Jeudi 1er janvier,
minuit
Dans mes appartements privés du palais de Genovia
Mes RÉSOLUTIONS POUR LA
NOUVELLE ANNÉE
PAR LA PRINCESSE
AMELIA
MIGNONETTE THERMOPOLIS RENALDO
ÂGÉE DE 14 ANS ET 8 MOIS
1. Cesser de me ronger les ongles, même les faux.
2. Cesser de mentir. De toute façon, à quoi bon ? puisque chaque fois que je raconte des craques, Grand-Mère le voit à cause de mes narines qui palpitent.
3. Suivre à la lettre les discours qu’on m’a écrits pour mes allocutions télévisées.
4. Ne plus dire de gros mots en français devant les dames d’honneur.
5. Demander à François, mon garde du corps ici à Genovia, de ne plus m’en apprendre (de gros mots).
6. Présenter mes excuses à l’Association des producteurs d’huile olive de Genovia pour mon stupide jeu de mots.
7. Présenter mes excuses au chef pour avoir donné ma tranche de foie gras au chien de Grand-Mère (pourtant, je l’ai dit, aux cuisines, que je ne mangeais pas de viande).
8. Cesser de faire la morale au service de presse du palais sur les dangers du tabac. S’ils veulent mourir du cancer, ça les regarde.
9. M’autoréaliser.
10. Arrêter de penser autant à Michael Moscovitz.
Une minute. Pourquoi je ne penserais pas à Michael Moscovitz, puisque C’EST MON PETIT AMI, MAINTENANT !!!!!!!
MT + MM = AMOUR POUR TOUJOURS
Vendredi 2 janvier, 2 heures de l’après-midi Au Parlement de Genovia
Quand je pense que je suis censée être en vacances ! Je ne plaisante pas. En vacances pour les fêtes de Noël. Je devrais donc m’amuser en ce moment, me recharger mentalement avant le prochain trimestre, qui risque de ne pas être de tout repos puisqu’il sera déterminant pour le passage en première. Avant mon départ, tout le monde me disait : « Tu en as de la chance ! Tu vas passer Noël dans un vrai palais avec des serviteurs qui seront aux petits soins pour toi. »
Je peux vous dire que ça n’a rien d’agréable de vivre dans un palais. Vous voulez savoir pourquoi ? Parce que tout, dans un palais, est vieux. Je ne suis pas en train de raconter que le palais de Genovia a été construit au IVe siècle après Jésus-Christ, quand mon ancêtre, la princesse Rosagunde, est montée sur le trône. Mais il doit bien dater de 1600, et en 1600, on ne connaissait :
1. ni le câble ;
2. ni l’ADSL1 ;
3. ni le tout-à-l’égout.
Il y a bien une antenne parabolique, mais comme c’est le palais de mon père, les seules chaînes programmées sont CNN, CNN Financial News et une chaîne qui ne diffuse que du golf. Et MTV2, alors ? Et Ciné-Romance ?
Cela dit, je ne vois pas très bien à quoi ça me servirait puisque je n’ai pas une minute à moi. Quand estce que je pourrais m’asseoir devant le poste, attraper la télécommande et regarder un bon film romantique, hein ?
Quant aux toilettes, ça se voit qu’en 1600 le tout-à-l’égout n’existait pas. Parce que quatre cents ans après, si on utilise un peu trop de papier et qu’on tire ensuite la chasse d’eau, on provoque un mini raz de marée dans la cuvette des W.-C.
Dire que tous mes amis sont en train de skier à Aspen2 ou de bronzer à Miami !
Et moi, qu’est-ce que je fais pendant mes vacances ?
Grâce à l’agenda que Grand-Mère m’a offert à Noël (vous en connaissez beaucoup, vous, des filles qui aimeraient recevoir un agenda à Noël ?), je vais pouvoir reprendre dans mon journal les moments les plus marquants de mon séjour ici.
