Chapitre 29

 

 

La durée du vol avoisinait davantage les trente heures que les vingt-quatre. Il n’était pas facile de se rendre du cœur de la Sibérie au cœur du Montana. Il me fallut changer d’avion à Moscou, à Amsterdam et à Seattle. Je montai dans quatre appareils différents, visitai cinq aéroports et courus beaucoup. Malgré l’épuisement, j’éprouvai un étrange mélange de joie et de soulagement en tendant mon passeport au guichet de Seattle pour rentrer aux États-Unis.

Avant de quitter la Russie, j’avais cru qu’Abe viendrait avec moi pour finir son travail et me livrer en mains propres à ceux qui l’avaient engagé.

— Tu repars vraiment, cette fois ? me demanda-t-il à l’aéroport. Tu retournes dans ton académie ? Tu ne vas pas t’arrêter en route et disparaître encore ?

Je lui souris.

— Non, le rassurai-je. Je rentre à Saint-Vladimir. – Et tu vas y rester ? insista-t-il.

Il n’avait pas tout à fait l’air aussi dangereux qu’à Baïa, mais il y avait quelque chose de dur dans son regard. Mon sourire s’évanouit.

— Je ne sais pas ce qui va se passer. Je n’ai plus ma place, là-bas. – Rose…

Je levai la main pour le faire taire, surprise de ma propre fermeté.

— Assez. Vous pouvez garder vos conseils. Vous avez été engagé pour m’y faire retourner. Ce n’est pas votre boulot de me dire ce que je dois faire après ça.

Du moins, je l’espérais. C’était probablement quelqu’un de l’académie qui l’avait engagé pour me retrouver. Puisque j’y retournais, cette personne avait gagné. Les services d’Abe n’étaient plus requis.

Malgré sa victoire, il ne semblait pas particulièrement ravi de se débarrasser de moi. Il leva les yeux vers le tableau d’affichage des départs et soupira.

— Il est temps de passer la douane si tu ne veux pas rater ton avion.

J’acquiesçai.

— Merci pour… (pourquoi, au juste ? Pour son aide ?)… tout. Alors que je me retournais pour le quitter, il me retint par l’épaule. – C’est tout ce que tu as à te mettre ?

La plupart de mes vêtements étaient éparpillés dans toute la Russie. Un alchimiste avait retrouvé un jean, des chaussures et un sweat-shirt, et j’allais devoir m’en contenter jusqu’à mon retour aux États-Unis.

— Je n’ai besoin de rien d’autre.

Abe haussa un sourcil, se tourna vers l’un de ses gardiens et me désigna d’un geste discret. Ce dernier retira immédiatement son manteau pour me l’offrir. Le gardien était svelte, mais le vêtement était quand même trop grand pour moi.

— Non, je n’ai pas…

— Prends-le, m’ordonna Abe.

J’obéis. Alors, à ma grande stupeur, Abe commença à dérouler l’écharpe qu’il portait. C’était l’une des plus jolies que je lui avais vues. Elle était en cachemire, mélangeait les couleurs vives et serait davantage passée inaperçue dans les Caraïbes que dans le Montana. Je commençais déjà à protester, mais son expression m’imposa le silence. Je passai l’écharpe à mon cou et le remerciai en me demandant si j’allais le revoir un jour. Je ne pris pas la peine de lui poser la question, certaine qu’il refuserait d’y répondre.

Lorsque j’atterris enfin à Missoula trente heures plus tard, j’étais persuadée que je n’allais plus avoir envie de remettre les pieds dans un avion pendant… au moins cinq ans, peut-être dix. Comme je n’avais pas de bagages, je sortis rapidement de l’aéroport. Abe avait prévenu l’académie de mon arrivée, mais je ne savais pas qui allait venir me chercher. Il aurait été logique qu’on en charge Alberta, qui dirigeait les gardiens de l’académie. Cela pouvait aussi être ma mère. Je ne savais jamais où elle se trouvait et j’avais subitement très envie de la voir. Si elle était dans le coin, il aurait aussi été logique qu’on l’envoie me chercher.

Je fus donc un peu surprise de découvrir que c’était Adrian qui m’attendait à la sortie de l’aéroport.

Je sentis un sourire s’épanouir sur mon visage, pressai le pas et lui sautai au cou, ce qui nous surprit l’un et l’autre.

