Chapitre 30
Alberta m’attendait dans le bureau d’accueil du bâtiment administratif des gardiens. Compte tenu du petit nombre de femmes qu’il y avait dans nos rangs, il était remarquable qu’elle dirige les gardiens de l’académie. Elle avait la cinquantaine et c’était l’une des femmes les plus coriaces que j’avais rencontrées. Ses cheveux roux grisonnaient un peu et des années d’entraînement en extérieur avaient tanné sa peau.
— Sois la bienvenue, Rose, dit-elle en se levant à mon approche.
Elle fut loin de me prendre dans ses bras et ne quitta pas son impassibilité professionnelle, mais le fait qu’elle se soit servie de mon prénom était un geste généreux de sa part. Je crus aussi deviner du soulagement et un peu de joie dans son regard.
— Allons dans mon bureau.
Je n’y étais jamais entrée. Tous les problèmes disciplinaires que j’avais eus avec les gardiens s’étaient réglés devant une commission. Je ne fus pas surprise de découvrir une pièce impeccable où tout était organisé avec un sens pratique militaire. Nous nous installâmes de part et d’autre de son bureau et je me préparai pour un interrogatoire.
— Rose, commença-t-elle en se penchant vers moi. Je vais être franche avec toi. Je ne vais pas te faire la leçon ni requérir des explications. De toute manière, je n’ai plus le droit de te demander des comptes puisque tu n’es plus mon élève.
Cela me rappela la remarque d’Adrian.
— Vous pouvez me faire la leçon, répondis-je. Je vous ai toujours respectée et j’écouterai ce que vous avez à me dire.
Une esquisse de sourire passa sur son visage.
— Très bien. Tu as tout raté.
— Eh bien ! vous ne plaisantiez pas en parlant de franchise !
— Les raisons qui t’ont poussée à agir ainsi importent peu. Tu as eu tort de partir. Tu n’aurais pas dû démissionner. Quoi que tu puisses en penser, l’entraînement que tu as reçu a trop de valeur, et tu as trop de talent pour risquer de gâcher ton avenir.
Je faillis éclater de rire.
— Vous voulez la vérité ? Je n’ai plus la moindre idée de ce que sera mon avenir.
— C’est la raison pour laquelle tu dois passer ton diplôme.
— Mais j’ai démissionné.
Elle ricana.
— Alors réinscris-toi.
— Quoi ? Comment ?
— En remplissant un formulaire, comme pour tout le reste.
Pour être honnête, je n’avais pas la moindre idée de ce que j’allais faire en revenant à l’académie. Mon seul souci avait été de retrouver Lissa et de m’assurer qu’elle allait bien. Je savais que je ne pouvais plus devenir sa gardienne, mais j’avais imaginé que personne ne songerait à l’empêcher de passer du temps avec une amie. Je pensais devenir son garde du corps personnel, un peu comme ceux d’Abe. D’ici là, je pensais vadrouiller sur le campus comme le faisait Adrian.
Mais me réinscrire ?
— J’ai raté un mois, peut-être plus.
J’avais perdu le compte des jours. Nous étions la première semaine de mai et j’étais partie fin mars, le jour de mon anniversaire. Combien de temps cela faisait-il ? Cinq semaines ? presque six ?
— Tu as raté deux années et réussi à rattraper le niveau. J’ai foi en toi. Et même si tu ne brilles pas aux examens, mieux vaut avoir un diplôme sans mention que pas de diplôme du tout.
J’essayai de m’imaginer replonger dans ce monde. Cela ne faisait-il vraiment que cinq semaines ? Les cours, les ragots. Comment cela pouvait-il redevenir mon quotidien maintenant que j’avais vu la manière dont vivait la famille de Dimitri, que j’avais vécu auprès de lui et l’avais – encore – perdu ?
M’aurait-il dit qu’il m’aimait ?
— Je ne sais pas quoi dire, avouai-je à Alberta. C’est inattendu.
— Tu ferais bien de te décider vite. Plus tôt tu reviendras en cours, mieux cela vaudra.
— On m’autoriserait vraiment à revenir ?
C’était la partie que j’avais le plus de mal à croire.
— Je t’autoriserai à revenir. Il n’est pas question que je laisse s’enfuir quelqu’un comme toi. Et maintenant que Lazar est parti… c’est un peu la pagaille, par ici. Personne ne m’ennuiera pour des histoires de formulaires. (Son sourire ironique vacilla légèrement.) Et si on décide de m’ennuyer… j’ai cru comprendre que tu avais un protecteur qui pourra se charger d’arranger les choses.
— Un protecteur ? répétai-je. Un protecteur qui porte des bijoux en or et des écharpes voyantes ?
Elle haussa les épaules.
— Je ne le connais pas. J’ignore même son nom. Je sais seulement qu’il a menacé de suspendre une donation considérable qu’il fait régulièrement à l’académie si nous ne te reprenions pas. À condition que tu veuilles revenir.
C’était bien ça. Un chantage. J’étais à peu près sûre de savoir qui était mon protecteur.
