CHAPITRE VIII

A l’entrée du bloc 2, la garde spatiale a installé des postes de filtrage et braqué des armes lourdes dans l’enfilade des artères souterraines.

Lorsque j’emprunte la première piste de dégagement, on me fait tout de suite signe de m’arrêter, et un officier s’approche de mon véhicule, suivi de deux hommes.

— Vous habitez le bloc ?

— Résidence Erskine.

— Votre nom ?

— Rall Horner.

Il transmet mon nom au corps de garde le plus proche dans son micro, et nous attendons la réponse. Elle arrive presque tout de suite, ce qui prouve qu’Erskine a donné des instructions précises à mon sujet.

— Rangez votre hélicobulle tout au fond de la plate-forme et regagnez la surface par l’ascenseur no 4.

A Sila, il ne demande rien. Je me dirige vers le fond de la plate-forme qui a été presque complément dégagée. Les stalles les plus pratiques sont strictement réservées aux voitures de la garde.

Nous sommes seuls dans la cabine de l’ascenseur, mais, lorsque nous arrivons dans le hall d’accès, un nouvel officier se présente.

— Lieutenant Corvin. Je suis chargé de vous conduire à la résidence Erskine.

Il a un coup d’œil pour les étuis de mon ceinturon, mais ne fait aucun commentaire en nous précédant jusqu’à l’arcade couverte dont toutes les boutiques sont fermées.

Ici aussi on s’est battu. L’entrée du poste des services de sécurité a été éventrée, et nous apercevons les débris de plusieurs robots de police disloqués, jonchant le sol au milieu de quelques cadavres.

— Ça a l’air d’être grave.

— Dramatique, oui, répond Corvin d’une voix sourde. Nous tenons le bloc 2, mais tous les autres sont aux mains des insurgés.

— Comment les services de sécurité ont-ils pu se laisser surprendre aussi stupidement ?

— A cause des robots.

— Ils se sont retournés contre eux ?

— Oui… et pas seulement dans les services de sécurité. Tous les robots ont passé sous le contrôle des insurgés. Il n’y en a plus un seul en service nulle part, et, d’ailleurs, nous avons l’ordre de les détruire à vue, d’où qu’ils viennent.

Ça ne me surprend pas. Je sais que tous ces robots ont un conditionnement spécial, un conditionnement secret. Tous sont pourvus d’un circuit mnémotechnique supplémentaire qui prend le dessus sur tous les autres dans certains cas.

Je le sais, mais ça ne m’avance guère, car je ne peux fournir aucune explication. Pourtant, je dois la connaître. J’ai beau chercher, rien ne vient.

— Par ici.

Corvin nous ouvre la porte d’un nouvel ascenseur qui nous emporte dans l’immense bloc des résidences de luxe.

 

 

Erskine n’est pas là. Le conseil suprême des corporations politiques tient séance avec l’état-major de la garde, mais un domestique me conduit à l’appartement 4 qui m’a été réservé.

Au dernier étage du bloc. Quatre pièces d’un luxe qui ne me surprend pas, mais qui impressionne terriblement Sila. Personnellement, je dois en avoir l’habitude.

— Qu’est-ce que nous allons devenir ? demande Sila lorsque le domestique s’est retiré.

Elle a bien surmonté la défaillance qu’elle a eue en quittant le bloc 7. Maintenant, elle paraît rassérénée, sinon même indifférente.

— Si les égalitaires sont vraiment une minorité, ils ne pourront pas exploiter un succès dû uniquement aux robots.

Je branche le visiophone. Quatre chaînes sont muettes, mais la cinquième diffuse des slogans égalitaires et des nouvelles qui me paraissent incroyables.

La révolte aurait éclaté en même temps dans tous les centres urbains de Terre O. Pas la moindre allusion aux robots. Le commentateur parle uniquement des « forces de la liberté ». C’est un fort gaillard mal rasé vêtu d’une combinaison de travail.

Soudain, il annonce que Destrol va parler, et peu après le chef des égalitaires apparaît. En uniforme d’officier de la garde, mais sans les insignes traditionnels. Un grand gaillard au visage tourmenté et brutal. Les traits rudes. Le menton volontaire.

— La révolution égalitaire a triomphé partout, annonce-t-il.

