Chapitre 7
Furieuse, j’enfonçai presque les portes du dortoir des Moroï et me précipitai dans le hall en compagnie d’une bourrasque de neige. Les élèves qui traînaient là interrompirent leurs discussions pour me regarder et, comme je pouvais m’y attendre, la plupart m’observèrent en deux temps. Je déglutis et m’efforçai de rester de marbre. Tout allait bien se passer. Je n’avais aucune raison de m’affoler. Les novices recevaient des coups en permanence. Il était finalement bien rare que ce ne soit pas le cas. Bien sûr, celui que l’on m’avait administré était plus visible que beaucoup d’autres, mais je pouvais survivre avec un coquard jusqu’à ce qu’il disparaisse… Et puis personne ne savait comment je l’avais reçu.
— Hé ! Rose ! Est-ce que c’est vrai que ta mère t’a mis son poing dans la figure ?
Je me figeai. Il était impossible de confondre cette agaçante voix de soprano avec une autre… Je tournai lentement la tête pour plonger mon regard dans les yeux bleus de Mia Rinaldi. Des anglaises blondes encadraient un visage qui aurait été joli sans son sourire mauvais.
Mia, d’un an plus jeune que nous, était en guerre contre Lissa, et contre moi par conséquent. Une guerre qu’elle avait déclarée. Son but avoué était de nous gâcher la vie le plus efficacement possible. Pour ce faire, elle avait volé le petit ami de Lissa, dont celle-ci ne voulait plus, et lancé toutes sortes de rumeurs.
Il fallait reconnaître que la haine de Mia n’était pas tout à fait injustifiée. André, le grand frère de Lissa, tué dans l’accident où j’avais moi-même trouvé la mort, s’était très mal comporté envers elle quelques années plus tôt. Si elle n’était pas devenue une vraie salope, j’en aurais été navrée pour elle. Vu ce qu’André lui avait fait, je comprenais bien sa colère, mais je trouvais inadmissible qu’elle la passe sur Lissa.
Lissa et moi avions fini par gagner cette guerre. Néanmoins, contre toute attente, Mia avait trouvé les ressources pour se remettre en selle. Elle ne fréquentait plus l’élite de l’académie, mais elle s’était constitué un nouveau cercle d’amis. Certaines personnes, même aigries et mesquines, ont assez de charisme pour toujours trouver des partisans.
J’avais fini par me rendre à l’évidence qu’il valait mieux ignorer sa présence neuf fois sur dix. Sauf que nous venions de tomber sur la dixième : comment faire semblant de ne pas voir quelqu’un qui annonce au monde entier que votre mère vous a mis son poing dans la figure, même si c’est vrai ? Je m’arrêtai pour lui faire face. Elle était appuyée contre un distributeur de confiseries, visiblement ravie de me mettre hors de moi. Je ne fis pas l’effort de me demander comment elle avait pu apprendre l’origine de mon coquard. Rien ne restait longtemps secret dans cette académie…
Ses yeux s’écarquillèrent d’émerveillement lorsqu’elle découvrit ma figure en entier et l’étendue des dégâts.
— Eh bien ! ça, c’est un visage que seule une mère peut aimer…
Très drôle. De la part de n’importe qui d’autre, cette vanne m’aurait sûrement fait rire.
— Je ne sais pas. C’est toi l’experte en matière de blessures au visage… Comment va ton nez ?
Le sourire glacial de Mia trembla légèrement, mais elle garda l’essentiel de son assurance et de son agressivité. Je lui avais cassé le nez un mois plus tôt, au bal de l’académie, s’il vous plaît. Il avait guéri assez vite, mais un petit peu de travers. La chirurgie esthétique pouvait sûrement rectifier ça mais, d’après ce que j’avais compris, les finances de ses parents ne permettraient pas une résolution rapide du problème.
— Il va mieux. Par chance, c’est une salope psychopathe qui me l’a cassé, et non un membre de ma famille.
Je lui offris mon plus beau sourire de psychopathe.