D’APRÈS L’AGENDA
ROYAL
DE LA PRINCESSE
AMELIA MIGNONETTE THERMOPOLIS RENALDO
Arrivée à Genovia. À cause de tous les bretzels que j’ai mangés pendant le voyage (presque un paquet entier de deux kilos), j’ai failli vomir devant le comité d’accueil qui m’attendait à la descente de l’avion.
Cela fait un jour que je n’ai pas vu Michael. J’ai essayé de l’appeler chez ses grands-parents, à Boca Raton, où les Moscovitz passent les vacances de Noël, mais personne n’a répondu. Ce doit être à cause du décalage horaire. Il y a six heures de différence entre Genovia et la Floride.
Lundi 22 décembre
Alors que je visitais le croiseur Prince Philippe, j’ai trébuché sur l’ancre et j’ai fait tomber l’amiral Pépin dans le port de Genovia. Il en est heureusement sorti indemne, bien qu’on ait dû le repêcher avec un harpon.
J’aimerais bien savoir pourquoi je suis la seule dans ce pays à penser que la pollution est un sujet grave. Si les touristes qui arrivent à Genovia par la mer ont l’intention de mettre à quai leurs yachts, ils pourraient faire attention à ce qu’ils jettent par-dessus bord. On voit continuellement des marsouins le museau coincé dans les emballages en plastique des packs de bière. Résultat, comme ils ne peuvent plus ouvrir la gueule, ils finissent par mourir de faim. À défaut d’éviter de jeter ces emballages à la mer, il suffirait de donner quelques coups de ciseaux dans le plastique avant de le jeter pour que ça n’arrive pas.
Bien sûr, d’autres choses néfastes arriveraient... le véritable problème, c’est qu’on n’est pas censé au départ se servir de la mer comme d’un dépotoir.
En tout cas, je ne peux pas rester les bras croisés pendant que des créatures marines sans défense sont maltraitées par des accros du bain de soleil à la recherche du bronzage parfait.
Deux jours que je n’ai pas vu Michael. J’ai essayé de l’appeler à deux reprises. La première fois, personne n’a répondu. La deuxième, Mrs. Moscovitz (la grand-mère de Michael) a décroché. Elle m’a dit que Michael venait de partir à la pharmacie pour aller chercher la lotion pour les pieds que le médecin avait prescrite à son mari. C’est Michael tout craché : penser aux autres avant de penser à lui !
Mardi 23 décembre
Au petit déjeuner avec l’Association des producteurs d’huile d’olive de Genovia, quand j’ai dit qu’avec la sécheresse qui sévissait autour de la Méditerranée, ça ne devait pas baigner dans l’huile pour eux, personne n’a ri.
Trois jours que je n’ai pas vu Michael. Je n’ai pas eu le temps de l’appeler à cause de la polémique qu’a provoquée mon jeu de mots.
Mercredi 24 décembre
Je suis de nouveau passée à la télé pour présenter mes vœux de Noël au peuple de Genovia. Je crois que je me suis un peu égarée par rapport au discours initial quand j’ai parlé des gains que rapportaient les horodateurs de cinq districts new-yorkais et que j’ai expliqué que l’installation de parcmètres à Genovia contribuerait de façon positive à l’économie nationale et permettrait parallèlement de décourager les touristes qui viennent pour la journée en voiture. Je ne comprends toujours pas pourquoi Grand-Mère était si en colère. Les parcmètres à New York ne font PAS tache dans le paysage urbain. La plupart du temps, je ne les remarque même pas.
Quatre jours QJNPVM (que je n’ai pas vu Michael).
Jeudi 25 décembre
J’AI ENFIN RÉUSSI À PARLER ÀMICHAEL !!!!!
Bon d’accord, notre conversation manquait un peu de naturel. Il faut dire que mon père, ma grand-mère et mon cousin René se trouvaient dans la même pièce que moi et que les parents de Michael, ses grands-parents et sa sœur se trouvaient, eux, dans la même pièce que lui.
