, tante Tatiana, répondit-il avec une docilité étonnante. J’ai seulement pensé que Rose devait voir ça.

— Tu n’en parleras à personne, n’est-ce pas ? me demanda Daniella en se tournant vers moi. Beaucoup de ceux qui sont ici sont très conservateurs. Ils seraient vivement contrariés si ça s’ébruitait.

Qu’ils s’amusent à se déguiser pour se réunir autour d’un feu ? Oui, je comprenais qu’ils veuillent garder cela secret.

— Je ne dirai rien, lui promis-je.

— Bien, reprit Tatiana. Maintenant, vous feriez bien de partir avant… N’est-ce pas Christian Ozéra que j’aperçois là-bas ?

Elle avait parcouru la salle du regard, par réflexe. Adrian et moi lui répondîmes en même temps.

— Si.

— Mais il n’avait pas d’invitation ! s’écria Daniella. Est-ce aussi ta faute ?

— Il ne s’agit pas tant de faute que de génie, s’offusqua Adrian.

— Personne ne devrait s’en rendre compte s’il n’attire pas l’attention sur lui, commenta Tatiana en soupirant. Et j’imagine qu’il va tout faire pour rester auprès de Vasilisa.

— Oh ! ce n’est pas Lissa, répondis-je sans réfléchir.

Celle-ci lui avait tourné le dos et parlait à quelqu’un d’autre en jetant des regards inquiets dans notre direction.

— Alors qui est-ce ? demanda Tatiana. Merde.

— C’est… Mia Rinaldi. Une camarade de Saint-Vladimir.

J’avais envisagé un instant de lui attribuer un nom royal. Certaines familles étaient si étendues qu’il était presque impossible d’en connaître tous les membres.

— Rinaldi…, répéta Tatiana en fronçant les sourcils. Je crois connaître un serviteur qui porte ce nom.

Je fus assez impressionnée qu’elle connaisse les noms des gens qui travaillaient pour elle, et me sentis une nouvelle fois forcée de réévaluer l’opinion que je me faisais d’elle.

— Un serviteur ? s’écria Daniella en jetant un regard sévère à son fils. Y a-t-il d’autres invités-surprises dont tu ferais bien de me parler ?

— Non. Si j’avais disposé de plus de temps, j’aurais sans doute fait venir Eddie, et peut-être même la gamine.

Daniella parut scandalisée.

— La gamine ?

— Ce n’est qu’une plaisanterie, m’empressai-je de préciser, craignant que les réponses d’Adrian n’aggravent notre situation. C’est le surnom que nous donnons parfois à notre amie Jill Mastrano.

Tatiana et Daniella ne parurent goûter la plaisanterie ni l’une ni l’autre.

— Au moins, personne ne semble se rendre compte qu’ils ne sont pas à leur place, commenta Daniella en observant Christian et Mia. Même si la présence de Rose va sans doute alimenter les conversations pendant quelque temps.

— Je suis désolée, lui dis-je.

Je ne voulais pas lui attirer d’ennuis.

— Nous ne pouvons rien y faire pour le moment, conclut Tatiana d’une voix lasse. Vous devriez partir maintenant, afin qu’on croie que je vous ai sévèrement réprimandée. Adrian, tu vas y retourner avec nous afin de t’assurer que tes autres « invités » n’attirent pas l’attention sur eux. Et ne refais plus jamais ce genre de chose à l’avenir.

— C’est promis, répondit-il sur un ton presque convaincant. Alors que tous trois faisaient demi-tour pour me laisser m’en aller discrètement, Tatiana s’arrêta et me jeta un dernier regard par-dessus son épaule.

— Même si vous n’étiez pas censée vous trouver là, n’oubliez pas ce que vous avez vu. Nous avons vraiment besoin des gardiens.

J’acquiesçai en éprouvant une certaine fierté à cet aveu. Tatiana, Daniella et Adrian repartirent dans la salle. Je les suivis des yeux avec mélancolie, contrariée que tout le monde croie qu’on m’avait jetée dehors. Mais, comme les choses auraient pu tourner bien plus mal pour moi, je m’estimai heureuse de m’en tirer à si bon compte. Je retirai mon masque désormais inutile, remontai l’escalier et quittai le bâtiment.

