19

Vers le milieu de la journée, la femme du grand chasseur commença de s’inquiéter. Elle alla voir des amis de son mari qui décidèrent de monter à sa recherche. Ils se vêtirent, s’armèrent et s’organisèrent comme pour une campagne de Russie. Plusieurs généraux prirent la tête de plusieurs colonnes qui s’engagèrent sur des chemins différents. Celle qui suivit la bonne piste était composée de neuf hommes et d’une femme très fière d’elle.

— À la chasse, je ne suis pas une femme, je suis un fusil !

Ils montaient lentement, enfonçant dans la neige fraîche, aveuglés par celle qui tombait et que les lames de la bise poussaient par leur travers.

Le chef, qui allait en tête, buta bientôt contre quelque chose qui formait une bosse au milieu du sentier. Écartant la neige à coups de botte, ses hommes découvrirent le grand chien. Ils virent qu’il portait sur la nuque des traces de dents.

Les mains se crispèrent sur la crosse des fusils.

Quand ils reprirent leur progression, ils allaient trois de front, plus lentement, sans souffler mot, dans ce silence grésillant de la neige et du vent.

Bientôt, ils virent un autre renflement en travers du chemin, plus large que le premier. Comme ils s’en approchaient, l’arme prête, la neige s’ouvrit et Fulga apparut, la gueule grande ouverte, rugissant comme un fauve.

Une véritable fusillade crépita. La belle louve était déjà morte que les armes crachaient encore du plomb.

Fulga était tombée à trois foulées de son petit. Elle n’avait plus d’autre raison de vivre que d’assouvir la haine que les hommes avaient fait naître en elle.

Les chasseurs poussèrent des clameurs de joie qui coururent dans la forêt jusqu’aux autres troupes. Ils pouvaient triompher. Ils avaient à ramener le cadavre de deux loups et celui d’un chien. Le lendemain, les journaux les montreraient ces dépouilles à leurs pieds.

Ils sortirent leurs gourdes et trinquèrent à la mort des loups.

Ce qu’ils ne savaient pas encore, c’est que l’un des leurs était mort aussi.

Sur son corps, comme sur celui des bêtes, la neige continuait de tomber. Une neige fine, venue avec le vent du nord. Ce vent qui cillait, durant neuf jours et neuf nuits, hurler à l’angle des toitures et dans les vastes sapinières, hurler comme une bête blessée pour lamenter la mort des loups.

Capian, mai
Reverolle, juin 1996