- Ici quatre, tirés : trois, un raté sur rail de lancement. "Un sous le par, nota Sanchez, qui se promit au retour de sonner les cloches de son chef mécano. Lors d'une attaque réelle, une fois tirés leurs missiles, les avions auraient piqué vers la surface pour ne pas s'exposer. Pour les besoins de l'exercice, ils descendirent jusqu'à deux cents pieds en maintenant leur cap, afin de simuler leurs propres missiles. Les enregistreurs de bord consigneraient les signaux de détection radio et radar des b‚timents japonais, afin d'évaluer leurs performances, qui n'avaient jusqu'ici rien de renversant.
Confrontée à l'irritante nécessité d'autoriser des femmes àintégrer de vraies escadrilles de combat basées sur de vrais porteavions, la marine américaine avait d'abord opté pour un compromis, en les affectant aux appareils de guerre électronique, raison pour laquelle la première femme chef d'escadrille dans la Navy était le commandant Roberta Peach de la VAq 137, " les Freux ". La plus élevée en grade des aviatrices de carrière, elle avait eu la chance insigne qu'une autre pilote de l'aéronavale ait déjà pris l'indicatif " la Pêche ", ce qui lui avait permis d'opter pour "
Robber " - voleur, en anglais -, un nom auquel elle tenait pour les communications radio.
" Signaux détectés, Robber, annonça l'officier de détection avancée, depuis l'arrière de son Prowler. On en chope un paquet.
- …teignez-moi ça, ordonna-t-elle sèchement.
- Merde, un sacré paquet... Attribution d'un HARM sur un SPG-51.
Acquisition de la cible. Cible acquise.
- Lancement ", dit Robber. L'ordre de tir lui revenait, en tant que pilote.
Aussi longtemps que le radar d'illumination de missiles SPG-51 resterait allumé et continuerait d'émettre, le missile antiradar Harm était virtuellement assuré de faire mouche.
Sanchez apercevait maintenant les bateaux, silhouettes grises àl'horizon visuel. Un crissement strident dans ses écouteurs lui apprit qu'il était illuminé à la fois par un radar de recherche et
par un radar de contrôle de tir, ce qui n'était jamais une bonne no˚velle, même lors d'un exercice, surtout quand l'" ennemi "en question était équipé
de missiles surface-air Standard SM-2 de conception américaine dont il connaissait parfaitement les performances. Le b‚timent avait l'air d'un classe Hatakaze. Deux radars de guidage SPG-51C. Une seule rampe de lancement unique. Il ne pouvait guider que deux missiles à la fois. Son avion en représentait déjà deux. Le Hornet était certes une cible plus large qu'un Harpoon, et il ne pouvait pas voler aussi bas et aussi vite que le missile. Mais d'un autre côté, il avait à bord un brouilleur, ce qui égalisait plus ou moins les chances. Bud inclina légèrement le manche sur la gauche. C'était contraire aux règles de sécurité de survoler directement un navire dans des circonstances telles que celles-ci et, quelques secondes plus tard, il passait àtrois cents mètres devant la proue du destroyer. Il estima qu'au moins un de ses missiles aurait d˚ faire mouche, or c'était un rafiot de cinq milles tonnes maxi. Un seul Harpoon suffirait à le désemparer, rendant d'autant plus meurtrier son deuxième passage avec des charges en grappe.
" Matraqueur, ici Leader. Suivez-moi en formation.
- Deux...
- Trois...
- quatre ", signalèrent les trois autres appareils de son escadrille.
Encore une journée de pilote de l'aéronavale, songea le chef d'escadre. Il pouvait désormais songer à l'appontage ; ensuite il gagnerait le CIC et passerait le reste des prochaines vingt-quatre heures à faire le décompte des points depuis le poste de commandement. Non, ce n'était plus vraiment le pied. Il avait descendu de vrais zincs, et rien ne pouvait se comparer à
ça. Mais enfin, voler, c'était toujours voler.
Le rugissement d'avions en survol avait toujours quelque chose de grisant.
Sato regarda le dernier des chasseurs américains peints en gris filer en grimpant en chandelle, et il prit ses jumelles pour voir leur direction.
Puis il se leva et redescendit au PC.
" Eh bien ? demanda-t-il.
- La trajectoire de départ corrobore nos prévisions. " Le chef des opérations navales tapota
la photo satellite montrant les deux groupes de combat américains qui maintenaient leur cap àl'ouest, face aux vents dominants, afin de poursuivre les opérations aériennes. La photo ne datait que de deux heures.
L'écran radar montrait l'escadrille américaine qui se dirigeait vers le point prévu.
" Excellent. Adressez mes respects au commandant, et mettez au un-cinq-cinq, en avant toute. "
Moins d'une minute après, le Mutsu trembla sous le surcro?t de poussée de ses moteurs diesel, et le b‚timent se mit à fendre plus rudement la molle houle du Pacifique pour gagner son rendez-vous avec l'escadre américaine.
Il importait de respecter l'horaire.
Au parquet de de la Bourse de New York, un jeune grouillot commit une erreur de transcription sur l'action Merck, précisément à 11 heures 43
minutes 2 secondes, heure de la côte Est. La valeur entrée dans le système apparut sur le tableau lumineux à 23 1/8, largement en dessous de sa cote habituelle. Trente secondes plus tard, il tapa de nouveau le même chiffre, pour le même montant. Cette fois, il se fit engueuler. Il expliqua que c'était le putain de clavier qui était collant et le débrancha pour l'échanger contre un autre. «a se produisait assez souvent. Les gens renversaient du café et tout un tas de trucs dans ce souk. La correction fut aussitôt consignée et le monde reprit son cours normal. Au même instant, un incident identique se produisit avec l'action Général Motors, et quelqu'un fit la même excuse. Le coup était sans risque : les gens de ce kiosque n'avaient guère de contacts avec ceux qui s'occupaient de Merck.
Aucun des deux employés n'avait la moindre idée de ce qu'il faisait, tout ce qu'ils savaient, c'est qu'ils étaient payés cinquante mille dollars pour commettre une erreur qui n'aurait pas la moindre conséquence sur le système. Ils l'ignoraient, mais s'ils ne l'avaient pas fait, un autre couple d'individus avait touché la même somme pour accomplir la même chose dix minutes plus tard.
Dans l'unité centrale des ordinateurs Stratus de la DTC, la Compagnie fiduciaire de dépôt - ou, plus exactement, dans les programmes qui y étaient chargés -,les valeurs furent notées, et l'OEuf de P‚ques commença à
éclore.
Caméras et projecteurs étaient installés dans la salle Saint-Vladimîr du palais du Kremlin - lieu traditionnel de signature des traités que jack avait visité en d'autres temps et en des circonstances bien différentes.
Dans deux pièces annexes séparées, le président des …tats-Unis d'Amérique et le président de la République de Russie étaient au maquillage, une opération irritante surtout pour le Russe, Ryan n'en doutait pas. Bien passer àl'écran n'était vraiment pas le souci premier des personnalités politiques locales. La plupart des invités étaient déjà assis, mais les principaux responsables des deux délégations offcielles pouvaient enfin se détendre : les derniers préparatifs étaient à peu près achevés. Les verres en cristal attendaient sur les plateaux, les cols des bouteilles de champagne étaient déshabillés, les bouchons n'attendaient qu'un ordre pour sauter.
" Au fait, j'y pense, vous ne m'en avez jamais expédié, de ce champagne géorgien, dit jack en se tournant vers SergueÔ.
- Eh bien, aujourd'hui, ça peut se faire, et je peux même vous avoir un bon prix.
- Vous savez qu'avant, j'aurais d˚ le refuser pour cause de code d'éthique.
- Oui, comme je sais que tout fonctionnaire américain est un escroc potentiel, nota Golovko, tout en inspectant du regard les lieux pour voir si tout avait été fait dans les règles.
- Vous auriez d˚ être avocat. " Jack vit le chef des agents du Service secret franchir la porte et se diriger vers son siège. " Un sacré coin, pas vrai, chérie ? dit-il à sa femme.
- Les tsars savaient vivre ", murmura-t-elle, alors que tous les projecteurs de la télévision s'allumaient simultanément. En Amérique, toutes les chaînes interrompirent leurs programmes réguliers. L'horaire était un peu bizarre, avec ce décalage de onze heures entre Moscou et la côte Ouest des …tats-Unis. Sans parler de la Russie, qui recouvrait au bas mot dix fuseaux horaires àelle toute seule, conséquence à la fois de la taille du pays et, dans le cas de la Sibérie, de la proximité du Cercle polaire. Mais c'était un événement que nul n'aurait voulu manquer sous aucun prétexte.
Les deux présidents apparurent, sous les applaudissements des trois cents invités. Roger Durling et Edouard GrouchavoÔ se rejoignirent derrière la table en chêne et se serrèrent chaleureusement la
main, comme seuls savent le faire deux anciens ennemis. Durling, l'ancien para qui avait connu le Viêt-nam ; GrouchavoÔ, lui aussi ancien militaire, spécialiste tactique et membre des premiers contingents à envahir l'Afghanistan. Formés dans leur jeunesse à se vouer une haine réciproque, ils allaient désormais clore cette ère pour de bon. En cette heure, ils mettraient de côté tous les problèmes intérieurs qui les assaillaient l'un et l'autre chaque jour de la semaine. Car aujourd'hui, gr‚ce à eux, le monde allait changer.
…tant l'hôte, GrouchavoÔ invita Durling à s'asseoir, puis il s'approcha du micro.
" Monsieur le président, commença-t-il, relayé par un interprète dont il aurait fort bien pu se passer, je suis ravi de vous accueillir pour la première fois à Moscou... "
Ryan n'écouta pas le discours, prévisible dans ses moindres phrases. Ses yeux restaient fixés sur une boîte en plastique noire qu'on avait posée sur la table, exactement à mi-distance des sièges des deux chefs d'…tat. Elle était munie de deux boutons rouges et d'un c‚ble qui courait au sol. Deux moniteurs de télévision avaient été installés contre le mur le plus proche et, au fond de la salle, deux grands rétroprojecteurs permettaient à toute l'assistance de voir. Les écrans montraient des sites similaires.
" Drôle de façon quand même de gérer une compagnie ferroviaire ", remarqua un chef d'escadron de l'armée de terre des …tats-Unis. La scène se passait à trente kilomètres de Minot, Dakota du Nord. Il venait de serrer la dernière cosse. " OK, les circuits sont branchés. Le courant est mis. "
Seul un interrupteur de sécurité empêchait les explosifs de détoner, et sa main était posée dessus. Il avait déjà effectué personnellement une vérification générale, et le site était bouclé par une compagnie entière de la police militaire parce que les Amis de la Terre menaçaient d'entraver la cérémonie en plaçant des militants à l'endroit o˘ l'on avait posé les explosifs ; c'est avec plaisir que l'officier aurait vu sauter ces bougres d'emmerdeurs, mais il devait néanmoins désarmer le circuit de mise à feu si jamais cela arrivait. Mais pourquoi, bordel de merde, quelqu'un voudrait manifester contre ça ? Il avait déjà perdu une heure à essayer de l'expliquer à son vis-à-vis soviétique.
<: «a l'homme en frissonnant dans le vent. Tous les deux surveillaient un petit téléviseur pour guetter le signal. Ils grelottaient.
" Dommage qu'on n'ait pas de politiciens avec nous pour nous échauffer les oreilles. " Il ôta la main du bouton d'armement. Ils ne pouvaient donc pas en finir tout de suite ?
L'officier russe connaissait suffisamment l'anglais pour rire de la remarque, et il t‚ta l'intérieur de son immense parka - il avait une surprise pour l'Américain.
ressemble tellement à la steppe de chez nous ", nota
" Monsieur le président, l'hospitalité que nous avons rencontrée dans cette grande cité est la preuve tangible que devrait, que peut et que va se développer une amitié entre nos deux peuples -une amitié tout aussi forte que purent l'être nos sentiments anciens, mais ô combien plus productive.
Aujourd'hui, nous tirons définitivement un trait sur la guerre ", conclut Durling sous de chaleureux applaudissements, et il se retourna pour serrer de nouveau la main de GrouchavoÔ. Les deux hommes s'assirent. Bizarrement, tous deux devaient à présent attendre le bon vouloir d'un réalisateur de télévision américain qui parlait à toute vitesse dans le casque-micro plaqué contre son visage.
" Et maintenant, dirent les interprètes dans les deux langues, si l'auditoire veut bien se tourner vers les écrans de télévision...
-quand j'étais lieutenant chez les pionniers, murmura le président russe, j'adorais faire sauter des trucs. "
Durling sourit et pencha la tête vers lui. Certaines phrases n'étaient pas faites pour les micros. "Vous savez ce que j'ai toujours voulu faire quand j'étais petit - je ne sais pas si vous avez ça, chez vous...
- quoi donc, Roger ?
- Le type qui manoeuvre une grue avec cette grosse boule d'acier, pour démolir les immeubles. «a doit être le meilleur boulot qui soit au monde.
- Surtout si on a pu mettre l'opposition parlementaire dans l'immeuble auparavant! " C'était un point de vue qu'ils partageaient. Durling vit le signe du réalisateur : " C'est (heure. "
Chaque homme posa le pouce sut son bouton.
" A trois, Ed ? demanda Durling.
- Oui, Roger!
- Un, dit Durling.
- Deux, continua GrouchavoÔ.
- Trois ! " firent-ils en choeur, en pressant sur les boutons. Les deux interrupteurs fermaient un banal circuit électrique relié à une antenne satellite installée dehors. Il fallut à peu près un tiers de seconde au signal pour monter jusqu'au satellite et redescendre, puis un autre tiers de seconde pour que le résultat parcoure le même chemin en sens inverse, et durant une éternité, beaucoup de gens crurent à une panne. Mais non.
" Waouh ! " observa le chef d'escadron quand les cinquante kilos de C-4
explosèrent. Le bruit était impressionnant, même àhuit cents mètres de distance, et il fut suivi d'une colonne de flammes due à (ignition du moteur-fusée à poudre. Cette partie de la cérémonie avait été la plus délicate. Il avait fallu s'assurer que la combustion se ferait exclusivement de haut en bas. Sinon, le missile aurait pu tenter de s'échapper du silo, et franchement, ça l'aurait fichu mal. A vrai dire, toute (opération était inutilement compliquée et dangereuse. Le vent froid chassa vers l'est le nuage toxique, et le temps qu'il atteigne des lieux habités, ce ne serait plus qu'une mauvaise odeur, symbole somme toute assez juste des conditions politiques qui avaient engendré l'existence de ce moteur-fusée actuellement en train de br˚ler... Le spectacle avait malgré
tout quelque chose d'intimidant. Le plus gros pétard du monde, br˚lant à
rebours durant trois minutes avant de se réduire à un nuage de fumée. Un sergent actionna les extincteurs du silo, qui fonctionnèrent parfaitement, ce qui ne manqua pas de surprendre le chef d'escadron.
" Vous savez, on a tiré au sort pour savoir à qui reviendrait cet honneur.
J'ai gagné, dit l'officier en se relevant.
- Moi, on m'a simplement donné ordre. Mais je suis content que ce soit tombé sur moi. Il n'y a plus de risque, à présent ?
- Je ne crois pas. Venez, Valentin. On a encore un truc àfaire, pas vrai ?
"
Les deux hommes montèrent dans un HMMWV, nouvelle incarnation de la jeep de l'armée, et l'officier américain démarra et se dirigea vers le silo pour l'aborder dans le sens du vent. Ce
n'était plus maintenant qu'un trou dans le sol d'o˘ s'échappait uri panache de vapeur. Une équipe de CNN suivait, continuant de tourner en direct, secouée par les cahots de leur véhicule sur le sol inégal de la prairie. A leur grand dépit, ce dernier s'immobilisa à deux cents mètres du site, tandis que les deux officiers descendaient du leur, en portant des masques à gaz, au cas o˘ il resterait assez de fumée pour entraîner des risques.
Mais non. L'officier américain fit signe à l'équipe de télé d'approcher, puis il attendit que les techniciens soient prêts. Cela prit deux minutes.
" Prêt! indiqua le réalisateur.
- Sommes-nous d'accord pour constater que le silo et le missile sont détruits ?
- Absolument ", répondit le Russe avec un salut. Puis il glissa la main derrière lui et sortit de ses poches deux verres en cristal. " Voulez-vous tenir ceci, je vous prie, camarade chef d'escadron ? "
Vint ensuite une bouteille de champagne géorgien. Le Russe fit sauter le bouchon avec un grand sourire et remplit les deux verres.
" Je vais vous enseigner la tradition russe, à présent. D'abord, vous buvez
", dit-il. Les gars de la télé étaient aux anges.
" Je crois que je connais cette partie. L'Américain vida son verre. Et ensuite ?
- On n'a pas le droit réutiliser les verres pour une occasion moins importante. Alors, vous devoir faire comme moi. " Sur ces mots, le Russe se retourna et se mit en position pour balancer son verre dans le trou béant.
L'Américain rigola et en fit de même.
" Maintenant! "
Au signal, les deux verres disparurent dans le dernier silo de Minuteman américain. Ils se noyèrent dans la fumée, mais les deux hommes purent les entendre se briser contre les parois de béton noirci.
" Heureusement, j'en ai apporté deux autres ", annonça Valentin, en les sortant de ses vastes poches.
" Putain de merde ", souffla Ryan
Il se trouva que l'Américain du silo russe avait eu la même idée, et il était en train d'expliquer
à ses collègues la signification du slogan l'" heure d'une Miller " !
Malheureusement, les boîtes de bière en alu, ça ne se casse pas quand on les jette.
" Un peu mélodramatique, commenta son épouse.
- D'accord, ce n'est pas précisément du Shakespeare, mais même si on y a mis le temps, cette fois, c'est fait et bien fait, chérie. " Puis ils entendirent sauter les bouchons au milieu d'un tonnerre d'applaudissements.
" Dis, c'est vrai, le coup des cinq milliards de dollars ?
- Ouais.
- Alors, Ivan Emmetovitch, nous pouvons être réellement amis, désormais ?
demanda Golovko en apportant des verres. Nous aurons fini par faire connaissance, Caroline, dit-il aimablement à Cathy.
- SergueÔ et moi, ça remonte à un bail, expliqua jack en prenant le verre pour trinquer avec son hôte.
- Au temps o˘ je tenais un pistolet plaqué contre votre tempe' ", observa le Russe. Ryan se demanda s'il faisait une référence historique... ou s'il saluait l'événement.
" quoi ? " Cathy faillit s'étrangler avec son champagne.
" Vous ne lui avez jamais dit ?
- Bon Dieu, SergueÔ !
- Mais de quoi parlez-vous, tous les deux ?
- Dr Ryan, il fut un temps o˘ votre mari et moi, nous avions un...
désaccord professionnel qui a abouti à ce que je lui mette un pistolet sous le nez. Je ne vous l'ai jamais dit, jack, mais l'arme n'était pas chargée...
- Eh bien, je ne serais pas allé bien loin, de toute façon.
