Chapitre 9
Je ne revis pas Dimitri pendant un long moment après cela. Il me fit transmettre un message plus tard dans la journée pour annuler nos deux entraînements suivants, au motif qu’il devait s’occuper d’organiser notre départ prochain de l’académie avec les autres gardiens. Les cours étaient bientôt finis, de toute manière, disait-il… Il semblait assez naturel de lever le pied.
Je savais bien qu’il ne s’agissait que d’un prétexte. Puisqu’il s’était cherché une excuse pour m’éviter, j’aurais préféré qu’il invente une alerte de sécurité ou un entraînement ninja top secret.
Mais peu importait la médiocrité de son message, je savais qu’il me fuyait à cause de ce fichu baiser. Je ne le regrettais pas vraiment. Dieu seul sait combien j’en avais envie… Seulement je comprenais à présent que je le lui avais donné pour de mauvaises raisons. Je l’avais embrassé parce que j’étais en colère et que je voulais lui prouver que je pouvais le faire. J’en avais eu assez de me montrer raisonnable. Malgré mes progrès récents dans ce domaine, j’avais fait une rechute.
Je n’avais pas oublié l’explication qu’il m’avait fournie. Ce n’était pas seulement à cause de l’âge que nous ne pouvions rien vivre ensemble. Cela n’aurait pas manqué d’interférer avec notre travail. En lui volant ce baiser, j’avais attisé une flamme qui pouvait mettre Lissa en danger. Je n’aurais pas dû. La veille, j’avais été incapable de m’en empêcher. À présent que je le comprenais, j’avais du mal à y croire.
Mason vint me retrouver le matin de Noël et nous allâmes rejoindre les autres. Cela me fournit une bonne occasion de chasser Dimitri de mon esprit. J’aimais beaucoup Mason, et il ne s’agissait pas de l’épouser, de toute manière. Comme Lissa me l’avait fait remarquer, il était sain que je songe à sortir avec quelqu’un.
Tasha avait organisé son repas de Noël dans un salon élégant du bâtiment réservé aux invités. Plusieurs autres fêtes et réjouissances se déroulaient dans l’académie, mais j’avais vite remarqué que la présence de Tasha suscitait de la gêne. Les gens l’observaient à la dérobée ou changeaient de direction pour éviter de la croiser. Elle les défiait à certains moments et se résignait à d’autres. Ce jour-là, elle avait décidé de rester à l’écart des Moroï de sang royal pour mieux profiter de ceux, peu nombreux, qui ne la fuyaient pas.
Dimitri était sur la liste des invités. Mes bonnes résolutions faiblirent dès que je l’aperçus. Il s’était même habillé pour l’occasion. D’accord : « habillé » était peut-être un peu exagéré, mais je ne l’avais jamais vu porter ce genre de vêtements. D’ordinaire, il avait seulement l’air un peu sauvage et prêt à se jeter dans une bataille à n’importe quel moment. Ce jour-là, ses cheveux étaient précisément attachés derrière sa nuque, comme s’il avait fait un effort pour les discipliner. Il portait un jean et ses bottes habituelles, mais un beau pull noir au lieu du premier tee-shirt venu. C’était un pull ordinaire, qui ne devait pas avoir coûté une fortune, mais il ajoutait à sa tenue une touche d’élégance que je lui avais rarement vue et lui allait à la perfection.
Sans se montrer hostile envers moi, il ne fit pas le moindre effort pour me rejoindre et engager la conversation. Il discuta avec Tasha, bien sûr, et je fus une fois de plus fascinée par l’aisance avec laquelle ils se parlaient. J’avais appris depuis la fois précédente que l’un de ses meilleurs amis était un lointain cousin de Tasha et qu’ils s’étaient rencontrés par son intermédiaire.
— Cinq ? répéta Dimitri, stupéfait, alors qu’ils parlaient justement des enfants de cette personne. Je l’ignorais…
Tasha secoua la tête.
— C’est fou. Je jurerais que sa femme n’a pas eu six mois de répit entre ses grossesses. Comme elle est petite, elle aussi, elle n’a pas arrêté de s’élargir…
— Quand je l’ai rencontré, il jurait ne pas en vouloir !