— Je n’ai jamais été si heureuse de te voir ! déclarai-je.

Il me serra fort, puis s’écarta de moi pour me regarder avec admiration.

— Les rêves ne te rendent jamais justice, petite dhampir. Tu es magnifique.

J’avais achevé de me sevrer après mon séjour éprouvant chez les Strigoï et Oksana avait continué à me soigner malgré mes protestations. Elle avait même guéri les bleus que j’avais dans le cou sans me poser de questions. Je préférais que personne ne sache rien de ce qui m’était arrivé.

— Quant à toi…

Je l’examinai à mon tour. Il était aussi élégant que d’habitude avec son long manteau en laine et son écharpe verte, assortie à la couleur de ses yeux. Ses cheveux châtains étaient méticuleusement décoiffés comme il en avait le secret, mais son visage… Comme je l’avais remarqué alors, Simon lui avait assené quelques bons coups de poing. L’un de ses yeux était boursouflé et cerclé de noir. Néanmoins, il me suffisait de penser à tout ce qu’il avait fait pour oublier ses imperfections.

— … tu es éblouissant !

— Menteuse.

— Lissa ne pouvait-elle pas guérir cet œil au beurre noir ?

— C’est une blessure de guerre. Elle me donne l’air viril. Allez, viens ! Notre carrosse nous attend.

— Pourquoi t’ont-ils envoyé ? lui demandai-je, tandis que nous nous dirigions vers le parking. Tu n’as pas bu, au moins ?

Adrian ne se donna pas la peine de répondre à ma deuxième question.

— Eh bien… l’académie n’a plus aucune responsabilité envers toi, puisque tu as démissionné. Ils n’étaient pas obligés de venir te chercher. Tes autres amis n’ont pas le droit de quitter le campus… mais moi ? je ne suis qu’un esprit libre qui vagabonde. Alors j’ai emprunté une voiture et me voilà.

Sa réponse m’inspira des sentiments mitigés. J’étais touchée qu’il se soit donné la peine de passer me prendre, et contrariée par le fait qu’il me rappelle que l’académie n’avait plus de responsabilités envers moi. Pendant tout mon périple, j’avais considéré Saint-Vladimir comme chez moi. Sauf que ce n’était plus officiellement le cas. Je n’allais être qu’une visiteuse.

Pendant le trajet, Adrian me raconta la suite des événements auxquels nous avions participé deux jours plus tôt à l’académie. Après notre grande bataille psychique, je n’étais pas retournée dans la tête de Lissa. Oksana avait guéri mon corps, mais mon esprit était toujours épuisé et endeuillé. Même si j’avais accompli ce que je m’étais promis de faire, l’image de Dimitri en train de tomber du pont me hantait toujours.

— Tu avais raison : Simon et Reed étaient bien liés à Avery, déclara Adrian. D’après les informations que nous avons rassemblées, Simon a été tué au cours d’un combat auquel Avery a assisté, il y a des années. Tout le monde a vu sa survie comme un miracle et personne ne s’est douté de ce qui s’était vraiment passé.

— Elle cachait ses pouvoirs, tout comme vous, commentai-je. Et Reed est mort plus tard ?

— C’est le plus étrange, répondit Adrian en fronçant les sourcils. Personne ne sait quand il est mort. Je veux dire… C’est un noble.

Il a été choyé toute sa vie… D’après le peu qu’on a tiré de lui – c’est-à-dire presque rien, puisque leurs cerveaux en ont tous pris un coup –, il semblerait que ce soit Avery qui l’ait tué dans l’intention de le ressusciter.

— Comme elle voulait le faire avec Lissa, ajoutai-je en me rappelant le discours que Simon avait tenu pendant leur affrontement. Avery avait l’intention de la tuer, puis de la ressusciter pour la lier à elle. Mais pourquoi Lissa ?

— Tu veux mon avis ? Parce que c’est une spécialiste de l’esprit. À partir du moment où l’existence de notre élément a été révélée au grand jour, cela n’a été qu’une question de temps avant qu’Avery entende parler de Lissa et de moi. Je pense qu’elle espérait accroître ses propres pouvoirs en la liant à elle. Elle tirait déjà beaucoup d’énergie des deux autres. (IL secoua la tête.) Je ne plaisantais pas quand j’ai dit que je les avais senties se servir de l’esprit depuis l’autre bout du campus. Le pouvoir qu’Avery devait déployer pour manipuler tant de gens, masquer son aura et Dieu sait quoi d’autre… était stupéfiant.