- Mais de quoi êtes-vous en train de parler, tous les deux ? C'est une blague intime ou quoi ? insista Cathy.
- Ouais, chérie, en gros, c'est ça. Au fait, comment va AndreÔ Ilitch ?
- Il va bien. Du reste, si vous voulez le voir, ça peut s'arranger. "
Jack acquiesça. " Avec grand plaisir.
- Excusez-moi, mais qui êtes-vous
1. Voir Le Cardinal du Kremlin, Albin Michel (NdT).
- Chérie, je te présente SergueÔ NikolaÔevitch Golovko, directeur des services de renseignements extérieurs russes.
- Le KGB ?Vous vous connaissez?
- Pas le KGB, madame. Nous sommes beaucoup plus petits, aujourd'hui. Mais, effectivement, nous sommes, votre mari et moi... en compétition depuis des années maintenant.
- Bien, et qui a gagné ? "
Les deux hommes pensèrent la même chose, mais Golovko fut le premier à
l'exprimer : " Les deux, bien s˚r. Maintenant, si vous me permettez, laissez-moi vous présenter mon épouse, Yelena. Elle est pédiatre. " Un point sur lequel la CIA n'avait jamais cherché à s'informer, observa Jack.
Il se retourna pour regarder les deux présidents, ravis de la cérémonie bien qu'ils soient assaillis par la presse. C'était la première fois qu'il était convié à un événement de ce genre, mais il était certain qu'ils n'avaient pas toujours été aussi copains. Peutêtre était-ce la libération de toute cette tension accumulée, la compréhension qu'enfin oui, Virginie, la guerre était finie. Pour de bon. Il vit des gens apporter de nouvelles bouteilles de champagne. Il n'était pas mauvais du tout, et il avait bien l'intention d'y faire honneur. Les journalistes de CNN ne tarderaient pas àse lasser de la fête, mais s˚rement pas ces gars-là. Tous ces militaires, ces hommes politiques, ces espions et ces diplomates... merde, peut-être qu'ils finiraient tous par être vraiment des amis.
19
Frappe Deux: faites le 1-800-panique 1
IEN que le minutage général soit fortuit, le plan pour exploiter cette chance était diabolique, fruit d'années d'études, de modélisation et de simulation. En fait, l'opération avait déjà débuté quand six grosses banques d'affaires de Hongkong avaient commencé à se trouver à court de bons du Trésor américain. Ces derniers avaient été achetés quelques semaines auparavant, dans le cadre d'un échange complexe contre des avoirs en yens, une manoeuvre classique pour se prémunir contre les fluctuations monétaires. Ces mêmes banques étaient sur le point de subir un choc - le changement du propriétaire du sol même sur lequel elles se trouvaient - et les deux facteurs donnaient à leurs achats massifs l'allure de mouvements parfaitement normaux dans la perspective d'accroître au maximum tant leurs liquidités que leur flexibilité. En liquidant leurs bons, elles ne faisaient que tirer profit, quoique sur une grande échelle, du changement de parité relative du dollar et du yen. L'opération leur permettrait de réaliser un bénéfice de dix-sept pour cent, en fait, puis de racheter du yen, qui, tous les experts monétaires de la planète l'annonçaient, avait atteint désormais un cours plancher et ne tarderait pas à rebondir. Malgré
tout, c'était l'équivalent de deux cent quatre-vingt-dix milliards de dollars de bons du Trésor améri-1. Aux …tats-Unis, les numéros de téléphone comportant l'indicatif 800 sont des numéros verts - en général utilisés par les services de renseignement ou de publicité. Si l'histoire se déroulait en France, on aurait pu dire :
" Faites le 3605-rnNiquE
(Nd T).
caids qui se retrouvait jeté sur le marché, et qui plus est, à un cours sous-évalué. Ils furent bientôt raflés par des banques européennes. Les banquiers de Hongkong passèrent les écritures électroniques appropriées et la transaction fut conclue. Puis ils c‚blèrent la nouvelle à Beijing, gênés d'être ravis de montrer qu'ils avaient suivi les ordres et prouvé leur obéissance à leurs prochains maîtres politiques. Autant valait qu'ils aient pris leur bénéfice dans l'affaire.
Au Japon, la transaction fut notée. Tokyo restait encore la principale place boursière de la planète et, avec quatorze heures de décalage par rapport à New York, il n'était pas franchement inhabituel de voir des agents de change avoir des horaires en général calqués sur ceux des veilleurs de nuit - de toute manière, les services télématiques qui transmettaient les informations financières fonctionnaient sans interruption. Pas mal de gens auraient été surpris d'apprendre que les dirigeants de ces sociétés de Bourse étaient des personnages importants et qu'au cours de la semaine écoulée, on avait leur avait installé tout exprès une salle particulière, au dernier étage d'un grand immeuble de bureaux.
Baptisée le PC de guerre par ses actuels occupants, elle était équipée de lignes téléphoniques reliées à toutes les villes du monde ayant une activité boursière, et d'écrans d'ordinateur pour montrer ce qui s'y passait.
D'autres banques asiatiques prirent le relais, répétant la même procédure que leurs collègues de Hongkong, et les occupants du PC de guerre regardèrent leurs machines. Juste après midi, heure de New York, ce vendredi - ce qui faisait deux heures trois, le samedi matin à Tokyo -,ils virent une masse supplémentaire de trois cents millions de dollars en bons du Trésor américain jetée sur le marché, à un prix encore plus attractif que ceux qui venaient d'être offerts à Hongkong, et ces derniers furent tout aussi rapidement achetés par d'autres banquiers européens pour qui la journée et la semaine de travail venaient de s'achever. Jusqu'ici, il ne s'était rien passé de franchement inhabituel. C'est à ce moment seulement que les banques nippones passèrent àl'action, bien couvertes par l'activité
des autres. Les banques de Tokyo se mirent à leur tour à bazarder leurs bons du Trésor américain, manoeuvre évidente pour renforcer le yen, semblaitil. Dans l'opération, toutefois, la totalité des liquidités en dollars
disponibles sur les marchés internationaux avaient été utilisées en l'espace de quelques minutes. On aurait pu n'y voir qu'une simple coÔncidence, mais les négociants en devises - du moins ceux qui n'étaient pas en train de déjeuner à New York - avaient désormais la puce à
l'oreille : toute nouvelle transaction sur ces monnaies (si improbable soit-elle, vu la fermeté actuelle du dollar) risquerait de déstabiliser le marché.
Le dîner officiel reflétait la traditionnelle hospitalité russe, et ce avec d'autant plus d'intensité qu'il célébrait la fin d'un demi-siècle de terreur nucléaire. Le métropolite de l'…glise orthodoxe de Russie psalmodia une longue et digne invocation. Ayant lui-même connu par deux fois l'emprisonnement politique, son invitation à se réjouir venait du fond du coeur, et tira même quelques larmes, bientôt balayées par le début du festin. Il y avait de la soupe, du caviar, du gibier, et un plat de boeuf exquis ; plus d'énormes quantités d'alcool que, pour cette fois au moins, tout le monde se sentait prêt à absorber. Le vrai boulot était terminé. Il ne restait plus vraiment de secrets à cacher. Demain, on était samedi, et tout le monde aurait la chance de pouvoir faire la grasse matinée.
" Toi aussi, Cathy ? " demanda Jack. Sa femme n'était pas d'habitude une grande buveuse, mais ce soir, elle se rattrapait.
" Ce champagne est merveilleux. " C'était son premier dîner officiel à
l'étranger. Elle avait eu une journée intéressante, elle aussi ; elle avait rencontré des collègues chirurgiens ophtalmologistes russes et en avait même invité deux, parmi les meilleurs, l'un et l'autre grands professeurs, à venir à l'Institut Wilmer s'informer sur sa spécialité : la chirurgie au laser. Cathy était dans la course au prix Lasker pour son travail dans ce domaine; c'était l'aboutissement de onze années de recherche clinique, et la raison pour laquelle elle avait par deux fois refusé une chaire à la tête d'un département à l'université de Virginie. Son grand article annonçant les percées qu'elle avait faites devait être bientôt publié dans le New Enghxnd Journal of Medicine, et pour elle également, ce voyage et cette soirée marquaient le couronnement de bien des choses.
" Tu vas le payer demain ", l'avertit son époux. Jack y allait mollo sur les alcools, quels qu'ils soient, même s'il avait déjà
dépassé sa dose normale pour une soirée, qui était d'un verre. C'éiaient les toasts qui allaient achever tout le monde, il le savait : il avait déjà
pris part à des banquets à la russe. C'était une simple affaire de culture.
Les Russes étaient capables de faire rouler sous la table n'importe quel Irlandais, il en avait fait la cruelle expérience, mais la plupart des invités américains, soit n'avaient jamais appris la leçon, soit avaient décidé ce soir de passer outre. Le chef du Conseil national de sécurité
hocha la tête. S˚r qu'ils auraient retenu la leçon demain matin. Le plat de résistance arriva à cet instant, et un vin d'un rouge profond emplit les verres.
" Oh, mon Dieu, ma robe va craquer'
- Cela devrait ajouter au spectacle, observa son mari, ce qui lui valut un regard furieux.
- D'ailleurs, vous êtes bien trop maigre, remarqua son voisin Golovko, trahissant un autre préjugé russe.
- Dites-moi, quel ‚ge ont vos enfants ? " demanda Yelena Golovko. Mince elle aussi (du moins selon les canons russes), elle était professeur de pédiatrie, et une fort agréable convive.
" Une coutume américaine, répondit jack en sortant son portefeuille pour lui montrer ses photos. Voici Olivia... je l'appelle Sally. Là, c'est petit jack, et voici notre petite dernière.
- Votre fils vous ressemble, mais les filles sont le portrait de leur mère.
- Encore heureux ", sourit jack.
Les grandes sociétés de Bourse n'ont rien de bien mystérieux, malgré ce que s'imaginent la majorité des petits porteurs. Wall Street était un lieu propice aux termes prêtant à confusion, àcommencer par le nom de la rue, qui n'était pas plus large qu'une bande allée desservant une résidence ; et même les trottoirs paraissaient bien étroits pour le flot de passants qui s'y déversait. quand des ordres d'achat parvenaient à une société de Bourse importante, comme la première de la place, Merrill Lynch, les négociants ne se mettaient pas à chercher (en personne, ou par des moyens électroniques) un vendeur pour ce titre particulier. En fait, c'était la compagnie qui, de
%a propre initiative, achetait chaque jour des quantités précises des divers titres susceptibles
d'être négociés, puis elle attendait que les clients se manifestent.
Acheter en assez gros volumes permettait d'avoir un certain pourcentage d'escompte, et les ventes, en général, s'effectuaient à un prix relativement plus élevé. De cette façon, les firmes gagnaient de l'argent sur ce que les contrepartistes appelaient une position " moyenne ", typiquement, un huitième de point par titre. Un point représentait un dollar, et donc un huitième faisait douze cents et demi. Une marge apparemment infime pour des actions dont la cote pouvait aller jusqu'à
plusieurs centaines de dollars (dans le cas de quelques valeurs phares), mais une marge qui se répétait sur une masse de titres échangés chaque jour, et qui s'accumulait avec le temps pour engendrer un énorme profit potentiel, si tout se passait bien.
Mais tout ne se passait pas bien tout le temps, et il était tout aussi possible de perdre d'énormes sommes quand le marché chutait plus vite que les estimations. quantité d'aphorismes circulaient pour mettre en garde contre ce risque. Sur une place importante et active comme Hongkong, on disait que le marché " montait comme un escalator et descendait comme un ascenseur ", mais la phrase la plus essentielle était inculquée de force dans la cervelle de tous les " astro-scientifiques " l‚chés dans la salle de transactions informatisée du quartier général de Merrill Lynch sur le Lower West Side : " Ne jamais s'imaginer que ce qu'on a à vendre trouvera acheteur. " Bien évidemment, tout le monde l'imaginait quand même, parce qu'il en avait toujours été ainsi, du moins aussi loin que remont‚t la mémoire collective de la firme, et celle-ci remontait fort loin.
L'essentiel des transactions, toutefois, ne concernait pas les investisseurs individuels. Depuis les années soixante, les fonds communs de placement avaient progressivement pris le contrôle du marché. Appelés "
institutionnels " et regroupés sous ce titre avec les banques, les compagnies d'assurances et les gestionnaires de fonds de retraite, ils finissaient par être plus nombreux que les valeurs industrielles cotées à
la Bourse de New York, un peu comme si les chasseurs surpassaient en nombre le gibier, et ces investisseurs institutionnels géraient des masses d'argent si considérables qu'elles défiaient l'entendement. Ils étaient si puissants que dans une large mesure, leur politique pouvait bel et bien avoir un effet sur les titres pris individuellement et même, momentanément, sur le marché dans son entier ; or, dans bien des;cas, ces "
zinzins " étaient contrôlés par un petit nombre d'individus - voire par un seul.
La troisième (et la plus importante) vague de ventes de bons du Trésor fut une surprise pour tout le monde, mais surtout pour le quartier général de la Réserve fédérale, dont le personnel avait noté les séries de transactions de Hongkong et de Tokyo, les premières avec intérêt, les secondes avec un début d'inquiétude. Le marché de l'eurodollar avait permis de redresser la barre, mais ce marché était à présent fermé pour l'essentiel. C'étaient de nouveau des banques et des institutions asiatiques qui établissaient la tendance, non plus en Amérique mais au Japon : leurs techniciens avaient également noté le déversement de titres sur le marché, et passé aussitôt quelques coups de fil dans la région. Ces coups de fil avaient tous abouti dans un bureau unique au sommet d'une tour de bureaux, o˘ quelques banquiers très rassis, après avoir r‚lé qu'on les avait tirés de leur sommeil, avaient examiné la situation qui leur avait paru tout à fait sérieuse - d'o˘ la deuxième vague de ventes -, avant de recommander qu'on opère, avec précaution, en bon ordre mais sans traîner, un mouvement de repli par rapport au dollar.
Les bons du Trésor américains étaient le moyen de créance du gouvernement des …tats-Unis, ainsi que le principal mur de protection pour garantir la valeur de la monnaie américaine. Considérés depuis un demi-siècle comme l'investissement le plus s˚r de la planète, les T-Bills donnaient à tout un chacun, et pas seulement aux citoyens américains, la possibilité de placer son capital dans un titre qui représentait l'économie la plus puissante de la planète, protégée à son tour par l'institution militaire la plus puissante, et gérée par un système politique qui garantissait les droits et les chances de chacun par l'entremise d'une Constitution qui faisait l'admiration générale, même si on ne la comprenait pas toujours parfaitement. quelles qu'aient pu être ses faiblesses et ses erreurs -
d'ailleurs parfaitement connues des investisseurs internationaux -, l'Amérique était restée, depuis 1945, le seul endroit au monde o˘ l'argent était relativement en s˚reté. Il y avait une vitalité inhérente à ce pays qui permettait de faire de grandes choses. Si imparfaits soient-ils, les Américains étaient également le peuple le plus optimiste de la planète ; ce pays était encore jeune en comparaison du reste du monde, doté de tous les attributs d'une jeunesse vigoureuse. De sorte que, lorsque les gens avaient une fortune à protéger mais hésitaient sur la meilleure méthode, ils se rabattaient le plus souvent sur les bons du Trésor américains. Leur rapport n'était pas toujours séduisant, mais la sécurité qu'ils représentaient, si.
Pas aujourd'hui, pourtant. Sur toutes les places, les banquiers virent que Hongkong et Tokyo s'étaient dégagés dans une proportion importante, et très vite ; transmis par les télex, le prétexte d'un repli du dollar sur le yen n'expliquait pas tout, surtout après quelques coups de fil permettant de vérifier les raisons réelles de l'opération.
Puis on apprit que d'autres banques japonaises étaient en train de se libérer de leurs bons du Trésor, avec précaution, en bon ordre, mais sans traîner. Aussitôt, dans toute l'Asie, les autres banques se mirent à les imiter. La troisième vague de ventes avoisinait les six cents milliards de dollars, presque l'équivalent de l'ensemble des effets à court terme avec lesquels l'actuel gouvernement américain avait décidé de financer son déficit budgétaire.
Le dollar était déjà en train de dégringoler, et dès le début de la troisième vague de ventes, en moins de quatre-vingt-dix minutes, cette dégringolade s'accentua. En Europe, les courtiers déjà en route vers leur domicile entendirent leur téléphone cellulaire se mettre à biper pour les rappeler. Il se passait un événement imprévu. Des analystes se demandèrent si cela pouvait avoir un rapport avec le scandale qui était en train d'éclabousser le gouvernement américain. Les Européens s'étonnaient toujours de la fixation des Américains sur les incartades sexuelles de leurs hommes politiques. C'était stupide, puritain et irrationnel, mais c'était également un élément concret de la vie politique de ce pays, et donc tout à fait susceptible d'influer sur le marché boursier. La valeur des bons d'escompte à trois mois était d'ores et déjà descendue de 19/32 de point (on les exprimait en effet par de telles fractions), avec pour résultat immédiat que le dollar avait chuté de quatre cents face à la livre britannique, de plus encore face au mark allemand, sans parler du yen japonais.
" Bon Dieu, mais qu'est-ce qui se passe ? " demanda l'un des gouverneurs de la Réserve fédérale. L'ensemble du conseil - de
son nom officiel Comité du marché ouvert - était réuni autour d'uri seul écran d'ordinateur et il observait l'évolution de la tendance dans un climat d'incrédulité générale. Aucun de ces hommes n'était capable de discerner une raison logique à ce chaos. Certes, il y avait les attaques contre le Vice-président Kealty, mais il n'était justement que le Viceprésident. Le marché avait été incertain pendant un temps, par suite de la confusion concernant les effets de la loi sur la réforme du commerce extérieur. Mais quelle sorte de synergie diabolique était-ce là ? Le problème, comprirent-ils sans avoir à se concerter, c'était qu'ils pouvaient fort bien ne jamais savoir ce qui se passait. quelquefois, il n'y avait pas de véritable explication. quelquefois, les choses survenaient, voilà tout, comme lorsqu'un troupeau de bétail décide de partir en débandade sans que ses gardiens sachent pourquoi. quand le dollar fut descendu de cent points par rapport au taux de base - ce qui voulait dire qu'il avait perdu un pour cent de sa valeur -,les gouverneurs de la Réserve fédérale regagnèrent tous le sanctuaire de leur salle de conseil et s'assirent. La discussion fut rapide et décisive. Il y avait une attaque sur le dollar. Ils devaient la stopper. Au lieu de la hausse d'un demi-point du taux d'escompte qu'ils avaient prévu d'annoncer à la clôture du marché boursier, ils allaient monter jusqu'à un point. Une forte minorité
proposa même un taux supérieur mais accepta le compromis. L'annonce serait faite aussitôt. Le chef du service des relations publiques de la Réserve prépara le premier jet d'une déclaration que lirait le gouverneur devant les caméras des cha?nes de télévision qui voudraient bien répondre à leur convocation, et son texte serait diffusé simultanément sur tous les services télématiques.
quand les courtiers retournèrent au bureau après l'heure du déjeuner, ce qui s'annonçait comme un vendredi relativement calme avait changé du tout au tout. Chaque bureau disposait d'un télex fournissant les dépêches d'actualité nationale et internationale, car de tels événements avaient une influence sur le marché. L'annonce que la Réserve fédérale venait de relever d'un point son taux d'escompte provoqua vingt à trente secondes de silence dans la plupart des salles de transactions, ponctués par un bon nombre de Putain de merde. Les techniciens lancèrent des modélisations sur leurs terminaux d'ordinateurs et virent que le marché réagissait déjà. Une hausse du taux d'escompte annonçait à coup s˚r une plongée rapide du Dow, tout comme les cumulo-nimbus annoncent l'orage. Et la tempête n'aurait rien de plaisant.