— Je sais ! s’écria-t-elle, tout excitée. Moi aussi j’ai eu du mal à y croire. Tu le verrais aujourd’hui… Un vrai papa gâteau. La moitié du temps, je n’arrive même pas à comprendre ce qu’il dit. Je te jure qu’il babille plus qu’il parle !
Dimitri esquissa l’un de ses rares sourires.
— Les enfants ont tendance à faire ça aux gens…
— Je n’imagine pas que ça puisse t’arriver à toi ! s’exclama-t-elle en riant. Tu es toujours si stoïque. Bien sûr, comme tu babillerais en russe, personne ne s’en rendrait compte…
La plaisanterie les fit rire et je me détournai en étant soulagée de pouvoir parler à Mason. Sa présence me distrayait de tout le reste, puisque Dimitri n’était pas le seul à faire comme si j’étais transparente. Lissa et Christian s’étaient eux aussi enfermés dans leur bulle. Ils semblaient encore plus amoureux depuis qu’ils avaient fait l’amour, au point que je commençais à douter de pouvoir passer la moindre minute avec mon amie pendant nos vacances. À un moment, elle parvint tout de même à s’arracher à lui pour me remettre mon cadeau.
J’ouvris la boîte et aperçus une enfilade de boules marron qui dégageaient une vague odeur de rose.
— Qu’est-ce que… ?
Je soulevai les boules et découvris qu’une lourde croix en or pendait au bout de l’objet. Elle m’avait offert un chotki. C’était l’équivalent d’un rosaire, mais réduit à la taille d’un bracelet.
— Cherches-tu à me convertir ? ricanai-je.
Lissa n’avait rien d’une bigote, mais elle croyait en Dieu et assistait régulièrement à la messe. Comme la plupart des Moroï originaires de Russie ou d’Europe de l’Est, elle était de confession orthodoxe.
Quant à moi, j’étais pour ainsi dire une agnostique orthodoxe. Je pensais que Dieu existait sans doute, mais je n’avais ni le temps ni l’envie d’en découvrir plus. Le présent de Lissa était d’autant plus incongru qu’elle respectait cela et n’avait jamais essayé de m’imposer sa foi.
— Retourne-la, suggéra-t-elle en s’amusant beaucoup de ma stupeur.
Je m’exécutai. Au dos, un dragon couronné de fleurs était gravé dans l’or de la croix : le symbole des Dragomir. Je la regardai sans comprendre.
— C’est un héritage familial, expliqua-t-elle. Un ami de mon père avait gardé quelques-unes de ses affaires dans des cartons. Je l’ai trouvé parmi d’autres souvenirs. Il a appartenu au gardien de mon arrière-grand-mère.
— Liss…, balbutiai-je en comprenant la signification du cadeau, bien différente de celle que je lui avais d’abord donnée. Je ne peux pas… Tu ne peux pas me donner un tel objet…
— Je ne vais certainement pas le garder pour moi. Il est fait pour être porté par un gardien. Mon gardien.
J’enroulai le chotki autour de mon poignet et frissonnai au contact du métal froid de la croix.
— Tu sais qu’il y a de bonnes chances qu’on me renvoie de l’académie avant que je devienne ta gardienne, blaguai-je.
— Tu n’auras qu’à me le rendre à ce moment-là, répondit-elle en souriant.
Tout le monde éclata de rire. Tasha commença à dire quelque chose, puis s’arrêta net en regardant fixement la porte.
— Janine !
Ma mère se tenait dans l’embrasure, aussi droite et aussi impassible que d’ordinaire.
— Désolée pour mon retard, s’excusa-t-elle. J’avais du travail.
Du travail. Comme toujours. Même à Noël.
Je sentis mon estomac se retourner et le sang me monter aux joues à mesure que les détails de notre affrontement me revenaient en mémoire. Elle ne m’avait pas fait parvenir le moindre message depuis que cela s’était produit, deux jours plus tôt, pas même quand j’étais encore à l’infirmerie. Pas un mot d’excuses. Rien. Je grinçai des dents.