Je n’avais fait que quelques pas dehors lorsque quelqu’un vint se planter devant moi. J’étais tellement préoccupée que je faillis faire un bond.

— Mikhail ! m’écriai-je. Tu as bien failli me faire mourir de peur… Qu’est-ce que tu fais là ?

— Je te cherchais, à vrai dire. (Il paraissait nerveux.) Je suis allé frapper à la porte de ta chambre, mais tu n’y étais pas.

— Non. J’étais à la Mascarade des Damnés. (Il me dévisagea sans comprendre.) Laisse tomber. Que se passe-t-il ?

— Je crois que nous avons une chance…

— Une chance de quoi ?

— J’ai entendu dire que tu avais essayé de voir Dimitri, tout à l’heure.

Voilà un sujet qui m’intéressait au plus haut point.

— Oui. Mais j’ai peur qu’« essayer » soit encore trop optimiste. Il refuse de me voir, sans parler de l’armée de gardiens qui est prête à se dresser sur mon chemin.

Mikhail se balança avec nervosité d’un pied sur l’autre en observant les alentours avec un regard de bête traquée.

— C’est pour ça que je voulais te voir.

— Je ne te suis pas.

Et le vin que j’avais bu à la cérémonie commençait à me donner la migraine.

Mikhail inspira profondément, puis soupira.

— Je crois pouvoir t’introduire dans la prison.

J’attendis quelques instants en me demandant s’il s’agissait d’une blague ou d’un délire issu de mon imagination perturbée par toutes ces émotions. Non. Mikhail était parfaitement sérieux. Même si je le connaissais encore mal, j’en avais deviné assez sur sa personnalité pour être certaine qu’il ne plaisantait pas.

— Comment ? lui demandai-je. J’ai essayé et…

Mikhail me fit signe de le suivre.

— Viens. Je t’expliquerai en chemin. Nous n’avons pas beaucoup de temps.

Comme il n’était pas question que je passe à côté de cette chance, je m’empressai de le suivre.

— Est-ce qu’il s’est passé quelque chose ? l’interrogeai-je lorsque je l’eus rejoint, malgré ses longues enjambées. A-t-il… demandé à me voir ?

Je n’osais pas y croire et le fait que Mikhail ait parlé de « m’introduire » n’était guère encourageant.

— Ils ont allégé sa garde, m’expliqua Mikhail.

— Vraiment ? Combien de gardiens reste-t-il ?

Lorsque Lissa lui avait rendu visite, il y en avait plus d’une dizaine en comptant son escorte. S’ils avaient recouvré leurs esprits et compris qu’ils pouvaient se contenter de le faire surveiller par un ou deux gardes, j’avais bon espoir qu’ils finissent par accepter l’idée qu’il ne soit plus un Strigoï.

— Il n’y en a plus que cinq.

— Ah ! (Ce n’était pas formidable, mais ce n’était pas horrible non plus.) J’imagine que ça veut quand même dire qu’ils ne le croient plus aussi dangereux ?

Mikhail haussa les épaules sans cesser de regarder droit devant lui. Il avait plu durant la veillée funèbre, et l’air, bien qu’encore humide, était un peu moins lourd.

— C’est le cas de quelques gardiens. Mais il faudra qu’un décret royal statue sur sa nature.

Je faillis m’arrêter net.

— « Statue sur sa nature » ? Mais c’est une personne ! Un dhampir, tout comme nous !

— Je sais. Mais ce n’est pas de notre ressort.

— Tu as raison, grommelai-je. Je suis désolée. (Je n’avais rien à gagner à m’en prendre au messager.) Eh bien… J’espère qu’ils vont se dépêcher de prendre une décision.

Le silence qui suivit fut particulièrement éloquent. Je jetai un regard oblique à Mikhail.