Les grandes sociétés de Bourse comme Merrill Lynch, Lehman Brothers, Prudential-Bache et les autres étaient extrêmement automatisées, et toutes étaient organisées de manière similaire. Dans presque tous les cas, il y avait une vaste salle unique équipée de rangées de terminaux. La taille de cette salle était invariablement dictée par la configuration de l'immeuble, et malgré leurs hauts salaires, les techniciens y étaient aussi entassés que des cadres dans un bureau japonais, à cette différence près que, dans les centres d'affaires américains, il était interdit de fumer. quelques hommes avaient gardé leur veston et la plupart des femmes étaient en pantalon.
Tous étaient des professionels très brillants, même si leur formation aurait pu surprendre le visiteur occasionnel. Naguère encore, ces salles étaient peuplées d'anciens élèves des grandes écoles de commerce de Harvard ou Wharton; la nouvelle promotion était celle des " astro-scientifiques ", en général détenteurs de diplômes scientifiques, en particulier en maths et en physique. Le MIT était l'école la plus souvent choisie, en concurrence avec une poignée d'autres. L'explication était simple : toutes les sociétés de Bourse se servaient d'ordinateurs et ces ordinateurs se servaient de modèles mathématiques complexes, àla fois pour analyser et prévoir l'évolution du marché. Les modèles étaient basés sur de laborieuses compilations d'archives qui recouvraient l'histoire de la Bourse de New York, quasiment depuis l'époque o˘ elle n'était qu'un campement installé à
l'ombre d'un platane. Des équipes d'historiens et de mathématiciens avaient consigné chaque mouvement du marché. Ces archives avaient été analysées, comparées avec tous les facteurs extérieurs identifiables, puis modélisées mathématiquement, et le résultat était une série de modèles d'une précision et d'une complexité surhumaines, censés expliquer comment le marché avait fonctionné jadis, fonctionnait aujourd'hui, et devrait fonctionner àl'avenir. Toutes ces données, toutefois, s'appuyaient sur l'idée que les dés avaient bel et bien une mémoire, une notion appréciée des propriétaires de casinos, mais parfaitement fausse.
Il fallait être un génie mathématique, se plaisait-on à dire (en particulier les génies mathématiques), pour comprendre commer~t fônctionnait cette usine à gaz. Les vieux de la vieille préféraient en majorité ne pas y toucher. Tous ceux qui avaient appris le commerce dans les écoles de commerce, voire ceux qui avaient commencé comme grouillots, puis avaient grimpé les échelons gr‚ce à leurs efforts et leur astuce, avaient laissé la place à la nouvelle génération - sans avoir vraiment de regrets. Le rythme au parquet était tuant, et il fallait être jeune et con, en plus d'être jeune et brillant, pour survivre dans un endroit pareil. Les anciens qui avaient souffert pour arriver au sommet laissaient ces jeunots piloter les ordinateurs, n'étant pour leur part que vaguement familiarisés avec cet équipement, et ils s'occupaient de superviser, noter les tendances, définir la politique de la maison, bref, jouer l'oncle aimable avec ses neveux, lesquels considéraient l'encadrement comme un ramassis de braves vieux chnoques vers lesquels on se précipitait en cas de coup dur.
Le résultat était que personne n'était vraiment responsable de quoi que ce soit - sauf, peut-être, les modèles informatiques ; or tout le monde utilisait les mêmes. Certes, ils possédaient d'infimes variantes, car leurs auteurs avaient reçu instruction de pondre quelque chose de spécial pour leurs commanditaires : le principal avantage était la prospérité desdits consultants, qui se contentaient en gros de répéter le même boulot pour tous leurs clients, non sans leur facturer à chaque fois ce qu'ils prétendaient être un produit unique.
Le résultat en termes militaires était une doctrine opérationnelle à la fois identique et rigide pour l'ensemble de la profession. Le comble étant qu'elle était connue de tous, mais qu'on ne la comprenait qu'en partie.
Le Groupe Columbus, l'une des plus grosses sociétés de fonds communs de placement, disposait de ses propres modèles informatiques. Contrôlant plusieurs milliards de dollars, ses trois fonds principaux, baptisés " Nina
", " Pinta " et " Santa Maria ", étaient en mesure d'acheter de gros volumes de titres à des prix planchers et, par ces seules transactions, d'influer sur la cote des valeurs individuelles. Cet énorme pouvoir sur le marché était aux mains de trois individus seulement, mais ce trio rendait compte àun quatrième homme et c'était lui qui prenait toutes les décisions réellement importantes. Le reste des astro-scientifiques de la firme recevaient salaire, primes et promotions selon leur capacité à
conseiller leurs ainés, mais ils n'avaient aucun pouvoir réel. La parole du patron faisait loi, et tout le monde l'acceptait sans discuter. Le patron était invariablement un homme qui avait investi sa fortune personnelle dans le groupe : chacun de ses dollars avait la même valeur que le dollar du plus modeste investisseur, et ceux-là étaient des milliers. Chacun de ces dollars courait les mêmes risques, recueillait les mêmes bénéfices et, àl'occasion, supportait les mêmes pertes que le dollar de tout un chacun.
Voilà en fait quel était le seul et unique fusible intégré à l'ensemble du système boursier. Le péché mortel pour un courtier, c'était de faire passer ses intérêts personnels avant ceux de ses investisseurs. Vous n'aviez qu'à
placer vos intérêts avec les leurs pour avoir l'assurance de bénéficier de la solidarité générale, et les petits porteurs qui n'avaient pas le moindre début de compréhension des arcanes du fonctionnement du marché étaient rassurés à l'idée que les pontes qui savaient s'occupaient de tout. Ce n'était pas foncièrement différent du Far West à la fin du xlxe siècle, quand les petits éleveurs confiaient leur maigre cheptel aux gros éleveurs pour assurer la transhumance des troupeaux.
Il était treize heures trente quand Columbus effectua son premier mouvement. Convoquant ses hauts responsables, le principal lieutenant de Raizo Yamata évoqua brièvement la brusque attaque sur le dollar. On acquiesça. C'était sérieux. Pinta, le fonds à risque moyen de cette "
flotte ", détenait un joli stock de bons du Trésor, toujours considérés comme une bonne valeurrefuge pour placer des liquidités en attendant que survienne une meilleure occasion. Or, la valeur de ces titres dégringolait.
Le représentant de Yamata annonça qu'il ordonnait leur conversion immédiate en deutsche Mark, une fois encore la monnaie la plus stable en Europe. Le gestionnaire de Pinta opina, décrocha son téléphone, passa l'ordre, déclenchant une nouvelle transaction volumineuse, la première à émaner d'un négociant américain.
" Je n'aime pas la tournure que prennent les événements, déclara peu après le Vice-président. Je veux que tout le monde serre les coudes. " Il y eut de nouveaux hochements de tête. Les nuages d'orage s'accumulaient, et le troupeau devenait nerveux en apercevant les premiers éclairs. " quels sont les titres bancaires
les plus vulnérables avec un dollar faible ? " demanda-t-il. Il connaissait' déjà la réponse, mais il était de bon ton de demander.
" Citibank ", répondit le responsable de Nina. Il était responsable de la gestion des blue chips, les trente titres phares servant au calcul de l'indice Dow Jones. " On en a une tonne.
- Commencez à vous dégager, ordonna le Vice-président, en utilisant le jargon du métier. Je n'aime pas voir les banques exposées de la sorte.
- En totalité ? " Le responsable était surpris. Citibank venait de se révéler un bon placement sur le dernier trimestre.
Un hochement de tête grave. " En totalité.
- Mais...
- En totalité, répéta le vice-président d'une voix douce. Immédiatement. "
A la DTC, la Compagnie fiduciaire de dépôt, le brusque accroissement de l'activité fut relevé par ceux dont le boulot était de noter chaque transaction. Leur rôle était de collationner l'ensemble des données à
l'issue de la journée boursière, de noter qui avait acheté quelle quantité
de titres à quel vendeur, puis de consigner les transferts d'argent d'un compte à un autre, bref, de jouer les caisses enregistreuses pour l'ensemble du marché boursier. Leurs écrans montraient une accélération du rythme des transactions, mais les ordinateurs tournaient tous avec le programme ELECTRA-CLERCK 2.4.0 de Chuck Searls, et les unités centrales Stratus tournaient à plein régime. Il y avait trois périphériques de sortie par machine. Une première ligne allait vers les écrans des moniteurs, une seconde vers les sauvegardes sur bande, et une troisième sur une imprimante, le moyen d'archivage ultime, bien que le moins pratique.
La nature des interfaces exigeait que chaque périphérique soit alimenté par une carte spécifique à (intérieur des unités centrales, mais les données restaient les mêmes, de sorte que personne ne se souciait d'avoir un archivage permanent. Après tout, il y avait un total de six machines réparties sur deux sites différents. On ne pouvait guère envisager de système plus s˚r.
La procédure aurait pu être différtnte.Chaque ordre d'achat ou de vente aurait pu
être émis immédiatement, mais ça n'aurait
pas été commode : le volume de paperasse administrative aurait suffi à
épuiser l'ensemble des ressources de la profession. A la place, le rôle de la DTC était de faire naître l'ordre du chaos. A la fin de chaque journée, les transactions étaient classées par compagnies boursières, par titres et par clients, de manière hiérarchique, de façon que chaque compagnie n'ait qu'à rédiger un nombre limité de chèques - les transferts de fonds étaient pour l'essentiel effectués électroniquement, mais le principe demeurait. Ce qui permettait aux différentes charges à la fois d'économiser sur leurs frais de fonctionnement, et de fournir aux acteurs du marché quantité de données pour suivre et mesurer leur activité afin d'établir leurs statistiques internes et d'affiner de nouveaux modèles mathématiques du marché dans son ensemble. Le recours à l'informatique avait rendu ces opérations, apparemment d'une complexité insurmontable, aussi routinières (et bien plus efficaces) que des écritures sur un livret de caisse d'épargne.
" Waouh, quelqu'un est en train de se débarrasser de ses Citibank ", annonça le contrôleur système.
Le parquet de la Bourse de New York était divisé en trois parties, la plus vaste ayant été jadis un garage. Une quatrième salle de transactions était en cours de construction, et les pessimistes de service notaient déjà que chaque fois que le Stock Exchange avait gagné de l'espace, il était survenu une catastrophe. Formée d'individus parmi les plus rationnels et les plus endurcis qui soient au monde, cette communauté de professionnels avait malgré tout ses superstitions. Le parquet était en fait un ensemble de sociétés de Bourse ou firmes, chacune ayant son domaine réservé et la responsabilité d'un portefeuille de titres regroupés par catégories. Telle firme pouvait gérer par exemple quinze titres pharmaceutiques. Telle autre gérer un nombre équivalent de titres bancaires. La véritable fonction de la Bourse était à la fois de fournir des liquidités et d'établir une cote. Les gens pouvaient acheter et vendre des actions depuis n'importe quel endroit, du cabinet d'un avocat à la salle à manger d'un countryclub. Mais les transactions sur les plus gros titres se déroulaient à New York parce que... parce que c'était la tradition, un point c'est tout. Le New York Stock Exchange, le NYSE, était la plus
ancienne place boursière. Mais il y avait également l'American Stoçk Exchange, fAMEX, et la petite dernière, la National Association of Securities Dealers Automatic quotation, dont la dénomination contournée d'"
Association nationale de cotation automatique des titres en continu " était contrebalancée par un acronyme cinglant : NASDAq. Le NYSE restait la place la plus traditionaliste par son organisation, et d'aucuns disaient qu'il avait fallu la violer pour lui faire intégrer l'univers de l'automation. Un rien hautaine et coincée - pour elle, les autres places jouaient en seconde division, elle seule jouait en première -, la Bourse de New York était formée de professionnels qui passaient l'essentiel de leur journée dans leur cabine à surveiller les écrans, acheter et vendre, et comme dans toutes les sociétés de Bourse, à gagner de l'argent en jouant sur les "
moyennes " ou les " fourchettes " de valeurs qu'ils anticipaient. Si le marché et les investisseurs étaient un troupeau, alors ils en étaient les cow-boys : leur boulot était de suivre en permanence la situation, de fixer les indices qui faisaient référence, bref de maintenir en bon ordre le troupeau, en échange de quoi les meilleurs gagnaient suffisamment pour compenser les contraintes d'un environnement de travail qui, dans le meilleur des cas, était déplaisant et chaotique et, dans le pire, vous donnait l'impression de vous retrouver au milieu d'une charge de bisons.
Les premiers grondements de cette charge étaient déjà perceptibles. La liquidation des bons du Trésor fut scrupuleusement rapportée au parquet, provoquant échanges de signes de tête et de regards inquiets devant ce rebondissement absurde. Puis on apprit que la Réserve avait réagi vigoureusement. La ferme déclaration de son gouverneur ne put dissiper le malaise et n'aurait eu, de toute manière, aucune influence.
D'aucuns relevèrent surtout l'annonce de hausse du taux d'escompte. C'était cela la nouvelle. Le reste n'était que blabla, et les investisseurs n'en tinrent aucun compte, préférant se reposer sur leurs analyses personnelles.
Les ordres de vente commencèrent à arriver. Le contrepartiste spécialisé
dans les valeurs bancaires fut surpris par le coup de te
'il
'léphone de Columbus, mais peu importait. Il annonça qu
" avait cinq cents Citi à trois " - entendez, cinq cent mille actions de la First National City Bank de New York à quatrevingt-trois dollars, deux points entiers en dessous du cours normal : à
l'évidence un mouvement de retrait précipité. C'était certes un bon prix, fort attirant, mais le marché hésita brièvement avant de rafler les titres, et encore, à " deux et demi ".
Les ordinateurs suivaient également la trace des échanges, parce que les courtiers ne se fiaient pas complètement à leur capacité à tenir compte de tout. Après tout, on pouvait rater un mouvement important parce qu'on était au téléphone, de sorte qu'une proportion notable des principales institutions boursières étaient en vérité gérées par les ordinateurs ou, plus précisément, par le logiciel installé dessus, et ce logiciel avait été
écrit par des programmeurs qui avaient arbitrairement sélectionné un nombre limité de critères de mesure. Les ordinateurs ne comprenaient pas mieux le marché que les informaticiens qui les avaient programmés, bien s˚r, mais ils avaient en revanche des instructions précises : si " A " se produit, alors faire " B ". Ces programmes de nouvelle génération regroupés sous le terme de " systèmesexperts " (l'expression était plus séduisante qu'"
intelligence artificielle "), pour traduire leur haut degré de complexité, étaient mis à jour quotidiennement à partir de l'évolution d'un nombre réduit de valeurs de référence, à partir desquelles ils extrapolaient électroniquement sur la santé de segments entiers du marché. Rapports trimestriels, tendances de l'industrie, changements de politiques de gestion, tous ces éléments se voyaient affecter d'une pondération numérique avant d'être inclus dans les bases de données dynamiques qu'examinaient les systèmes-experts pour décider de leur action, et tout cela sans la moindre intervention du jugement d'opérateurs humains.
Dans ce cas précis, la chute massive et instantanée du cours de l'action Citibank indiqua aux ordinateurs qu'ils devaient émettre des ordres de vente sur d'autres titres bancaires. La Chemical Bank, qui avait récemment traversé une mauvaise passe, se souvenaient les ordinateurs, avait également chuté de quelques points au cours de la semaine écoulée, et dans les trois institutions boursières qui utilisaient le même programme, des ordres de vente furent émis électroniquement, faisant instantanément chuter d'un point et demi le titre. Ce mouvement sur le titre Chemical Bank, couplé à la chute de Citibank, attira aussitôt l'attention d'autres systèmes-experts dotés du même protocole de
traitement mais calés sur des indices clés différents, ce qui garantiss4it un effet de réaction en chaîne sur l'ensemble du secteur bancaire.
Manufacturers Hanover fut le troisième titre à plonger désormais, les programmes avaient lancé une recherche dans leurs procédures internes pour y trouver ce qu'un repli sur les titres bancaires devait entraîner comme mouvement défensif dans les autres secteurs clés de l'économie.
Avec les sommes tirées des ventes de bons du Trésor, Columbus se rabattit sur le métal jaune, achetant aussi bien des valeurs minières que de l'or à
terme, ce qui déclencha un mouvement de retrait des monnaies au profit des métaux précieux. Hausse brutale qui fut à son tour répercutée sur les réseaux télématiques, et notée par les courtiers, humains et électroniques.
Dans tous les cas, l'analyse était en gros la même : une liquidation des obligations d'…tat, plus une hausse soudaine du taux d'escompte, plus une attaque sur le dollar, plus un début de krach des valeurs bancaires, plus une ruée sur les métaux précieux... tout cela se combinait pour annoncer une dangereuse poussée inflationniste. L'inflation avait toujours fait le malheur des actions cotées en Bourse. Pas besoin d'avoir une intelligence artificielle pour saisir ça. Aucun programme d'ordinateur, aucun opérateur humain ne paniquait encore, mais chacun surveillait attentivement les réseaux pour avoir des indications sur la tendance, et si possible la devancer, afin de mieux protéger ses investissements et ceux de ses clients.
Dans l'intervalle, le marché obligataire s'était trouvé sérieusement ébranlé. Un demi-milliard de dollars, l‚chés au bon moment, et c'étaient dix de mieux qui venaient d'être libérés sur le marché. Rappelés en toute h
‚te à leur bureau, les cambistes spécialisés en eurodollars n'étaient pas vraiment en situation pour prendre des décisions rationnelles. Les dernières semaines et surtout les derniers jours avaient été fort longs, avec cette tension sur le commerce international, et dès leur arrivée, ils interrogèrent leurs collègues pour apprendre qu'une masse de bons du Trésor américain venaient d'être jetés sur le marché, et que la tendance continuait, encore renforcée maintenant par un gros institutionnel américain plus malin que les autres. Mais bordel, pourquoi ?voulurent-ils tous savoir. (Fela les conduisit à chercher un complément d'information sur les réseaux, pour avoir les der-
nières nouvelles en provenance d'Amérique. On cligna les yeux, on hocha la tête, et faute de temps pour analyser toutes les données, tous ces agents de change se rabattirent sur leurs propres systèmes-experts pour faire leurs analyses, parce que les raisons de ces mouvements désordonnés n'étaient tout simplement pas assez évidentes pour être vraies.