Il m’a demandé si j’avais été gâtée pour Noël. Je lui ai répondu que non, pas vraiment, dans la mesure où j’avais eu un agenda et un sceptre alors que je rêvais d’un téléphone portable. Je lui ai demandé, à mon tour, s’il avait été gâté pour Hanouka3. Il m’a répondu pas vraiment non plus, puisqu’il n’a reçu qu’une imprimante couleur. Ce qui est mieux que mes cadeaux, si vous voulez mon avis. Cela dit, le sceptre, c’est assez pratique pour repousser les cuticules des ongles.
Je suis tellement soulagée que Michael ne m’ait pas oubliée. Je sais bien qu’il n’a rien à voir avec les autres spécimens de son espèce – les garçons, je veux dire. Mais ce n’est un secret pour personne que les garçons sont comme les chiens : leur mémoire à court terme est inexistante. Vous leur dites que votre personnage de fiction préféré, c’est Xena Princesse guerrière et une heure après, ils se mettent à raconter que votre personnage de fiction préféré, c’est Xica, de Telemundo. Les garçons ne savent pas ce qu’ils font parce que leur cerveau est trop rempli d’infos sur les modems, Star Trek Voyager, le groupe Limp Bizkit, etc.
Michael ne fait pas exception à la règle. Oh, bien sûr, il est premier de sa classe ex aequo, il a toujours eu d’excellents résultats scolaires et il a été accepté sur dossier dans l’une des plus prestigieuses universités du pays. Mais ça lui a quand même pris cinq millions d’années pour se rendre compte que je lui plaisais. Et seulement quand je lui ai envoyé des lettres d’amour anonymes. Qui se sont révélées n’être pas si anonymes que cela puisque tous mes amis, y compris sa petite sœur, ne savent pas tenir leur langue.
Mais bon, c’est du passé. Ce que je veux dire, c’est que cinq jours sans entendre la voix de l’amour de sa vie, c’est long. Tina Hakim Baba m’a raconté que lorsque Dave El-Farouq, sont petit ami, ne lui téléphonait pas pendant aussi longtemps, elle ne pouvait pas s’empêcher de penser qu’il avait rencontré une autre fille mieux qu’elle. Elle lui en a parlé une fois. Elle lui a dit qu’elle l’aimait et ne supportait pas qu’il ne l’appelle pas. Dave a réagi en ne l’appelant plus du tout, vu qu’il s’était découvert une phobie du téléphone.
Michael n’aurait aucun mal à rencontrer une fille mieux que moi. Il y en a bien des milliards qui ont plus d’atouts et ne passent pas leurs vacances coincées dans un palais avec une grand-mère totalement cinglée et son espèce de monstre à quatre pattes et sans poils qu’elle appelle un caniche nain.
Tout ça pour dire que je commence à comprendre ce que ressent Tina quand elle nous raconte que Dave ne va pas tarder à la quitter et qu’on lui assure que non.
J’ai parlé à maman et à Mr. Gianini. Ils ont l’air d’aller bien. Maman interdit toujours au médecin de lui révéler le sexe du bébé. Elle ne veut pas savoir parce que, si c’est un garçon, elle refusera de pousser pour ne pas imposer au monde un nouvel oppresseur porteur du chromosome y (d’après Mr. G., c’est à cause des hormones qu’elle tient un discours pareil. Je n’en suis pas si sûre. Ma mère peut être très antichromosome y quand elle veut). Ils ont approché Fat Louie du combiné pour que je puisse lui souhaiter un joyeux Noël. Il a miaulé avec agacement. J’en conclus qu’il va bien.
5 jours QJNPVM.
Vendredi 26 décembre
J’ai dû suivre le tournoi de golf organisé au profit d’une œuvre de bienfaisance à laquelle participaient mon père et mon cousin René. Ils jouaient contre Tiger Woods. Tiger a gagné (ce qui n’est pas étonnant). Papa approche quand même de la cinquantaine et le prince René a avoué être allé à une dégustation de grappa4 hier soir. À mon avis, il n’y a que le polo qui puisse être plus mortel que le golf. Dire que je vais devoir assister à leur prochain tournoi !