— Laissez-moi un peu de temps pour y réfléchir. Je vous promets de prendre une décision rapidement.
Elle fronça les sourcils, prit un air songeur, puis acquiesça sèchement. – Très bien.
Nous nous levâmes toutes les deux et elle me raccompagna jusqu’à la porte du bâtiment. Je me tournai vers elle.
— Si j’obtiens mon diplôme, croyez-vous qu’il y ait encore une petite chance pour qu’on m’assigne à la garde de Lissa ? Je sais qu’on lui a déjà choisi d’autres gardiens et que je suis un peu en… disgrâce.
Nous nous étions arrêtées près des portes du bâtiment.
— Je ne sais pas, répondit Alberta en posant une main sur sa hanche. Nous pouvons toujours essayer. La situation est devenue un peu plus compliquée.
— Je sais, lui accordai-je tristement en me rappelant l’influence omniprésente de Tatiana.
— Mais nous ferons ce que nous pourrons. Tu te souviens de ce que je t’ai dit au sujet des diplômes sans mention ? Oublie. Tu seras peut-être mauvaise en maths et en sciences, mais c’est en dehors de ma sphère de compétences. Tu seras la meilleure des novices. Je t’entraînerai moi-même.
— D’accord, dis-je en prenant conscience de la faveur qu’elle me faisait. Merci.
Je venais juste de sortir lorsqu’elle me rappela.
— Rose !
— Oui ? répondis-je en rattrapant la porte. Il y avait de la douceur dans son expression, ce que je n’avais jamais vu.
— Je suis désolée, dit-elle. Pour tout ce qui s’est passé. Et parce que aucun de nous n’a rien pu faire pour l’éviter.
Alors je lus dans son regard qu’elle savait pour Dimitri et moi. J’ignorais comment. Peut-être l’avait-elle appris après la bataille, à moins qu’elle ne l’ait deviné avant ; dans tous les cas, son visage n’exprimait aucune réprobation, seulement de la sympathie et du chagrin. Je hochai brièvement la tête avant de ressortir.
Je rencontrai Christian le lendemain, mais notre conversation fut courte. Il était en retard à l’entraînement de l’un de ses protégés. Il s’arrêta quand même pour me prendre dans ses bras et parut se réjouir sincèrement de mon retour. Cela prouvait que nous avions fait beaucoup de chemin depuis l’époque de notre rencontre, où nous n’éprouvions que de l’hostilité l’un pour l’autre.
— Il était temps, commenta-t-il. Lissa et Adrian étaient ceux qui s’inquiétaient le plus à ton sujet, mais ils n’étaient pas les seuls. Et il faut bien que quelqu’un remette Adrian à sa place. Je ne peux pas m’en charger tout le temps.
— Merci. Même si ça m’arrache la bouche de le dire, tu m’as manqué toi aussi. Personne n’est aussi sarcastique que toi en Russie. (Mon amusement retomba.) En parlant de Lissa…
— Non ! m’interrompit-il en levant les bras pour protester. (Son visage s’était durci.) Je savais que tu allais en venir là !
— Christian ! elle t’aime. Et tu sais qu’elle n’était pour rien dans ce qui s’est passé…
— Je sais, m’interrompit-il. Mais ça ne m’empêche pas de souffrir. Rose… je sais que c’est dans ta nature de jeter au visage des gens ce que tout le monde a peur de leur dire mais, s’il te plaît… pas cette fois. J’ai besoin de temps pour réfléchir.
Je dus ravaler les commentaires que je m’apprêtais à faire. Lissa m’avait parlé de Christian pendant notre longue discussion de la veille. Ce qui s’était passé entre eux était son plus grand regret et ce pour quoi elle en voulait le plus à Avery. Lissa avait essayé d’arranger les choses, mais il s’était montré distant. Christian avait raison : le moment n’était pas encore venu de lui rentrer dedans. Mais il fallait qu’ils règlent cela.
Je respectai donc son désir et me contentai d’acquiescer.
— D’accord. Pour le moment.
Mes derniers mots lui firent esquisser un sourire.
— Merci. Je dois y aller. Si tu as envie de montrer à ces enfants comment se battre à l’ancienne mode, tu n’as qu’à passer. Je suis sûr que Jill va s’évanouir si elle te revoit.
Je lui promis de le faire, puis le laissai poursuivre son chemin. J’étais moi-même attendue. Néanmoins, je n’en avais pas fini avec lui.
J’avais rendez-vous avec Lissa et Adrian pour dîner dans l’un des salons du bâtiment des invités. Comme ma rencontre avec Christian m’avait mise en retard, je traversai le hall du bâtiment au pas de course en prêtant à peine attention à mon environnement.
— Toujours en train de courir ! m’interpella une voix. Ce serait un miracle que quelqu’un arrive à t’arrêter.
Je m’arrêtai net et me retournai, les yeux écarquillés.
— Maman ?