Mais peu importait le pourquoi, en définitive ; il fallait bien que ce soit vrai. La Réserve fédérale venait de relever d'un point le taux d'escompte, et ça ne s'était pas produit par accident. Pour l'heure, et en l'absence d'orientations de leurs gouvernements ou banques centrales, ils décidèrent de différer l'achat de bons du Trésor américains ; en outre, ils entreprirent aussitôt un examen détaillé de leur portefeuille d'actions cotées en Bourse, car il semblait bien que celles-ci risquaient de dégringoler, et de dégringoler très vite.
" ... entre le peuple russe et le peuple américain ", conclut le président GrouchavoÔ en réponse au toast du Président Durling, son invité, conformément à l'étiquette. On leva les verres, on trinqua. Ryan laissa une ou deux gouttes de vodka humecter ses lèvres. Même avec ces verres minuscules, on avait vite fait d'être parti - il y avait des serveurs partout, prêts à les remplir - et on n'en était qu'au début des toasts. Il n'avait jamais participé àun dîner d'…tat aussi... décontracté. L'ensemble du corps diplomatique était là - du moins, les ambassadeurs de tous les pays importants. L'ambassadeur japonais semblait particulièrement jovial, passant de table en table pour échanger quelques mots.
Le ministre des Affaires étrangères Brett Hanson se leva à son tour. Il leva son verre et récita laborieusement le texte préparé d'une ode à
l'ampleur de vision de son homoloue russe, célébrant leur coopération non seulement avec les …tats-Unis mais avec l'Europe tout entière. Jack jeta un oeil à sa montre. Dix heures trois, heure locale. Il avait déjà descendu trois verres et demi, et s'estimait le plus sobre des convives présents.
Cathy commençait à le regarder en gloussant. «a ne lui était plus arrivé
depuis un sacré bail, et il comptait bien la charrier avec ça dans les années à venir.
" jack, vous n'appréciez pas notre vodka? " demanda Golovko. Lui aussi buvait sec, mais il était apparemment habitué.
" Je n'ai pas trop envie de me couvrir de ridicule, répondit Rya.n . .
- Il me semble que vous auriez du mal, mon ami, observa le Russe.
- On voit bien que vous n'êtes pas marié avec lui ", nota Cathy, l'oeil pétillant.
" Hé, attends voir une minute ", s'exclama un spécialiste du marché
obligataire, assis devant son ordinateur à New York. Sa firme s'occupait de plusieurs gros fonds de retraite, qui géraient les cotisations de plus d'un million de travailleurs syndiqués. A peine revenu de déjeuner chez son traiteur préféré, il s'était mis à proposer des bons du Trésor à un prix bradé, suivant les ordres de sa direction, et voilà qu'ils lui restaient sur les bras sans trouver preneur. Pourquoi ? Un ordre prudent apparut, émis par une banque française, apparemment pour se couvrir contre les pressions inflationnistes sur le franc. Une offre pour un malheureux milliard, à 17/32 sous le cours d'ouverture, l'équivalent international d'un vol à main armée. En revanche, il nota que Columbus avait saisi la balle au bond et pris les francs, pour les convertir presque aussitôt en deutsche Mark, afin de se couvrir à son tour. L'homme sentit le sandwich au corned-beef se transformer en boulet glacé au creux de son estomac. Il se tourna vers sa voisine
" quelqu'un ne lancerait pas une attaque contre le dollar ?
- M'en a tout l'air ", répondit-elle. En une heure, les options d'achat sur le dollar avaient dégringolé à la valeur plancher autorisée pour la journée, après être montées sans interruption toute la matinée.
" qui?
- Je n'en sais rien, en tout cas Citibank vient de s'en prendre un sacré
coup sur la tronche. Et Chemical dégringole aussi.
- Un réajustement technique ?
- Réajustement de quoi ? Vers quoi ?
- Bon, alors, qu'est-ce que je fais, moi? On achète? On vend ? On se planque ? " Il avait des décisions à prendre. Il avait les économies d'épargnants et chair et en os à protéger, mais il n'arrivait pas à
comprendre le comportement actuel du
marché. Tout partait à vau-l'eau, et il ne savait pas pourquoi. Et pour faire son boulot convenablement, il fallait qu'il sache.
" Toujours cap à l'ouest à notre rencontre, Shoho ", annonça le responsable des opérations à l'amiral Sato. " On ne devrait pas tarder à l'avoir au radar.
- Hai. Merci, Issa ", répondit Sato, manifestant un rien de mauvaise humeur. C'était délibéré, il voulait que ses hommes le voient ainsi. Les Américains avaient gagné l'exercice, ce qui n'était pas vraiment une surprise. Comme il n'était pas surprenant de voir son équipage quelque peu déçu par le résultat. Après des jours d'entra?nement et de manoeuvres, ils avaient été annihilés " administrativement ", et le ressentiment qu'ils éprouvaient, sans être terriblement professionnel, était parfaitement humain. Encore une fois, se disaient-ils, les Américains nous ont eus encore une fois. C'était parfait pour le commandant de la flotte. Leur moral était l'un des éléments primordiaux de l'opération qui, l'équipage l'ignorait, n'était pas encore achevée, mais tout au contraire sur le point de débuter.
Le phénomène qui avait commencé avec les bons du Trésor affectait à présent tous les titres bancaires négociés sur le marché public, à tel point que le directeur de la Citibank crut bon de convoquer une conférence de presse pour protester contre l'effondrement du cours de son établissement, en insistant sur les derniers résultats positifs et la bonne santé financière manifeste de l'une des plus grosses banques du pays. Personne n'écouta. Il aurait mieux fait de passer quelques coups de fil à une poignée d'individus soigneusement choisis - mais ça non plus, ça n'aurait sans doute pas marché.
Le seul banquier qui aurait pu arrêter les choses ce jour-là était en train de prononcer un discours dans un club du centre-ville quand son bip se manifesta. C'était Walter Hildebrand, président de la filiale new-yorkaise de la Banque fédérale de réserve; seul le dépassait en importance le responsable du siège principal à Washington. Lui-même héritier d'une grosse fortune, il avait néanmoins débuté au bas de l'échelle de la finance (même si à
l'époque, il habitait déjà un confortable douze pièces), et gagné sa placé
au sommet par son seul mérite personnel. Hildebrand y avait également gagné
son boulot actuel, qu'il considérait comme la meilleure façon pour lui de se rendre utile à la société. Fin analyste financier, il avait publié un livre décortiquant le krach du 19 octobre 1987, et le rôle joué par Gerry Lornigan, son prédécesseur à la branche new-yorkaise de la Réserve fédérale, dans le sauvetage du marché. Il venait juste de terminer un discours sur les ramifications de la loi sur la réforme du commerce extérieur, et consulta son bip qui, sans surprise, lui indiquait de rappeler le bureau. Mais le bureau était à quelques rues de là, et il décida d'y retourner à pied plutôt que d'appeler pour s'entendre demander de se rendre à Wall Street. Mais cela n'aurait rien changé.
Hildebrand sortit seul de l'immeuble. L'air était vif et clair, un temps idéal pour une promenade digestive. Il n'avait pas voulu s'encombrer d'un garde du corps, comme certains de ses prédécesseurs, même s'il avait un port d'arme qu'il justifiait parfois en emportant un pistolet.
Les rues du bas de Manhattan sont étroites et encombrées, livrées surtout aux camionnettes de livreurs et aux taxis jaunes qui déboulent à chaque carrefour comme autant de dragsters. Les trottoirs étaient tout aussi étroits et encombrés. Pour avancer, il fallait slalomer sans arrêt.
L'itinéraire le plus dégagé passait le plus souvent au ras du caniveau, et c'est celui qu'emprunta Hildebrand, en essayant de gagner du temps pour être au plus vite rendu à son bureau. Il ne releva pas la présence de l'individu qui le filait, trois pas derrière lui. L'homme était bien mis, cheveux bruns, visage ordinaire. Il s'agissait simplement de guetter l'instant favorable, et la densité du trafic rendait cet instant inéluctable. C'était un soulagement pour l'homme aux cheveux bruns qui ne voulait pas recourir au pistolet pour le contrat. Il n'aimait pas le bruit.
Le bruit attirait les regards. Les regards, donc les souvenirs, et même s'il comptait être dans un avion pour l'Europe d'ici deux heures tout au plus, on n'était jamais trop prudent. C'est pourquoi il tourna la tête, pour surveiller la circulation devant et derrière, et choisir son moment avec soin.
Ils approchaient de l'angle de Recter et Trinity Streets. Le feu devant passa au vert, laissant une tranche de cinquante mètres de voitures se ruer en avant et progresser encore de cinquante mètres. Puis le feu derrière changea à son tour, libérant l'énergie accumulée d'un nombre équivalent de véhicules. Parmi eux, des taxis, qui fonçaient particulièrement vite parce que les chauffeurs de taxi adorent changer de file. Un taxi jaune br˚la le feu pour obliquer sur la droite. La situation idéale. L'homme brun pressa le pas jusqu'à ce qu'il se retrouve juste derrière Hildebrand : il n'avait plus qu'à pousser. Le président de la Réserve fédérale de New York trébucha sur le bord du trottoir et tomba sur la chaussée. Le chauffeur de taxi le vit, braqua avant même d'avoir eu le temps de pousser un juron, mais pas suffisamment. Dans son malheur, l'homme au pardessus en poil de chameau eut de la chance. Le taxi s'arrêta aussi vite que le permettaient ses freins refaits à neuf, et la vitesse d'impact était inférieure à trente kilomètres-heure, suffisante pourtant pour catapulter Walter Hildebrand une dizaine de mètres plus loin, contre un réverbère en acier, et lui briser le dos. L'agent de police sur le trottoir d'en face réagit aussitôt, en appelant une ambulance avec sa radio portative.
L'inconnu aux cheveux bruns se fondit de nouveau dans la foule et se dirigea vers la première bouche de métro. Il ignorait si l'autre était mort ou pas. Il n'était pas réellement nécessaire de le tuer, lui avait-on dit, ce qui, sur le coup, lui avait paru bizarre. Hildebrand était le premier banquier qu'on lui ait dit de ne pas tuer.
Le flic penché au-dessus du corps de l'homme d'affaires remarqua la stridulation répétée du bip. Il avait appelé le numéro affiché dès l'arrivée de l'ambulance. Son principal souci pour l'instant était d'entendre le chauffeur de taxi protester que ce n'était pas de sa faute.
Les systèmes-experts " savaient " que, lorsque des titres bancaires chutaient rapidement, invariablement la confiance dans les banques elles-mêmes était sérieusement ébranlée et que les gens auraient le réflexe de retirer leur argent des établissements qui semblaient le plus menacés. Cela forcerait les banques, à leur tour, à faire pression sur leurs emprunteurs pour qu'ils remboursent leurs créances. Mais, plus important encore pour les systèmes-experts capables de décrypter l'évolution du marché avec quejq¸es minutes d'avance sur tout le monde, les banques ayant tendance à se transformer elles aussi en sociétés d'investissement, elles allaient être amenées à liquider leurs avoirs financiers pour répondre à la demande des déposants venus solder leur compte. Les banques étaient par nature des investisseurs prudents sur le marché boursier, qui se cantonnaient aux valeurs-refuges et aux autres titres bancaires, de sorte que la prochaine plongée, toujours selon les ordinateurs, devrait toucher les titres-phares, en particulier les trente valeurs qui servaient au calcul de l'indice Dow Jones. Comme toujours, l'impératif était de prévoir la tendance et de l'anticiper, afin de sauvegarder les fonds que les grandes institutions avaient pour mission de protéger. Bien entendu, comme tous les investisseurs institutionnels utilisaient plus ou moins les mêmes systèmesexperts, tous agirent quasiment en même temps. Il avait suffi qu'un seul éclair jaillisse un peu trop
p~ du troupeau pour que tous ses membres entament un mourès vement de repli dans la même direction, lentement mais s˚rement.
Au parquet de la Bourse, tout le monde le sentit arriver. Les contrepartistes recevaient pour l'essentiel des ordres programmés sur ordinateur, et l'expérience leur avait appris à prédire le comportement des machines. Et c ést parti, fut le murmure unanime dans les trois salles de cotation, et le seul fait que l'événement f˚t prévisible aurait d˚ être un indicateur de ce qui se produisait réellement, mais il est difficile pour les cow-boys de venir se placer à la lisière même du troupeau pour le diriger, le détourner, l'apaiser, sans se laisser engloutir par lui. Si ça devait se produire, ils étaient condamnés à perdre, parce qu'un sérieux mouvement vers le bas risquait de bouffer les maigres marges sur lesquelles vivaient leurs firmes.
Le directeur du NYSE contemplait la scène depuis la galerie, en se demandant o˘ diable était donc Walt Hildebrand. Comme s'ils avaient besoin de ça. Tout le monde écoutait Walt. Il saisit son téléphone cellulaire et rappela son bureau, pour entendre encore une fois sa secrétaire lui confirmer que Walt n'était pas encore revenu de son allocution au club.
Oui, elle l'avait bien bipé. Oui, absolument.
Il pressentit la catastrophe. Au parquet, on commençait à
s'agiter. Tout le monde était là, maintenant, et le bruit qui montait atteignait un niveau assourdissant. Toujours mauvais signe quand les gens se mettent à crier. L'affichage électronique déroulait sa propre version des faits. Les blue chips, les trente valeurs de l'indice, dont les acronymes à trois lettres lui étaient aussi familiers que les prénoms de ses enfants, représentaient plus du tiers des transactions, et leur cote était en train de plonger. En vingt minutes à peine, le Dow Jones avait chuté de cinquante points, et si terrible et brutal que f˚t ce mouvement, ce fut comme une libération.
Automatiquement, les ordinateurs de la Bourse de Wall Street cessèrent d'accepter les ordres de vente générés par leurs frères électroniques. Ce seuil des cinquante points était baptisé " ralentisseur ". Installé après le krach de 1987, son but était de ralentir les transactions à un rythme plus humain. Le seul détail que tout le monde avait négligé, c'est que les gens pouvaient continuer àprendre leurs instructions - on ne se souciait même plus de les qualifier de " recommandations " - de leurs propres ordinateurs, puis transmettre eux-mêmes leurs ordres par téléphone, télex, télécopie ou courrier électronique ; le ralentisseur avait tout au plus permis de rallonger de trente secondes le processus des transactions. De sorte que, après une pause d'une minute maximum, le rythme des échanges reprit de plus belle, toujours orienté à la baisse.
Dans l'intervalle, la panique au sein de toute la communauté financière était devenue bien réelle. Elle se reflétait par la tension et le sourd bourdonnement des conversations qui régnaient dans les salles de transaction de toutes les grandes sociétés de Bourse. CNN retransmettait à
présent une édition spéciale en direct depuis son perchoir au-dessus de l'ancien parking de Wall Street. L'incrustation de l'indice en télétexte sur leur service général " Headline News " permettait d'informer également les investisseurs qui voulaient aussi rester au courant des événements touchant le reste de la planète. Pour les autres, ils avaient maintenant droit à une journaliste en chair et en os pour leur expliquer que l'indice Dow Jones des valeurs industrielles avait chuté de cinquante points en un clin d'oeil, qu'il venait d'en perdre encore vingt, et que la spirale descendante ne semblait pas vouloir s'inverser. Suivirent des questions du présentateur en studio à
Atlanta, entraînant des spéculations sur les causes du phénomèje, et la journaliste, qui n'avait pas eu le temps de vérifier ses sources, rajouta son grain de sel en annonçant qu'il y avait eu une attaque mondiale sur le dollar que la Réserve fédérale n'avait pas réussi à endiguer. Elle n'aurait pas pu trouver pire à dire. Désormais, tout le monde était au courant de ce qui se passait, plus ou moins, et le grand public se retrouva emporté par ce vent de panique.
Même si les professionnels toisaient avec mépris tous ces béotiens incapables de saisir les arcanes des mécanismes d'investissement, ils se refusaient à admettre qu'il y avait un élément de similitude foncière dans la réaction des uns et des autres. Le grand public avait admis le fait que lorsque le Dow Jones montait, c'était bon signe et que lorsqu'il descendait, c'était l'inverse. Or il en allait exactement de même pour les courtiers, persuadés pour leur part de réellement comprendre le système.
Certes, les professionnels de l'investissement en savaient bien plus sur les mécanismes du marché, mais ils avaient perdu tout contact avec le monde concret sur lequel se fondaient ses valeurs. Pour eux comme pour le public, la réalité s'était réduite à des tendances, et souvent, ils exprimaient leurs intentions à l'aide d'indices et de dérivées, indicateurs numériques fluctuants qui se trouvaient d'une année sur l'autre toujours plus déconnectés de la réalité concrète que symbolisaient ces titres. Après tout, les certificats d'actions n'étaient pas des entités théoriques, mais des parts du capital d'entreprises qui avaient une réalité physique. Avec les années, les " astro-scientifiques " du parquet avaient fini par l'oublier, et si férus qu'ils soient d'analyse de tendance et de modélisation mathématique, la valeur sous-jacente des titres qu'ils négociaient leur était devenue étrangère - les faits étaient devenus plus théoriques que la théorie qui était en train de s'effondrer sous leurs yeux. Privés des fondements de leur action, manquant d'une ancre o˘ se raccrocher au milieu de la tempête qui balayait le parquet et l'ensemble du système financier, ils ne savaient tout bonnement plus quoi faire, et les quelques anciens qui auraient encore pu réagir n'avaient ni les données chiffrées, ni le temps nécessaire pour apaiser leurs cadets.
Rien de tout cela ne tenait vraiment debout. Le dollar aurait d˚ résister, et même se renforcer après quelques soubresauts
mineurs. La Citibank venait de publier de bons résultats, même s'ils n'étaient pas spectaculaires, et la Chemical Bank était fondamentalement en bonne santé elle aussi, après quelques remaniements à sa direction.
Pourtant, la valeur des deux titres avait chuté brutalement. Les programmes informatiques disaient que la combinaison de ces facteurs était un très mauvais signe, et les systèmes-experts ne se trompaient jamais, n'est-ce pas ? Ils étaient établis sur des données historiques précises, et ils prévoyaient l'avenir mieux que n'importe quel être humain. Les techniciens du courtage croyaient aux modèles, en dépit du fait qu'ils ne discernaient pas quel raisonnement avait amené lesdits modèles à émettre les recommandations affichées sur leurs terminaux d'ordinateur; et de la même manière, M. Tout-le-Monde voyait maintenant les nouvelles à la télé et savait désormais qu'il se passait quelque chose de grave, sans comprendre pourquoi, et il se demandait ce qu'il allait bien pouvoir faire.
Les " professionnels " étaient aussi mal lotis que M. Tout-leMonde captant les infos sur sa radio ou à la télé ; en tout cas, c'est ce qu'il semblait.