Sa voix est rauque, un peu basse.

— Les nouvelles autorités ne toléreront aucun désordre dans les blocs. Les corporations politiques restent en place, et leurs cadres sont invités à se rallier à notre gouvernement. Une grande conférence les réunira demain matin dans la grande salle des conseils du bloc 1. Tous les absents seront définitivement radiés. Cet appel ne concerne pas les présidents de ces corporations considérés comme traîtres. La garde spatiale est dissoute. Tous les gardes trouvés en arme seront immédiatement exécutés.

Je coupe le contact. Toutes ces rodomontades ne m’intéressent pas. Sila bâille, et je lui conseille de s’allonger et de dormir. Moi, de toute façon, je ne pourrais pas, alors je lui abandonne la chambre à coucher et, pour ne pas la gêner, je monte sur la terrasse qui domine mon appartement.

Trois hélicobulles y sont garés. De cette terrasse, je domine tout un secteur de la ville, du côté du spaciodrome et le grand jardin public qui sépare le bloc 2 du bloc 3.

Une véritable forêt, mais mes regards vont au-delà, vers les blocs d’où monte une sourde rumeur, et qui sont encore brillamment éclairés bien que le jour se soit levé.

La question des robots me tracasse de plus en plus. Je tiens là quelque chose d’essentiel, mais que je n’arrive pas à coordonner. C’est Argan qui a conditionné ces robots. Argan… Automatiquement, tout un enchaînement se fait dans mon esprit, et je sais qu’il existe un cerveau électronique qui coordonne leur action. Je sais aussi qu’ils réagissent en priorité à certaines ondes cosmiques.

Je sais… Alors, je veux en découvrir davantage, et mon esprit se ferme brutalement. Les défenses mentales dont Argan m’a doté se renforcent brusquement, et mes souvenirs ne forment plus qu’un trou noir.

Qu’est-ce qu’il a voulu ? Je le comprends de moins en moins. Puisqu’il a parlé de moi à Martha Albéroni, puisqu’il lui a dit d’essayer de me rencontrer « pour me faciliter les choses », je dois écarter l’hypothèse d’une vengeance.

D’autre part, il aimait l’actrice qui lui rendait son amour. Seulement, compte tenu de son âge, cet amour avait tout de même quelque chose d’impossible, et Argan se savait peut-être condamné après tout.

La sénilité pouvait le guetter. Oui… Il serait alors parti pour Deneb afin d’épargner à l’actrice le spectacle de la déchéance physique qui pouvait se déclarer brutalement.

Un des drames de notre civilisation. Dans l’antiquité, les hommes vieillissaient lentement, progressivement. Aujourd’hui, ils restent jeunes jusqu’au bout. L’âge ne compte plus. Physiquement, le corps se transforme, mais la vitalité demeure et les facultés restent intactes.

Jusqu’à l’échéance. Une échéance dramatique. En quelques heures, c’est l’écroulement définitif. La décrépitude totale avant la mort contre laquelle la science ne peut plus rien.

Les recherches d’Argan sur la longévité tendaient à reculer cette échéance fatidique, mais elles ont échoué. Alors, devinant sans doute que son heure était venue, il a préféré disparaître… en secret.

Ça explique son suicide, mais non mon amnésie, ni surtout qui je suis réellement. Gordien a vérifié. J’ai bien été l’élève d’Argan l’année dernière sur Argros. Et, de toute façon, j’ai bien débarqué à Euro VII le jour que m’a indiqué l’avertissement.

Quel rôle suis-je appelé à jouer ? En me rendant amnésique, Argan poursuivait un but, et ce n’est pas par hasard que je me suis souvenu du conditionnement secret des robots. Ils me concernent directement puisqu’ils sont l’œuvre d’Argan.

Un mouvement de troupe dans l’immense jardin public qui sépare le bloc 2 du bloc 3. Je prends des jumelles dans la réserve de la balustrade et je les braque sur le jardin.

Toute une compagnie de la garde est en train de prendre position dans les massifs. Dans un certain désordre, me semble-t-il. Je note de l’affolement, et brusquement deux robots de police surgissent du couvert, armés des longs tubes des fusils thermiques.

Immédiatement, de grandes surfaces du jardin s’enflamment pendant que les gardes ripostent. Un robot tombe, mais il est tout de suite remplacé par deux autres qui apparaissent un peu plus loin.