— Quel dommage… Quand un membre de la famille frappe, c’est un accident, alors qu’une salope psychopathe a tendance à vouloir revenir en passer une deuxième couche.
La menacer de violence physique était une bonne tactique dans l’absolu, mais il y avait trop de monde autour de nous pour que je puisse joindre le geste à la parole, et Mia le savait bien. J’étais évidemment capable d’agresser quelqu’un en public, et je l’avais fait de nombreuses fois, mais j’essayais vraiment de contrôler mon impulsivité ces derniers temps.
— J’ai beaucoup de mal à croire qu’il s’agisse d’un accident… Ne suivez-vous pas certaines règles dans ce genre d’exercices ? Ce coup m’a l’air d’avoir été porté très au-dessus de la limite.
J’ouvris la bouche pour riposter, sans rien trouver à dire. Elle marquait un point. Il était interdit de frapper au-dessus des épaules et mon œil au beurre noir était vraiment loin de cette frontière…
Dès que Mia sentit mon hésitation, son visage s’illumina comme si on lui offrait ses cadeaux de Noël avec une semaine d’avance. Jusqu’alors, dans toute l’histoire de notre antagonisme, il n’était jamais arrivé que je ne trouve rien à lui répondre.
— Mesdemoiselles ! intervint une voix sévère et féminine. (La Moroï qui surveillait le hall se pencha par-dessus son bureau pour nous jeter un regard hostile.) Vous n’êtes pas dans un salon. Montez ou sortez !
L’espace d’un instant, casser le nez de Mia pour la deuxième fois me parut la meilleure idée du monde, au mépris des sanctions inévitables et du renvoi éventuel que cela aurait occasionnés. Après une profonde inspiration, j’estimai plus digne de battre en retraite et quittai le dortoir des filles pour me diriger vers l’escalier.
— Ne t’en fais pas, Rose ! lança Mia dans mon dos. Ça va partir… Et puis ce n’est pas ton visage qui intéresse les garçons !
Trente secondes plus tard, je tambourinai sur la porte de Lissa avec une telle violence que celle-ci ne résista que par miracle. Lissa l’ouvrit doucement et observa le couloir d’un air méfiant.
— Tu es toute seule ? J’ai bien cru qu’il y avait une armée à… Oh ! mon Dieu ! (Elle haussa les sourcils en découvrant la moitié gauche de mon visage.) Mais qu’est-ce qui s’est passé ?
— Tu ne le sais pas encore ? Tu dois être la seule de toute l’académie ! grommelai-je. Laisse-moi entrer.
Je m’étendis sur son lit pour lui raconter les événements de la journée, qui la consternèrent.
— Je savais que tu avais reçu un coup, mais je croyais que c’était dans des circonstances ordinaires…
Franchement déprimée, je regardais les aspérités du plafond avec insistance.
— Le pire, c’est que Mia a raison : ce n’était pas un accident.
— Ta mère l’aurait fait exprès ? (Comme je ne répondais pas, elle poursuivit d’une voix sceptique.) Allons… elle ne ferait jamais une chose pareille ! C’est impensable.
— Pourquoi ? Parce que c’est Janine Hathaway, la perfection même, dont la moindre action est absolument maîtrisée ? D’une manière ou d’une autre, elle a perdu le contrôle…
— Il me paraît plus vraisemblable qu’elle ait glissé et manqué son coup. Pour le faire exprès, il aurait fallu qu’elle soit vraiment furieuse…
— Nous étions en train de parler. En général, discuter avec moi suffit à rendre les gens furieux. Je venais de l’accuser d’avoir couché avec mon père parce qu’il était le meilleur choix disponible en matière de sélection naturelle.
— Rose ! me gronda-t-elle. Tu avais oublié de le préciser en me racontant la scène… Pourquoi lui as-tu dit une chose pareille ?
— Parce que c’est sûrement la vérité.
— Et parce que tu savais que ça allait l’énerver. Pourquoi passes-tu ton temps à la provoquer ? Pourquoi n’arrives-tu pas à faire la paix avec elle ?
Je me redressai.