En fait, c'était bien pire pour eux. Leur compréhension des modèles mathématiques n'était plus désormais un avantage mais un inconvénient. Pour M. Tout-leMonde, ce qu'il voyait était a priori incompréhensible, et en conséquence, à de rares exceptions près, il décida de ne pas bouger. Il observait, attendait ou, dans la majorité des cas, se contentait de hausser les épaules, vu qu'il ne possédait pas d'actions. En fait, si, mais sans le savoir. Les banques, les compagnies d'assurances, les caisses de retraite qui géraient l'argent des citoyens avaient pris de fortes participations dans toutes sortes d'émissions publiques. Ces investisseurs institutionnels étaient tous dirigés par des " professionnels " à qui leur formation et leur expérience soufflaient qu'ils devaient paniquer. Et c'est bien ce qu'ils firent, entamant un processus que l'homme de la rue eut tôt fait d'identifier. C'est à cet instant que les particuliers commencèrent à se ruer sur leurs téléphones, et que la pente s'accentua pour tout le monde.
C'était déjà effrayant, ça le devint encore plus. Les premiers coups de fil venaient des personnes ‚gées, des gens qui regardaient la télé dans la journée et papotaient sans arrêt au téléphone, partageant leurs craintes et leur choc devant ce qu'ils
voyaient. Beaucoup avaient investi leurs économies dans des fonds de placement parce qu'ils avaient un meilleur rendement que les comptes bancaires rémunérés - ce qui était la raison pour laquelle les banques s'y étaient mises elles aussi, pour protéger leurs propres profits. Les fonds de placement prenaient maintenant de rudes coups, et même si, pour le moment, ces coups se limitaient pour l'essentiel aux valeurs-refuges, quand les particuliers commencèrent à appeler pour se dégager et récupérer leur argent, les institutionnels se virent obligés de brader des titres jusqu'ici épargnés afin de compenser les pertes sur d'autres titres qui auraient d˚ rester intacts mais ne l'étaient plus. En bref, ils devaient se débarrasser d'actions qui avaient réussi à maintenir leur cours, entamant un processus que résume fort bien cet aphorisme : La mauvaise monnaie chasse la bonne. C'était presque la description littérale de ce qu'ils étaient en train de faire.
Le résultat obligé fut une panique générale, la chute de l'ensemble des valeurs sur toutes les places boursières. A trois heures de l'après-midi, le Dow Jones était descendu de cent soixantedix points. L'indice Standard & Poor's Five Hundred était en fait encore plus mauvais, mais c'était l'indice NASDAq du horscote qui était le plus désastreux, avec tous les petits porteurs de l'Amérique profonde qui s'étaient rués sur le numéro vert de leur fonds de placement.
Les dirigeants de toutes les places boursières organisèrent une téléconférence avec les membres de la Commission des opérations de Bourse réunis à Washington, et durant les dix premières minutes de confusion complète, toutes les voix exigèrent en choeur des réponses aux questions que chacun posait simultanément. On n'aboutit à rien de concret. Les représentants du gouvernement demandèrent des informations et des rapports, en gros pour savoir à quelle distance du gouffre se trouvait le troupeau et à quelle vitesse il s'en approchait, mais sans contribuer le moins du monde aux efforts pour ramener le bétail en lieu s˚r. Le directeur de Wall Street résista à son impulsion première
fermer ou, par un moyen quelconque, ralentir les transactions. Pendant le temps que dura leur discussion - vingt minutes àpeine -, le Dow Jones était encore descendu de quatre-vingtdix points, avait franchi la barre des deux cents points de dégringolade en chute libre et il s'approchait maintenant de celle des
trois cents. Après que les commissaires de la COB eurent levé la séance pour tenir leurs propres conférences dans leurs établissements respectifs, les dirigeants des places boursières enfreignirent les instructions fédérales en discutant ensemble de l'éventualité de prendre des mesures communes, mais malgré leur habileté, il n'y avait rien à faire pour le moment.
Désormais, tous les petits porteurs attendaient, pendus au téléphone d'un bout à l'autre du pays. Ceux dont les fonds de placement étaient gérés par des banques apprirent une nouvelle particulièrement inquiétante. Oui, leurs fonds étaient dans les banques. Oui, ces banques étaient garanties par l'…
tat. Mais non, les fonds de placement gérés par ces banques au nom de leurs déposants n'étaient pas protégés par la Caisse fédérale de dépôt. Ce n'était donc pas uniquement l'intérêt des placements qui était en jeu, mais également le principal. La réponse à cette nouvelle était en général un silence d'une dizaine de secondes, et dans la plupart des cas, les gens prirent leur voiture pour se précipiter àla banque et solder tous leurs autres comptes de dépôt.
L'affichage de la cote à Wall Street avait maintenant quatorze minutes de retard, nonobstant les ordinateurs ultra-rapides qui enregistraient les fluctuations des cours. Une poignée de titres arrivaient malgré tout à
monter, mais c'était pour l'essentiel les métaux précieux. Sinon, la chute était générale. A présent, tous les grands réseaux télévisés faisaient des directs depuis Wall Street. A présent, tout le monde était au courant.
Cummings, Cantor & Carter, une firme qui était sur le marché depuis cent vingt ans, se retrouva à court de liquidités, obligeant son président à
faire appel en catastrophe à Merrill Lynch. Ce qui mettait son homologue dans une position bien délicate. Lui qui était l'aîné et le plus fin des professionnels du marché, il avait failli se briser le poignet une demi-heure plus tôt en frappant son bureau pour exiger des réponses que personne n'avait. Des milliers de gens non seulement achetaient des actions par l'intermédiaire de sa société, mais ils avaient pris des participations dans celle-ci, séduits par son sérieux et son intégrité. Le président pouvait opérer un mouvement stratégique pour protéger un autre pilier du système contre une panique infondée, ou bien il pouvait refuser, en préservant l'argent de ses actionnaires. Le dilemme était sans issue.* Refuser d'aider la CC&C allait presque à coup s˚r entiairier une escalade dans la panique et nuire à tel point au marché que l'argent préservé en refusant d'aider son rival se retrouverait perdu de toute manière. Mais proposer son aide à la CC&C pouvait ne s'avérer être qu'un geste stérile qui, sans stopper quoi que ce soit, ferait perdre là aussi l'argent des autres.
" Bon Dieu de merde ", murmura le président, en se retournant pour regarder dehors. L'un des sobriquets donnés à la maison était " le Troupeau Grondant
". Eh bien, il ne faisait pas de doute que le troupeau grondait maintenant... Il mettait en balance sa responsabilité vis-à-vis de ses actionnaires contre sa responsabilité à l'égard de tout le système sur lequel ils s'appuyaient, lui comme tous les autres. Les actionnaires devaient passer en premier. Il le fallait. Il n'avait pas le choix. Et c'est ainsi que l'un des principaux acteurs du système précipita l'ensemble de la machine financière au fond du gouffre.
Les transactions sur le parquet de Wall Street s'interrompirent à quinze heures vingt-trois, quand le Dow Jones atteignit son seuil de chute maximale autorisée, qui était de cinq cents points. Ce chiffre ne représentait que la moyenne des trente titres de (indice ; la chute des autres actions dépassait de loin la perte sur les principales valeurs-phares du marché. Le déroulant mit encore une demi-heure à réagir, donnant l'illusion d'une poursuite de (activité, alors que tout le monde au parquet se dévisageait sans un mot, au milieu du plancher recouvert d'un tapis de bouts de papier. On était vendredi, se disaient-ils tous. Demain, c'était samedi. Tout le monde se retrouverait chez soi. Tout le monde pourrait souffler un bon coup et réfléchir. Il ne leur fallait rien de plus, en définitive : juste un peu de temps pour réfléchir. Rien de tout cela ne tenait debout. Tout un tas de gens avaient salement morflé, mais le marché
allait réagir, et le temps aidant, ceux qui auraient eu l'astuce et le cran de résister pourraient récupérer l'intégralité de leur mise. Encore faudrait-il que tout le monde emploie son temps intelligemment, se dirent-ils, et que ne survienne pas un nouveau vent de foie.
Ils avaient presque raison.
Au siège de la DTC, tout le monde avait dénoué sa cravate et faisait de fréquents aller retour aux toilettes, à cause des quantités de café et de soda ingurgitées durant cet après-midi de folie, mais à quelque chose malheur est bon. On avait décidé d'anticiper la clôture, ce qui leur permettait de se mettre au boulot sans tarder. Une fois consignés les ordres émanant des diverses places, les ordinateurs basculèrent d'un mode d'opération à un autre. Les enregistrements sur bande des transactions de la journée furent relus pour être collationnés et transmis. Il était près de dix-huit heures quand un bip d'alerte retentit sur l'une des stations de travail.
" Rick, j'ai comme un petit problème, là! "
Rick Bernard, responsable contrôleur système, s'approcha et regarda l'écran pour voir la raison du signal d'alarme.
La dernière transaction qu'ils pouvaient identifier, à midi pile ce jour-là, était pour Atlas Milacron, une société de machinesoutils en pleine expansion gr‚ce aux commandes des constructeurs automobiles, avec un ordre d'achat de six mille actions à48 1/2. Comme Atlas était cotée à la Bourse de New York, son action était identifiée par un acronyme de trois lettres, AMN en l'occurrence. Les titres cotés au NASDAq employaient des codes à
quatre lettres.
L'inscription suivante, immédiatement après AMN 6000 48 1/2 était AAA 4000
67 1/8, et la suivante encore, AAA 9000 51 1 /4. En fait, lorsqu'on faisait défiler l'écran, toutes les transactions inscrites après 12:00:01 portaient le même code d'identification de trois lettres parfaitement dénué de sens.
" Passe sur le Bêta ", dit Bernard. La cartouche de sauvegarde du premier système de secours fut chargée. " Fais défiler.
- Merde! "
En cinq minutes, les six systèmes avaient été contrôlés. Chaque fois, toutes les transactions enregistrées n'étaient que du charabia. Il n'y avait pas le moindre archivage directement accessible des transactions effectuées après douze heures. Pas une société de Bourse, pas un investisseur institutionnel, pas un particulier n'avait le moyen de savoir ce qu'il avait acheté ou vendu, ni à qui, ni pour combien ; et donc, aucun n'était en mesure de savoir quelle quantité d'argent était disponible pour d'autres activités commerciales ou, tout bêtement, pour aller faire des courses chez l'épicier du coin.
ordinaire - le dîner officiel était habillé, encore un changement récent dans la vie mondaine moscovite - qui l'attendait à la porte. Il tira sa femme par le bras pour s'approcher.
" qu'est-ce qui se passe ?
- Dr Ryan, il faut que je voie le Président immédiatement.
- Cathy, peux-tu rester ici une seconde ? " Puis, au fonctionnaire de l'ambassade : " Suivez-moi.
- Oh, Jack... " Sa femme s'accrocha à son bras.
" Vous l'avez par écrit ? demanda Ryan, la main tendue.
- Tenez, monsieur. " Ryan prit les télécopies et les parcourut en retraversant le salon.
" Bordel de merde. Venez... " Le Président Durling bavardait encore avec le président GrouchavoÔ quand Ryan apparut avec le jeune attaché d'ambassade sur les talons.
" quelle soirée, Jack ", observa Roger Durling, ravi. Puis son expression changea. " Des problèmes ? "
Ryan acquiesça, en prenant son air de conseiller. " On a besoin de Brett et Buzz, monsieur le président, immédiatement. "
20
Frappe Trois
LA fête s'acheva bien après minuit. Le spectacle officiel avait été une sorte de ballet donné sur une scène centrale. Le BolchoÔ n'avait rien perdu de sa magie, et la disposition du salon permettait aux invités de voir les danseurs plus près qu'ils ne les avaient jamais contemplés, mais maintenant que les derniers rappels s'étaient tus et que les mains étaient encore rougies par trop d'applaudissements, l'heure était venue pour le personnel de sécurité de faire évacuer la salle. Presque tous les convives avaient la démarche hésitante ; pas de doute, nota Ryan, c'était effectivement lui le moins pompette de tous les invités, y compris son épouse.
" Alors, Daga, qu'est-ce que vous en pensez ? " demanda Ryan à l'agent spécial Helen D'Agustino. Sa garde du corps allait chercher les pardessus.
" J'en pense que, rien qu'une fois, j'aimerais bien pouvoir faire la fête avec les pontes. " Puis elle secoua la tête comme une mère déçue par ses enfants.
" Oh, Jack, je sens que demain je vais être dans un état... "annonça Cathy.
La vodka d'ici passait vraiment trop bien.
" Je t'avais prévenue, chérie. D'ailleurs, ajouta méchamment son mari, on est déjà demain.
- Excusez-moi, il faut que j'aille m'occuper de SAUTEUR. "qui était le nom de code employé par le Service secret pour désigner le Président, hommage au temps de son service dans les paras.
Ryan fut surpris d'apercevoir un Américain vêtu d'un complet
" Les voilà. " Le radar SPY-1D du Mutsu dessina la pointe avant de la formation américaine sur l'écran quadrillé. Le contreamiral - Shoho - Sato contempla son officier d'opérations avec un air impassible qui restait indéchiffrable pour le reste de la passerelle mais en disait long au capitaine de frégate - Issa -qui savait, lui, en quoi consistait réellement l'exercice PARTENAIREs. Le moment était venu désormais de discuter de choses sérieuses avec le CO du destroyer. Les deux formations étaient éloignées de cent quarante nautiques et devraient se rencontrer en fin d'après-midi, estimaient les deux officiers, en se demandant comment le capitaine du Mutsu réagirait à la nouvelle. Non qu'il ait vraiment le choix, de toute façon.
Dix minutes plus tard, un Socho, ou maître principal, sortait sur le pont pour vérifier le lance-torpilles Mark 68 b‚bord. Ouvrant d'abord la trappe de visite à la base de sa monture, il lança un test de diagnostic électronique des trois " poissons "installés dans le lanceur tri-tubes.
Satisfait du résultat, il referma le panneau, puis ouvrit successivement la trappe de culasse de chacun des tubes, pour ôter le verrouillage des propulseurs sur
chaque torpille Mark 50. Le Socho avait vingt ans de service dans la rparine, et il s'était acquitté de la t‚che en moins de dix minutes. Puis il prit ses outils et gagna le flanc tribord pour répéter la manceuvre sur le lanceur symétrique installé de l'autre côté du destroyer. Il n'avait aucune idée de la raison pour laquelle on lui avait donné cet ordre, et il n'avait rien demandé. Encore dix minutes et le Mutsu passa en configuration de lancement. Modifié à partir des plans d'origine, le destroyer exhibait maintenant un hangar télescopique qui lui permettait d'embarquer un unique hélicoptère SH-60J de lutte anti-sous-marins, également bien utile pour les missions de surveillance. On avait réveillé l'équipage et préparé
l'appareil, ce qui exigeait près de quarante minutes, mais finalement il décolla, commença par décrire un cercle autour de la formation, avant de s'éloigner, son radar àvisée vers le bas examinant la formation américaine qui poursuivait sa route vers l'ouest en filant dix-huit noeuds. L'image radar était retransmise au vaisseau-amiral Mutsu.
" Ce doit être les deux porte-avions, à trois mille mètres d'écart, dit l'officier de commandement en tapotant l'écran.
- Vous avez vos ordres, commandant, dit Sato.
- Hai ! " répondit le capitaine commandant le Mutsu, en gardant pour lui son opinion.
" Bon Dieu, mais qu'est-ce qui s'est passé ? " demanda Durling. Ils s'étaient réunis dans un coin, isolés des autres par le personnel des services de sécurité russe et américain.
" On dirait bien que Wall Street nous a fait une grosse colère ", répondit Ryan, qui avait eu plus de temps pour considérer la situation. Ce n'était pas exactement une analyse pénétrante.
" La cause ? intervint Fiedler.
- Aucune raison logique à ma connaissance ", dit jack, en cherchant des yeux le café qu'il avait demandé. Il en avait bien besoin, et ses trois interlocuteurs encore plus.
" Jack, c'est vous qui avez l'expérience la plus récente en matière boursière, observa le ministre des Affaires étrangères.
- Ouvertures de portefeuille, conseil en investissement, non, je n'ai pas vraiment fréquenté Wali Street, Buzz. " Le chef du Conseil national de sécurité marqua un temps, indiqua les télécopies. " Apparemment, on n'a pas grand-chose à se mettre sous la dent.
quelqu'un s'est excité sur les bons du Trésor, l'hypothèse pour l'heure la plus probable est qu'on aura voulu jouer sur les parités relatives du dollar et du yen, et que les choses se seront quelque peu emballées.
- quelque peu ? intervint Bob Hanson, juste histoire de faire remarquer sa présence.
- …coutez, le Dow Jones a accusé une grosse chute, jusqu'à un seuil plancher, et les gens ont deux jours devant eux pour se ressaisir. C'est déjà arrivé. On reprend l'avion demain soir, exact?
- Il faut absolument réagir tout de suite, décida Fiedler. Faire une déclaration quelconque...
- quelque chose de neutre et de rassurant, suggéra Ryan. Le marché est comme un avion. Il est tout à fait capable de voler de ses propres ailes si on le laisse faire. On a déjà connu ça, vous vous souvenez ? "
Le ministre Bosley Fiedler - " Buzz " remontait au temps du base-ball chez les minimes - était un universitaire. Il avait écrit des essais sur le système financier américain, sans en avoir jamais été vraiment un acteur.
L'avantage, c'est qu'il savait prendre du recul et resituer l'économie dans sa perspective historique. Sa réputation professionnelle était celle d'un expert en politique monétaire. L'inconvénient, Ryan le voyait maintenant, c'est que Fiedler n'avait jamais été courtier, qu'il n'avait même jamais vraiment réfléchi au problème, et qu'il manquait par conséquent de la confiance caractéristique d'un vrai joueur dans une telle situation, ce qui expliquait son empressement à solliciter l'avis de Ryan. Ma foi, se dit ce dernier, c est plutôt bon signe, non ? Il savait ce qu'il ne savait pas.
Pas étonnant que tout le monde le dise intelligent.
" Nous avons installé des ralentisseurs et autres garde-fous après l'expérience de la dernière fois. Ce phénomène-ci les a tous pulvérisés. Et en moins de trois heures ", ajouta, gêné, le ministre des Finances, en se demandant, en bon universitaire, pourquoi d'excellentes mesures théoriques n'avaient pas réussi à marcher comme prévu.
" Exact. Ce sera intéressant de savoir pourquoi. Rappelez-vous, Buzz, c'est déjà arrivé.
= La déclaration ", dit le Président : un mot, un ordre.
Fiedler opina, réfléchit un instant avant de parler. " Bien, on dit que le système est foncièrement sain. Nous avons toutes sortes de protections automatiques. Il n'y a pas de problème sous-jacent avec le marché boursier ou l'économie américaine. Merde, on est en pleine croissance, non ? Et la LRCE va générer au bas mot un demi-million d'emplois industriels dans l'année qui vient. C'est un chiffre concret, ça, monsieur le président.