Elle s’installa parmi nous et se joignit rapidement à la conversation. Je savais déjà qu’elle n’était pas capable de parler d’autre chose que de son travail. Avait-elle un seul passe-temps ? L’attaque des Badica était encore présente à l’esprit de tout le monde. Elle ne tarda pas à raconter une agression similaire dans laquelle elle avait été impliquée. À ma grande consternation, Mason était pendu à ses lèvres.
— Il n’est pas aussi facile qu’on le croit de décapiter quelqu’un, déclara-t-elle avec sa froideur habituelle. (Pour ma part, je n’avais jamais pensé que cela pouvait être simple, mais son ton suggérait que tout le monde à part elle imaginait que c’était du gâteau.) Il faut sectionner les cordes vocales et les tendons.
Notre lien m’apprit que Lissa commençait à se sentir mal à l’aise. La pauvre n’était pas amatrice de sujets macabres.
— Quelle est la meilleure arme pour décapiter quelqu’un ? demanda Mason, les yeux brillants d’excitation.
Ma mère y réfléchit un instant.
— La hache. Elle permet de prendre plus d’élan, expliqua-t-elle en mimant le mouvement.
— Génial…, murmura-t-il. J’espère qu’on me laissera porter une hache.
Tous les inconvénients qu’il y avait à se promener avec une telle arme rendaient cette idée comique et ridicule. Pendant une seconde, l’image de Mason marchant dans la rue avec une hache sur l’épaule allégea mon humeur. Malheureusement, mon amusement se dissipa vite.
Je n’arrivais vraiment pas à croire que nous avions une conversation pareille le jour de Noël. L’arrivée de ma mère avait tout gâché. Par chance, la fête s’acheva rapidement. Christian et Lissa partirent de leur côté, et nous quittâmes Dimitri et Tasha qui semblaient avoir encore des choses à se raconter. Mason et moi étions sur le chemin de notre dortoir lorsque ma mère nous rejoignit.
Aucun de nous trois ne prononça un mot. Le ciel était parsemé d’étoiles dont l’éclat semblait répondre à celui de la neige et de la glace qui recouvraient le sol. Mon manteau blanc doublé de fausse fourrure me réchauffait efficacement mais ne pouvait pas grand-chose contre les rafales qui me fouettaient le visage. Pendant tout le trajet, j’attendis que ma mère se dirige vers les bâtiments destinés aux gardiens. En vain : elle entra dans le dortoir avec nous.
— J’aimerais te parler, annonça-t-elle finalement.
Je me mis aussitôt sur la défensive. Qu’est-ce que j’avais encore fait ?
Même si elle n’ajouta rien, Mason en tira immédiatement les conséquences qui s’imposaient. Il n’était ni stupide ni malpoli, ce que je regrettai amèrement à cet instant. Comme il était ironique qu’il veuille combattre tous les Strigoï du monde alors qu’il avait peur de ma mère…
Il me lança un regard désolé.
— Je dois aller… quelque part, s’excusa-t-il en haussant les épaules. À plus tard !
Je le regardai s’éloigner, chagrinée de ne pas pouvoir lui courir après. Ma mère allait probablement me plaquer au sol et m’infliger un second coquard si j’essayais de lui échapper. Mieux valait faire les choses à sa manière et en finir. Nerveuse, j’attendis qu’elle prenne la parole en m’agitant et en faisant tout pour éviter son regard. Je remarquai que quelques personnes nous observaient. Tout le monde savait déjà que c’était à elle que je devais mon œil au beurre noir… Je décidai subitement que personne ne serait témoin de la bonne leçon qu’elle s’apprêtait à me donner.
— Veux-tu… venir dans ma chambre ? lui proposai-je.
Elle parut surprise, presque intimidée.
— D’accord.
Je la conduisis à l’étage en tâchant de maintenir le plus de distance possible entre nous. La tension monta progressivement. Elle ne fit aucune remarque en arrivant dans la pièce, mais je vis qu’elle en examinait chaque détail comme si elle craignait qu’un Strigoï soit caché quelque part. Ne sachant trop quoi faire, je m’assis sur le lit et attendis la fin de son inspection. Elle fit courir ses doigts sur une pile de livres qui traitaient du comportement animal et de l’évolution.
— Est-ce que c’est pour un devoir ? me demanda-t-elle.
— Non. Ça m’intéresse, c’est tout.