— Quoi ? lui demandai-je. Que me caches-tu ?

Il haussa les épaules.

— D’après la rumeur, le Conseil débat actuellement d’un autre sujet important, jugé prioritaire.

Cela m’exaspéra. Que pouvait-il y avoir de plus important que Dimitri ?

Calme-toi, Rose. Reste concentrée. Ne laisse pas la noirceur aggraver la situation.

Je m’efforçais de la contrôler en permanence, mais il arrivait que je perde pied quand je me retrouvais dans des situations stressantes. Or celle dans laquelle j’étais à cet instant l’était assurément. Je décidai de revenir à notre premier sujet de discussion.

Nous avions atteint le quartier général des gardiens. J’en escaladai le perron en montant les marches deux par deux.

— Ce n’est pas parce qu’ils ont allégé sa garde qu’ils vont me laisser entrer. Ceux qui le surveillent savent forcément que je ne suis pas autorisée à le voir.

— Le gardien posté dans l’entrée en ce moment est l’un de mes amis. Nous ne pourrons pas rester longtemps, mais il dira à ceux qui le surveillent que tu as obtenu l’autorisation d’entrer.

J’arrêtai Mikhail en posant ma main sur son bras alors qu’il s’apprêtait à ouvrir la porte.

— Pourquoi fais-tu ça pour moi ? Si le Conseil des Moroï se désintéresse de Dimitri, ce n’est pas le cas des gardiens. Tu risques d’avoir de gros ennuis.

Il baissa les yeux vers moi en esquissant son habituel sourire amer.

— As-tu vraiment besoin de me le demander ? J’y réfléchis un instant.

— Non, murmurai-je.

— Quand j’ai perdu Sonya…

Mikhail ferma les yeux quelques instants. Lorsqu’il les rouvrit, il semblait contempler le passé.

— Quand je l’ai perdue, j’ai aussi perdu le goût de vivre. C’était quelqu’un de bien… Vraiment. Elle s’est transformée en Strigoï par désespoir. Elle ne voyait pas d’autre moyen d’échapper à l’esprit. Je donnerais n’importe quoi – et je pèse mes mots – pour avoir une chance de l’aider, d’arranger les choses entre nous… Je ne sais pas si ce sera possible pour nous, mais ça l’est pour vous. Je veux t’aider à saisir cette chance.

Il ouvrit la porte sur ces mots. C’était effectivement un autre gardien qui était en faction dans l’entrée. Comme Mikhail l’avait annoncé, il passa un coup de téléphone pour informer ceux qui surveillaient Dimitri de ma visite. L’ami de Mikhail semblait particulièrement nerveux, ce qui était compréhensible. Mais il voulait tout de même nous aider. Ce que des amis étaient prêts à faire les uns pour les autres était stupéfiant, ainsi que le prouvaient les événements des deux dernières semaines.

Comme cela avait été le cas lors de la visite de Lissa, deux gardiens se présentèrent pour m’escorter jusqu’en bas. Je les reconnus pour les avoir vus à travers ses yeux et ma présence parut les surprendre, ce qui était logique s’ils avaient entendu Dimitri refuser catégoriquement ma visite. Mais ils étaient convaincus que quelqu’un de haut placé m’avait autorisée à entrer et ne posèrent aucune question.

Mikhail nous précéda dans l’escalier et je le suivis en sentant mon cœur s’affoler. Dimitri. J’étais sur le point de voir Dimitri. Qu’allais-je lui dire ? Qu’allais-je faire ? J’étais presque dépassée par la situation. Je dus me gifler mentalement pour rester concentrée et ne pas laisser la stupeur s’emparer de moi.

Lorsque nous atteignîmes le couloir, je vis que deux gardiens étaient postés devant la cellule de Dimitri, un troisième à l’autre bout du couloir, et deux de plus à la porte que nous venions de franchir. Je m’arrêtai, mal à l’aise à l’idée de parler à Dimitri devant témoins. Je ne voulais pas que notre conversation soit entendue comme celle qu’il avait eue avec Lissa, mais les mesures de sécurité déployées autour de lui n’allaient peut-être pas me laisser le choix.