Je méditai les conséquences des actions d’Avery en regardant la route.

— Voilà pourquoi Reed était si désagréable, pourquoi il était furieux et toujours prêt à se battre. Simon et lui absorbaient toute la noirceur qu’elle produisait en maniant l’esprit, comme j’absorbe celle de Lissa.

— Sauf que tu n’es pas dans l’état où ils étaient. C’était moins évident chez Simon, qui était plus doué pour dissimuler ses émotions, mais l’un et l’autre étaient au bord du gouffre. Et ils ont fini par y tomber. Tous les trois.

Je frissonnai en me souvenant du regard vide de Simon et des hurlements d’Avery.

— Quand tu dis qu’ils y sont tombés…

— Je dis qu’ils sont devenus complètement fous. Tous les trois vont passer le reste de leur vie dans un asile.

— À cause de ce que vous… de ce que nous leur avons fait ? m’écriai-je, stupéfaite.

— En partie, reconnut-il. Avery a jeté tant de pouvoir dans la bataille. Lorsque nous avons riposté, il a dû se produire une sorte de surcharge dans leur esprit. À vrai dire, si j’en juge par le comportement de Reed et de Simon, tout était déjà en place pour le grand final. Avery aussi.

— Mark avait raison, murmurai-je.

— Qui ?

— Quelqu’un que j’ai rencontré qui a aussi reçu le baiser de l’ombre. Il m’a expliqué que Lissa et moi pouvions apprendre à nous guérir mutuellement, mais que cela exigeait de respecter un équilibre fragile entre les deux membres du lien. Je ne sais pas ce que ça signifie précisément, mais j’ai dans l’idée que le trio qu’ils formaient devait rendre cet équilibre impossible. Je pense qu’il est dangereux d’être lié à plus d’une personne.

— Ah ! (Adrian réfléchit à tout cela pendant quelques instants, puis éclata de rire.) Je n’arrive pas à croire que tu aies rencontré un autre spécialiste de l’esprit et quelqu’un qui lui était lié par le baiser de l’ombre ! C’est comme si tu avais trouvé une aiguille dans une botte de foin, mais ce genre de chose t’arrive en permanence. Je suis impatient de savoir ce que tu as fait d’autre.

Je détournai les yeux et appuyai ma tête contre la vitre.

— Rien de vraiment intéressant.

 

Les autorités de l’académie ignoraient le rôle que j’avais joué dans les événements qui venaient de se dérouler. En conséquence, personne ne m’interrogea. Elles en étaient encore à remettre les choses en ordre et posaient beaucoup de questions à Lissa et Adrian. L’esprit était une découverte si récente que personne n’avait un avis clair sur ce qui s’était passé. On avait transféré Avery et ses deux compagnons de lien dans un endroit où ils pourraient recevoir des soins, et M. Lazar avait pris un congé pour motif personnel.

Adrian me présenta comme son invitée, ce qui me permit d’entrer à l’académie. Comme à tous les visiteurs, on me remit un exemplaire du règlement qui précisait ce que j’avais le droit de faire ou non, et que je m’empressai d’oublier.

— Je dois te quitter, dis-je aussitôt à Adrian.

Il esquissa un sourire. – Je m’en doutais.

— Merci d’être venu me chercher. Je suis désolée de devoir t’abandonner…

Il calma mon inquiétude d’un geste désinvolte.

— Tu ne m’abandonnes pas. Tu es revenue, c’est tout ce qui compte. Puisque je t’ai attendue jusque-là, je peux bien tenir encore un peu.

Je soutins son regard quelques instants et fus surprise de sentir une douce chaleur m’envahir. Je ne lui en montrai rien et me contentai de lui sourire avant de partir vers l’autre bout du campus.

Je fus la cible de tous les regards en entrant dans le dortoir de Lissa. Les cours venaient de s’achever et l’agitation régnait dans les couloirs. Pourtant, tout le monde s’arrêta pour me regarder passer. Cela me rappela le jour où Lissa et moi étions rentrées à l’académie après notre fugue. On nous avait forcées à traverser le réfectoire et nos camarades nous avaient infligé un traitement semblable.

