XV

Jan ne s’était pas rasé. Ses vêtements étaient froissés et il avait les traits d’un vieil homme. Sa cravate de travers était dénouée et sa chemise ouverte au col, comme s’il manquait d’air.

— Où est-il passé ? demanda-t-il.

Même sa voix, rauque et cassée, était méconnaissable.

— Qui ?

C’était le mieux que je puisse faire, avec si peu temps pour réfléchir. Mon regard passait du couteau que Jan tenait à la main au téléphone, sur la table de chevet.

— Inutile de me la jouer. Où est Schmidt ?

Je renonçai au téléphone. J’avais l’esprit totalement en alerte, tout assoupissement s’était évanoui. Rien de tel que la terreur pour accélérer votre pensée.

Malheureusement, je ne pensais à rien d’héroïque, ni même d’utile.

— Qu’est-ce que tu lui veux ? demandai-je, cherchant à gagner du temps.

— Il me déteste.

— Non, non, dis-je, rassurante. Il ne te déteste pas. Personne ne te déteste. Pourquoi ne pas t’asseoir un moment et…

— Tout le monde me déteste. Ils m’ont tous fait passer pour un imbécile. Schmidt, c’est lui, le pire ! Il m’en veut depuis l’affaire de l’Or des Troyens.

Je jetai un rapide coup d’œil sur le réveil de la table de chevet. Pas loin de midi.

Où étaient-ils tous passés ? Ils devraient être de retour à présent. Pourquoi m’avaient-ils laissée seule avec un lunatique armé ?

Jan continuait à radoter. Tout ce qu’il avait toujours voulu, c’était préserver les trésors du monde entier.

Et voilà comment on le récompensait : en l’humiliant, en l’insultant et en le menaçant.

C’était lui qui me menaçait, mais je décidai de ne pas le lui faire remarquer. Je ne lui précisai pas non plus, que, d’après ce que je savais, on n’avait pas cité son nom comme étant à l’origine de la rumeur du rapt de Toutankhamon. Nous en avions parlé et, à regret, nous avions estimé qu’il serait trop long de rassembler des preuves pour l’accuser, si toutefois on y parvenait. Il souffrirait assez sans cela, avait dit Schmidt, rien qu’à savoir qu’il s’était fait berner et avait perdu la partie !

— Comment l’as-tu découvert ? demandai-je. Tu es malin.

Jan cligna des yeux et me regarda comme s’il avait oublié ma présence.

— Découvert ? Ah… (Il passa la main devant sa bouche, et reprit un ton rationnel pour me répondre.) J’ai pris un vol pour Le Caire, hier soir. J’ai appris l’existence de la conférence de presse à la radio et à la télévision ce matin. On parlait du retour de Toutankhamon.

Donc, quelqu’un avait été incapable de tenir sa langue. Il fallait s’y attendre.

— Je n’y croyais pas, dit Jan, d’une voix peinée. J’ai aussitôt téléphoné à Wolfgang Muhlendorfer, de l’Institut Goethe de Louxor. Il m’a dit que la plupart des médias avaient quitté la Vallée et qu’on avait vu la limousine du Dr Khifaya quitter Louxor à la hâte, avec de nombreuses personnes à bord. Je refusais toujours d’y croire, jusqu’à ce que j’assiste à la conférence de presse et que j’entende le Dr Khifaya débiter un tissu de mensonges… Avec Schmidt qui ricanait à l’arrière-plan, en caressant sa stupide moustache.

Au sommet de la fureur, sa voix était montée d’une octave.

— Khifaya avait une attitude digne, au moins, mais ce Schmidt ! À se balader avec sa banderole, en hurlant des slogans insultants, à distribuer des saucisses aux spectateurs, comme un clown dans un cirque… Et en plus, il s’est payé la télévision, et on m’a vu, caché derrière une colonne, comme un trouillard de lapin. Il m’a ridiculisé !

— J’étais là aussi.

Aber natürlich. Tu dois obéir à ton supérieur.

Et j’étais une femme vénale. C’était insultant et rassurant à la fois, de voir Jan m’écarter de manière si cavalière. Je ne pensais pas qu’il s’en prendrait à moi, à moins que je ne commette une grave imprudence.