Elle était appuyée contre un mur, les bras croisés sur la poitrine. Ses cheveux roux étaient aussi bouclés et aussi emmêlés que d’habitude. Son visage, aussi tanné que celui d’Alberta, exprimait du soulagement et de… l’amour. Je n’y découvris aucune trace de colère ni de réprobation. Je n’avais jamais été si contente de la voir. Je volai dans ses bras et posai ma tête sur son épaule même si elle était plus petite que moi.
— Rose, murmura-t-elle dans mes cheveux. Ne fais plus jamais ça, s’il te plaît.
Je m’écartai pour observer son visage et fus stupéfaite de la voir pleurer. J’avais vu ma mère bouleversée après l’attaque qu’avait subie l’académie, mais je ne l’avais jamais vue verser de véritables larmes. Cela me donna envie de pleurer à mon tour, et je lui essuyai vainement le visage avec l’écharpe d’Abe.
— Non, ne pleure pas, lui dis-je en trouvant très étrange ce renversement de rôles. Je suis désolée. Je ne le ferai plus. Tu m’as tellement manqué.
C’était vrai. J’avais adoré Oléna Belikova. Je la trouvais douce, aimante, et allais toujours chérir le souvenir de la manière dont elle m’avait réconfortée et nourrie. Dans une autre vie, elle aurait pu être ma belle-mère. Dans celle-ci, je ne cesserai jamais de la considérer comme une sorte de mère adoptive.
Mais elle n’était pas ma vraie mère. C’était Janine Hathaway. En me retrouvant devant elle, je me sentis infiniment heureuse d’être sa fille. Elle n’était pas parfaite, mais je commençais à comprendre que personne ne l’était. Elle était bonne cependant, courageuse, redoutable et compatissante. Elle devait mieux me comprendre que je ne le croyais souvent. Si je pouvais devenir la moitié de la femme qu’elle était, je n’aurais pas perdu mon temps.
— J’étais si inquiète, dit-elle en se ressaisissant. Où es-tu allée ? Je veux dire… je sais que tu étais en Russie, mais pourquoi ?
— Je pensais… (Je déglutis en voyant de nouveau Dimitri tomber du pont avec mon pieu planté dans le torse.) Disons que j’avais quelque chose à faire, et je pensais devoir le faire seule.
Je n’étais plus certaine d’avoir eu raison sur le deuxième point. Bien sûr, j’avais atteint mon but sans l’aide de personne, mais je commençais à me rendre compte que beaucoup de gens m’aimaient et me soutenaient. Les choses se seraient-elles passées autrement si je m’étais ouverte à eux et leur avais demandé de l’aide ? Cela aurait peut-être été plus facile.
— J’ai des tas de questions à te poser, me prévint-elle.
Sa voix s’était affermie et je ne pus m’empêcher de sourire. Elle était redevenue la Janine Hathaway que je connaissais. C’était ainsi que je l’aimais. Son regard glissa de mon visage à mon cou et je la vis se raidir. Pendant un bref instant de panique, je me demandai si Oksana n’avait pas oublié une marque de morsure. L’idée que ma mère puisse comprendre ce à quoi je m’étais abaissée en Sibérie me tétanisa. Au lieu de cela, elle caressa l’écharpe en cachemire aux motifs colorés avec autant d’émerveillement que de surprise.
— C’est… C’est l’écharpe d’Ibrahim… C’est un héritage de famille…
— Non, elle appartenait à un mafieux du nom d’Abe…
Je m’interrompis dès que son nom franchit mes lèvres. Abe. Ibrahim. En entendant les deux prénoms prononcés l’un après l’autre, je pris conscience à quel point ils étaient proches. Abe… En anglais, c’était le diminutif d’Abraham. Abraham, Ibrahim. Il n’y avait qu’une petite variation dans les voyelles. Abraham était un prénom assez répandu aux États-Unis, mais je n’avais entendu celui d’Ibrahim qu’une seule fois. La reine Tatiana l’avait prononcé sur un ton méprisant en parlant de quelqu’un avec qui ma mère avait eu une liaison.
— Maman ! m’écriai-je, incrédule. Tu connais Abe ! Elle caressait encore l’écharpe. Son expression trahissait une affection très différente de celle qu’elle avait pour moi.
— Oui, Rose. Je le connais.
— S’il te plaît, ne me dis pas…
Pourquoi ne pouvais-je pas être une enfant illégitime de la noblesse, comme Robert Doru ? ou même la fille du facteur ?
— Ne me dis pas qu’Abe est mon père…
Elle n’eut pas besoin de me le dire. C’était écrit sur son visage. Elle s’était perdue dans ses souvenirs d’un autre lieu et d’un autre temps – parmi lesquels devait se trouver celui de ma conception. J’en frémis.
— Mon Dieu ! m’écriai-je. Je suis la fille de Zmey. Zmey Junior. Zmeyette, même.
Cela la ramena à la réalité.
— Mais qu’est-ce que tu racontes ? me demanda-t-elle en me dévisageant.
— Rien.