C'est ce que je dirais, pour l'instant.
- Et pour le reste, on verra après notre retour ?
- C'est mon avis ", confirma Fiedler.
Ryan opina d'un hochement de tête.
" Parfait, mettez la main sur Tish et sortez-moi ça tout de suite. "
Il y avait un nombre inhabituel de vols charters, mais l'aéroport international de Saipan n'avait pas une telle activité, malgré la longueur de ses pistes, et tout accroissement des
mouvements signifiait un accroissement des taxes aéroportuaires. Du reste, on était en fin de semaine. Sans doute une quelconque association, estima le chef contrôleur dans sa tour, quand le premier 747 arrivé de Tokyo entama son approche finale. Depuis peu, Saipan connaissait un surcroît de popularité auprès des hommes d'affaires nippons. Une récente décision de justice avait annulé les dispositions constitutionnelles interdisant aux étrangers d'être propriétaires de terres. Et de fait, plus de la moitié de l'île était entre des mains étrangères, ce qui ne laissait pas d'inquiéter les indigènes Chamorros, mais pas au point d'en empêcher un bon nombre de prendre l'argent et de quitter la terre. La situation devenait délicate.
Certaines fins de semaine, les Japonais étaient plus nombreux que les résidents du cru et, comme de juste, ils traitaient ces derniers comme des... autochtones.
" Et doit aussi y en avoir un paquet pour Guam ", nota le radariste, en examinant sur son écran la file de trafic qui poursuivait sa route vers le sud.
" Le week-end. Golf et pêche au gros ", observa son supérieur qui attendait avec impatience la fin. de son quart. Les Japs - il ne les aimait pas trop
- n'allaient plus aussi souvent en ThaÔ-
lande pour leurs escapades sexuelles. Ils étaient trop nombreux àen avoir ramené des cadeaux désagréables. En tout cas, ils n'hésitaient pas à
claquer du fric ici, des masses de fric, et pour avoir le privilège de le faire ce week-end, ils avaient embarqué sur leurs jumbo-jets aux alentours de deux heures du matin...
Le premier 747 affrété par la JAL se posa à quatre heures trente, heure locale, ralentit et vira pour dégager la piste juste àtemps pour laisser l'appareil suivant achever son approche. Le commandant Torajiro Sato prit à
droite la voie de circulation, en cherchant des yeux un détail inhabituel.
Il n'en escomptait pas, même pour une mission comme celle-ci. Une mission?
songea-t-il. C'était un terme qu'il n'avait plus utilisé depuis qu'il pilotait un F-86 dans les forces aériennes d'autodéfense. S'il y était resté, il serait aujourd'hui un Sho, voire commanderait l'armée de l'air de son pays. Est-ce que ça n'aurait pas été magnifique ? Au lieu de ça... au lieu de ça, il avait quitté ce service pour entrer chez Japan Air Lines, car en ce temps-là, on y était bien plus respecté. Il en avait eu honte à
l'époque et, aujourd'hui, il espérait bien changer définitivement cet état de fait. Ce serait une authentique armée de l'air désormais, même si elle était loin d'être commandée par un homme de son envergure.
Il restait toujours un pilote de chasse dans l'‚me. On n'avait guère l'occasion de faire des trucs palpitants aux commandes d'un 747. Certes, il avait connu une sérieuse alerte en vol huit ans auparavant, une panne hydraulique partielle qu'il avait gérée avec une telle maîtrise qu'il n'avait pas cru bon d'en avertir les passagers. Hormis l'équipage, personne n'avait rien remarqué. Son exploit était désormais intégré au programme de base de l'entraînement sur simulateur pour les pilotes de 747. En dehors de ce moment de tension bref mais gratifiant, il était un parangon de précision. Il était devenu une légende dans une compagnie aérienne mondialement réputée pour son excellence. Il savait lire les cartes météo comme un devin, décider du point précis o˘ son train principal toucherait le bitume de la zone de contact, et il n'avait jamais eu plus de trois minutes de retard sur l'horaire d'arrivée.
Même en roulage au sol, il conduisait son engin monstrueux comme si c'était une voiture de sport. Et il en était de même aujôurd'hui, alors qu'il approchait des passerelles, réduisait la puissance, orientait la roulette du train les freins, pour s'arrêter avec précision.
" Bonne chance, Nisa ", dit-il au lieutenant-colonel Seigo Sasaki qui s'était installé sur le strapontin de cabine pour l'approche, tout en continuant de parcourir du regard le sol, sans rien y découvrir de particulier.
Le commandant du groupe d'opérations spéciales se précipita vers l'arrière.
Ses hommes appartenaient à la pe brigade aéroportée, d'habitude basée à
Narashino. Il y avait deux compagnies àbord du 747 : trois cent quatrevingts hommes. Leur première mission était de s'assurer le contrôle de l'aéroport. Il espérait que ce ne serait pas difficile.
Le personnel de la JAL à la porte d'embarquement n'avait pas été prévenu des événements de la journée ; ils furent surpris de découvrir que tous les passagers débarquant du vol charter étaient des hommes, à peu près tous du même ‚ge, qu'ils portaient tous en bandoulière des sacs allongés parfaitement identiques, et que les cinquante premiers avaient leur blouson dégrafé et la main glissée à l'intérieur. quelques-uns portaient des écritoires à pince avec les plans du terminal, car ils n'avaient pas eu le temps de répéter convenablement la mission. Pendant que les bagagistes s'occupaient d'extraire les conteneurs des soutes arrière, d'autres soldats se rendirent vers la zone des bagages et, passant sans encombre sous les pancartes marquées R…SERV… AU PERSONNEL, ils entreprirent de déballer l'armement lourd. A une autre passerelle, un deuxième avion de ligne venait d'arriver.
Le colonel Sasaki s'immobilisa au milieu du terminal, regarda à gauche et à
droite pour surveiller le déploiement d'une quinzaine de ses hommes, et constata qu'ils faisaient leur boulot correctement et dans le calme.
" Excusez-moi ", dit un sergent à un vigile assoupi qui avait l'air de s'ennuyer. L'homme leva les yeux pour découvrir un sourire, et les baissant, il vit que le sac à dos de l'homme était ouvert et que sa main tenait un pistolet. Le garde resta comiquement bouche bée et le soldat le désarma sans la moindre résistance. En moins de deux minutes, les six autres gardes de quart au terminal étaient également neutralisés. Un lieutenant mena une escouade
avant, puis serrait enfin
au bureau de la sécurité o˘ trois autres hommes furent désarmés et menottes. Durant tout ce temps, leur colonel recevait un flot continu de brefs messages radio.
Le chef de la tour pivota quand la porte s'ouvrit - un garde n'avait pas eu besoin d'être trop encouragé pour donner sa carte magnétique et taper le code d'entrée sur le clavier -, révélant trois hommes armés de fusils automatiques.
" Bon Dieu, qu'est-ce qui...
- Vous allez poursuivre votre t‚che comme si de rien n'était ", lui dit un capitaine - ich¸ pour les Japonais. " Mon anglais est excellent. Alors je vous en prie, pas de bêtises. " Sur quoi, il saisit un micro et s'exprima en japonais. La première phase de l'opération KABOUL était achevée avec trente secondes d'avance, et sans la moindre violence.
Le second contingent de soldats neutralisa la sécurité de (aéroport. Ces hommes, qui étaient en uniforme pour être s˚rs que tout le monde sache ce qui se passait, prirent place à toutes les entrées et tous les points de contrôle, réquisitionnant des véhicules officiels pour aller installer de nouveaux barrages sur les voies d'accès à l'aéroport. Ce n'était pas franchement difficile, vu que celui-ci était situé à l'extrême pointe méridionale de l'île et que toutes les approches se faisaient par le nord.
Le commandant du second détachement releva le colonel Sasaki. Le premier se chargerait de superviser le débarquement du reste des éléments de la 1 'e brigade aéroportée affectée à l'opération KABOUL. Le dernier avait d'autres t‚ches à accomplir.
Trois bus d'aéroport rejoignirent le terminal et le colonel Sasaki embarqua dans le dernier, après une ultime inspection pour s'assurer que tous ses hommes étaient présents et convenablement organisés. Ils filèrent aussitôt vers le nord, longeant le club de golf de Dan Dan, qui jouxtait les pistes, puis tournèrent à gauche sur Cross Island Road, qui les amena en vue de la plage de l'Invasion. Saipan n'était pas une grande île, il faisait sombre -
il y avait fort peu de lampadaires - mais cela ne diminua pas l'impression qui frappa l'officier japonais comme un direct à l'estomac. Il devait accomplir sa mission dans les temps et conformément au planning, sinon il risquait la catastrophe. Le colonel consulta sa montre. Le premier avion devait être en train d'atterrir à Guam, o˘ la possibilité d'une résistance organisée
était bien réelle. Enfin, c'était le boulot de la Pe division. Il avait le sien, qui devait être accompli avant l'aube.
La nouvelle se répandit comme une tra?née de poudre. Rick Bernard donna son premier coup de fil à la Bourse de New York pour signaler le problème et demander conseil. Assuré qu'il ne s'agissait pas d'un accident, il fit les recommandations évidentes, puis avisa aussitôt le FBI, installé près de Wall Street, dans le b‚timent fédéral Javits. Le responsable était un sousdirecteur qui dépêcha illico trois de ses agents au bureau principal de la DTC situé au coeur de Manhattan.
" Apparemment, quel est le problème ? " s'enquit le policier fédéral. La réponse nécessita dix minutes d'explications détaillées, et fut immédiatement suivie d'un appel au sous-directeur responsable.
Le MV Orchid Ace était resté à quai suffisamment longtemps pour qu'on ait pu débarquer une centaine de voitures. Toutes des Toyota Land Cruiser.
S'emparer de la cabane de sécurité avec son unique vigile assoupi se fit, là encore, sans effusion de sang, et permit aux bus d'entrer dans le parc fermé. Le colonel Sasaki avait avec lui un effectif suffisant pour attribuer trois hommes àchaque véhicule, et tous savaient parfaitement ce qu'ils avaient àfaire. Le poste de police de Koblerville et celui installé
sur la colline du Capitole devaient être les premiers points visés, maintenant que ses hommes disposaient d'un moyen de transport. quant à lui, sa mission allait le conduire sur ce dernier site, à la résidence du gouverneur.
C'était pure coÔncidence si Nomuri avait passé la nuit en ville. Il s'était accordé une soirée de liberté, ce qui ne lui arrivait pas souvent, et il s'avisa que pour récupérer d'une soirée en ville, rien ne valait un passage aux bains, une vérité que ses ancêtres avaient découverte près de mille ans plus tôt. Une fois lavé, il prit sa serviette et se dirigea vers le bain chaud, o˘ les vapeurs se chargeraient de lui éclaircir les idées bien mieux que tous les
cachets d'aspirine. Il était persuadé d'émerger revigoré de cet établissement civilisé.
" Kazuo, observa l'agent de la CIA. que fais-tu ici ?
- Surmenage, expliqua l'homme avec un sourire las.
- Yamata-san doit être un patron exigeant ", nota Yomuri en se laissant à
son tour glisser doucement dans l'eau br˚lante. Il avait émis la remarque en passant ; la réponse lui fit tourner la tête.
" Jamais encore je n'avais vu l'histoire en train de se faire ", dit Taoka qui se frotta les yeux et se tortilla légèrement dans l'eau ; il sentait la tension évacuer ses muscles, mais était encore bien trop tendu pour pouvoir s'assoupir, au sortir de dix heures de réunion dans la Salle de guerre.
" Eh bien, mon histoire personnelle de la nuit passée avait les traits d'une hôtesse bien agréable ", répondit Nomuri avec un haussement de sourcils. Une charmante jeune femme de vingt et un ans, en plus, omit-il d'ajouter. Une jeune femme fort intelligente, entourée de nombreux prétendants pour se disputer ses faveurs, mais Nomuri était le plus proche d'elle par l'‚ge, et elle était ravie de pouvoir enfin discuter avec un homme comme lui. Ce n'était pas toujours une question d'argent, songea Chet, en fermant les yeux, un sourire aux lèvres.
" Eh bien, la mienne était autrement excitante.
- Vraiment ? Je croyais que tu avais dit que tu travaillais. "Nomuri se força à rouvrir les yeux. Kazuo avait-il trouvé quelque chose de plus intéressant qu'un fantasme sexuel ?
" Effectivement. "
Il y avait quelque chose dans son ton. " Tu sais, Kazuo, quand tu commences à raconter une histoire, tu dois la finir. "
Un rire, accompagné d'un hochement de tête. " Je ne devrais pas, mais ce sera dans les journaux dans quelques heures.
- quoi donc ?
- Le système financier américain s'est effondré la nuit dernière.
- Vraiment ? que s'est-il passé ? "
L'homme tourna la tête et c'est avec le plus grand calme qu'il formula sa réponse. " J'y ai contribué. "
Cela lui parut incongru, alors qu'il était assis dans une cuve en bois remplie d'une eau à quarante-deux degrés, mais Nomuri ressentit un frisson.
" Wlakarémasen. Je ne comprends pas.
Ce sera clair dans quelques jours. Pour l'heure, je dois rentrer. "
L'employé se leva et sortit, tout content d'avoir pu partager son rôle avec un ami. A quoi bon détenir un secret, après tout, s'il n'y avait pas une personne au moins à le savoir ? Un secret pouvait être sublime, et dans une société comme celleci, d'autant plus précieux qu'il demeurait jalousement gardé.
Bon sang, que se passe-t-il ? se demanda Nomuri.
" Les voilà. " La vigie tendit le doigt et l'amiral Sato éleva ses jumelles pour regarder. Pas de doute, sur le ciel limpide du Pacifique ressortait à
contre-jour le sommet des m‚ts des b‚timents de tête repérés sur leur écran : des frégates FFG-7, à en juger par la forme de leurs barres de flèche. L'image radar était claire désormais : une formation circulaire classique, les frégates à l'extérieur, puis un second anneau de destroyers, et au centre deux ou trois croiseurs Aegis, pas très différents de son propre vaisseauamiral. Il vérifia l'heure. Les Américains venaient de prendre le quart du matin. Même s'il y avait toujours des hommes de quart sur un b‚timent de guerre, les corvées sérieuses étaient toujours synchronisées avec le jour, et les marins devaient être en train de quitter leurs couchettes, prendre une douche et se préparer àpetit déjeuner.
L'horizon visuel était à environ douze nautiques. Son escadron de quatre b
‚timents progressait vers l'est à trente-deux noeuds, leur vitesse de croisière maximale. Les Américains filaient plein ouest à dix-huit.
" Signalez par lampe Aldis à la formation : pavoisez les navires. "
Les principales installations de liaison montante satellite de Saipan étaient situées à l'écart de Beach Road, la route de la plage, non loin du Sun Inn Motel. La station était exploitée par MTC Micro Telecom. C'était une installation civile parfaitement banale, le principal souci de ses constructeurs ayant été de la protéger des typhons d'automne qui venaient régulièrement cingler l'île. Dix soldats, sous les ordres d'un chef de bataillon, gagnèrent la porte principale et n'eurent aucun mal à entrer et maîtriser le gardien qui n'avait pas la moindre idée de ce qui se passait et, là non plus, ne chercha même pas à dégainer son arme de service.
L'officier qui accompagnait le détachement était un capitaine formé aux transmissions. Il lui suffit d'indiquer les divers appareils installés dans le PC de combat. Aussitôt, les liaisons téléphoniques avec les satellites du Pacifique par lesquelles transitaient les diverses communications entre Saipan et l'Amérique furent coupées ; seules les liaisons montantes vers le Japon restaient maintenues - elles passaient par un autre satellite et étaient doublées par c‚ble -, sans interférer avec les liaisons descendantes. A cette heure matinale, ce n'était pas vraiment une surprise qu'aucun circuit téléphonique avec l'Amérique ne soit actif. Cette situation allait se prolonger un certain temps.
" qui êtes-vous ? demanda la femme du gouverneur.
- Il faut que je voie votre mari, répondit le colonel Sasaki. II y a urgence. "
Un fait aussitôt confirmé par le premier coup de feu de la journée, lorsque le garde posté devant le b‚timent législatif réussit à dégainer son pistolet. Il n'eut pas le temps de tirer une balle - un sergent parachutiste zélé y veilla - mais cela suffit pour que Sasaki fronce les sourcils avec colère et bouscule la femme. C'est alors qu'il avisa le gouverneur Comacho qui s'approchait, en peignoir.
" qu'est-ce que c'est ?
- Vous êtes mon prisonnier ", annonça Sasaki ; trois autres hommes l'avaient rejoint et prouvaient qu'il n'était pas un cambrioleur. Le colonel se sentait gêné. Il n'avait encore jamais rien fait de semblable et, bien que soldat de métier, comme tout un chacun il voyait d'un fort mauvais oeil l'invasion du domicile d'un tiers, quelle que puisse en être la raison. Il se prit à espérer que les coups de feu entendus n'avaient pas été fatals. Ses hommes avaient des ordres en ce sens.
" quoi ? s'exclama Comacho. Sasaki se contenta d'indiquer le divan.
- Asseyez-vous, vous et votre femme, je vous prie. Nous ne vous voulons aucun mal.
- que se passe-t-il ? demanda l'homme, soulagé de constater que son épouse et lui ne couraient sans doute aucun danger immédiat.
- Cette île appartient dorénavant à mon pays ", expliqua le colonel Sasaki.
«a ne devait pas pas être si grave, non ? Le gouverneur avait plus de soixante ans, et il devait bien se rappeler l'époque o˘ il en était déjà
ainsi.
" «a lui a fait un putain de chemin pour arriver ici ", observa le capitaine Kennedy après avoir pris connaissance du message. Il s'avéra que le contact en surface était le Muroto, une vedette des gardes-côtes japonais qui participait à l'occasion aux manoeuvres navales, en général à
titre de cible d'entraînement. …légante, avec sa faible hauteur de franc-bord typique des b‚timents de guerre nippons, elle était équipée à
l'arrière d'une grue pour récupérer les torpilles d'exercice. Apparemment, le Kurushio avait escompté en tirer quelques-unes dans le cadre de l'exercice PARTENAIRES. L'Asheville n'en avait-il pas été averti ?
" Première nouvelle, commandant, dit le navigateur qui feuilletait l'interminable listing de l'ordre de mission.
- 'S'rait pas la première fois que les gratte-papier s'emmêlent les pinceaux. " Kennedy se permit un sourire. " C'est bon, on en a suffisamment tué. " Il pressa de nouveau la palette du micro. " Très bien, commandant, nous allons rejouer le dernier scénario. Démarrage dans vingt minutes à
compter de maintenant.
- Merci, commandant, vint la réponse sur la VHF. Terminé. " Kennedy reposa le micro. " Barre à gauche, dix degrés. En avant un tiers. Profondeur trois cents pieds. "
Au central machines, on confirma et exécuta les ordres, amenant l'Asheville cinq milles plus à l'est. A cinquante milles àl'ouest de sa position l'USS
Charlotte décrivait en gros la même manceuvre, exactement au même moment.