Je me faisais peut-être des idées, mais j’eus l’impression que c’était pire. Les regards étaient plus ébahis, le silence était plus pesant. La fois précédente, tout le monde avait cru que notre fugue était une sorte de défi. Cette fois-ci, personne ne savait pourquoi j’étais partie. Je m’étais comportée en héroïne pendant la bataille de l’académie pour démissionner aussitôt après et disparaître. Certains des camarades de Lissa devaient me prendre pour un fantôme.

Comme j’avais l’habitude de traiter les ragots par le mépris et de me moquer de ce qu’on pouvait penser de moi, je traversai la foule en regardant droit devant moi et montai les marches de l’escalier quatre à quatre. En arrivant dans son couloir, je dressai une barrière mentale entre Lissa et moi. C’était peut-être idiot, mais j’avais envie d’être surprise. Je voulais me retrouver face à elle sans connaître par avance ses émotions et ses pensées. Je frappai à la porte.

Adrian avait dit que les rêves ne me rendaient pas justice, qu’ils ne valaient pas ma présence réelle. C’était tout aussi vrai pour Lissa. Ce n’était pas la même chose d’être dans sa tête et d’être près d’elle dans la réalité. Lorsque la porte s’ouvrit, j’eus l’impression de voir un messager du ciel se matérialiser devant moi. Nous n’étions jamais restées séparées si longtemps et une part de moi se demandait si je ne rêvais pas.

Elle écarquilla les yeux et mit sa main devant sa bouche. Elle devait ressentir la même chose, d’autant plus que je ne l’avais pas prévenue de mon arrivée. On lui avait seulement dit que j’allais « bientôt » rentrer. Elle aussi devait croire voir un fantôme.

En la retrouvant, j’eus l’impression de sortir d’une grotte, dans laquelle j’aurais passé presque cinq semaines, et d’émerger à la lumière du jour. La transformation de Dimitri avait arraché un morceau de mon âme. J’en avais moi-même arraché un autre en quittant Lissa. En la voyant devant moi, je commençai à croire une guérison possible. J’allais peut-être me remettre de toutes ces épreuves, finalement. Je ne me sentais pas encore redevenue entière, mais sa présence comblait une part du vide. Je ne m’étais pas autant sentie moi-même depuis une éternité.

Le silence entre nous était lourd d’embarras et de questions informulées. Malgré ce qui s’était passé avec Avery, beaucoup de choses étaient restées en suspens depuis le jour où j’avais quitté l’académie. Pour la première fois depuis mon retour, je pris peur. J’eus peur que Lissa me rejette ou s’énerve contre moi.

Mais elle me serra dans ses bras de toutes ses forces.

— Je le savais ! s’écria-t-elle en sanglotant déjà. Je savais que tu reviendrais.

— Évidemment, murmurai-je contre son épaule. Je te l’avais promis.

J’avais retrouvé ma meilleure amie. Auprès d’elle, j’allais être capable de surmonter ce qui m’était arrivé en Sibérie. Je pourrais reprendre le cours de ma vie.

— Je suis désolée de ce que j’ai fait, dit-elle.

La surprise m’arracha à ses bras. J’entrai dans la chambre et refermai la porte derrière moi.

— Désolée ? Mais de quoi es-tu désolée ?

Malgré mon plaisir de la revoir, je m’attendais à ce qu’elle m’en veuille toujours de l’avoir abandonnée. Rien de ce qu’Avery lui avait fait subir ne se serait produit si j’étais restée. Je me le reprochais assez.

Elle s’assit sur son lit, les yeux emplis de larmes.

— Je suis désolée de ce que je t’ai dit quand tu es partie… Je n’avais pas le droit. Je n’avais pas le droit de vouloir diriger ta vie. Et je me sens terriblement coupable… (Elle s’essuya les yeux.)… Je me sens terriblement coupable d’avoir refusé de ressusciter Dimitri. Je sais que ça n’aurait rien changé, mais j’aurais quand même dû te proposer de…

— Non ! (Je tombai à genoux devant elle et lui pris les mains. Je n’en revenais toujours pas d’être de nouveau avec elle.) Regarde-moi. Tu n’as pas à être désolée. Moi aussi, j’ai dit des choses que je n’aurais pas dû dire. Ça arrive quand on est en colère. Aucune de nous deux ne devrait se sentir coupable. Quant à Dimitri… (Je soupirai.) Tu as bien fait de refuser. Même si je l’avais retrouvé avant sa transformation, il est dangereux d’être lié à plus d’une personne. C’est ce qui explique l’état d’Avery.