Elle leva les sourcils. Elle l’ignorait. Mais comment aurait-elle pu le savoir ? Elle ne me connaissait absolument pas. Elle s’arrêtait devant des objets qui semblaient la surprendre : une photo de Lissa et moi déguisées en fées pour Halloween, un paquet de bonbons… C’était comme si ma mère me découvrait pour la première fois.
— Tiens ! dit-elle en se tournant brusquement, le bras tendu vers moi.
Abasourdie, je plaçai ma main sous la sienne et sentis quelque chose de petit et de froid y tomber. C’était un pendentif pas plus grand qu’une piécette, un cercle en argent qui enserrait un disque de verre coloré. Je passai mon pouce sur sa surface en fronçant les sourcils. Les anneaux emboîtés l’un dans l’autre le faisaient étrangement ressembler à un œil. Au centre, le petit disque qui rappelait une pupille était d’un bleu si foncé qu’il semblait presque noir. Il était entouré d’un cercle plus large d’un bleu pâle, lui-même ceint d’un second cercle blanc, puis d’une ligne très fine du même bleu foncé. Pourquoi donc m’offrait-elle un œil ?
— Merci, balbutiai-je. (Je m’attendais à ne rien recevoir de sa part. Même si son cadeau était bizarre, c’en était tout de même un.) Je ne t’ai rien acheté…
Elle acquiesça avec son impassibilité habituelle.
— Ne t’inquiète pas. Je n’ai besoin de rien.
Elle me tourna le dos pour recommencer à arpenter la chambre. Elle n’avait pas beaucoup de place pour le faire, mais sa petite taille lui permettait de petites foulées. Chaque fois qu’elle passait devant la fenêtre qui surplombait mon lit, ses cheveux roux s’embrasaient, frappés par la lumière extérieure. En l’observant avec curiosité, je me rendis compte qu’elle était aussi nerveuse que moi.
— Comment va ton œil ? me demanda-t-elle en s’arrêtant tout à coup pour se tourner vers moi.
— Mieux.
— Bien.
En la voyant ouvrir la bouche, j’eus l’impression qu’elle était sur le point de s’excuser. Sauf qu’elle n’en fit rien.
Lorsqu’elle recommença à faire les cent pas, je ne parvins plus à supporter ma propre inactivité et commençai à ranger mes cadeaux. J’en avais reçu un certain nombre ce matin-là, dont une robe en soie rouge à fleurs brodées que m’avait offerte Tasha. Ma mère me regarda la pendre dans ma petite armoire.
— C’est très gentil de la part de Tasha…
— C’est vrai, reconnus-je. Je ne m’attendais pas qu’elle m’offre quelque chose. Je la trouve très sympathique.
— Moi aussi.
Je me détournai de l’armoire pour dévisager ma mère, dont la stupeur valait la mienne. Si je n’avais pas su à qui j’avais affaire, j’aurais juré que nous venions de tomber d’accord sur quelque chose. Peut-être y avait-il vraiment des miracles à Noël, finalement…
— Le gardien Belikov et elle iront très bien ensemble.
— Quoi ? m’écriai-je, comprenant mal de quoi elle parlait. Dimitri ?
— Le gardien Belikov, me reprit-elle avec sévérité, n’appréciant visiblement pas ma familiarité à son égard.
— Comment ça, ensemble ? insistai-je.
Elle leva un sourcil.
— Tu n’étais pas au courant ? Comme elle n’a pas de gardien, elle lui a demandé d’entrer à son service.
J’eus l’impression qu’elle venait de me donner un nouveau coup.
— Mais il est en poste ici… et il est aussi le gardien de Lissa.
— Il y a toujours moyen de s’arranger. Quelle que soit la réputation des Ozéra, elle est de sang royal. Si elle insiste, elle obtiendra qu’il lui soit attribué.
— Je comprends, ils sont amis et tout ça, balbutiai-je, le regard dans le vide.
— Plus que ça. Du moins, ça pourrait changer…
Encore un coup.
— Quoi ?
— Disons qu’il l’intéresse… (D’après le ton qu’elle avait employé, il était évident que les affaires de cœur ne présentaient pas le moindre intérêt pour ma mère.) Elle voudrait avoir des enfants dhampirs. Il serait donc possible qu’ils passent un… arrangement s’il devenait son gardien.