La partie la plus délicate de l'opération KABouL, se déroulait àGuam.
L'île, qui était possession américaine depuis bientôt un siècle, était la plus vaste de l'archipel des Mariannes, et possédait un port et de véritables installations militaires. Rien que dix ans plus tôt, l'opération e˚t été impossible. Naguère encore, le
défunt Strategic Air Command y avait basé des bombardiers nucléaires. La marine américaine y entretenait une base de sousmarins lance-missiles, et les mesures de sécurité exigées par les deux armes auraient fait d'une telle mission une folie. Mais les armes nucléaires avaient toutes disparu -
les missiles, en tout cas. Aujourd'hui, la base dAndersen, à trois kilomètres au nord de Yigo, n'était guère plus qu'un aérodrome commercial qui servait d'escale aux vols transpacifiques de l'armée américaine. Aucun appareil n'y était réellement affecté, à l'exception d'un unique jet d'affaires utilisé par le commandant de la base, reliquat du temps o˘ le 13e escadron aérien était basé sur l'île. Les avions-ravitailleurs qui avaient jadis leur base permanente sur Guam étaient désormais des formations de réserve transitoires qui allaient et venaient à la demande.
Le commandant de la base était un colonel qui n'était plus loin de la retraite, et il n'avait sous ses ordres que cinq cents hommes et femmes, des techniciens pour l'essentiel. Il n'y avait que cinquante soldats armés, appartenant à la police militaire de l'aviation. Le schéma était à peu près identique à la base navale qui partageait désormais l'aérodrome avec l'Air Force. Les Marines jadis chargés de la sécurité à cause des stocks d'armes nucléaires avaient été remplacés par des gardiens civils, et les superstructures grises avaient déserté le port. Pourtant, cette phase de la mission demeurait la plus délicate. Les pistes d'Andersen allaient être cruciales pour le bon déroulement de l'opération.
" Jolis b‚timents " , remarqua tout haut Sanchez, en les contemplant à la jumelle, depuis son siège sur la passerelle. " Et en formation bien serrée, en plus. "
Les quatre Kongo se couvraient mutuellement, à huit milles environ de distance, nota le CAG.
" Ils ont déployé leurs tubes ? " demanda le chef d'escadre aérienne. Il semblait en effet apercevoir des traits blancs sur les flancs des quatre destroyers en approche.
" Ils rendent les honneurs, mouais, sympa de leur part. " Sanchez décrocha le téléphone et pressa le bouton de la passerelle de navigation. "
Commandant ? Ici le CAG. Il semble que nos amis tiennent à respecter les formes.
- Merci, Bud. " L'officier commandant le Johnnie Reb avertit ~ son tour le commandant du groupe de combat de l'Enterprise.
" quoi ? fit Ryan en décrochant son téléphone.
- Décollage dans deux heures et demie, lui dit le secrétaire du Président.
Soyez prêt à partir dans quatre-vingt-dix minutes.
- Wall Street ?
- Exact, Dr Ryan. Il pense que nous ferions mieux de rentrer un peu plus tôt. Nous avons informé les Russes, le président GrouchavoÔ comprend.
- Parfait, merci ", dit Ryan, qui n'en pensait pas un mot. Lui qui avait eu l'intention de faire un saut voir Narmonov, juste une petite heure. Puis ce fut le moment de la partie de rigolade. Il se pencha et secoua sa femme pour la réveiller.
Un grognement : " Surtout, me dis rien...
- Tu pourras finir ta nuit dans l'avion. Faut qu'on ait remballé et dégagé
d'ici une heure et demie.
- Hein ? Pourquoi ?
- On part plus tôt. Des problèmes chez nous. Une nouvelle dégringolade à
Wall Street.
- Grave ? " Cathy ouvrit les yeux, se massa le front, reconnaissante de voir qu'il faisait encore nuit, jusqu'à ce qu'elle consulte sa montre.
" Sans doute une mauvaise indigestion.
- quelle heure est-il ?
- L'heure de se préparer à partir. "
" On a besoin d'espace pour manoeuvrer, dit le capitaine de frégate Harrison.
- Pas con, le mec, hein ? " La question de l'amiral Dubro était toute rhétorique. L'ennemi, en la personne de l'amiral Chandraskatta, avait viré
à l'ouest la nuit précédente, ayant sans doute enfin saisi que le groupe de combat de l'Eisenhower et du Lincoln n'était pas là o˘ il l'avait supposé
en définitive. Cela ne lui laissait clairement qu'une seule possibilité : filer vers l'ouest, et coincer les Américains contre l'archipel appartenant en grande
partie à l'Inde. La moitié de la VIIe flotte de la marine américaine, cela représentait certes un arsenal puissant, mais cette puissance serait réduite de moitié si sa position venait à être connue. Tout l'intérêt des manceuvres de Dubro, jusqu'ici, avait été de maintenir l'autre dans l'expectative. Bon, il avait fait son choix. Et pas mauvais, en vérité.
" quel est l'état de nos réserves en carburant ? " demanda Dubro, en pensant à ses navires d'escorte. Les deux porte-avions pouvaient tenir jusqu'à ce qu'ils soient à court de vivres. Pour leur combustible nucléaire, ça n'arriverait pas avant des années.
" Tout le monde est à quatre-vingt-dix pour cent. La météo s'annonce bonne pour les prochaines quarante-huit heures. On pourra pousser les machines s'il le faut.
- Vous pensez la même chose que moi?
- Il ne va pas laisser ses avions s'approcher trop près de la c^te sri lankaise. Ils risqueraient d'a par A re sur les radars de o
p ait
contrôle aérien et d'amener les gens à se poser des questions. Si on met le cap au nord-est, puis à l'est, on pourra doubler le cap de Dondra dans la nuit, et redescendre en contournant vers le sud. On a une chance sur deux de passer inaperçus. " L'amiral n'aimait pas les paris joués dans ces conditions. Cela voulait dire qu'il y avait tout autant de chances que quelqu'un voie leur for mation, et dans ce cas, la flotte indienne pourrait virer au nord est, contraignant les Américains soit à s'éloigner un peu plus de la côte qu'ils pouvaient ou non chercher à protéger, soit à enga ger la confrontation. On ne pouvait pas s'amuser longtemps à ce petit jeu, estimait Dubro, sans que quelqu'un demande à voir vos cartes.
" On force le passage aujourd'hui sans se faire repérer ? " Solution évidente, également. La formation enverrait ses avions sur les Indiens directement depuis le sud, dans l'espoir de les leurrer dans cette direction. Harrison présenta son plan d'opérations aériennes pour la journée.
" Faites. "
Huit sonneries retentirent sur le réseau d'interphone I-MC du b‚timent. II était seize heures. Les équipes du soir relevèrent celles assurant le quart de l'après-midi. Les officiers et les hommes - parmi eux, désormais, également des femmes - échangèrent leurs postes. Les pilotes du Johnnie Reb étaient dans leurs quartiers, soit à se reposer, soit à revoir les résultats de l'exercice maintenant achevé. Leurs appareils étaient pour moitié garés sur le pont d'envol, et pour moitié
entassés dans les hangars inférieurs. quelques-uns étaient en révision, mais la majorité des personnels d'entretien étaient également au repos et se consacraient à un passe-temps connu dans la marine sous le nom de "
plage d'acier ". S˚r que ce n'était plus comme dans le temps, remarqua Sanchez, en contemplant les plaques d'acier à revêtement antidérapant. A présent, on voyait aussi des femmes faire de la bronzette, d'o˘ un recours accru aux jumelles pour les hommes de quart sur la passerelle, et un nouveau problème administratif pour sa marine. quel type de costume de bain convenait àdes femmes matelots de la marine américaine ? Au grand dépit de certains, mais au soulagement de la majorité, le verdict avait été les maillots une-pièce. Mais même ceux-là valaient le coup d'être contemplés, quand ils étaient convenablement remplis, se dit le CAG, avant de reporter ses jumelles sur la formation japonaise qui faisait route vers eux.
Les quatre destroyers approchaient rapidement en formation serrée - ils devaient bien filer leurs trente noeuds, histoire de mieux en imposer à
leurs hôtes et ennemis de jadis. Les pavillons de circonstance claquaient au vent
étaient alignés aux bastingages.
" Attention à tous, aboya l'interphone. Les hommes au bastingage b‚bord.
Parés à rendre les honneurs. "
Tous les marins vêtus d'un uniforme présentable se dirigèrent vers les galeries b‚bord sous le pont d'envol, regroupés par sections. C'était un exercice inhabituel sur un porte-avions, et son organisation prit un certain temps, surtout un jour de " plage d'acier ". qu'il soit intervenu au moment de la relève facilita quelque peu les choses : les effectifs décemment vêtus étaient suffisants, bon nombre de marins n'étant pas encore descendus dans leurs quartiers pour se mettre en tenue de bain de soleil.
et les hommes vêtus de blanc
Pour Sato, le dernier acte important de sa mission consista àtransmettre par satellite un top horaire. Parvenu au quartier
général de la flotte, il fut aussitôt relayé sur un autre circuit. Il n'était désormais plus possible d'interrompre l'opération. Les dés étaient pour ainsi dire jetés. L'amiral quitta le PC de combat du Mutsu après l'avoir confié à son officier d'opérations, pour regagner la passerelle et piloter l'escadre.
Le destroyer arriva par le travers des USS Enterprise et John Stennis, exactement à mi-distance des deux porte-avions, à moins de deux mille mètres d'eux. Il filait trente noeuds, tous les hommes étaient à leur poste, à l'exception de ceux montés aux bastingages. Au moment o˘ sa passerelle croisa la ligne invisible reliant celles des deux b‚timents américains, les marins alignés saluèrent à b‚bord et à tribord, rendant impeccablement les honneurs, dans la plus stricte tradition.
Un seul coup de sifflet du bosco retentit dans les haut-parleurs, suivi d'un ordre : " Salut... repos! " Tous les marins alignés sur les galeries du John Stennis cessèrent de saluer. Aussitôt après, ils rompaient les rangs sur trois coups de sifflet lancés par le quartier-maître de quart.
" Bon Dieu, on va peut-être pouvoir se rentrer, maintenant ? "rigola le chef d'escadre aérienne.
L'exercice PARTENAIRES était désormais achevé et (escadre pouvait regagner Pearl Harbor, avec à la clé une nouvelle semaine de maintenance et de permission pour l'équipage, avant son prochain déploiement dans l'océan Indien. Sanchez décida de se caler bien à l'aise dans le fauteuil en cuir pour parcourir quelques documents en profitant de la brise. La vitesse combinée des deux formations entrecroisées entraînait un passage rapide.
" Waouh ! " s'exclama une vigie.
La manoeuvre était allemande à l'origine, et portait le nom de Gfe "
virement bord sur bord au combat ". Dès que le pavillon de signalisation fut hissé, les quatre destroyers virèrent brusquement sur la droite, à
commencer par le dernier de la file. Sitôt que la proue entama son mouvement, le troisième b‚timent vira de bord, puis le second, et enfin le vaisseau-amiral. C'était une manoeuvre destinée à susciter l'admiration des Américains, mais aussi une certaine surprise, vu l'espace de manoeuvre réduit entre les deux porte-avions. En l'affaire de quelques secondes: les destroyers japonais avaient habilement viré de bord, pour filer désormais vers l'ouest à trente noeuds, redépassant les porteavions qu'ils avaient approchés de face un instant plus tôt. Sur la passerelle, plusieurs hommes sifflèrent pour approuver l'audace de la manceuvre. Déjà, les marins japonais avaient quitté les bastingages des quatre destroyers Aegis.
" Eh bien, voilà qui était habilement manoeuvré ", commenta Sanchez, en reportant son attention sur ses documents.
L'USS John Stennis filait normalement, ses quatre hélices tournant à
soixante-dix tours-minute, son équipage en condition trois. Ce qui voulait dire que tous les hommes étaient à leur poste, à l'exception des pilotes de l'aviation navale, qui étaient au repos après plusieurs jours d'activité
soutenue. Des vigies étaient postées tout autour de l'île centrale, et surveillaient normalement le secteur qui leur avait été assigné, même si tous finirent par jeter un coup d'oeil sur les b‚timents japonais parce qu'ils étaient, après tout, fort différents des navires américains.
Certains utilisaient des jumelles 7x50 de marine, en majorité de fabrication japonaise. D'autres étaient penchés sur des " gros yeux ", des binoculaires 20x120 autrement plus massives, montées sur des pieds-colonnes tout autour de la passerelle.
L'amiral Sato était à présent installé sur son siège de commandement, mais il n'avait pas quitté ses jumelles. quel dommage, franchement. C'étaient de si belles unités, de si fiers b‚timents. Puis il se rappela que celui à b
‚bord était l'Enterprise, un nom chargé d'histoire dans la marine américaine, et qu'un vaisseau portant le même nom avait tourmenté son pays, escortant Jimmy Doolittle jusqu'aux côtes japonaises, combattant à Midway, aux Salomon orientales, à Santa Cruz, participant à tous les grands engagements de la flotte, plus d'une fois touché, mais jamais sévèrement.
Le nom d'un ennemi honorable, mais d'un ennemi. C'était ce b‚timent qu'il comptait observer. Il n'avait aucune idée de qui avait pu être John Stennis.
Le Mutsu était passé bien au-delà des porte-avions, pour arriver presque à
la hauteur des destroyers d'escorte avant de faire demi-tour, et revenir à
leur hauteur prit une éternité. L'amiral qui avait enfilé ses gants blancs tepait ses jumelles juste sous la rambarde du bastingage et regardait changer leur angle relatif.
" Relèvement objectif un, trois-cinq-zéro. Objectif deux calé
maintenant au zéro-un-zéro. Allumage solution ", annonça le premier maître.
L'Isso se demandait ce qui se passait et pourquoi, mais surtout, il se demandait s'il survivrait pour raconter un jour cette histoire ; probablement pas.
" Je prends le relais ", dit l'officier d'opérations en se glissant sur son siège. Il avait pris le temps de se familiariser avec le directeur de torpilles. L'ordre avait été déjà transmis et il n'attendait plus désormais que le feu vert. L'officier tourna la clé du verrou d'armement, rabattit le couvercle masquant le bouton de la batterie b‚bord et pressa sur celui-ci.
Puis il fit de même pour le flanc tribord.
Les batteries tritubes montées de chaque côté pivotèrent sèchement vers l'extérieur, jusqu'à former un angle d'une quarantaine de degrés avec l'axe du navire. Les couvercles hémisphériques protégeant les six tubes sautèrent et les " poissons ", éjectés par l'air comprimé, plongèrent dans l'eau, de part et d'autre, à dix secondes d'écart. Leur hélice tournait déjà au moment de l'éjection. Chaque torpille traînait derrière elle un fil de contrôle qui la reliait au PC de combat du Mutsu. Les tubes, désormais vides, pivotèrent pour reprendre leur position d'attente.
" Dieu me tripote! lança une vigie sur le Johnnie Reb.
- qu'est-ce qui se passe, Cindy ?
- Ils viennent de larguer une putain de torpille ! " dit-elle. C'était un matelot breveté (on n'osait pas encore dire matelote), d'à peine dix-huit ans ; c'était sa première affectation et elle apprenait à jurer pour pouvoir rivaliser avec les plus dessalés des membres de l'équipage. Elle tendit brusquement le bras. " Je l'ai vue partir... là !
- T'es s˚re ? " demanda l'autre vigie à ses côtés, en faisant pivoter ses binoculaires sur leur monture. Cindy n'avait que des jumelles à main.
La jeune femme hésita. Elle n'avait encore jamais rien fait de semblable et se demandait quelle serait la réaction de son chef si elle se trompait. "
Passerelle, vigie six, le dernier b‚timent du convoi japonais vient de lancer une torpille ! " Vu les dispositions en cours à bord du porteavions, le message fut retransmis par la sonorisation de la passerelle.
Un niveau en dessous, Bud Sanchez leva les yeux. " qu'est-ce qui c'était que ça ?
- Répétez, vigie six! répéta l'officier de pont.
- Je confirme que j'ai bien vu ce destroyer jap lancer une torpille de son flanc tribord!
- Ici vigie cinq. Je ne l'ai pas vue, monsieur, dit une voix masculine.
- Un peu que je l'ai vue, putain de merde! " s'écria une voix de jeune femme particulièrement excitée - assez fort pour que Sanchez entende son exclamation, sans même l'aide des hautparleurs. Il l‚cha ses papiers, se leva d'un bond et fonça vers la porte d'accès au poste de vigie. Le capitaine dérapa sur les échelons, déchira son pantalon, s'écorcha le genou et il jurait lorsqu'il déboucha sur la galerie.
" Racontez-moi tout, mon chou!
- Je l'ai vue, monsieur, je vous jure que je l'ai vue! "
Elle ne savait même pas qui était Sanchez, et les aigles d'argent cousus à
son col le rendaient suffisamment imposant pour l'effrayer encore plus que la perspective des engins dirigées sur eux, mais elle avait bel et bien vu la torpille, et elle n'en démordait pas.
" Je ne l'ai pas vue, capitaine ", rétorqua l'autre vigie.
Sanchez braqua ses jumelles sur le destroyer, qui n'était plus maintenant qu'à six cents mètres. que diable... Il bouscula l'homme pour s'approprier les binoculaires qu'il orienta vers la plage arrière du vaisseau-amiral japonais. Le triple tube lancetorpilles était bien orienté comme il fallait... mais la bouche des tubes était noire, pas grise. Les bouchons de protection avaient été ôtés... Sans regarder, le capitaine Rafael Sanchez saisit l'interphone de l'homme de guet.
" Passerelle, ici le CAG. Torpilles à l'eau! Torpilles approchant du quart b‚bord! " Il braqua les binoculaires vers l'arrière, cherchant un sillage en surface, mais en vain. Peu importait. Il jura avec violence et se redressa pour découvrir le matelot breveté Cynthia Smithers. " Vrai ou faux, matelot, vous avez fait exactement ce qu'il fallait ", dit-il alors que l'alarme commençait àretentir sur tous les ponts. A peiVe une seconde plus tard, une lampe à éclats se mit à clignoter sur le vaisseau-amiral japonais, à l'adresse du Johnnie Reb.
" Alerte! Alerte! Nous venons d'avoir une défaillance à bord, nous avons lancé plusieurs torpilles ", annonça le commandant du Mutsu au micro du réseau de transmissions tactiques, honteux d'un tel mensonge, alors qu'il entendait les échanges de conversations sur le circuit FM de communications entre navires.
" Enterprise, ici le Fife, nous avons des torpilles à l'eau, annonça une autre voix, encore plus fort.
- Des torpilles... O˘ ça?
- Ce sont des nôtres. Nous avons eu un claquage au PC de combat, reprit aussitôt le Mutsu. Il se peut qu'elles soient armées. " Il vit que le Stennis virait déjà, l'eau bouillonnait à sa proue, brassée par le battement accéléré des hélices. La manoeuvre était vaine même si, avec de la chance, on ne déplorerait pas de victimes.