Mon corps n’y croyait pas. J’avais la bouche sèche et le cœur qui battait à toute vitesse.

— Pourquoi n’est-il pas là ? demanda Jan. La conférence de presse est terminée depuis une heure.

— Il doit être en route.

Il fallait absolument que je trouve quelque chose avant que Schmidt ne revienne.

— Je vais te dire, Jan, pourquoi tu ne te cacherais pas dans la salle de bains ? Quand ils rentreront, tu sortiras, ils auront la surprise.

Le degré de la folie est difficile à estimer. Comme Hamlet, il n’était fou que sous le vent du nord-ouest, et savait autrement distinguer un faucon d’un héron, ou dans ce cas, une proposition sincère d’une idée stupide.

— Et toi ? fit-il, les yeux plissés. Je ferais peut-être mieux de te bâillonner et de te ligoter.

Il serait obligé de poser son couteau pour ça. John m’avait appris quelques petites manœuvres bien perverses, et Jan s’était beaucoup ramolli, mais il était fou… j’avais peur qu’il décide de m’assommer ou de se servir de son couteau d’une manière à laquelle je préférais ne pas penser à l’avance…

Pourtant, l’autre solution était plus terrifiante encore : Schmidt avec un couteau dans la poitrine.

— D’accord, dis-je.

— Tu acceptes bien rapidement, remarqua Jan. Attends. J’ai une meilleure idée. Je t’enferme dans la salle de bains et je me cache derrière la porte.

— D’accord.

Je me glissai hors du lit et me levai. Je me sentais un peu plus courageuse, à présent que j’étais sur mes pieds. Je me demandais si je pourrais le piéger et le forcer à entrer à la salle de bains.

Non, cela ne marcherait pas. Il n’y avait pas de verrou à l’extérieur.

Jan recula et me poussa de l’autre côté de la porte de la chambre, tandis que j’avançais vers lui. J’arriverais peut-être à atteindre la porte du couloir avant que… Non, cela n’irait pas non plus, il était si près de moi que je sentais son souffle sur ma nuque.

Qu’il m’enferme donc, je verrouillerais la porte et me mettrais à crier aussitôt… Non, il se jetterait sur Schmidt à la seconde où ce dernier ouvrirait la porte de la suite, avant même qu’on entende mes cris ou qu’on comprenne ce qu’ils signifiaient.

Je n’eus pas à prendre de décision. Il n’y eut aucun signe précurseur, pas même des éclats de voix. La porte s’ouvrit.

Comme je m’y attendais, Schmidt fut le premier à entrer. Laissez passer Schmidt, la meilleure lame de toute l’Europe ! Il s’arrêta dans l’encadrement de la porte, pétrifié, bouche bée. John et Feisal se trouvaient derrière lui.

Jan me bouscula et se jeta sur Schmidt. John essaya de pousser Schmidt hors de sa trajectoire, mais l’imposante silhouette vacilla à peine.

Je n’en étais plus à réfléchir. Je fis un pas en avant et attrapai Jan par le bras. Il se retourna.

Un objet dur comme un poing s’enfonça dans mes côtes. Cela me coupa le souffle pendant une ou deux secondes, puis, je vis que Jan était à terre, agitant bras et jambes, tandis que Feisal essayait de le maîtriser.

John, qui ne croyait guère aux vertus du corps à corps, donna un coup de pied dans la tête de Jan.

Blanc comme un linge, Schmidt était figé. Je voulais lui demander si tout allait bien, mais ma voix semblait m’avoir abandonnée.

Tout le monde me regardait. John s’approcha, d’un pas délicat, comme un chat qui marche dans une flaque d’eau, et tendit les bras vers moi. Il était aussi livide que Schmidt.

— Doucement, doucement, ne bouge pas. Laisse-moi…

Trois mots. C’était tout ce dont j’avais besoin. Trois petits mots. J’essayai de les prononcer. Puis les lumières s’éteignirent.

Je repris connaissance dans une drôle de pièce. Du coin de l’œil, j’aperçus une fenêtre. Il faisait nuit. La pièce était à peine éclairée. Il régnait une odeur bizarre. Plusieurs odeurs bizarres, en fait. Pas écœurantes, juste étranges.