— Peut-on avoir un peu d’intimité ? demandai-je. L’un des membres de mon escorte secoua la tête.

— Deux gardiens doivent rester postés devant sa cellule en permanence. Ce sont les ordres.

— C’est une gardienne, argua Mikhail avec douceur. Moi aussi. Laissez-nous y aller seuls. Il suffit que vous restiez postés à la porte.

Je le remerciai du regard. Sa présence me gênait moins que celle des autres. Estimant les consignes respectées, les gardiens reculèrent discrètement jusqu’aux extrémités du couloir. Même si nous n’étions pas vraiment seuls, ils n’allaient pas entendre toute notre conversation.

J’eus l’impression que mon cœur allait bondir hors de ma poitrine lorsque Mikhail et moi arrivâmes devant sa cellule. Dimitri était presque dans la même position que lorsque Lissa lui avait rendu visite : assis sur la couchette, les jambes repliées contre son torse, et nous tournant le dos.

J’en perdis la voix. Mon esprit se vida et j’en oubliai presque la raison de ma présence ici.

— Dimitri, finis-je par dire.

Ce fut du moins ce que j’essayai de dire, car ma voix enrouée ne parvint à émettre que des sons confus. Cela parut suffire : je vis Dimitri se raidir, sans pour autant se tourner vers nous.

— Dimitri, répétai-je d’une voix plus claire. C’est… moi.

Je n’eus pas besoin d’en dire plus. Il avait su qu’il s’agissait de moi dès que j’avais ouvert la bouche. J’avais l’impression qu’il aurait reconnu ma voix dans n’importe quelles circonstances. Il devait même connaître le son de ma respiration et celui des battements de mon cœur… Sauf que je retins mon souffle en attendant sa réponse. Celle qu’il finit par me donner fut un peu décevante.

— Non.

— « Non » quoi ? lui demandai-je. Non, ce n’est pas moi ?

Il poussa un soupir d’exaspération presque identique à ceux que je lui inspirais pendant nos entraînements quand je faisais quelque chose de particulièrement ridicule.

— Non, je ne veux pas te voir. (Sa voix était vibrante d’émotion.) Ils n’étaient pas censés te laisser entrer.

— Disons que j’ai trouvé un moyen de contourner ce problème.

— Évidemment.

Il refusait toujours de me faire face, ce qui me brisait le cœur. Je jetai un bref coup d’œil à Mikhail qui hocha la tête pour m’encourager. Sans doute devais-je déjà m’estimer heureuse qu’il me réponde.

— Il fallait que je te voie. J’avais besoin de m’assurer que tu allais bien.

— Je suis sûr que Lissa t’a donné de mes nouvelles.

— J’avais besoin de te voir de mes propres yeux.

— Tu m’as vu.

— Jusqu’à présent, je n’ai vu que ton dos.

Cette situation allait finir par me rendre folle, mais chaque mot que je lui arrachais était un don du ciel. J’avais l’impression de ne pas avoir entendu sa voix depuis des siècles. Une fois encore, je fus stupéfaite d’avoir pu confondre le Dimitri que j’avais retrouvé en Sibérie avec celui qui se trouvait devant moi. Même si leurs voix avaient le même timbre et le même accent, celle du Strigoï me faisait toujours un peu frémir. La sienne était chaleureuse. Elle me faisait penser à du miel, à du velours, et à toutes sortes de choses merveilleuses qui m’auraient enveloppée, même si les mots qu’elle prononçait étaient terribles.

— Je ne veux pas que tu reviennes ici, déclara-t-il sur un ton catégorique. Je ne veux pas te voir.