Les gardes reculent, et, au même instant, j’entends la sonnerie d’appel du visiophone dans l’appartement. Je rentre et je vais brancher l’appareil.

Erskine. En tenue d’officier supérieur de la garde.

— Le bloc va être évacué, Horner. La garde va tenter de se regrouper dans les collines. Prends un des hélicobulles de la terrasse.

— La situation est grave à ce point ?

— Elle est désespérée.

— A cause des robots ?

— Ils sont tous passés sous le contrôle des égalitaires.

— Ce n’est que momentané, Erskine.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Je sais quelque chose à ce sujet. Tous les robots de Terre O sont pourvus d’un conditionnement spécial qui réagit à certaines ondes…

— Lesquelles ?

— Des ondes que vous ne pouvez pas utiliser.

— Pourquoi ?

— Il faut un convertisseur.

Ça aussi s’impose brusquement à moi.

— Des ondes cosmiques, alors ?

— Oui. Destrol dispose du cerveau électronique qui coordonne l’action des robots par le canal de relais locaux.

Si au moins je pouvais me souvenir totalement. La silhouette de Gordien se profile derrière celle d’Erskine.

— D’où tenez-vous ces renseignements, Horner ?

— D’Argan. C’est lui qui a créé pour les robots des circuits mnémotechniques spéciaux. Il a dû m’en parler. Je ne sais pas tout, malheureusement. Je n’ai pas dû prêter attention à ce qu’il me racontait sur le moment.

— De toute façon, ne bougez pas. Nous venons vous prendre. Si vous pouviez nous dire où se trouve ce cerveau électronique, nous pourrions encore retourner la situation.

Il coupe le contact. J’ai une nouvelle illumination. Trop fragmentaire encore une fois. Je n’ai aucune idée de l’endroit où se trouve le cerveau électronique… que je connais, par contre… que je vois… dont je pourrais me servir.

Je jure entre mes dents. De toute façon, si le bloc 2 doit être évacué, il faut que je réveille Sila.

 

 

Un aviso de la garde stoppe au-dessus de la terrasse, et on nous fait descendre un escalier de fer. J’aide Sila à monter, et nous nous retrouvons dans le sas d’accès.

Dès que nous sommes à bord, l’aviso repart en direction des collines. Devant nous, le lieutenant Corvin.

— Je dois vous conduire au quartier général, dit-il. Le colonel Gordien vous attend.

Un ascenseur, puis un trottoir roulant. Finalement, nous nous retrouvons au poste de commandement où Gordien nous accueille. Il est en compagnie de trois autres officiers supérieurs et d’Erskine.

D’abord, il s’intéresse à Sila.

— Conduisez Sila Dury au magasin d’habillement, Corvin. Elle ne peut pas rester en robe. Trouvez-lui une combinaison de l’espace à sa taille. Ce sera plus pratique pour elle si nous devons abandonner l’aviso.

Ahuri, je regarde Erskine qui hoche la tête.

— Le spaciodrome est tombé aux mains des rebelles, Horner. D’un moment à l’autre, ils peuvent nous poursuivre avec des vaisseaux de guerre.

— A condition qu’ils disposent des techniciens indispensables.

— Ils se débrouilleront avec les robots du pilotage automatique.

Corvin entraîne Sila, et Gordien m’indique un fauteuil autour de la table où les autres officiers ont pris place.

— Les révélations que vous m’avez faites peuvent avoir une importance décisive, Horner.

— Je m’en rends compte. Malheureusement, je n’ai que des souvenirs fragmentaires. Je ne sais absolument pas où se trouve le cerveau électronique. Je l’ai oublié.

Il fronce les sourcils.

— Si votre mémoire est défaillante, nous disposons d’amplificateurs de pensée.

— Quand j’ai dit « oublié », ce n’était pas le mot exact. En fait, je suis amnésique, et l’amplificateur de pensée risque de tout aggraver.

— Amnésique ?

— En partie. Une amnésie artificielle provoquée par Argan. Je ne sais pas encore à quelles fins. En tout cas, la mémoire doit me revenir… au gré des circonstances. Il m’en a averti. Par exemple, lorsque j’ai vu des robots de la voirie charger la foule au bloc 7, j’ai tout de suite pensé au conditionnement spécial, et, plus tard, un enchaînement de pensées m’a amené à me souvenir qu’Argan en était responsable.