— Faire la paix avec elle ? Elle m’a collé un œil au beurre noir ! Et volontairement, sans doute ! Comment peut-on faire la paix avec quelqu’un comme elle ?
Lissa se contenta de secouer la tête avant d’aller s’assurer de la perfection de son maquillage devant le miroir. Notre lien me révéla de la frustration, de l’exaspération, mais aussi une pointe d’excitation. Ayant fini de vider mon sac, j’eus la patience de l’observer plus attentivement. Elle portait un chemisier en soie couleur lavande et une jupe noire qui lui arrivait au genou. Ses cheveux étaient parfaitement lisses, d’une perfection à laquelle on ne peut prétendre qu’en y consacrant une heure de sa vie, armée d’un fer et d’un sèche-cheveux.
— Tu es magnifique. Que se passe-t-il ?
Je perçus que l’agacement que je lui inspirais s’apaisait un peu.
— Je vais bientôt retrouver Christian.
Pendant quelques minutes, je m’étais sentie pleinement complice de Lissa, comme au bon vieux temps. Il n’y avait qu’elle et moi, et nous traînions et discutions. Mais elle avait mentionné Christian et j’avais pris conscience qu’elle allait bientôt me quitter pour le rejoindre, lui. Cela éveilla en moi un sinistre sentiment que je reconnus à contrecœur comme de la jalousie. Naturellement, je tâchai de n’en rien laisser paraître.
— Eh bien ! qu’a-t-il fait pour mériter tout ça ? Est-ce qu’il a sorti des orphelins d’un bâtiment en flammes ? Si c’est le cas, tu devrais commencer par t’assurer qu’il ne l’a pas incendié lui-même.
Christian s’était spécialisé en feu, ce qui lui allait à merveille, puisque c’était le plus destructeur des éléments.
Lissa éclata de rire et se tourna vers moi pour me surprendre en train de tâter mon visage du bout des doigts. Son sourire s’adoucit.
— Ce n’est pas si affreux…
— Peu importe. Et souviens-toi que je sais quand tu mens. D’après le docteur Olendzki, ce sera encore pire demain. (Je me laissai retomber sur l’oreiller.) Il ne doit pas y avoir assez de fond de teint dans le monde pour masquer un coquard pareil ! Tasha et moi allons devoir investir dans des masques, du genre Fantôme de l’opéra…
Elle vint s’asseoir à côté de moi en soupirant.
— Quel dommage que je ne puisse pas le guérir, tout simplement !
Cela me fit sourire.
— Ce serait génial, lui accordai-je.
Le charisme et le pouvoir de suggestion que lui donnait l’esprit avaient beaucoup d’avantages, mais c’était son pouvoir de guérison qui m’impressionnait le plus. En fait, la variété de prodiges dont elle était capable était stupéfiante.
Lissa aussi songeait à tout ce que permettait son élément.
— J’aimerais tellement qu’il existe une autre manière de contrôler l’esprit ! une manière qui me laisserait l’employer…
— Je sais. (Je comprenais très bien son désir d’aider les gens et d’accomplir de grandes choses. Il irradiait de sa personne. Bien sûr, j’aurais aussi apprécié de voir ce coquard disparaître en quelques minutes plutôt qu’en quelques jours…) Moi aussi, j’aimerais bien.
Elle soupira encore.
— Ce n’est pas seulement que j’aimerais pouvoir soigner des gens et me servir de l’esprit, tu sais. La magie me manque. Elle est toujours en moi, même neutralisée par les cachets. Je la sens brûler au fond de mon âme. Elle me réclame et j’ai besoin d’elle, mais c’est comme s’il y avait un mur entre nous. Tu ne peux pas imaginer ce que j’éprouve…
— En fait, si.
C’était vrai. En plus d’avoir en permanence une impression générale de ce qu’elle éprouvait, il m’arrivait de me « glisser » dans sa tête. C’était difficile à expliquer, et encore plus difficile à vivre. Lorsque cela se produisait, je voyais le monde à travers ses yeux et ressentais la même chose qu’elle. Bref, je devenais Lissa. Comme il m’était souvent arrivé de me glisser dans sa tête alors qu’elle regrettait la perte de ses pouvoirs, je connaissais bien la sensation de manque qu’elle me décrivait. Elle se réveillait souvent la nuit tant la magie, qu’elle ne pouvait plus atteindre, lui manquait.