Du moins, cela l’expliquait en partie. Le plaisir pervers de la manipulation et la soif de pouvoir y étaient aussi pour beaucoup. Les sanglots de Lissa s’apaisèrent.

— Comment as-tu fait, Rose ? Comment as-tu pu m’aider quand j’avais besoin de toi ?

— J’étais avec une autre spécialiste de l’esprit que j’ai rencontrée en Sibérie. Elle est capable d’entrer dans l’esprit des gens – de tout le monde, pas seulement de son compagnon de lien – et de communiquer avec eux. Comme Avery, en fait. Oksana est entrée dans ma tête pendant que j’étais dans la tienne. Tout le reste a été assez bizarre.

— Encore un pouvoir que je n’ai pas, commenta tristement Lissa.

Je lui fis un grand sourire.

— Eh ! j’attends encore de rencontrer un autre spécialiste de l’esprit qui sait donner de pareils coups de poing. C’était un vrai poème, Liss.

Elle grommela, mais je sentis que mon usage de son vieux surnom lui avait fait plaisir.

— J’espère bien que je n’aurai plus jamais à le refaire ! Je ne suis pas faite pour me battre, Rose. C’est toi qui es douée pour ça. Moi, j’apporte le soutien moral et les soins après la bataille. (Elle leva ses mains devant ses yeux et les examina.) Non. Je n’ai vraiment pas envie de recommencer.

— Mais tu sais désormais que tu en es capable. Si jamais tu as envie de t’entraîner…

— Non ! (Elle éclata de rire.) J’ai déjà bien trop à faire avec Adrian en matière d’entraînement. Je dois apprendre à maîtriser les pouvoirs de l’esprit, surtout après tout ce que tu m’as raconté au sujet de nouveaux pouvoirs que d’autres savent contrôler, et dont j’ignore encore tout.

— D’accord. Il vaut peut-être mieux que les choses redeviennent comme elles étaient avant.

Son visage s’assombrit.

— J’espère tant que ce sera le cas… J’ai fait tellement de choses stupides avec Avery, Rose.

Notre lien m’apprit que son plus grand regret concernait Christian. Son cœur saignait toujours et elle avait versé beaucoup de larmes. Comme on m’avait arraché Dimitri, je savais ce que l’on éprouvait à perdre un amour de cette intensité. Je me jurai de faire tout mon possible pour l’aider. Mais il était encore trop tôt. Nous devions d’abord nous retrouver.

— Tu ne pouvais pas t’en empêcher, lui fis-je remarquer. Son pouvoir de suggestion était trop grand, surtout quand elle affaiblissait tes défenses en te faisant boire.

— C’est vrai, mais tout le monde n’a pas connaissance de cet élément et beaucoup ne seront pas en mesure de comprendre ma conduite.

— Ils oublieront, la rassurai-je. Ils finissent toujours par oublier.

Je comprenais qu’elle s’inquiète pour sa réputation, mais doutais que celle-ci soit ternie de façon définitive ; excepté pour Christian. C’était leur relation qui avait le plus souffert de ce qui s’était passé. Adrian et moi avions compris la raison des agissements d’Avery en les rapprochant du commentaire de Simon sur le « malheureux accident » de Lissa. Avery avait voulu que Lissa paraisse instable au cas où elle n’aurait pas eu la force de la ressusciter. Sa mort n’aurait pas vraiment éveillé les soupçons. Après des semaines passées à boire et à faire n’importe quoi, le fait qu’elle tombe d’une fenêtre aurait été un accident certes tragique, mais pas invraisemblable.

— L’esprit est une malédiction, se plaignit-elle. Tout le monde cherche à vous manipuler : aussi bien ceux qui ne le possèdent pas, comme Victor, que ceux qui le possèdent, comme Avery. Je te jure que je reprendrais volontiers mon traitement si je ne croyais pas désormais que j’ai besoin d’apprendre à me protéger de gens comme eux. Pourquoi a-t-elle voulu me tuer, moi, et pas Adrian ? Pourquoi suis-je toujours la cible ?