Je me tus quelques instants pour mettre au point ma stratégie. Dimitri était encore désespéré. Lissa l’avait abordé avec douceur et compassion, ce qui lui avait permis de vaincre ses défenses. Bien sûr, le fait qu’il la considère comme son sauveur avait beaucoup aidé. Je pouvais essayer d’employer la même tactique. Je pouvais lui apporter mon soutien en me montrant douce et aimante, ce qui n’aurait rien eu d’hypocrite. Je l’aimais et voulais désespérément lui venir en aide. Néanmoins, je n’étais pas certaine que cette méthode soit appropriée à mon cas. Rose Hathaway n’était pas vraiment connue pour sa douceur. Je choisis donc de faire appel à son sens du devoir.

— Tu n’as pas le droit de me traiter de cette manière, dis-je en m’efforçant de parler assez bas pour ne pas être entendue des gardiens. Tu as une dette envers moi. Je t’ai sauvé.

Il mit quelques secondes à répondre.

— Lissa m’a sauvé, me corrigea-t-il prudemment.

Je sentis la colère que j’avais éprouvée en observant son entretien avec Lissa se réveiller. Comment pouvait-il la tenir en si haute estime et pas moi ?

— Comment crois-tu qu’elle ait pu réussir ? lui demandai-je. Comment crois-tu qu’elle ait appris de quelle manière elle pouvait te sauver ? As-tu la moindre idée de ce que nous… de ce que j’ai dû accomplir pour obtenir cette information ? Tu estimes que c’était délirant de ma part de t’avoir pourchassé en Sibérie ? Crois-moi : ce n’était rien en comparaison. Tu me connais. Tu sais ce dont je suis capable. J’ai battu tous mes records sur ce coup-là. Tu as une dette envers moi.

C’était un peu cruel de ma part, mais je voulais le forcer à réagir, à exprimer une émotion, quelle qu’elle soit. J’y parvins. Il se retourna subitement. Tous ses muscles étaient tendus et son regard étincelait. Comme toujours, son mouvement fut à la fois plein de vigueur et de grâce. Il me répondit d’une voix où se mêlaient la colère, la frustration et l’inquiétude :

— Alors le mieux que je puisse faire est…

Il se Figea. Ses yeux bruns, qu’il avait plissés dans sa rage, s’écarquillèrent tout à coup. Pourquoi ? Était-il surpris ? fasciné ? Ou éprouvait-il simplement la même stupeur que moi quand je le regardais ?

J’eus subitement l’impression qu’il était frappé à son tour par un sentiment semblable à celui que j’avais eu en arrivant. Il m’avait longuement vue en Sibérie et n’avait fait que m’apercevoir à l’entrepôt. À présent… il me voyait véritablement avec ses yeux de dhampir, comme pour la première fois. Ce n’était plus un Strigoï. Son univers avait radicalement changé. Ses pensées, ses sentiments, et même son âme n’étaient plus les mêmes.

Alors je compris ce que les gens voulaient dire lorsqu’ils parlaient d’un instant où leur vie entière défilait devant leurs yeux. Tandis que nous nous regardions, les souvenirs de tout ce que nous avions vécu ensemble me revinrent à l’esprit. Je me rappelai à quel point il m’avait paru fort et invincible, lors de notre première rencontre, lorsqu’il nous avait ramenées, Lissa et moi, au sein de la société moroï. Je me souvins de la douceur de ses gestes lorsqu’il avait bandé mes mains ensanglantées. Je me revis dans ses bras lorsqu’il m’avait emportée à l’infirmerie le jour où Nathalie, la fille de Victor, m’avait attaquée. Surtout, je repensai à la nuit que nous avions passée ensemble dans la cabane juste avant que les Strigoï l’arrachent à moi. Un an. Nous ne nous étions connus qu’un an, et c’était comme si nous avions passé toute notre vie ensemble.

C’était ce dont il prenait conscience aussi, tandis qu’il m’observait – j’en étais certaine. Son regard intense me détaillait et gravait dans sa mémoire l’image qu’il avait sous les yeux. Je tâchai vaguement d’imaginer de quoi j’avais l’air ce jour-là. Je portais encore la robe que j’avais mise pour la veillée funèbre et savais qu’elle m’allait bien. Je devais avoir les yeux rougis après avoir passé la journée à pleurer et n’avais eu le temps de donner qu’un coup de brosse à mes cheveux avant qu’Adrian vienne me chercher.