— Ah oui ! répondit-elle tristement. J’oublie, parfois…
Je sentis l’amertume la gagner. Celle-ci était moins dirigée contre moi que contre la situation qu’elle vivait comme un échec. Il s’y ajouta bientôt de la colère. Lissa n’aimait pas plus que moi se sentir impuissante… Son sentiment s’intensifia encore, pour se transformer en quelque chose de plus sinistre qui me déplut profondément.
— Ça va ? m’inquiétai-je en lui effleurant le bras.
Elle ferma brièvement les yeux, puis les rouvrit.
— C’est juste que je déteste ressentir ça.
L’intensité de ses émotions me remit en mémoire la conversation que nous avions eue avant que je parte pour la maison des Badica.
— As-tu encore l’impression que tes cachets font moins d’effet ?
— Je n’en suis pas sûre. Un peu…
— Est-ce que tu sens que ça empire ?
— Non, m’assura-t-elle en secouant la tête. Je ne peux toujours pas atteindre la magie. Je la sens plus proche, mais quelque chose m’en sépare encore.
— Et tout de même… ton humeur…
— C’est vrai. Ça ne va pas toujours. Mais ne t’inquiète pas ! ajouta-t-elle en me voyant grimacer. Je n’ai pas eu d’hallucinations, ni essayé de me faire du mal…
— Bien. (C’était précisément ce que je voulais entendre. Pourtant, même si elle ne pouvait pas aggraver les choses en se servant de ses pouvoirs, je n’aimais pas l’idée qu’elle redevienne instable. Envers et contre tout, je continuais à espérer que la situation allait finir par se réguler d’elle-même.) Je suis là, murmurai-je en la regardant dans les yeux. S’il se passe quoi que ce soit de bizarre, tu me préviens, d’accord ?
Son humeur sinistre disparut en un clin d’œil, en même temps qu’une sorte de vague parcourait notre lien. Je fus ébranlée par son énergie sans comprendre ce qui m’arrivait. Lissa, elle, ne s’aperçut de rien. Elle me souriait, sa bonne humeur recouvrée.
— C’est promis. Merci.
Je lui rendis son sourire en me réjouissant de la voir revenue dans son état normal. Pendant le silence qui suivit, j’éprouvai une envie soudaine de me confier à elle. J’avais tant de choses sur le cœur, ces derniers temps : ma mère, Dimitri, la maison des Badica… J’avais gardé pour moi les sentiments que cela m’inspirait et ils m’étouffaient. Il y avait longtemps que Lissa et moi n’avions pas connu un tel moment de détente. Tout à coup, j’eus envie de lui faire partager ce que moi j’éprouvais, pour changer.
Son humeur s’altéra encore avant que j’aie eu le temps d’ouvrir la bouche et je devinai à sa nervosité qu’elle avait quelque chose à me dire. Quelque chose qui la préoccupait beaucoup. Tant pis pour mon envie de m’épancher… Si quelque chose l’inquiétait, le moment était mal choisi pour l’ennuyer avec mes problèmes. Je me résignai donc à les mettre de côté et attendis qu’elle prenne la parole.
— J’ai découvert quelque chose, en faisant des recherches avec Mme Carmack. Quelque chose de bizarre…
— Ah ? répondis-je, ma curiosité piquée au vif.
Les Moroï se spécialisaient dans l’un des éléments à l’adolescence et intégraient aussitôt le cours correspondant. Comme Lissa était la seule spécialiste de l’esprit répertoriée, il n’existait pas de classe à laquelle elle aurait pu s’intégrer. La plupart des élèves croyaient encore qu’elle ne s’était pas spécialisée. Elle rencontrait donc Mme Carmack, le professeur de magie de Saint-Vladimir, en dehors des heures de cours pour tâcher de mieux comprendre son élément. Ensemble, elles compulsaient des dossiers à la recherche d’autres cas, qu’elles essayaient de repérer grâce aux symptômes déjà connus, comme l’incapacité à se spécialiser et l’instabilité mentale.