Je ne pus m’empêcher de sourire malgré la gravité de notre conversation.

— Parce qu’elle voulait que tu sois son esclave et Adrian son petit ami. Elle voulait probablement sortir avec quelqu’un qui puisse l’aider à gravir les échelons de la société et ne pouvait courir le risque de le tuer en essayant de le lier à elle. Mais qui sait ? elle aurait peut-être fini par tenter de le faire avec lui aussi. J’imagine qu’elle devait te percevoir comme une rivale et préférait s’assurer le contrôle de la seule autre femme spécialiste de l’esprit connue à ce jour. Laisse tomber, Liss. Nous pourrions passer la journée à essayer de comprendre le profil psychologique d’Avery Lazar sans que ça nous mène nulle part.

— C’est vrai. (Elle glissa du lit et vint s’asseoir à côté de moi sur la moquette.) Mais tu sais quoi ? J’ai l’impression que nous pourrions parler de n’importe quoi pendant des heures. Tu n’es revenue que depuis dix minutes et il me semble que tu n’es jamais partie.

— C’est vrai.

Avant que Dimitri devienne un Strigoï, le fait d’être auprès de lui me donnait une impression d’équité et de naturel. C’était aussi le cas avec Lissa, même s’il s’agissait d’une autre forme d’équité. Le chagrin d’avoir perdu Dimitri m’avait presque fait oublier ce qu’elle était pour moi. Ils étaient les deux moitiés de mon âme.

— J’étais sincère, tout à l’heure, dit Lissa qui avait toujours eu le don de deviner mes pensées. Je suis désolée d’avoir agi comme si j’avais des droits sur ta vie. Je n’en ai pas. Si tu décides de rester pour me protéger, tu le feras librement et par gentillesse. Je veux être sûre que tu mènes l’existence qui te convient.

— Il n’y aura aucune « gentillesse » là-dedans. J’ai toujours voulu te protéger, et c’est encore le cas. (Je soupirai.) J’avais simplement certaines choses à régler. Je devais me retrouver moi-même et je suis désolée de ne pas m’être montrée très patiente avec toi.

Nous nous excusions beaucoup, mais c’était ainsi que les choses devaient se passer entre deux personnes qui se souciaient l’une de l’autre. Nous devions mutuellement nous pardonner pour passer à autre chose.

Lissa hésita avant de poser la question suivante, mais je la sentis venir.

— Alors… que s’est-il passé ? L’as-tu retrouvé ?

Je crus d’abord que je n’avais pas envie d’en parler, puis compris que j’en avais besoin. D’autre part, plusieurs raisons expliquaient que les choses aient mal tourné entre Lissa et moi. L’une d’elles était qu’elle avait tenu notre amitié pour acquise, une autre que je lui avais caché des choses, puis lui en avait voulu de mon attitude, plus tard. Si nous voulions restaurer notre amitié, nous ne devions pas seulement nous pardonner, mais aussi éviter de reproduire les erreurs du passé.

— Je l’ai trouvé, finis-je par répondre.

Alors je me lançai et lui racontai tout ce que j’avais vécu : mon voyage, les Belikov, les alchimistes, Mark et Oksana, les non-promis et, bien sûr, Dimitri. Comme Lissa l’avait suggéré tout à l’heure en plaisantant, nous parlâmes pendant des heures. Je lui ouvris mon cœur et elle m’écouta sans me juger avec un regard compatissant. À la fin de mon récit, tout l’amour, toute la terreur et la révolte que j’avais gardés en moi depuis la nuit où Dimitri et moi nous étions battus sur ce pont explosèrent, et j’éclatai en sanglots. À Novossibirsk, je n’avais parlé à personne de ce que j’avais fait pendant que j’étais avec Dimitri. Je n’avais pas osé avouer que j’avais été la catin rouge d’un Strigoï.

J’étais restée vague, comme si je pouvais faire en sorte que tout cela n’ait pas eu lieu en n’en parlant pas.

À présent, face à Lissa, je devais accepter la réalité et vraiment la ressentir : j’avais tué l’homme que j’aimais.