Je tournai la tête. Je vis une chaise près du lit, et quelqu’un qui y était assis. Une image familière. Dans une attitude peu confortable, épaules tombantes, bras ballants, tête baissée.

Son nom me revint à l’esprit.

— John ? dit quelqu’un.

La voix ne ressemblait pas à la mienne.

John se redressa d’un coup.

— Tu es réveillée !

— Non, non. Je ne suis même pas là. Je ne sais pas où je suis.

— Chut…

Il glissa de sa chaise et s’agenouilla près du lit.

— Ça va aller.

— J’ai soif.

— Non, tu n’as pas le droit de boire. Même pas d’eau pendant un moment. Suce un glaçon.

Il glissa dans ma bouche sèche un éclat argenté qui fondit comme un nectar paradisiaque.

— Je suis à l’hôpital, dis-je. Donne-moi de la glace ! Tu as une sale mine.

— Toi aussi. Ouvre la bouche.

Une porte s’ouvrit et quelqu’un entra. À son uniforme, j’en conclus que c’était une infirmière. Elle accomplit des gestes d’infirmière, en souriant avec un sourire d’infirmière professionnelle et s’en alla.

— Comment te sens-tu ? Pourquoi pose-t-on des questions aussi stupides, dit John en faisant la grimace, je me le demande !

— Horriblement mal. Que s’est-il passé ?

— Tu es censée te reposer.

— Je me suis reposée. Pourquoi tu ne t’assieds pas ?

— Je ne suis pas sûr de pouvoir me relever. J’ai les genoux comme ceux de… Schmidt.

— Tu es là depuis… Depuis quand ?

— Depuis qu’on t’a amenée ici. Un peu après midi.

— Quelle heure est-il ?

— Il fait nuit, dit brièvement John.

— Je veux savoir ce qui s’est passé.

Je n’avais pas remarqué à quel point il était livide avant de le voir sourire.

— Tu as l’air d’être redevenue toi-même. En résumé, Jan Perlmutter est enfermé dans un service psychiatrique, sous bonne garde, et Schmidt va bien. Tu lui as probablement sauvé la vie, mais tu as perdu ta rate, par la même occasion.

— On peut s’en passer ?

— En général, oui. Tu veux savoir autre chose ? Tu devrais te reposer.

— Je veux tout savoir.

Il réagit à cette déclaration inoffensive comme si j’avais raconté une mauvaise blague.

Se couvrant le visage des mains, il s’accroupit sur ses talons. Ses épaules se secouaient.

— Tu ris ?

— Non, dit-il d’une voix étouffée.

— Oh !

Quelques instants plus tard, il écarta ses mains. Il avait les yeux humides. Je ne l’avais jamais vu pleurer. Je ne savais pas qu’il en était capable. Je ne savais que dire.

Il me prit la main.

— Schmidt, Feisal et Saida sont dans la salle d’attente. J’étais censé les prévenir lorsque tu te réveillerais.

— Fais-les venir, on va faire la fête.

— Tu es droguée comme pas permis. Pas de fête, pas pour l’instant.

— Arrête de me tordre la main, tu me fais mal. Tu ne peux pas juste me la prendre tendrement entre tes longs doigts, comme dans les livres ?

Son visage s’éclaira.

— Ça va aller. Tu es redevenue normale, grossière, comme d’habitude. Tu sais ce que tu as dit, juste avant de t’écrouler ?

— Trois petits mots, murmurai-je.

— Trois petits mots, oui. Trois petits mots que tu as prononcés malgré une grave blessure. Est-ce que cela pourrait être : « Je t’aime » ?

— Je ne crois pas.

— Tu as dit, déclara John, « Elisabeth d’Autriche ». Pourquoi Elisabeth d’Autriche ?

— Je me souviens, à présent, dis-je, un peu étourdie.

Le produit que venait de m’injecter l’infirmière commençait à faire effet.