" qu'est-ce qu'on fait, maintenant, monsieur ? demanda Smithers.
- Réciter deux "je vous salue Marie", peut-être " , répondit Sanchez, l'air sombre. C'étaient des torpilles ASW, n'est-ce pas ? Comme l'indiquait leur sigle, elles étaient destinées à la lutte anti-sous-marins : les charges étaient légères. Elles ne pouvaient pas vraiment faire de mal à un truc aussi gros que le Johnnie Reb, pas vrai ? Il regarda le pont en dessous de lui : des hommes couraient en tous sens, beaucoup encore munis de leur serviette de bain, pour se précipiter à leurs postes de combat.
" Monsieur, je suis censée rejoindre l'équipe d'inspection des dég‚ts numéro neuf, au hangar principal.
- Non, vous restez ici, ordonna Sanchez. Vous, vous pouvez disposer ", ditil au matelot.
Le John Stennis gîtait fortement sur b‚bord. Le brusque virage à tribord en était la cause et le pont vibrait, résonnant du bruit des machines. Un avantage des porte-avions à propulsion nucléaire : ils avaient de la puissance à revendre, mais le b‚timent pesait plus de quatre-vingt-dix mille tonnes et il lui fallait du temps pour accélérer. A moins de deux milles de là, l'Enterprise était plus long à la détente : il venait tout juste d'amorcer son virage. Oh, merde...
" Attention! Attention! Dispersez les Nixie ! " lança la voix de l'officier de quart dans les haut-parleurs.
lies trois torpilles anti-sous-marins Mark 50 qui fonçaient vers le Stennis étaient des petits instruments de destruction intelligents conçus avant tout pour infliger des blessures fatales aux sous-marins en transperçant leur coque. Leur capacité de destruction contre un b‚timent de quatrevingt-dix mille tonnes était àvrai dire limitée, mais il était possible de choisir quel genre de dég‚ts elles allaient occasionner. Se suivant avec un écart d'une centaine de mètres, elles filaient soixante noeuds, guidées chacune par un mince fil isolé. Leur avantage de vitesse sur la cible et la portée réduite garantissaient presque un coup au but, et le brusque virage de bord entrepris par le porte-avions américain n'avait servi qu'à leur offrir un meilleur angle, car toutes étaient ciblées sur les hélices. Au bout de neuf cents mètres de parcours, la tête chercheuse du premier "
poisson " entra en activité. Retransmise au PC de combat du Mutsu, l'image sonar qu'elle générait apparaissait comme une cible jaune vif sur le fond noir de l'écran de guidage, et l'officier de tir la dirigea droit dessus, les deux autres torpilles suivant automatiquement. La zone cible se rapprochait. Huit cents mètres, sept cents, six cents...
" Vous deux, je vous tiens ", dit l'officier. Un instant plus tard, l'image sonar montra le brouillage confus des leurres Nixie, le système américain qui imitait les fréquences ultrasons des torpilles àtête chercheuse. Une récente amélioration du système était d'intégrer un puissant champ magnétique pulsé destiné à neutraliser les mines à influence magnétique mises au point par les Russes. Mais la Mark 50 était une arme à
déclenchement par contact, et gr‚ce au guidage par fil, il pouvait les forcer à ignorer les interférences acoustiques. Ce n'était pas juste, ce n'était pas sportif, mais d'un autre côté, qui a dit que la guerre devait l'être ? demanda-t-il àl'écran de direction de tir - sans obtenir de réponse.
C'était une étrange sensation de déconnexion de la vue, de l'ouÔe et du toucher. Le navire tressaillit à peine quand la première colonne d'eau s'éleva vers le ciel. Le bruit était incontestablement réel et, survenant sans prévenir, il fit sursauter Sanchez, à l'angle b‚bord arrière de l'île.
Sa. première impression fut qu'il n'y avait pas eu trop de bobo, que la torpille avait peut-être explosé dans le sillage du Johnnie Reb. Il se trompait.
La version nippone de la Mark 50 était équipée d'une tête àcharge réduite, soixante kilos seulement, mais c'était une charge creuse, et la première explosa sur le moyeu de l'hélice numéro deux - l'hélice intérieure gauche.
Le choc arracha trois des cinq pales, déséquilibrant une masse qui était en rotation à cent trente tours-minute : les forces en action étaient immenses et firent sauter les paliers et les roulements qui maintenaient l'ensemble du train de propulsion. En un instant, la section postérieure du puits d'arbre de transmission était inondée, et l'eau se mit à pénétrer dans la coque par le point le plus vulnérable. Ce qui se passait plus en avant était encore pire.
Comme la plupart des grands b‚timents de guerre, le John Stennis était propulsé par des turbines à vapeur. Dans son cas, c'étaient deux réacteurs nucléaires qui produisaient celle-ci par vaporisation directe dans un circuit primaire. Cette vapeur entrait dans un échangeur pour transmettre sa chaleur (mais pas sa radioactivité) à l'eau d'un circuit secondaire, dont la vapeur allait à l'arrière alimenter une turbine à haute pression.
La vapeur frappait les pales de la turbine, qui tournait un peu comme les ailes d'un moulin à vent ; à la sortie de cet étage primaire, la pression résiduelle de vapeur alimentait un second étage de turbine à basse pression. Ces turbines avaient leur meilleur rendement pour un régime de rotation élevé, bien supérieur à celui qui pouvaient atteindre les hélices ; aussi, pour permettre à l'arbre de transmission de tourner à un régime compatible avec la propulsion d'un navire, on intercalait un ensemble motoréducteur -en gros, la version embarquée d'une boite de vitesses automobile. Les pignons hélicoÔdaux finement usinés de ce chef-d'oeuvre de mécanique marine étaient l'élément le plus délicat de la chaîne de transmission du navire, et l'onde de choc de l'explosion avait remonté
l'arbre jusqu'à l'entrée du réducteur, grippant des pignons qui n'avaient jamais été conçus pour absorber une telle énergie. Cela, plus les vibrations dues à l'asymétrie de l'arbre déséquilibré, acheva de détruire l'ensemble du train réducteur numéro deux. Le bruit fit sursauter les matelots avant même que la seconde charge ait fait mouche sur le numéro trois.
Cette explosion se produisit à l'angle extérieur de l'hélice intérieure droite, et les dég‚ts secondaires arrachèrent la moitié d'une pale de la numéro quatre. Les dég‚ts sur l'arbre numéro trois étaient identiques à ceux subis par le deux. Le quatre eut plus de chance : les mécaniciens de cette salle des machines renversèrent la vapeur au premier signe de vibrations. Des soupapes de régulation s'ouvrirent aussitôt : des jets de vapeur vinrent frapper la face opposée des pales de turbine, arrêtant l'arbre avant que les dég‚ts ne se transmettent au train réducteur, au moment précis o˘ la troisième torpille achevait de détruire l'hélice extérieure droite.
La sonnerie d'arrêt complet retentit aussitôt, et les mécaniciens des trois autres salles des machines lancèrent à leur tour la procédure entamée par leurs collègues de tribord quelques instants plus tôt. D'autres alarmes résonnaient. Les équipes d'inspection des dég‚ts foncèrent évaluer l'ampleur de l'inondation à l'arrière de la coque, tandis que le porteavions poursuivait sur son erre, glissant par le travers avant de s'arrêter enfin. L'un de ses gouvernails avait été également endommagé.
" Merde, mais qu'est-ce qui s'est passé ? demanda l'un des mécaniciens à
son voisin.
- Mon Dieu ", murmura Sanchez, sur le pont supérieur. Apparemment, l'Enterprise, deux milles plus loin, avait subi des dég‚ts encore plus graves. Divers signaux d'alarme retentissaient encore et, en dessous, sur la passerelle de navigation, des voix criaient si fort pour réclamer des informations que les circuits d'interphone semblaient superflus. Tous les b
‚timents de la formation avaient entamé des manoeuvres radicales : le Fife, un des navires d'escorte, avait changé de cap pour dégager au plus vite, son capitaine redoutant à l'évidence la présence d'autres torpilles.
quelque part, Sanchez savait qu'il n'y en aurait pas. Il avait vu trois explosions à l'arrière du Johnnie Reb et trois autres sous la poupe de l'Enterprise.
" Smithers, venez avec moi.
- Monsieur, mon poste de combat...
- Ils pourront se passer de vous, et il n'y a pas grand-chose à inspecter pour le moment. Nous n'allons pas bouger d'ici un bout de temps. Vous allez parler au capitaine.
- Mon Dieu! " C'était moins une exclamation qu'une prière pour qu'on lui épargne cette épreuve.
Le CAG se retourna. " Respirez un grand coup et écoutez-moi bien : vous pourriez bien être la seule et unique personne sur ce sacré putain de rafiot à avoir fait convenablement son boulot au cours des dix dernières minutes. Suivez-moi, Smithers.
- Les arbres deux et trois ont sauté, commandant ", apprirent-ils une minute plus tard en arrivant sur la passerelle. Le CO du navire se tenait en plein milieu du compartiment et ressemblait à la victime d'un accident de la route. " L'arbre quatre est également endommagé... le un parait intact, pour le moment.
- Parfait ", grommela le capitaine, avant d'ajouter, pour personne en particulier : " Bon Dieu, mais qu'est-ce qui...
- Nous avons pris trois torpilles ASW, monsieur, répondit Sanchez. Le matelot Smithers, ici présent, les a vu lancer.
- Est-ce une certitude ? " Le CO toisa la jeune femme en uniforme. "
Mademoiselle, vous allez vous asseoir dans mon fauteuil. quand j'aurai terminé de maintenir à flot mon bateau, je veux vous parler. " Puis vint la partie délicate. Le capitaine de l'USS John Stennis se tourna vers son officier de transmissions et rédigea rapidement un message destiné au C1nCPaCFIt, le commandant en chef de la flotte du Pacifique. Il porterait l'indicatif BLEU MARINE.
" Contrôle, ici sonar, détection torpille, relèvement deux-huitzéro, on dirait une de leurs type 89 ", annonça Laval Junior, sans affolement particulier. Les sous-marins se faisaient régulièrement tirer dessus par des amis.
" Machines, en avant toute! " ordonna le capitaine Kennedy. Exercice ou pas, il s'agissait d'une torpille, et ce n'était pas une chose à prendre à
la légère. " Profondeur six cents pieds.
- Six cents pieds, paré, confirma l'homme de barre, à son poste d'officier de plongée. Barres de plongée à moins dix degrés. " Le timonier poussa la barre, inclinant l'USS Asheville pour descendre vers le fond et passer sous la thermocline.
" Estimation de la portée du poisson ? demanda le capitaine.
- Trois mille mètres.
- Contrôle, ici sonar, nous l'avons semée en changeant de couche. Signal toujours présent en mode recherche, vitesse estimée quarante à quarante-cinq noeuds.
- On coupe l'augmenteur, monsieur ? " demanda le second. Kennedy fut tenté
de répondre par l'affirmative, histoire de con-
n^tre e
ai avec précision la qualit' de cette torpille japonaise. A sa connaissance, aucun submersible américain n'avait encore été confronté à ce modèle-ci en exercice. On supposait qu'il s'agissait de la version nippone de la Mark 48 américaine.
" La voilà, annonça le sonar. Elle vient de passer sous la couche de surface. Relèvement stable au deux-huit-zéro, force di.t signal approchant les valeurs d'acquisition.
- Barre à droite vingt degrés, ordonna Kennedy. Chambre du cinq-pouces, soyez prêts.
- Vitesse trente noeuds dépassée, annonça un matelot tandis que l'flsheville prenait de la vitesse.
- Barre à droite vingt degrés, oui, pas d'indication de nouveau cap.
- Très bien, confirma Kennedy. Chambre du cinq-pouces largage des leurres, top, top top ! Timonier, remontez-nous àdeux cents!
- Oui, commandant. Barres de plongée à plus dix !
- On leur donne du fil à retordre ? demanda le second.
- Pas de cadeau. "
Un conteneur fut éjecté du compartiment du lance-leurres, appelé chambre du cinq-pouces à cause du diamètre de celui-ci. Le récipient se mit aussitôt à
dégager des bulles comme un comprimé d'AlkaSeltzer, engendrant un nouvel écho, immobile celui-ci, pour le sonar de guidage de la torpille. Et le brusque changement de cap du submersible avait créé dans l'eau une turbulence de cavitation, un " doigt de gant ", pour perturber un peu plus les détecteurs de la type 89.
" Couche traversée, cria le technicien au bathythermographe.
- Annoncez votre cap! lança Kennedy.
- Arrive au un-neuf-zéro, ma barre est à vingt-droite.
- Redressez la barre, prenez le deux-zéro-zéro.
- Barre redressée, cap deux-zéro-zéro.
- En avant, machines un tiers.
- En avant, machines un tiers, oui. "
Le transmetteur d'ordres changea de position et le sous-marin ralentit, maintenant qu'il était remonté à deux cents pieds audessus de la thermocline, en laissant derrière lui une cible superbe, quoique fausse.
" Parfait. " Kennedy sourit. " On va voir maintenant si elle est si maligne.
- Contrôle, ici sonar, la torpille vient de traverser le doigt de gant. "
Il y avait un rien d'inquiétude dans le ton, crut noter Kennedy.
" Oh ? " Le commandant fit quelque pas pour gagner le poste du sonar. " Un problème ?
- Commandant, cette torpille vient de traverser le doigt de gant comme si de rien n'était.
- C'est censé être un modèle intelligent. Vous croyez qu'elle ignore les leurres, comme la version ADCAP ? " Il faisait allusion aux derniers modèles à capacités améliorées.
" Montée du Doppler, annonça un autre technicien sonar. Le rythme des tops vient d'accélérer... un changement de fréquence, elle pourrait bien nous avoir, commandant.
- A travers la thermocline ? Habile. "
Les événements commençaient à se précipiter, au go˚t de Kennedv, comme en situation de combat véritable, même. La nouvelle torpille japonaise étaitelle si perfectionnée qu'elle ait réussi à ignorer leurre et cavitation ? "
On enregistre toute la séquence ?
- Absolument, commandant. " Et l'opérateur sonar de première classe Laval leva la main pour donner une tape sur le magnétoscope. Une cassette neuve était dedans ; un autre système vidéo enregistrait déjà les écrans à
cascade. " «a, c'est les moteurs, montée en régime. Changement d'aspect...
elle nous a accrochés ! Aspect zéro sur l'image acoustique, extinction du bruit d'hélice. " Ce qui signifiait que le bruit de propulsion de la torpille était à présent bloqué par le corps même de l'engin elle fonçait droit sur eux.
Kennedy tourna la tête vers l'équipe de détection. " Distance du poisson ?
- Moins de deux mille, commandant, en approche rapide, estimation vitesse : soixante noeuds.
- Deux minutes pour nous rattraper, à cette vitesse-là.
- Regardez ça, commandant. " Laval tapota l'affichage en cascade. Il montrait la trajectoire de la torpille, ainsi que les dernières traces de bruit du leurre, qui terminait de larguer ses bulles. La type 89 avait traversé le nuage en plein milieu.
" qu'est-ce que c'était que ça ? " demanda Laval en scrutant l'écran. Un important bruit à basse fréquence venait de s'y inscrire, au trois-zéro-cinq. " On aurait dit une explosion, très loin, c'ét4t.un signal par CZ, pas par transmission directe. " Un signal par -
zone de convergence signifiait qu'il provenait de fort loin, plus de trente milles.
A cette nouvelle, Kennedy sentit son sang se glacer dans ses veines. Il tourna de nouveau la tête vers le PC de combat.
" O˘ sont le Charlotte et l'autre sous-marin japonais ?
- Au nord-ouest, commandant, soixante à soixante-dix milles.
- Machines, en avant toute! " Kennedy avait lancé l'ordre automatiquement.
Lui-même n'aurait su dire pourquoi.
" Machines, en avant toute, oui! " confirma le timonier en tournant le cadran du transmetteur. Pas à dire, ces exercices étaient excitants. Sans attendre confirmation des machines, le capitaine avait repris son communicateur : " Salle du cinq-pouces, lancement tube deux, top, top, top!
"
Le sonar d'acquisition de cible d'une torpille en fin de course émet à une fréquence bien trop élevée pour être audible par l'oreille humaine. Kennedy savait que l'énergie sonore frappait son sous-marin et se réfléchissait sur la coque, car les fréquences ultrasons étaient arrêtées par l'interface air-acier et rebondissaient en direction de la source qui les avait émises.
«a ne pouvait pas être possible. Sinon, d'autres l'auraient remarqué, non ?
Il regarda autour de lui. Les hommes étaient à leur poste de combat. Toutes les portes étanches étaient fermées et verrouillées, comme en situation de combat. Le Kurushio avait lancé une torpille d'exercice, en tous points identique à un modèle opérationnel, excepté la charge militaire, remplacée par une loge d'équipements. Elles étaient également conçues pour ne pas toucher leur cible, mais pour s'en détourner, parce qu'un contact métal contre métal risquait toujours de provoquer des dég‚ts, et réparer ce genre d'avarie pouvait s'avérer co˚teux.
" Elle ne nous l‚che pas, monsieur. "
Mais la torpille avait traversé en plein milieu la turbulence de cavitation.
" En plongée immédiate! " ordonna Kennedy, conscient qu'il était déjà trop tard.
L'USS Asheville piqua du nez aussitôt, avec un angle de vingt degrés, repassant au-dessus des trente noeuds. La chambre des leurres l‚cha un autre conteneur à bulles. L'accroissement de la
vitesse dégradait les performances du sonar, mais il était clair, àvoir l'écran, que la type 89 avait une fois encore traversé tout droit l'image artificielle d'une cible et continuait d'approcher.
" Distance inférieure à cinq cents ", annonça la détection. L'un des hommes nota que le capitaine était p‚le et se demandait pourquoi. Ma foi, personne n aime perdre, même lors d'un exercice.
Kennedy essayait d'imaginer d'autres manoeuvres alors que l'Asheville repassait encore une fois sous la thermocline. La torpille allait le rattraper. Elle pouvait le rattraper, et toutes les tentatives de brouillage avaient échoué. Il était à court d'idées. Il n'avait pas le temps d'y réfléchir plus.
" Bon Dieu! " Laval ôta ses écouteurs. La type 89 était maintenant parvenue à hauteur du sonar de trame du sous-marin, et le bruit était passé
largement au-dessus de l'échelle.
" Elle devrait tourner d'une seconde à l'autre, à présent... "
Le capitaine resta figé, regardant autour de lui. …tait-il fou ? …tait-il le seul à imaginer que...
A la dernière seconde, l'opérateur sonar de première classe Laval se retourna pour regarder son supérieur. " Commandant, elle n'a pas tourné! "
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Bleu Marine
A IR Force One décolla avec quelques minutes d'avance, encore pressé par l'heure matinale. Le VC-25B n'avait pas atteint son altitude de croisière que les journalistes avaient déjà quitté leur siège pour se rendre à