Mais je doutais que cela ait la moindre importance. Le regard de Dimitri confirmait tous mes espoirs. Les sentiments qu’il éprouvait pour moi avant sa transformation et qui s’étaient pervertis lorsqu’il était devenu un Strigoï existaient encore. Ça ne taisait aucun doute. Oui, Lissa l’avait sauvé ; oui, la Cour tout entière la considérait, elle, comme une déesse. Mais je sus à cet instant que c’était moi que lui voyait comme une déesse, même si je n’étais pas à mon avantage et même s’il s’efforçait de rester impassible.

Il déglutit et recouvra une parfaite maîtrise de lui-même, comme il l’avait toujours fait. Certaines choses ne changent jamais.

— Le mieux que je puisse faire, reprit-il sereinement, est de ne plus t’approcher. C’est le seul moyen dont je dispose pour m’acquitter de ma dette.

J’avais bien du mal à conserver le calme dont j’avais besoin pour mener une conversation cohérente. J’étais aussi fascinée que lui… et indignée.

— Tu as proposé à Lissa de payer ta dette en restant auprès d’elle pour toujours !

— Je ne lui ai pas fait…

Il détourna les yeux pendant quelques instants, recouvra encore la maîtrise de lui-même, puis soutint de nouveau mon regard.

— Je ne lui ai pas fait subir les choses que je t’ai faites à toi.

— Tu n’étais plus toi-même ! Ça n’a aucune importance à mes yeux !

La colère me gagnait de nouveau.

— Combien ? s’écria-t-il. Combien de gardiens sont morts la nuit dernière à cause de ce que j’ai fait ?

— Six ou sept, je crois…

C’était un chiffre accablant. Je sentis mon cœur se serrer en repensant à la lecture de leurs noms dans la salle souterraine.

— Six ou sept, répéta-t-il sans pouvoir dissimuler sa peine. Morts en une seule nuit… à cause de moi.

— Tu n’étais pas seul ! Et je te le répète : tu n’étais plus toi-même. Tu ne pouvais pas t’en empêcher. Ça n’a aucune importance pour moi que…

— Ça en a pour moi ! cria-t-il.

Sa voix résonna dans le couloir. Les gardiens tressaillirent mais restèrent où ils étaient. Dimitri poursuivit d’une voix moins forte, mais qui vibrait encore d’émotions incontrôlées :

— Ça en a pour moi. Voilà ce qui t’échappe. Tu ne peux pas comprendre. Tu ne peux pas comprendre ce que c’est de savoir qu’on a commis de telles atrocités. Toute la période pendant laquelle j’étais un Strigoï… m’apparaît comme un rêve, à présent. Mais je m’en souviens parfaitement. Je ne mérite pas d’être pardonné. Et ce que je t’ai fait ? Je m’en souviens encore plus clairement que du reste. Je sais tout ce que je t’ai infligé, et tout ce que j’ai voulu te faire…

— Il n’y a plus de risque que tu le fasses, à présent, arguai-je. Alors tourne la page. Avant… avant que tout ça se produise, tu disais que nous pouvions être ensemble. Tu disais que nous pouvions obtenir des postes qui…

— Roza ! m’interrompit-il, et entendre le surnom qu’il m’avait donné me fendit le cœur.

Je fus certaine que cela lui avait échappé. Il esquissa un sourire amer, dépourvu de toute chaleur.

— Crois-tu vraiment qu’ils me laisseront redevenir un gardien ? Ce serait un miracle qu’ils me laissent simplement en vie !

— Tu te trompes. Dès qu’ils comprendront que tu as changé, que tu es de nouveau toi-même… tout redeviendra comme avant. Il secoua tristement la tête.

— Ton optimisme… Ta certitude que tu pourras toujours obtenir ce que tu veux… Oh ! Rose. C’est l’une de tes qualités les plus merveilleuses… et l’un de tes défauts les plus exaspérants.