En parlant de mon cousin René, ce n’est pas du tout mon cousin. Ou alors au millième degré. Et même s’il est prince, la loi italienne lui interdit de revenir dans son pays natal depuis que la République a mis à la porte tous les membres de la famille royale. Le palais des ancêtres de ce pauvre René appartient aujourd’hui à un célèbre chausseur qui l’a transformé en hôtel pour riches Américains qui viennent y passer le weekend et y apprendre à préparer les pâtes avec du vinaigre balsamique vieux de deux cents ans !
Cela dit, René ne semble pas très affecté par ce qui est arrivé à sa famille puisque ici, à Genovia, tout le monde l’appelle Votre Altesse prince René, et qu’il bénéficie de tous les privilèges accordés aux membres de la famille royale.
Mais ce n’est pas parce que René a quatre ans de plus que moi et est en première année d’une école de commerce qu’il a le droit de me traiter avec condescendance. Personnellement, je pense que le jeu est néfaste, et je ne comprends pas que le prince René passe autant d’heures à jouer à la roulette au lieu d’utiliser son temps de façon plus productive.
Alors, oui, c’est vrai, je le lui ai dit. Il me semblait que le prince René avait besoin de se rendre compte que la vie, ce n’est pas seulement conduire une Alfa Romeo ou nager dans la piscine couverte du palais vêtu d’un minuscule slip noir comme c’est la mode sur la Côte d’Azur.
Vous savez quoi ? Il m’a ri au nez.
Mais bon. J’ai fait ce que je pouvais pour montrer à un prince complètement égocentrique qu’il avait tort de mener une vie de bâton de chaise.
6 jours QJNPVM.
J’ai passé une journée déprimante. C’était le vingtcinquième anniversaire de la mort de Grand-Père. Inutile de préciser que je ne l’ai pas connu... J’ai dû déposer une couronne de fleurs sur sa tombe, porter un voile noir, etc. Comme le voile collait à mon brillant à lèvres et que je n’arrivais pas à l’écarter même en soufflant dessus, j’ai fini par le retirer. Résultat, mon chapeau s’est envolé et a atterri dans le port de Genovia. Le prince René l’a repêché avec l’aide de sympathiques jeunes femmes qui bronzaient à la terrasse d’un café non loin de là. Sauf que mon chapeau ne sera plus jamais le même.
7 jours QJNPVM.
Dimanche 28 décembre
Mon père a surpris le prince René dans la piscine du palais en compagnie de « petites amies », plutôt délurées. Il lui a dit qu’à dix-huit ans, il devrait prendre un peu plus conscience de son statut de « princeWilliam du continent ». Mais sans les joyaux de la couronne, puisque la famille de René n’a que le titre et non la fortune. Papa a également essayé de lui faire comprendre que ces filles se servaient de lui. René a rétorqué que ça ne le gênait pas qu’on se serve de lui de cette manière, et qu’il ne voyait pas où était le problème. Papa s’est mis encore plus en colère. J’aurais dû prévenir René de ne pas contredire mon père quand la veine de son front commence à ressortir, mais je n’ai pas eu le temps.
J’ai essayé d’appeler Michael. La ligne était tout le temps occupée. Il devait sans doute être connecté à Internet. Je lui aurais bien envoyé un mail mais la porte de la salle du palais où se trouvent les ordinateurs avec accès à Internet (dans les bureaux du gouvernement) était fermée à clé.
8 jours QJNPVM.
Lundi 29 décembre
J’ai rencontré le directeur du casino de Genovia. Quand j’ai vu comment il insistait pour maintenir un voiturier à la disposition de ses clients, ça m’a découragée. J’ai pourtant essayé de lui expliquer qu’il augmenterait ses revenus s’il installait des parcmètres, mais il m’a carrément rembarrée.