J’étais abasourdie et tentai désespérément d’intégrer cette nouvelle donnée dans mon univers mental. Je repensai à son visage rusé et barbu pour y chercher un air de famille. On m’avait toujours dit que je ressemblais à ma mère quand elle était plus jeune, mais mes cheveux bruns et mes yeux sombres… rappelaient beaucoup ceux d’Abe. Je savais depuis toujours que mon père était turc. Voilà donc qui expliquait le mystérieux accent d’Abe, que je n’avais pas été capable d’identifier. Ibrahim devait être l’équivalent turc d’Abraham.
— Comment ? Comment as-tu pu avoir une relation avec un homme pareil ?
Ma question l’offensa.
— Ibrahim est un homme merveilleux. Tu ne le connais pas aussi bien que moi.
— De toute évidence… Maman… sais-tu comment Abe gagne sa vie ?
— C’est un homme d’affaires. Il connaît et rend service à beaucoup de gens. C’est la raison pour laquelle il a tant d’influence.
— Mais quelle sorte d’affaires ? J’ai entendu dire qu’elles étaient illégales. J’espère qu’il… S’il te plaît, dis-moi qu’il ne fait pas du trafic de catins rouges ou quelque chose comme ça !
— Quoi ? (Elle parut sincèrement scandalisée.) Bien sûr que non. – Mais toutes ses affaires ne sont pas légales.
— Qui peut le prouver ? Il n’a jamais été arrêté pour quelque chose d’illégal.
— On dirait presque que tu viens de faire une plaisanterie.
Je ne la croyais pas du genre à défendre un criminel, mais je savais mieux que la plupart des gens à quelles extrémités l’amour pouvait mener.
— Il t’en parlera s’il en a envie. Point final. Et puis tu ne manques pas de secrets, toi non plus. Vous avez beaucoup de choses en commun.
— Tu te moques de moi ? Il est arrogant, sarcastique, il aime intimider les gens…
D’accord : elle venait de marquer un point.
Elle esquissa un sourire.
— Je ne m’attendais pas à ce que vous vous rencontriez de cette manière. À vrai dire, je ne m’attendais pas à ce que vous vous rencontriez tout court. Nous pensions tous les deux qu’il valait mieux qu’il n’entre pas dans ta vie.
Une nouvelle idée me traversa l’esprit.
— C’était toi, n’est-ce pas ? Tu l’as engagé pour me retrouver.
— Quoi ? Je l’ai appelé quand j’ai appris que tu t’étais enfuie…, mais je ne l’ai certainement pas engagé !
— Alors qui l’a fait ? Il m’a dit qu’il travaillait pour quelqu’un.
Son sourire de femme amoureuse se fit ironique.
— Ibrahim Mazur ne travaille pour personne, Rose. Ce n’est pas le genre d’homme qu’on peut acheter.
— Mais il a dit… Alors pourquoi me suivait-il ? Es-tu en train de dire qu’il m’a menti ?
— Ce ne serait pas la première fois, reconnut-elle. S’il t’a suivie, ce n’était pas pour le compte de quelqu’un qui le payait. C’était parce qu’il le voulait. Il voulait te retrouver et s’assurer que tu allais bien. Il a demandé à tous ses contacts de te chercher.
Je me remémorai ma brève relation avec Abe. Elle avait été inquiétante et exaspérante. Néanmoins, il avait pris sa voiture en plein milieu de la nuit pour venir me chercher quand on m’avait attaquée, il avait insisté pour que je rentre à l’académie et m’avait apparemment offert un héritage familial parce qu’il craignait que je ne prenne froid sur le chemin du retour. « C’est un homme merveilleux », venait de dire ma mère.
J’imaginais qu’un père pouvait être pire que celui-là.
— Te voilà enfin, Rose ! Qu’est-ce qui t’a pris tant de temps ? (Ma mère et moi nous tournâmes vers Lissa, qui venait d’arriver dans le hall et dont le visage s’était illuminé dès qu’elle m’avait vue.) Suivez-moi, toutes les deux. Le dîner va refroidir. Vous ne devinerez jamais ce qu’Adrian a réussi à se procurer.
Ma mère et moi échangeâmes un regard entendu. Nous n’avions pas besoin de mots pour nous comprendre : nous devions avoir une longue discussion, mais cela allait attendre.
Je ne sais pas comment Adrian s’était débrouillé mais, quand nous entrâmes dans le salon, il y avait de la nourriture chinoise. Le réfectoire de l’académie n’en servait presque jamais et, lorsque cela arrivait, les plats avaient un goût… bizarre. Ceux d’Adrian semblaient délicieux. Il y avait des bols de poulet à la sauce aigre-douce et des omelettes à la viande. J’aperçus des cartons d’emballage sur lesquels était imprimée l’adresse d’un restaurant à Missoula dans une poubelle.
— Comment as-tu réussi à te faire livrer tout ça ? lui demandai-je.
C’était même encore chaud.
— Tu devrais parfois cesser de te poser des questions, Rose, répondit-il en emplissant son assiette de riz cantonnais. (Il semblait très content de lui.) Accepte simplement les choses comme elles viennent. Lorsque Alberta en aura fini avec ton formulaire, nous mangerons chinois tous les jours !