— Je n’ai pas encore identifié de spécialistes de l’esprit, mais j’ai découvert des… phénomènes inexpliqués.
Surprise, je clignai des yeux.
— Quel genre de choses ? l’interrogeai-je en me demandant ce que des vampires pouvaient considérer comme des « phénomènes inexpliqués ».
À l’époque où nous vivions parmi les humains, c’était nous qui nous serions vu attribuer ce label.
— Ce ne sont que des rapports d’incidents. Par exemple, il y avait un garçon qui était capable de provoquer des hallucinations chez les autres. Il arrivait à leur faire croire qu’ils voyaient des monstres, des gens ou tout ce que tu veux…
— Ça pourrait n’être que de la suggestion.
— De la suggestion vraiment efficace, alors… Je n’en serais pas capable, et pourtant je suis plus douée que tous les gens qu’on connaît ou, en tout cas, je l’étais. D’ailleurs, c’est l’esprit qui renforce ce pouvoir…
— Tu penses donc, conclus-je, que ton maître de l’illusion doit aussi être un spécialiste de l’esprit. (Elle acquiesça.) Pourquoi n’essayez-vous pas de le rencontrer pour en savoir plus ?
— Parce que nous n’avons aucune information qui permettrait de le faire. C’est classé secret. Et il y a d’autres cas étranges. Par exemple, quelqu’un qui pouvait vider les gens de leur énergie jusqu’à les faire s’évanouir. Et une autre personne capable de figer en plein vol les objets qu’on jetait sur elle.
Son visage frémit d’excitation.
— Il pourrait s’agir d’un spécialiste de l’air.
— Peut-être.
Je la sentais dévorée de curiosité et d’enthousiasme. Elle avait tellement envie de croire qu’il existait d’autres gens comme elle…
J’esquissai un sourire.
— Qui se serait douté que les Moroï avaient leur propre Roswell et leur Zone 51 ? Je suis surprise qu’on ne m’y ait pas déjà enfermée pour étudier notre lien.
Ma remarque incita Lissa à me taquiner.
— Si tu savais comme je regrette de ne pas pouvoir me glisser dans ta tête, quelquefois… J’aimerais bien savoir ce que tu éprouves pour Mason, par exemple.
— C’est un ami, répondis-je avec assurance, un peu surprise par le brusque changement de sujet. Rien de plus.
Elle ne sembla pas convaincue.
— Tu avais l’habitude de flirter, voire plus, avec n’importe qui.
— Eh ! m’offusquai-je. Je n’étais pas une telle traînée !
— D’accord, peut-être pas. Mais on dirait quand même que les garçons ne t’intéressent plus.
Ce n’était pas le cas. Enfin, un seul garçon m’intéressait.
— Mason est très sympa, poursuivit-elle. Et il est fou de toi.
— C’est vrai, admis-je.
Je repensai au bref moment où je l’avais trouvé sexy devant la salle de Stan. Et puis Mason était vraiment drôle, et nous nous entendions très bien. Il était loin d’être le plus mauvais choix en matière de petit ami…
— Vous vous ressemblez beaucoup, d’ailleurs. Vous n’arrêtez pas de faire des choses dont vous feriez mieux de vous abstenir.
J’éclatai de rire. Elle avait encore raison. La témérité de Mason qui voulait tuer tous les Strigoï du monde me revint en mémoire. Je ne m’y sentais pas prête, même si j’avais piqué une crise dans la voiture, mais j’étais aussi impulsive que lui. Le moment était peut-être venu de lui donner sa chance, songeai-je. Je m’amusais bien à flirter avec lui, et cela commençait à faire longtemps que je n’avais embrassé personne. Je me languissais toujours de Dimitri, mais il n’y avait aucune chance qu’il se passe quelque chose de ce côté-là.
Lissa me regardait avec l’air de savoir ce qui se passait dans ma tête, sauf la partie concernant Dimitri, évidemment.