J’ai demandé à papa une clé des bureaux du gouvernement pour pouvoir envoyer des mails à Michael quand je veux, mais il m’a rembarrée lui aussi, sous prétexte que René y a été surpris la semaine dernière en train de photocopier les photos de ses « petites amies » dans la piscine. J’ai assuré à mon père que jamais je ne ferais ce genre de chose et que je n’avais rien à voir avec un prince sans toit qui porte des slips de bain ridiculement petits, mais apparemment mes arguments sont tombés dans l’oreille d’un sourd.
Neuf jours que je n’ai pas vu Michael. Je suis en train de devenir FOLLE !!!!!!!!!!!!!!!
Mardi 30 décembre
J’AI REÇU UN MESSAGE DE MICHAEL via la standardiste du palais. Voilà ce qu’il me dit : Tu me manques. J’essaierai de t’appeler à bonne nuit. J’ai demandé à la standardiste si elle était sûre que Michael avait bien dit ça, et elle m’a assuré que oui. Le problème, c’est que ce message n’a aucun sens. Me rappeler « à bonne nuit » ? À moins qu’un mot dans la langue klingon5 ne sonne comme Star Trek sonne comme bonne nuit. Je n’ai pas eu le temps de le rappeler : j’ai été prise toute la journée par le ministre de la Défense qui m’a expliqué ce qu’il faudrait faire en cas d’incursion militaire sur notre territoire – peu probable – menée par des forces ennemies.
10 jours QJNAPVM.
J’ai posé pour mon portrait. Je ne devais ni bouger ni sourire. Ce qui n’était pas évident car Rommel, le chien de Grand-Mère, allait et venait dans l’atelier avec une espèce de cône en plastique autour de la tête pour l’empêcher de lécher le peu de poils qu’il lui reste. Je tiens à préciser que Rommel est le seul chien à ma connaissance qui soit atteint d’un trouble obsessionnel-compulsif (dixit le vétérinaire royal de Genovia), lequel trouble le pousse à se lécher jusqu’à la dépilation. D’après les vétos américains que Grand-Mère a consultés, c’est tout simplement une allergie qui est responsable de sa chute de poils.
Je ne suis pas du genre à me moquer de la souffrance d’une créature à quatre pattes, mais je dois dire que Rommel était assez drôle. Comme il avait perdu sa vision périphérique (à cause du cône), il n’arrêtait pas de se cogner dans les armures.
Le peintre royal dit qu’il désespère de finir un jour mon portrait. Aujourd’hui, il a dû me lâcher plus tôt pour que je puisse assister au réveillon organisé au palais. Je n’avais pas trop le moral à minuit quand tout le monde s’est embrassé et que Michael n’était pas là. J’ai essayé de l’appeler mais il n’y avait personne. À tous les coups, les Moscovitz sont allés à une fête sur la plage ou au bord d’une piscine.
Vous savez ce que c’est la grande mode en Floride ? Organiser des fêtes sur la plage ou au bord d’une piscine. Et vous savez qui va à ces fêtes ? Des filles en bikini. Comme les filles qu’on voit dans Blue Crush. Comme Kate Bosworth qui a un œil bleu et l’autre marron, et qui porte des shorts minuscules. Oui, celle-là. Comment voulez-vous que quiconque rivalise avec une surfeuse qui a un œil bleu et un œil marron ? J’aimerais bien le savoir !!!
René a essayé de m’embrasser à minuit mais je lui ai dit d’aller embrasser Grand-Mère à la place. Il avait tellement bu de champagne qu’il l’a fait ! Grand-Mère l’a frappé avec un morceau d’ananas taillé en forme de cygne.
11 jours QJNPVM.