Je me figeai, ma fourchette suspendue devant mes lèvres.
— Comment se fait-il que tu sois au courant de ça ? Il se contenta de me faire un clin d’œil.
— On entend des choses, quand on passe son temps à traîner sur le campus.
Lissa nous dévisagea à tour de rôle. Elle avait été en cours toute la journée et nous n’avions pas trouvé le temps de parler.
— De quoi s’agit-il ?
— Alberta veut que je me réinscrive pour passer mon diplôme.
Lissa faillit en lâcher son assiette. Ma mère sembla tout aussi surprise.
— Elle t’y autorise ? me demanda-t-elle.
— C’est ce qu’elle m’a dit.
— Alors fais-le ! s’écria ma mère.
— C’est dommage, commenta Adrian. J’aimais bien l’idée de prendre la route avec toi.
— Tant pis, ripostai-je. De toute manière, tu ne m’aurais pas laissée conduire. – Arrêtez !
Ma mère était pleinement redevenue elle-même. Il n’y avait plus en elle la moindre trace d’inquiétude pour sa fille en fuite, ni de nostalgie au souvenir d’un amour perdu.
— Vous avez tort de plaisanter là-dessus. C’est ton avenir qui est en jeu. (Elle désigna Lissa d’un signe de tête.) Son avenir, aussi. Finir tes études ici et devenir gardienne est la meilleure…
— Oui, l’interrompis-je.
— Oui ? répéta-t-elle, stupéfaite.
— Oui, je suis d’accord, précisai-je en souriant. – Tu es d’accord… avec moi ?
D’après ses souvenirs, une telle chose ne s’était jamais produite. Et d’après les miens non plus.
— Oui. Je vais passer mes examens, obtenir mon diplôme, et devenir un membre respectable de la société dans la mesure de mes moyens, même si ça n’a pas l’air très amusant, ajoutai-je pour la taquiner.
Même si j’avais parlé d’un ton léger, je savais au plus profond de moi que j’avais besoin de le faire. J’avais besoin de revenir auprès des gens qui m’aimaient. Sans nouveau but dans la vie, je ne parviendrais jamais à surmonter la mort de Dimitri, je ne cesserais jamais de voir son visage et d’entendre sa voix.
Lissa battit des mains et je sentis sa joie m’envahir. Adrian dissimulait mieux ses émotions, mais lui aussi était content que je réintègre l’académie. Ma mère semblait toujours abasourdie. Elle devait s’être habituée à me voir prendre des décisions absurdes, ce qui était souvent le cas.
— Tu comptes vraiment rester ?
J’éclatai de rire.
— Mon Dieu ! combien de fois faudra-t-il que je le répète ? Je vais reprendre mes études.
— Et tu vas rester ? insista-t-elle. Pendant deux mois et demi ?
— L’un n’implique-t-il pas l’autre ?
Son visage dur était vraiment celui d’une mère.
— J’aimerais être sûre que tu ne vas pas t’enfuir de nouveau à la première occasion. Tu vas finir ton année quoi qu’il arrive ? rester jusqu’à tes examens ? Tu me le promets ?
Je soutins son regard, qui me surprit par son intensité.
— Oui. Je te le promets.
— Excellent, conclut-elle. Tu comprendras plus tard que c’était la bonne décision.
Elle prononça ces mots avec la froideur des gardiens, mais il y avait de l’amour et de la joie dans ses yeux.
Nous achevâmes notre dîner et empilâmes nos assiettes pour faciliter le travail de la femme de ménage. Tandis que je jetais les restes dans la poubelle, je sentis Adrian s’approcher derrière moi.
— Voilà une activité bien domestique pour toi, me taquina-t-il. Mais ça te rend sexy. Je vais me mettre à rêver de toi en tablier en train de passer l’aspirateur.
— Comme tu m’as manqué, Adrian, répliquai-je avec une grimace. J’imagine que tu ne vas pas m’aider ?
— Non. J’ai déjà aidé en finissant mon assiette. Tu as le droit de me remercier.
J’éclatai de rire.
— Heureusement que tu n’as rien dit quand j’ai promis à ma mère que j’allais rester. Tu aurais risqué de me faire changer d’avis.
— Je n’aurais pas pu m’opposer à son désir. Ta mère semble être le genre de femme qui obtient toujours ce qu’elle veut. (Il jeta un coup d’œil vers Lissa et ma mère qui discutaient ensemble de l’autre côté du salon, et baissa la voix.) Ce doit être de famille. Je devrais peut-être lui demander son aide.
— Pour te procurer des cigarettes de contrebande ?
— Pour demander à sa fille si elle veut bien sortir avec moi. Je faillis faire tomber l’assiette que je tenais. – Tu me l’as demandé des centaines de fois !
— Pas vraiment. J’ai fait des suggestions inappropriées et souvent parlé de nudité. Mais je ne t’ai jamais demandé de m’accorder un rendez-vous. Et si mes souvenirs sont bons, tu m’avais promis de me donner une chance si je te laissais vider mon compte en banque.
