Chartres, rue des Petites-Poteries,
août 1306, au même moment
Il se débarbouilla et se lava les mains et les bras dans la cuvette de grès posée sur une petite table bancale. Un sourire lui vint lorsqu’il détailla les jolies volutes rouges qui se mêlaient avec lenteur à l’eau. Il poussa un soupir d’aise et se rajusta, satisfait et repu.
Il se rapprocha du lit en bataille, se pencha pour récupérer dans la cotte le denier tournois qu’il avait offert plus tôt, lorsque l’envie, le désir le suffoquaient. Inutile de perdre du bel argent, d’autant qu’un autre se ferait fort de le récupérer.
Il regarda la chose étendue sur le drap trempé de sang. Elle lui avait permis de passer un moment enivrant, dont il avait savouré chaque seconde, en dépit du fait qu’il avait été contraint de la bâillonner pour que ses hurlements n’ameutent pas son souteneur de la maison lupanarde. Il ôta de sa bouche le tampon de chanvre gluant de salive et le fourra dans sa bougette, tout comme le long griffoir dont il serrait les sangles autour de son poignet lorsque la fille le pensait endormi après le plaisir et qu’elle commettait la grave erreur de lui faire les poches en discrétion.
Il détailla les lambeaux de visage qui pendaient sur son cou, le ventre fendu de haut en bas, les viscères joliment étalés sur ses seins, griffés et déchiquetés eux aussi. De magnifiques blessures, profondes, sanglantes.
Il se sentait si bien, si plein de son pouvoir sur les êtres qu’il se serait volontiers endormi contre ce corps encore tiède, mais il devait rentrer au plus vite. Il devrait se méfier, ne pas étaler son immense satisfaction.
Quel dommage qu’elle ne dure jamais très longtemps. Bah, ça n’était pas les puterelles qui manquaient !