— J’ai bien cru qu’il était possible de te délivrer de ton état de Strigoï, lui fis-je remarquer. Ma croyance en l’impossible n’est peut-être pas aussi folle que ça, après tout.

Cette conversation, malgré sa gravité et la souffrance qu’elle éveillait en moi, me rappelait certaines de nos anciennes séances d’entraînement, au cours desquelles il essayait de me convaincre de choses sérieuses, tandis que je ripostais en lui infligeant ma logique personnelle. En général, cela lui inspirait un mélange d’amusement et d’exaspération. J’avais l’impression qu’il aurait suffi que la situation soit légèrement différente pour qu’il réagisse de la même manière. Mais il ne s’agissait pas d’une séance d’entraînement. Il n’allait pas sourire en levant les yeux au ciel. L’heure était grave. C’étaient nos vies qui étaient en jeu.

— Je te suis reconnaissant de ce que tu as fait pour moi, déclara-t-il solennellement, en s’efforçant toujours de maîtriser ses émotions.

Devoir lutter pour rester maîtres de nous-mêmes était l’un des traits de caractère que nous avions en commun. Il avait toujours été plus doué que moi dans ce domaine.

— C’est vrai que j’ai une dette envers toi – une dette dont je ne peux pas m’acquitter. Comme je te l’ai dit, le mieux que je puisse faire est de rester en dehors de ta vie.

— Tu ne pourras pas m’éviter si tu fais partie de celle de Lissa.

— Deux personnes peuvent très bien se côtoyer sans que… sans qu’il n’y ait rien d’ambigu entre elles, déclara-t-il avec conviction.

Cela lui ressemblait tant de tenir ce genre de propos : le bon sens contre les sentiments.

Ce fut à cet instant que je perdis patience. Comme je viens de le dire, il avait toujours été plus doué que moi pour maîtriser ses émotions. C’était un exercice dans lequel je n’avais jamais brillé.

Je me jetai contre les barreaux de sa cellule si brusquement que même Mikhail tressaillit.

— Mais je t’aime ! lui lançai-je. Et je sais que tu m’aimes aussi. Crois-tu vraiment pouvoir passer le reste de ta vie à me côtoyer en faisant comme si je n’existais pas ?

Le plus troublant était que Dimitri avait tâché de s’en convaincre la majeure partie du temps que nous avions passé ensemble à l’académie. Il s’était préparé à passer sa vie entière à combattre les sentiments qu’il éprouvait pour moi.

— Tu m’aimes, répétai-je. Je le sais.

Je passai un bras à travers les barreaux. J’étais loin de pouvoir l’atteindre, mais je tendis désespérément les doigts comme s’ils allaient s’étirer pour me permettre de le toucher. Il aurait suffi que je l’effleure, que je sente la chaleur de sa peau, pour être certaine qu’il se souciait toujours de moi.

— Est-il vrai que tu sors avec Adrian Ivashkov ? me demanda-t-il calmement.

Je laissai mon bras retomber le long de mon corps.

— Où… Où as-tu entendu ça ?

— Les rumeurs circulent, répondit-il aussi mystérieusement que l’avait fait Mikhail.

— C’est certain, grommelai-je.

— Est-ce vrai ? répéta-t-il avec plus d’insistance.

J’hésitai avant de répondre. Si je lui disais la vérité, il en tirerait un argument supplémentaire pour me démontrer que nous devions rester éloignés l’un de l’autre. Sauf que j’étais incapable de lui mentir.

— Oui, mais…

— Bien.

Je ne savais pas vraiment à quelle réaction m’attendre de sa part. De la jalousie ? De la stupeur ? Au lieu de cela, il s’adossa contre un mur et parut… soulagé.

— Adrian a plus de valeur que les gens ne le croient. Il saura prendre soin de toi.