— Je ne l’ai pas vidé, me défendis-je.
Mais je me souvenais parfaitement d’avoir dit à Adrian que je lui laisserais sa chance si je survivais à ma quête. À ce moment-là, j’aurais dit n’importe quoi pour obtenir l’argent dont j’avais besoin. Sauf que je voyais Adrian différemment, désormais. Bien sûr, je n’étais pas encore prête à l’épouser, même avec un effort d’imagination, ni même à le considérer comme un petit ami potentiel. Je ne savais même pas si un jour viendrait où je serais de nouveau capable de sortir avec quelqu’un. Mais il s’était comporté en ami loyal vis-à-vis de moi et des autres durant ces dernières semaines chaotiques. Il s’était montré doux, fiable, et… je devais reconnaître que malgré un œil au beurre noir il était toujours extrêmement beau.
Même si cela n’aurait pas dû compter à mes yeux, Lissa avait réussi à lui faire admettre que son béguin pour Avery devait beaucoup à la suggestion. Il l’aimait bien, sans tendresse particulière, et elle avait amplifié ce qu’il ressentait pour elle grâce à ses pouvoirs. C’était du moins ce qu’il prétendait. Si j’avais été un garçon et que ce genre de chose me soit arrivée, j’aurais moi aussi déclaré avoir été sous l’influence de la magie.
Pourtant, sa manière de me regarder à cet instant rendait difficilement crédible l’idée que quelqu’un ait pu prendre ma place dans son cœur pendant le dernier mois.
— Fais-moi une proposition, finis-je par répondre. Par écrit. En énumérant toutes les raisons pour lesquelles tu fais un bon prétendant.
Il éclata de rire, puis s’interrompit en voyant mon expression. – Tu es sérieuse ? Ça ressemble à un devoir. Il y a une raison si je ne suis pas à l’université ! Je claquai des doigts.
— Au travail, Ivashkov ! Je veux voir ta copie sur mon bureau demain.
Je m’attendais à ce qu’il me réponde par une plaisanterie ou m’envoie promener, mais au lieu de cela, il dit :
— D’accord.
— D’accord ?
J’eus l’impression de me retrouver dans le rôle de ma mère lorsque je l’avais surprise en étant du même avis qu’elle.
— Oui. Je retourne dans ma chambre pour m’y mettre tout de suite.
Je le regardai avec incrédulité ramasser son manteau. Je n’avais jamais vu Adrian réagir si vite lorsqu’il était question de faire un effort. Merde ! dans quoi m’étais-je embarquée ?
Il s’arrêta subitement et fouilla dans la poche de son manteau avec un sourire exaspéré.
— Où avais-je la tête ? En fait, je t’ai déjà écrit tout un roman. (Il produisit une feuille de papier qu’il m’agita sous le nez.) Il va falloir que tu t’achètes un téléphone. J’en ai assez de jouer les secrétaires.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un étranger, qui m’a appelé tout à l’heure. Il a dit avoir retrouvé mon numéro dans la mémoire de son téléphone. (Il jeta un nouveau coup d’œil à Lissa et à ma mère qui bavardaient toujours.) Il m’a dit qu’il avait un message pour toi et que je ne devais en parler à personne. Il me l’a dicté et m’a demandé de le lui relire. Je ne ferais ça pour personne d’autre, tu sais. Je pense le mentionner dans ma liste.
— Vas-tu me le donner ?
Il me tendit la feuille avec un clin d’œil, s’inclina rapidement devant moi, puis prit congé de Lissa et de ma mère. Une part de moi se demanda s’il allait vraiment me faire une proposition écrite, mais le message absorba l’essentiel de mon attention. Je n’avais pas le moindre doute sur l’identité de l’homme qui l’avait appelé. Je m’étais servie du téléphone d’Abe pour appeler Adrian depuis Novossibirsk et, plus tard, j’avais mentionné son implication financière dans mon voyage. Mon père – cette idée me faisait toujours frémir – en avait apparemment conclu qu’Adrian était digne de confiance, même si je comprenais mal pourquoi il n’avait pas chargé ma mère de me transmettre son message.
Je dépliai la feuille et mis quelques secondes à déchiffrer l’écriture d’Adrian. S’il me faisait effectivement une proposition écrite, j’espérai du fond du cœur qu’il la taperait sur ordinateur. Le message était le suivant :
« Suis entré en contact avec le frère de Robert. Il m’a dit que je n’avais rien à lui offrir qui pouvait l’inciter à me révéler où Robert se trouve – et j’ai beaucoup à offrir, crois-moi. Mais il a déclaré que cette information allait mourir avec lui s’il finissait sa vie là où il était. J’ai pensé que tu aimerais le savoir. »
Ce n’était pas le roman dont s’était plaint Adrian. C’était aussi un peu obscur, mais il était logique qu’Abe ne veuille pas fournir trop d’informations à celui qui ne devait servir que d’intermédiaire. Pour moi, le sens du message était évident. Le frère de Robert n’était autre que Victor Dashkov. Abe avait réussi à lui faire parvenir un message dans la prison où il était enfermé. Je n’étais pas vraiment surprise qu’il en ait eu le pouvoir. Abe avait apparemment essayé de marchander avec Victor pour découvrir où se trouvait Robert, mais Victor avait refusé. Cela ne me surprenait pas davantage. Victor n’était pas particulièrement serviable et il était difficile de l’en blâmer, à présent qu’il était emprisonné à vie. Que pouvait-on offrir à un homme condamné à perpétuité qui fasse une véritable différence dans sa vie ?