Jeudi 1er janvier
J’AI REÇU UN MAIL DE MICHAEL !!!!!!!! René a volé les clés des bureaux du gouvernement parce qu’il avait soi-disant quelque chose à « vérifier sur le Net » (la vérité, c’est qu’il voulait faire le test : « Êtes-vous sexy ou pas ? ») Bref, je passais dans le couloir pour aller à la piscine couverte, quand je l’ai vu. Je lui ai aussitôt demandé de me laisser entrer. René avait encore tellement la gueule de bois à cause de tout le champagne qu’il a bu hier soir qu’il n’a même pas cherché à se défendre.
Je me suis connectée immédiatement et j’ai vu que j’avais reçu un mail de Michael !!!
Il s’avère qu’il n’a PAS réveillonné avec des filles genre Kate Bosworth.
Voilà ce qu’il m’a écrit :
Mia,
Je suis désolé de t’avoir manquée quand tu as appelé. J’étais à la soirée de la maison de retraite de mes grands-parents (ils ont passé Ricky Martin toute la nuit en s’imaginant que c’était à la mode). Tu n’as pas reçu mon message ? Tant pis. En tout cas, je te souhaite une super bonne année. Tu me manques terriblement, etc., etc.
P.S. : Est-ce qu’on t’enferme dans une tour là-bas ou quoi ? N’oublie pas que même les prisonniers ont droit à certains privilèges. Vais-je devoir aller à Genovia et grimper à tes cheveux pour te voir ?
Avez-vous déjà lu quelque chose de plus romantique ? Il dit que je lui manque terriblement, etc., etc. Et vous savez ce que ça veut dire : Etc., etc ? Qu’il m’aime. Ce n’est pas ce que etc., etc. signifie ?
J’ai bêtement demandé à René ce qu’il en pensait. D’après lui, un homme qui n’écrit pas noir sur blanc ce qu’il ressent pour une femme n’est pas un vrai homme.
Je lui ai rétorqué que ce n’était pas une vraie lettre, mais un e-mail. Ce qui fait une différence.
N’est-ce pas ?
J’ai passé la journée auprès des malades de l’Hôpital général de Genovia. C’était très déprimant. Non pas à cause des malades mais du clown que l’hôpital a engagé pour remonter le moral des enfants hospitalisés. JE DÉTESTE LES CLOWNS ! J’en ai très peur depuis que j’ai lu Ça, de Stephen King. Je trouve scandaleux que des écrivains prennent des personnages tout à fait innocents comme les clowns pour les transformer en créatures du diable ! Résultat, tout le temps où j’étais à l’hôpital, j’ai évité le clown de peur que ce soit un suppôt de Satan.
12 jours QJNPVM.
Vendredi 2 janvier
Et voilà. Nous sommes le 2 janvier et j’assiste en ce moment à une session parlementaire où je fais semblant d’écouter de vieux bonhommes coiffés d’une perruque qui parlent de stationnement depuis des heures.
Cela dit, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Si je n’avais pas soulevé cette histoire de parcmètres, rien de tout cela ne serait arrivé.
Mais comment n’ont-ils pas pensé plus tôt que ne pas faire payer le stationnement, c’était encourager les touristes à venir en voiture au lieu de prendre le train, ce qui provoque des embouteillages monstrueux dans les rues déjà très encombrées de Genovia, et n’est pas pour soulager notre infrastructure plus que chancelante !
Je suppose que je devrais être flattée qu’ils prennent avec autant de sérieux n’importe laquelle de mes suggestions. D’accord, je suis la princesse de Genovia, mais qu’est-ce que j’y connais ? Ce n’est pas parce que je suis de sang royal et que je suis en seconde au lycée Albert-Einstein dans une classe d’élèves surdoués que je suis douée moi-même. En fait, c’est l’inverse. Je ne suis pas douée du tout, je suis juste moyenne dans à peu près tout, à l’exception de la pointure de mes chaussures où là, je dépasse tout le monde haut la main. Je n’ai aucun talent non plus. Pour tout dire, je me suis retrouvée dans cette classe parce que j’étais nulle en maths et que les profs ont décidé que je pourrais profiter de l’heure durant laquelle les autres élèves travaillent sur leurs projets personnels pour rattraper mon retard.