— Et les ondes cosmiques ?

— Ça m’est revenu d’un coup. Les convertisseurs d’ondes ne sont pas éternels. On doit les changer après deux voyages sur les vaisseaux de l’espace. Compte tenu de l’énergie indispensable pour alimenter tous les relais de Terre O, celui dont dispose Destrol ne durera pas longtemps.

— Des convertisseurs, on en fabrique partout, répond Gordien.

— Pour le passage dans le temps négatif ; ce ne sont certainement pas les mêmes qui animent les robots.

— Dans ce cas, Destrol est fou.

— Non. Il a lancé l’opération dans l’espoir de récupérer le professeur dans la chambre d’hibernation de l’Argan.

— Mais le professeur est mort !

— Destrol ne le sait pas. Enfin, ne le savait pas quand il a déclenché sa révolution.

Je me lève, car je me sens trop énervé pour rester seul. Je viens de « sentir » la vérité, à quelques détails près, et je me mets à marcher de long en large dans le poste de commandement.

— J’ai entendu Destrol au visiophone. Argan ne s’est certainement pas abouché avec un homme pareil. Ce qui n’empêche pas qu’il a créé les robots dont le chef des égalitaires se sert actuellement. Argan devait avoir une idée précise sur leur utilisation, mais son idée n’était certainement pas de les mettre à la disposition d’un agitateur.

— Il l’a fait pourtant.

— Pas nécessairement. Son départ pour Deneb a surpris tout le monde. Ce départ ressemble terriblement à une fuite. J’ai plutôt l’impression qu’il a été trahi. Quelqu’un a dû livrer son secret à Destrol.

— Qui s’est emparé du cerveau électronique ?

— Et du convertisseur d’ondes. Une arme extraordinaire, décisive même, mais d’un usage limité dans le temps. A mon avis, il a misé sur l’éventualité que Destrol n’oserait pas s’en servir, puisqu’elle ne pouvait lui apporter qu’une victoire éphémère. Il savait ce qu’il risquait en s’embarquant pour Deneb. Qu’on s’empare de l’Argan dans l’espace et qu’on le ranime. Voilà pourquoi il s’est suicidé. Normalement, c’est Destrol qui aurait dû monter à bord de l’Argan et découvrir le message du professeur avant son coup de force dont il aurait alors compris la vanité. L’Argan était en état de défense. La charge qui devait foudroyer les intrus a fonctionné lorsque Desvronay a voulu pénétrer dans le vaisseau, mais elle était désamorcée lorsque j’y suis entré moi-même. Il y a eu un enchaînement de circonstances.

Voulues par Argan qui n’a sans doute pas pensé que j’arriverais le premier. Quelques heures seulement après mon réveil dans le laboratoire de la colline.

— Nous avons pris Kalbach de vitesse. Quand il est arrivé, nous pénétrions dans l’Argan et nous lancions un S.O.S. à la garde. Démasqué, il a regagné Euro VII. Pour lui, Argan était encore récupérable, et il a dû pousser Destrol à jouer sa dernière carte qui consistait à ranimer le professeur pour lui arracher, au besoin par la torture, le secret de son convertisseur spécial.

— Il y a du vrai dans ce que vous dites, murmure Gordien. Lors de l’attaque du spaciodrome, le premier commando des égalitaires a été lancé directement contre l’Argan qui venait de se poser.

 

 

L’état-major a tout de même décidé de me faire passer sous l’amplificateur de pensée. Une mesure de prudence pour le cas où je serais un disciple de Destrol. Je me prête volontiers à l’expérience.

Elle n’apportera absolument rien. La machine est impuissante contre un barrage mental. On ne découvrira même pas ce que je tiens essentiellement à cacher. Par exemple, que je me suis réveillé dans le laboratoire de la colline.

Automatiquement, le barrage mental absorbera cette information. Je m’assieds dans le fauteuil du laboratoire, et on fixe le casque sur ma tête puis on branche l’amplificateur.

Un vide atroce dans mes pensées. Ce n’est plus à moi qu’elles parviennent. J’ai le sentiment d’être désintégré, absent de moi-même, et je sombre dans une demi-inconscience.