Oh !mon Dieu !
Le monde s’arrêta de tourner et mon cœur de battre.
Je pris subitement conscience que ma mère attendait une réponse. Elle m’observait, appuyée contre mon bureau. C’était peut-être une chasseuse de Strigoï exceptionnelle, mais les sentiments humains lui échappaient totalement.
— Est-ce qu’il va le faire ? demandai-je faiblement. Est-ce qu’il va devenir son gardien ?
Ma mère haussa les épaules.
— Je crois qu’il n’a pas encore donné sa réponse, mais il le fera certainement. C’est une grande chance pour un gardien.
— Bien sûr…
Pourquoi Dimitri refuserait-il cette incroyable occasion de devenir le gardien d’une amie et d’avoir un bébé ?
Il me sembla que ma mère ajoutait quelque chose que je n’entendis pas. J’étais devenue sourde tout d’un coup. Je ne cessais de penser à Dimitri qui allait quitter l’académie, et me quitter, moi. Je me rappelai comme Tasha et lui s’entendaient bien. Lorsque mon esprit eut fini de me repasser les moments où je les avais vus ensemble, il se mit à improviser de nouvelles scènes. Tasha et Dimitri en train de se toucher, de s’embrasser, nus l’un contre l’autre. Et d’autres choses encore…
Je fermai les yeux de toutes mes forces pendant une seconde, puis les rouvris.
— Je suis vraiment fatiguée.
J’avais interrompu ma mère au milieu d’une phrase sans avoir la moindre idée de ce qu’elle était en train de dire.
— Je suis vraiment fatiguée, répétai-je en découvrant ma propre voix atone, vide de toute émotion. Je te remercie pour l’œil… enfin, le cadeau. Si tu ne m’en veux pas…
Ma mère me dévisageait, complètement déroutée. Son armure de professionnalisme se remit en place en un claquement de doigts. Jusqu’à cet instant, je ne m’étais même pas rendu compte qu’elle l’avait abandonnée. Elle l’avait pourtant mise de côté. Pendant quelques minutes, elle s’était montrée vulnérable devant moi. C’était terminé.
— Bien sûr, répondit-elle avec raideur. Je ne voudrais pas t’ennuyer.
J’avais envie de lui dire qu’elle se trompait, que je ne la jetais pas dehors pour assouvir une vengeance personnelle, et même à quel point j’aurais aimé qu’elle soit une mère aimante, compréhensive, dont on a des nouvelles et à qui on peut se confier… J’aurais même voulu lui parler de mes problèmes amoureux.
À cet instant, j’avais un tel besoin de m’épancher auprès de quelqu’un, n’importe qui…
Mais je m’étais bien trop enfoncée dans mon drame personnel pour pouvoir dire un mot. J’avais l’impression qu’on m’avait arraché le cœur pour le jeter à l’autre bout de la pièce. Je ne savais pas comment apaiser la douleur atroce qui me déchirait la poitrine. C’était une chose d’accepter l’idée que Dimitri et moi ne pouvions pas être ensemble, c’en était une bien différente de prendre conscience qu’il pouvait avoir une relation avec une autre.
Ayant perdu l’usage du langage, je n’ajoutai rien. J’aperçus un éclat de colère dans les yeux de ma mère et vis ses lèvres recouvrer l’expression de déplaisir qu’elle arborait souvent. Sans rien dire non plus, elle sortit en claquant la porte. J’étais certaine que je l’aurais claquée aussi, à sa place. Nous devions bien partager quelques gènes, finalement.
Je l’oubliai presque immédiatement. Je restai assise sur mon lit, à réfléchir et à imaginer.
Je ne fis presque rien d’autre de la journée. Je sautai le dîner, versai quelques larmes, et consacrai l’essentiel de mon temps à réfléchir, en me sentant de plus en plus déprimée. Je découvris que la seule chose qui me faisait plus mal que d’imaginer Dimitri et Tasha ensemble était de me souvenir du jour où j’avais été avec lui. Il ne me toucherait ni ne m’embrasserait plus jamais de cette manière…
C’était le pire Noël de ma vie.