Bref, quand on y réfléchit, c’est très gentil de la part des membres du Parlement de Genovia de prendre en compte tout ce que je dis.
Mais je ne peux pas non plus leur être complètement reconnaissante dans la mesure où chaque instant que je passe ici est un instant loin de l’amour de ma vie. Ça fait quand même treize jours et dix-huit heures que je n’ai pas vu Michael. Ce qui équivaut à presque deux semaines. Et pendant tout ce temps, je ne lui ai parlé qu’une seule fois au téléphone à cause du décalage horaire, et à cause de l’emploi du temps DÉLIRANT qu’on m’a prévu. Quand, je vous le demande, j’aurais pu appeler mon petit ami ?
Vous savez quoi ? Non contentes de faire pleurer une jeune fille de bientôt quinze ans, les forces du destin s’appliquent à nous mettre des bâtons dans les roues, à Michael et à moi. Je n’ai même pas eu le temps de lui acheter un cadeau d’anniversaire, et c’est dans trois jours.
Cela fait presque deux semaines que je suis la petite amie de Michael Moscovitz et je le délaisse déjà.
D’après Grand-Mère, qui est bien placée pour le savoir, il n’y a pas que Michael que je délaisse. Je délaisse mon peuple, mon père ; bref, tout et tout le monde.
Je ne comprends pas. Il ne s’agit que de PARCMÈTRES, bon sang !
13 jours, dix-neuf heures que je n’ai pas vu Michael.
D’APRÈS L’AGENDA
ROYAL
DE LA PRINCESSE
AMÉLIA MIGNONETTE THERMOPOLIS RENALDO
Samedi 3 janvier
8 h 00 - 9 h 00
Petit déjeuner avec les cavaliers de l’équipe équestre de Genovia
Personnellement, je n’ai rien contre les gens qui font du cheval parce que je trouve que les chevaux, c’est assez cool. Mais qu’est-ce que le personnel des cuisines du palais a CONTRE LE KETCHUP ? Sérieux. Depuis que j’ai décidé de recommencer à manger des produits laitiers et des œufs parce que je ne peux pas vivre sans fromage et que McDonald s’est mis à traiter les poules qui pondent les œufs des McMuffins avec humanité, je me suis rendu compte qu’il n’y avait rien de meilleur qu’une omelette au fromage pour le petit déjeuner. MAIS COMMENT VOULEZ-VOUS QUE JE L’AIME SANS KETCHUP ??? La prochaine fois que je viens à Genovia, j’apporterai ma propre bouteille.
9 h 30 - 12 h 00
Inauguration officielle de la nouvelle aile moderne du musée de Genovia
Vous savez quoi ? Je peins mieux que certains de ces artistes à la gomme et on ne peut pas dire que j’ai du talent. Enfin, ils ont accroché une toile de maman (Portrait de la fille de l’artiste à l’âge de cinq ans refusant de manger son hot-dog), du coup, ça va.
12 h 30 - 14 h 00
Déjeuner avec l’ambassadeur du Japon à Genovia, Domo Arigato
Débat au Parlement de Genovia
Encore ??? J’ai passé toute la session à penser à Michael. Parfois, quand il sourit, il a un coin de sa bouche qui monte plus haut que l’autre. Il a aussi des lèvres super belles. Et des yeux noirs magnifiques. Des yeux qui voient au fond de mon âme. IL ME MANQUE TELLEMENT !!! RAS LE BOL !!!!! SI JE NE ME RETENAIS PAS, J’APPELLERAIS AMNESTY INTERNATIONAL. C’EST UNE TORTURE QUE DE M’ÉLOIGNER DE L’HOMME QUE J’AIME PENDANT SI LONGTEMPS !
17 h 00 - 18 h 00
Thé avec la Société historique de Genovia
J’ai appris des tas de choses très intéressantes sur certains membres de ma famille. Dommage que le prince René n’ait pas été là (il est allé s’acheter un nouveau cheval pour le polo). Je suis sûre que ça l’aurait intéressé, aussi.