Je posai le message en soupirant, vaguement touchée qu’Abe ait fait cette démarche pour moi, même si elle s’était révélée vaine. Alors l’argument qui me désespérait me revint à l’esprit. Même si Victor lui avait livré cette information, qu’en aurais-je fait ? Plus le temps passait, plus l’idée de ramener un Strigoï à sa forme originelle me semblait ridicule. Seule la mort pouvait les délivrer. Rien d’autre que la mort…
La voix de ma mère m’empêcha de revivre encore une fois dans ma tête la scène du pont. Elle m’annonça qu’elle devait partir et me promit que nous parlerions ensemble plus tard. Après son départ, Lissa et moi nous assurâmes que tout était en ordre dans le salon, avant de nous diriger vers ma chambre. Nous aussi avions beaucoup de choses à nous dire. En montant l’escalier, je me demandai quand on me transférerait du bâtiment des invités au dortoir des novices. Sans doute dès qu’Alberta aurait fini de remplir ses formulaires. Je n’arrivais toujours pas à croire que j’allais recouvrer mon ancienne vie et dépasser mes épreuves du dernier mois.
— Adrian t’a-t-il donné un billet doux ? me taquina Lissa.
Sa voix était légère, mais notre lien m’apprit qu’elle craignait toujours que je n’arrive pas à surmonter mon chagrin d’avoir perdu Dimitri.
— Pas encore. Je t’expliquerai.
Une employée de l’académie s’apprêtait à frapper à ma porte lorsque nous arrivâmes à mon étage. Elle me vit et me tendit une enveloppe matelassée.
— Je vous apportais ça. C’est arrivé au courrier aujourd’hui.
— Merci.
Je pris l’enveloppe et l’examinai. Mon nom et l’adresse de l’académie étaient imprimés dessus en caractères noirs. Cela me parut étrange. Mon retour avait été si soudain. Elle ne portait pas d’adresse d’expéditeur et ses timbres étaient russes.
— Sais-tu de qui ça vient ? me demanda Lissa dès que l’employée se fut éloignée.
— Non. J’ai rencontré beaucoup de gens en Russie.
Elle pouvait m’avoir été expédiée par Oléna, Mark ou Sydney. Pourtant, elle m’inquiétait sans que je sache pourquoi.
J’en déchirai un côté et plongeai ma main à l’intérieur. Mes doigts se replièrent autour d’un objet froid et métallique. Je compris ce dont il s’agissait avant même de le sortir de l’enveloppe : c’était un pieu en argent.
— Mon Dieu ! murmurai-je.
Je l’examinai et caressai le motif géométrique qui était gravé dessus. Il n’y avait aucun doute possible. C’était le pieu que j’avais ramassé dans la chambre forte de la propriété de Galina, celui que…
— Pourquoi quelqu’un t’enverrait-il un pieu ? m’interrogea Lissa. Sans lui répondre, je tirai de l’enveloppe l’autre objet qu’elle contenait. C’était une carte, recouverte d’une écriture que je ne connaissais que trop bien.
« Tu as oublié une autre de mes leçons : ne tourne jamais le dos à ton ennemi avant d’être sûre qu’il est mort. Il semblerait que nous devions revoir cette leçon à notre prochaine rencontre, c’est-à-dire très bientôt.
Avec tout mon amour, D. »
Je faillis lâcher la carte.
— Mauvaises nouvelles…
Le monde se mit à tanguer autour de moi, et je fermai les yeux en prenant une profonde inspiration. Pour la centième fois, je repensai à la nuit où j’avais échappé à Dimitri. Toutes les fois précédentes, mes émotions et mon attention s’étaient toujours focalisées sur son expression lorsque je l’avais frappé et sur la chute de son corps dans les ténèbres. Cette fois, mon esprit se remémora les détails de notre combat. Je me souvins qu’au dernier moment son esquive m’avait empêchée de le frapper selon l’angle que je voulais. Pendant quelques instants, j’avais cru ne pas avoir enfoncé le pieu assez profondément… jusqu’à ce que ses traits se détendent et qu’il tombe dans le fleuve.
Sauf que je ne l’avais vraiment pas enfoncé assez profondément. Mon instinct ne s’était pas trompé, mais tout s’était passé trop vite. Il était tombé… Et alors quoi ? Le pieu était-il si mal planté qu’il soit parti tout seul ? Se l’était-il arraché lui-même ? Sa chute dans l’eau s’en était-elle chargée ?