— Mais…

— C’est avec lui que tu as un avenir, Rose. (Son désespoir et sa lassitude réapparurent.) Tu ne comprends pas ce que je vis. Tu ne comprends pas ce que c’est que d’avoir été un Strigoï et de ne plus l’être. Ça change tout. Ce n’est pas seulement parce que ce que je t’ai fait est impardonnable. Toutes mes émotions… les sentiments que j’éprouvais pour toi… ont changé. Je ne suis plus celui que j’étais. Je suis peut-être redevenu un dhampir, mais ce que j’ai vécu… ma profondément marqué. Ça a altéré mon âme. Je ne suis plus capable d’aimer qui que ce soit. Je ne t’aime plus. Il n’y a plus rien entre nous.

Mon sang se glaça dans mes veines. Je refusai de le croire. La manière dont il m’avait regardée quelques minutes plus tôt prouvait le contraire.

— Non ! Tu mens ! Je t’aime et tu…

— Cardes ! cria-t-il d’une voix si puissante que je fus surprise qu’elle ne fasse pas trembler le bâtiment. Sortez-la d’ici ! Sortez-la d’ici !

Les formidables réflexes des gardiens leur permirent d’accourir jusqu’à sa cellule en un temps record. En tant que prisonnier, Dimitri n’était pas en position d’avoir des exigences. Mais les gardiens n’allaient certainement pas encourager une situation qui risquait de virer au scandale. Je ne pus m’empêcher de leur résister lorsqu’ils commencèrent à nous entraîner, Mikhail et moi, vers la sortie.

— Non, attendez !

— Laisse-toi faire, me murmura Mikhail à l’oreille. Nous n’avions plus beaucoup de temps, de toute manière, et tu ne peux rien faire de plus aujourd’hui.

Je voulus protester mais les mots refusèrent de franchir mes lèvres. Je laissai donc les gardiens m’entraîner en jetant un dernier regard suppliant à Dimitri. Son visage affichait l’impassibilité acquise par des années d’entraînement, mais l’intensité de son regard m’assura qu’il était loin d’être aussi calme qu’il en avait l’air.

C’était encore l’ami de Mikhail qui gardait l’entrée, ce qui nous permit de quitter le bâtiment sans trop d’ennuis. Dès que nous fûmes dehors, je m’arrêtai pour donner un furieux coup de pied à une marche.

— Merde ! hurlai-je.

Quelques Moroï qui passaient par là, sans doute de retour de soirée, me jetèrent des regards surpris.

— Calme-toi, me dit Mikhail. C’était votre première entrevue depuis qu’il est redevenu un dhampir. Tu ne pouvais pas espérer tant de miracles d’un seul coup. Il changera d’avis.

— Je n’en suis pas si sûre, grommelai-je.

Je levai les yeux vers le ciel en soupirant et vis à peine les légers nuages qui le traversaient paresseusement.

— Tu ne le connais pas aussi bien que moi.

Une partie de moi pensait comme lui que les paroles de Dimitri étaient largement dues au contrecoup du changement, mais l’autre partie s’inquiétait. Je connaissais Dimitri. Je connaissais son sens de l’honneur et sa manière catégorique d’envisager le bien et le mal. Il était obstiné dans ses convictions et prêt à sacrifier sa vie pour elles. S’il était vraiment certain qu’il devait m’éviter et laisser s’éteindre toute affection entre nous, il y avait de fortes chances qu’il agisse en conséquence malgré l’amour que nous éprouvions l’un pour l’autre. Il avait déjà fait preuve d’une grande détermination dans ce domaine lorsque nous étions à Saint-Vladimir.

Quant au reste… Mon problème était bien différent s’il était vrai qu’il ne m’aimait plus ou n’était plus capable d’aimer personne. Christian et Adrian avaient craint l’un et l’autre qu’il ne reste une part de Strigoï en lui, mais c’était sa violence potentielle dont ils se méfiaient. Personne n’avait imaginé que sa transformation en Strigoï avait pu lui endurcir le cœur au point d’anéantir en lui toute possibilité d’aimer quelqu’un… au point d’anéantir en lui toute possibilité de m’aimer, moi.

Si c’était bien le cas, j’étais certaine qu’une part de moi serait également anéantie.

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