— Tu te souviens d’elle, l’impératrice d’Autriche, en 1890, Sissi… Elle a été poignardée par un anarchiste, on parlerait sûrement de terroriste de nos jours, et elle a continué sa promenade, je ne sais plus combien de temps, avant de s’évanouir, parce qu’elle pensait qu’on lui avait simplement donné un coup de poing. C’est ce que j’ai ressenti, et j’ai cru que je devais te dire ce que je ressentais, au cas où tu n’aurais pas remarqué…

— Que tu avais un couteau planté dans le corps ? Si, si, j’avais remarqué !

— Je t’aime.

Il s’approcha.

— Pardon ?

— Euh ? J’ai oublié.

— Lâche ! Je t’aime, moi aussi. Allez, dors.

Il serra tendrement ma main entre ses longs doigts effilés.

Six semaines plus tard, Munich.

John descendit l’escalier, Clara drapée autour de son cou. César, qui était allongé au pied du divan sur lequel je me reposais, sauta en poussant un hurlement et se précipita vers eux.

— Arrête, espèce d’idiot ! Tu les as vus il y a dix minutes, juste avant qu’ils ne montent à l’étage !

César sembla réfléchir et revint s’allonger près de moi.

— Schmidt va arriver, annonça John. Il apporte le dîner.

— Il apporte à dîner presque tous les jours. Je grossis.

— Tu devrais peut-être faire de l’exercice.

— Je ne suis pas encore assez en forme pour cela.

Je me rallongeai sur les coussins en prenant des airs de Dame aux Camélias.

John n’avait pas l’air en très bonne santé non plus. Son bronzage égyptien avait disparu et il avait maigri. Dès que j’avais été en état de voyager, nous étions rentrés à Munich.

John avait fait quelques voyages éclair à Londres, en partant à l’aurore et en revenant à minuit, laissant Schmidt s’occuper de moi.

Il avait fermé le magasin en attendant de trouver un remplaçant à Alan. Je savais qu’il perdait des clients, sans parler d’argent.

Jen l’avait poussé à bout, lui demandant ce qu’il faisait et pourquoi il n’était pas à Londres.

Lorsqu’il lui avait expliqué que j’avais eu un grave accident et qu’il prenait soin de moi, elle avait proposé de venir à mon chevet… proposition qui avait failli provoquer une rechute…

J’étais injuste et égoïste. La vérité, c’est que j’adorais l’avoir près de moi. J’aimais qu’il m’apporte ce dont j’avais besoin, qu’il aille promener le chien, qu’il fasse la vaisselle.

Nous discutions sans arrêt et nous nous disputions parfois. Ça aussi, ça me plaisait.

Alan était mort sans avoir repris connaissance. Schmidt s’était accablé de reproches en apprenant la nouvelle, néanmoins me chouchouter le réconfortait un peu, et les nouvelles en provenance d’Égypte étaient un baume pour son âme blessée.

Celles de Berlin étaient encore plus paradisiaques. Jan Perlmutter avait démissionné de son poste. Le musée essayait d’étouffer l’affaire, mais les informateurs de Schmidt lui avaient appris que Jan était enfermé dans une section sécurisée d’une institution psychiatrique. Il ne cessait de prétendre qu’il était Toutankhamon et exigeait qu’on s’agenouille devant lui quand on lui adressait la parole. Je n’éprouvais aucune pitié pour lui.

J’étais désolée pour les victimes innocentes comme Ali et sa mère en deuil. Nous ne saurions jamais si Ali s’était rendu dans la maison de l’expédition britannique dans le cadre de ses fonctions habituelles ou s’il avait eu une soudaine intuition. Cela n’avait plus d’importance, plus pour lui.

Il était mort parce qu’il avait essayé de faire son devoir. Sa famille ne manquerait de rien, en tout cas, Schmidt s’y était employé.

Le triomphe de Toutankhamon au musée du Caire avait fait la une des journaux pendant des jours. Ashraf n’avait pas manqué d’en tirer toute la gloire.

En privé, il s’était excusé de ne pas être en mesure de nous attribuer une juste récompense, des médailles et l’acclamation universelle, car pour cela il aurait fallu rendre publique une affaire fort embarrassante.

— C’est toute l’histoire de ma vie, remarqua John, caustique. La prochaine fois qu’on m’embarque dans une affaire comme ça, j’exige d’être payé à l’avance !

Nous avions eu de bons moments quand même.