Des coups frappés à la porte nous tirèrent d’un monde qui n’abritait qu’elle et moi. Je levai les yeux vers la pendule et découvris avec surprise que le couvre-feu approchait. Venait-on pour me chasser ? Mais lorsque Lissa ouvrit la porte après que j’eus essuyé mes larmes, ce fut un message d’un tout autre genre que me transmit la surveillante.

— Alberta veut te voir, m’annonça-t-elle. Elle pensait que je te trouverais ici.

Lissa et moi échangeâmes un regard surpris.

— Quand ? lui demandai-je. Maintenant ? La surveillante haussa les épaules.

— D’après son ton… oui, je dirais maintenant. Le plus tôt possible, en tout cas.

Elle referma la porte. Alberta dirigeait les gardiens de l’académie et avait l’habitude qu’on lui obéisse sans délai.

— De quoi s’agit-il, à ton avis ? me demanda Lissa.

Je me levai en regrettant de devoir déjà partir.

— Il peut s’agir d’un tas de choses. Je vais aller la voir, puis je retournerai dans le bâtiment des invités. Je n’arriverai pas à dormir. Je n’ai plus la moindre idée du fuseau horaire dans lequel je me trouve.

Lissa me prit dans ses bras pour me dire au revoir et nous eûmes du mal à nous séparer.

— Bonne chance !

Alors que je posais la main sur la poignée de la porte, une idée me vint à l’esprit. Je retirai l’anneau d’argent que j’avais gardé au doigt et le tendis à Lissa.

— Est-ce que c’est l’anneau que… ? Oh !

Elle le prit avec un air extatique.

— Sens-tu son pouvoir ?

— Oui. IL est faible, mais toujours là.

Elle leva l’anneau à la lumière pour l’examiner. Elle n’allait sans doute même pas remarquer mon départ et étudier l’objet toute la nuit.

— C’est étrange. J’arrive presque à comprendre instinctivement comment elle s’y est prise.

— D’après Mark, il va nous falloir du temps pour apprendre à nous guérir mutuellement comme ils le font. Crois-tu pouvoir fabriquer ce genre d’amulette en attendant ?

Ses yeux de la couleur du jade n’avaient pas quitté l’anneau.

— Oui… il me semble…

Son excitation me fit sourire. Lorsque je voulus encore partir, elle me retint par le bras.

— Rose ! je sais qu’on se verra demain, mais…

— Mais quoi ?

— Je voulais simplement te dire qu’après tout ce qu’on vient de vivre… je ne veux plus qu’on reste éloignées l’une de l’autre si longtemps. Bien sûr, je sais qu’on ne peut pas passer tout notre temps ensemble – l’idée est effrayante, d’ailleurs – mais ce n’est pas pour rien que nous sommes liées. Nous sommes faites pour veiller l’une sur l’autre et nous soutenir.

Ses mots me firent frissonner comme si nous étions entourées de pouvoirs qui nous dépassaient.

— Nous le ferons.

— Non, ce que je veux dire… c’est que tu es toujours là pour moi. Chaque fois, c’est moi qui suis en danger et toi qui accours pour me sauver. Je ne veux plus que ce soit le cas.

— Tu ne veux plus que je te sauve ?

— Ce n’est pas ce que je veux dire ! Je veux aussi être là pour toi, Rose. Si je peux donner un coup de poing, je peux vraiment faire n’importe quoi – même si j’ai eu mal. (Elle poussa un soupir de frustration.) Mon Dieu… ce que je dis n’a aucun sens ! Voici ce qui est important : si tu dois repartir un jour, emmène-moi avec toi. Ne me laisse pas derrière.

— Liss…

— Je suis sérieuse. (Sa beauté lumineuse étincelait de détermination.) Quels que soient les obstacles qui se dresseront sur ton chemin, je serai là pour t’aider à les franchir. Ne pars plus seule. Jure-moi de m’emmener avec toi la prochaine fois. Nous nous battrons ensemble.

Des craintes de tous genres m’incitèrent à protester. Comment pouvais-je risquer sa vie ? Mais je compris en la regardant que c’était elle qui avait raison. Pour le meilleur ou pour le pire, nous ne pouvions échapper à notre lien. Lissa occupait une partie de mon âme et nous étions plus fortes ensemble que séparément.

— D’accord, conclus-je en posant ma main sur la sienne. Je te promets que tu pourras m’accompagner la prochaine fois que je m’en irai faire quelque chose de stupide qui mettra ma vie en danger.

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