— Tous ces exercices sur mannequin… Tout cela pour rien, grommelai-je en me souvenant du nombre incalculable de fois où Dimitri m’avait fait répéter le geste de plonger le pieu dans une poitrine, afin que je trouve instinctivement le cœur entre les côtes.
— Rose ! s’écria Lissa en me donnant l’impression que ce n’était pas la première fois qu’elle prononçait mon nom. Que se passe-t-il ?
C’était le coup de pieu le plus important de ma vie et je l’avais raté. Qu’allait-il se passer, à présent ? « Il semblerait que nous devions revoir cette leçon à notre prochaine rencontre, c’est-à-dire très bientôt. »
Je ne savais pas ce que je ressentais. Du désespoir, parce que j’avais échoué à libérer l’âme de Dimitri et à honorer la promesse que je lui avais faite en secret ? Du soulagement à l’idée de ne pas avoir tué l’homme que j’aimais ? La même question m’obsédait toujours : aurait-il dit qu’il m’aimait si nous avions eu quelques instants de plus ?
Je n’avais pas la réponse. Mes émotions étaient déchaînées à l’intérieur de moi. J’avais besoin de faire le point sur mes certitudes pour en reprendre le contrôle.
Tout d’abord : deux mois et demi. Je les avais promis à ma mère et ne pourrais pas agir avant qu’ils se soient écoulés.
Pendant ce temps, Dimitri serait toujours un Strigoï, là-bas en Sibérie. Je ne pourrais pas trouver la paix tant qu’il resterait libre de parcourir le monde. En relisant la carte, je compris que je ne connaîtrais pas non plus la paix même si j’essayais de l’oublier, lui. Son message était très clair.
Cette fois, c’était Dimitri qui viendrait me pourchasser. Et quelque chose me disait que j’avais gâché ma chance d’être transformée en Strigoï. IL allait venir pour me tuer. Qu’avait-il dit lorsque je m’étais échappée, déjà ? Que l’un de nous deux était de trop dans ce monde ?
Et pourtant…
Mon absence de réponse aggrava l’inquiétude de Lissa.
— Ta tête me terrifie un peu… À quoi penses-tu ?
— Crois-tu aux contes de fées ? lui demandai-je en la regardant enfin.
Le seul fait de prononcer ces mots me fit songer au regard réprobateur de Mark.
— Quel… genre de contes de fées ?
— Ceux pour lesquels nous ne sommes pas censées gâcher notre vie.
— Je ne comprends pas, se lamenta-t-elle. Je suis complètement perdue. Dis-moi ce qui se passe. Qu’est-ce que je peux faire ?
Deux mois et demi. Cela me semblait une éternité. Mais j’avais promis à ma mère que j’allais rester jusqu’aux examens et je ne voulais pas agir sans réfléchir une fois de plus – surtout avec un enjeu de cette importance. Les promesses. Je me noyais dans les promesses. J’en avais même fait une à Lissa.
— Étais-tu sérieuse, hier ? Veux-tu vraiment m’accompagner dans ma prochaine quête désespérée ? Quoi qu’il t’en coûte ?
— Oui.
Il n’y eut aucune hésitation, ni dans sa voix, ni dans le regard calme de ses yeux verts. Bien sûr, je ne pus m’empêcher de me demander si elle serait dans la même disposition d’esprit lorsqu’elle découvrirait ce que j’avais en tête.
Que pouvait-on offrir à un homme condamné à la prison à perpétuité, qui fasse une véritable différence dans sa vie ?
Un peu plus tôt, je m’étais demandé ce qui pourrait inciter Victor Dashkov à parler. Il avait répondu à Abe que personne n’avait rien à lui offrir en échange de l’information qu’il détenait sur son frère. Victor était condamné à vie. Rien ne pouvait plus l’appâter, à l’exception d’une chose : la liberté. Et il n’existait qu’un moyen de la lui offrir.
Nous allions organiser son évasion.
Mais je décidai d’attendre un peu pour le dire à Lissa.
L’essentiel était que j’avais une chance infime de sauver Dimitri. Même si Mark avait dit qu’il s’agissait d’un conte de fées, je devais essayer. La question la plus importante était : de combien de temps disposais-je avant que Dimitri arrive pour me tuer ? Combien de temps avais-je pour comprendre comment rendre possible l’impossible ? Là était le vrai problème. Parce que les choses allaient très mal tourner si Dimitri débarquait avant que j’aie mis la main sur Victor, le dragon de notre conte. Robert avait peut-être tout inventé, mais même si ce n’était pas le cas… le temps pressait. Si Dimitri arrivait avant que j’aie retrouvé Victor et Robert, j’allais devoir l’affronter de nouveau. Il ne me serait pas possible d’attendre le remède miracle. Je devrais le tuer pour de bon cette fois, et perdre ma seule chance de ramener mon prince à la vie. Merde !
C’était une chance que je sois efficace sous pression.