— J’ai entendu Meredith dire que tu es stupide de ne pas sortir avec lui. Elle prétend que tu t’estimes trop bien pour lui.
— Quoi ? Ce n’est pas vrai !
— Eh ! ce n’est pas moi qui l’ai dit. Quoi qu’il en soit, elle commence à y songer pour elle-même.
— Mason et Meredith ? ironisai-je. Ce serait un désastre ! Ils n’ont rien en commun.
C’était mesquin de ma part, mais je m’étais habituée à me faire draguer par Mason et l’idée que quelqu’un d’autre pouvait s’intéresser à lui m’agaçait.
— Tu es bien possessive, me fit remarquer Lissa en devinant encore le fil de mes pensées.
Je commençais à comprendre pourquoi elle détestait tant que je me glisse dans sa tête.
— Juste un peu, me défendis-je.
Elle éclata de rire.
— Tu sais, Rose, tu devrais vraiment sortir avec quelqu’un, même si ce n’est pas Mason. Il y a des tas de garçons très sympas qui tueraient pour un rendez-vous avec toi…
Je n’avais pas toujours fait les bons choix en matière de garçons. L’envie de partager mes soucis avec Lissa me reprit brutalement. J’avais hésité si longtemps à lui parler de Dimitri alors que ce secret me rongeait… Assise sur son lit, je reprenais conscience qu’elle était ma meilleure amie, après tout. Je pouvais lui raconter tout ce que je voulais en étant certaine qu’elle ne me jugerait pas. Malheureusement, comme la première fois, cette occasion de me confier à elle m’échappa.
Après un coup d’œil vers son réveil, elle bondit sur ses pieds.
— Je suis en retard ! s’écria-t-elle. Christian doit déjà m’attendre !
Une grande joie, à laquelle se mêlait un peu de nervosité, l’envahit. L’amour. Que pouvais-je faire ? Je tâchai de dompter ma jalousie qui relevait sa tête monstrueuse. Une fois encore, Christian me la prenait. Je n’allais pas pouvoir me délivrer de mon fardeau ce soir.
Nous quittâmes son dortoir et elle s’enfuit littéralement en me promettant que nous prendrions le temps de parler le lendemain. Je retournai donc dans mon propre dortoir, ma propre chambre, et fis une grimace en croisant mon reflet dans le miroir. Des taches violettes s’étendaient autour de mon œil. La conversation que nous venions d’avoir m’avait presque fait oublier l’incident avec ma mère. Je m’arrêtai pour observer mon visage plus attentivement. C’était peut-être narcissique, mais je me savais jolie. Je portais des soutiens-gorge bonnets C et avais un corps enviable dans une académie où la plupart des filles ressemblaient à des mannequins anorexiques. Mon visage aussi était agréable. En temps normal, il aurait mérité un neuf sur dix, et un dix sur dix dans mes bons jours.
À cet instant ? Je flirtais avec les notes négatives. J’allais être resplendissante pour le séjour aux sports d’hiver…
— Ma mère m’a battue, informai-je mon reflet, qui m’offrit un regard compatissant.
Après un soupir, je me résignai à me coucher. Je n’avais plus envie de rien faire ce soir-là, et mon coquard allait peut-être guérir plus vite avec un peu de sommeil supplémentaire. Je me rendis à la salle de bains pour me débarbouiller et me brosser les cheveux. De retour dans ma chambre, j’enfilai mon pyjama préféré dont la flanelle douce me réconforta un peu.
J’étais en train de préparer mon sac pour le lendemain lorsqu’une vague d’émotions m’assaillit par l’intermédiaire de notre lien. Elle me prit par surprise et ne me laissa aucune chance de lui résister. Après avoir eu l’impression d’être frappée de plein fouet par un ouragan, je pris conscience que je ne tenais plus mon sac à dos dans les mains. Je m’étais de nouveau « glissée » dans la tête de Lissa et j’éprouvais le monde à travers ses sens.
Alors l’expérience devint perturbante.
Parce que Lissa était avec Christian et que cela commençait à devenir… chaud.