— Pourquoi ne m’avais-tu jamais dit que tu étais de la famille d’un des archéologues les plus illustres ? Le professeur Emerson et sa femme ont dominé toute l’égyptologie pendant plus d’un demi-siècle !

Main dans les poches, épaules baissées, il regardait par la fenêtre. Il ne se retourna pas.

— Comme presque une centaine de personnes.

— Sûrement pas autant.

— Regarde. Ils n’ont eu qu’un seul enfant, mais lui en a eu trois, et ses descendants se sont reproduits comme des lapins. Je ne suis même pas lié en ligne directe. Je descends de leur plus jeune petite-fille. C’est de la roupie de sansonnet, cela ne vaut rien.

— Sois blasé si tu veux, je suis quand même impressionnée. Amelia P. Emerson est l’une de mes héroïnes. Nous étions dans leur maison, nous avons vu leurs objets… Le parasol légendaire, le couteau…

— Selon la légende, le couteau et l’épée appartenaient à leur fils.

— C’était un érudit, pas un soldat. Des diplômes de tous les pays. Des dizaines de livres à son crédit…

— On raconte beaucoup d’histoires à propos de Ramsès Emerson, comme on l’appelait. Certaines sont sûrement apocryphes. Ne t’occupe donc pas de mes ancêtres, Vicky, je dois te parler de quelque chose d’important.

— Je t’écoute.

Il se retourna, ouvrit la bouche, la referma, toussa.

— Tu veux un verre ?

— Non, merci.

— Je crois que j’en ai besoin, si cela ne t’ennuie pas.

— Je t’en prie.

Il prit son temps pour préparer le cocktail. Bon, nous y sommes, pensai-je.

Chaque fois que John a besoin d’un verre pour se donner du courage, c’est pour annoncer de mauvaises nouvelles.

Il s’installa sur un fauteuil, près du divan, et s’éclaircit la gorge. Suzi avait-elle fini par le mettre en cause, finalement ? Il était fauché comme les blés et avait décidé de retourner à ses anciennes affaires ? Jen allait arriver à Munich ? Lorsqu’il se libéra, je fus totalement prise au dépourvu.

— Tu veux un enfant.

— Ah bon ?

— Je l’ai vu sur ton visage, quand tu tricotais ce misérable petit bonnet.

— Ah bon ?

— Je n’ai pas les qualités requises pour faire un bon père de famille.

— Ah bon ?

— La seule chose à faire, dit-il en prenant une grande inspiration, c’est de sortir de ta vie pour que tu puisses continuer à…

Je me redressai, poussai un cri et posai la main sur ma blessure.

— Tu me plaques ! Espèce de salopard !

John devint écarlate. La couleur des joues contrastait joliment avec le bleu de ses yeux.

— C’est pas vrai ! on ne peut pas avoir une conversation, entre adultes raisonnables…

— Tu n’étais pas raisonnable, tu étais généreux. Ce n’est pas ton style. Sois toi-même.

Être moi-même ! (Ses joues cramoisies perdirent leur couleur. Sa bouche se tordit.) Je suis couvert de dettes. Mes affaires sont au plus mal. Une nouvelle situation comme celle qu’on vient de connaître pourrait se reproduire à tout moment, sans le moindre avertissement.

— Continue, dis-je, pour l’encourager.

— Ça ne te suffit pas ? Bon d’accord. Ma mère est une nuisance permanente. Elle ne t’aimera jamais. Après avoir passé quatre semaines avec toi, j’ai perdu la maîtrise de ma syntaxe. Tu veux que je t’épouse, ou quoi ?

— C’est une proposition, ou quoi ? dis-je avec un gigantesque sourire.

— Selon la tradition familiale, c’est la femme qui fait sa demande.

— Au diable, la tradition !

— Bon, très bien !

Il mit un genou à terre et joignit les mains au-dessus de sa tête.

Gueule ouverte, langue pendante, César semblait en adoration devant lui.

— Pas toi ! lui dit John. Vicky ?

Ce n’était pas le plus beau jour de ma vie, mais cela s’en approchait.

— Je vais y réfléchir.

[1] D’après une chanson de Linda Thomson, 1985 (NdT).

[2] Voir L’énigme des cinq lunes (City).