 

 

Une impression d’abominable lassitude. Je me réveille pourtant. Etendu sur la couchette d’une des cabines. Sila est assise à côté de moi. Je ne la reconnais pas tout de suite à cause de sa combinaison spatiale.

— Ils m’ont gardé longtemps ?

— Il est midi.

Ça représente au moins une heure sous l’amplificateur. Sila me tend un verre de liquide vitalisant que je bois avidement.

— Qui m’a ramené ?

— Erskine et le colonel Gordien. Ils vont revenir, quand tu te seras reposé.

Les forces me reviennent progressivement.

— Nous sommes toujours en vol ?

— Oui. Mais deux vaisseaux de guerre nous poursuivent. L’aviso manœuvre pour tenter de leur échapper.

Si les vaisseaux sont pilotés par des robots, ce sera possible. Je sors peu à peu de mon hébétude et je vérifie les étuis de mon ceinturon. On m’a laissé mes armes. Bon signe. On ne me considère pas comme un prisonnier.

— Appelle Erskine, Sila.

Pas besoin. On frappe à la porte de la cabine. Sila va ouvrir, et le chef des expansionnistes entre, souriant.

— Je venais prendre de tes nouvelles. Il y a longtemps que tu es réveillé ?

— Quelques minutes.

— L’amplificateur ne nous a rien appris, sinon que tu es vraiment un ennemi de Destrol. Du moins dans ton état actuel. Naturellement, on ne sait pas ce que tu pourras penser lorsque la mémoire te sera entièrement revenue.

— Si bien qu’on continue à me considérer comme suspect.

— Oui et non. Tout l’état-major s’est rallié à ton hypothèse. La garde va constituer des commandos de choc qui s’éparpilleront dans les campagnes et qui refuseront le combat.

— Pour obliger Destrol à laisser les robots continuellement en activité ?

— Oui.

— Rien ne prouve qu’il tombera dans le piège.

— S’il stoppe les robots, nous reprendrons immédiatement l’offensive. Pour le moment, ils sont toujours en activité. Sila t’a dit que nous sommes poursuivis par deux vaisseaux de guerre ?

— Oui.

— Gordien est au pilotage, mais j’ai bien peur que nous ne soyons obligés de nous poser. Les vaisseaux ne nous lâchent pas. Ils sont commandés par Kalbach qui nous a déjà fait les sommations.

— S’il nous a fait des sommations, il aurait pu nous détruire.

— Mais il ne l’a pas fait. Il doit vouloir prendre Gordien vivant. Pour le montrer, de façon à décourager la résistance.

Le liquide vitalisant a fait son effet. J’ai complètement récupéré. De mon passage sous l’amplificateur, il ne me reste plus qu’un léger mal de tête. Je me laisse glisser de ma couchette.

— Tu étais un ami d’Argan, Erskine. Il ne t’avait jamais parlé du conditionnement des robots ?

— Jamais.

— On ne constitue pas une force pareille pour rien. Il comptait l’utiliser. Contre qui ? Ou pour quoi ? Certainement pas pour la mettre au service de Destrol. Alors, il y a autre chose. Au point de vue politique, c’était un expansionniste ?

— Il appartenait à ma corporation, oui. Mais il ne croyait pas beaucoup à l’efficacité de cette forme d’organisation sociale.

— Trop statique.

— Adaptée aux besoins des Terriens. Il ne les comprenait pas. Il les aurait voulus aussi dynamiques que les habitants des planètes périphériques. Mais ce n’est plus possible. Les Terriens ont derrière eux trop de siècles de civilisation. De plus, au moment de la conquête du cosmos, ils ont envoyé dans les étoiles ce qu’ils avaient de meilleur. Leur race est épuisée.

— Leur race. Ça ne veut rien dire… Ce sont des Terriens aussi qui peuplent les galaxies périphériques.

— C’est ce qu’il disait. Malheureusement, ce ne sont plus les mêmes hommes.

Brusquement, l’aviso tangue dangereusement, puis nous ressentons les effets d’une brutale accélération, stoppée presque tout de suite dans un balancement de mauvais augure.

— Un des vaisseaux nous a emprisonnés dans un grappin d’abordage, hurle Erskine.