Dîner officiel avec les membres de l’Association commerciale de Genovia
Le prince René n’a rien raté.
14 jours QJNPVM. Je ne crois pas que je pourrai supporter son absence plus longtemps.
Poème pour M.M.
De l’autre côté de l’océan bleu
Michael est loin de mes yeux
Mais au fond de moi
Il est là
Car il vit à jamais dans mon cœur
Même si je ne l’ai pas vu depuis 336 heures.
Je vais devoir m’améliorer si je veux rendre un hommage plus juste à mon amour.
D’APRèS L’AGENDA
ROYAL
DE LA PRINCESSE
AMELIA MIGNONETTE THERMOPOLIS RENALDO
9 h 00 - 10 h 00
Messe dans la chapelle royale
Je croyais que lorsqu’on assistait à une messe, on était habité par un bien-être spirituel. Moi, j’ai surtout eu envie de dormir...
10 h 30 - 16 h 00
Sortie en mer sur le yacht royal de Genovia
Pourquoi est-ce que je suis la personne la moins bronzée de Genovia ? J’aimerais bien savoir aussi combien René a de maillots de bain. À croire qu’il se prend pour un mannequin de chez Speedo. En tout cas, la fraîcheur de l’air n’a pas l’air de le gêner... C’est sûr qu’avec toutes ces filles qui hurlaient son nom, sur le port, ça doit lui tourner la tête. Est-ce qu’elles seraient encore aussi folles de lui si elles savaient que je l’ai surpris un jour en train de chanter une chanson de Enrique Inglesias devant le grand miroir de la salle de réception, avec mon spectre en guise de micro ?
Leçons de princesse avec Grand-Mère
Même à Genovia, ça continue. Comme si je ne m’étais pas rendu compte que cette histoire de discours avait troublé tout le monde. Je tiens tout de même à rappeler que j’ai déjà juré de ne plus jamais m’écarter du texte écrit quand je m’adresse au peuple de Genovia. Grand-Mère va-t-elle me rebattre les oreilles longtemps avec ça ?
19 h 00 - 22 h 00
Dîner officiel avec le Premier ministre français et sa famille
René a disparu pendant quatre heures avec la fille de vingt ans du Premier ministre. Ils ont raconté qu’ils étaient allés jouer à la roulette. Si c’est vrai, pourquoi est-ce qu’ils n’arrêtaient pas de rigoler ? Et si René ne fait pas attention, il va se retrouver avec un petit prince sur les bras plus tôt qu’il ne le pense.
15 jours QJNPVM.
J’ai essayé de l’appeler deux fois aujourd’hui.
Mrs. Moscovitz (la mère de la mère de Michael) a répondu la première fois. Elle m’a dit que Michael était allé s’acheter une cartouche d’encre pour son ordinateur. La deuxième fois, c’est son père qui a décroché. Michael et Lilly étaient partis au cinéma avec leurs grands-parents pour voir le dernier James Bond. Les veinards !!!!!!!!!!!!
D’APRÈS L’AGENDA
ROYAL
DE LA PRINCESSE
AMÉLIA MIGNONETTE THERMOPOLIS RRENALDO
Lundi 5 janvier
8 h 00 - 9 h 00
Petit déjeuner avec la compagnie de ballet de Genovia
C’est la première fois que je vois René se lever avant 10 heures.
9 h 30 - 12 h 00
Répétition de La Belle au bois dormant au studio de danse de la compagnie
Je ne sais pas si Lilly a raison de dire que l’art du ballet est totalement sexiste. Je tiens à préciser que les garçons portent des collants. Ce qui est une information qui en dit long, si vous voyez à quoi je pense.
Déjeuner avec le ministre du Tourisme de Genovia
Accordera-t-on jamais un peu de mérite à mon idée de parcmètres ? Par ailleurs, le passage continuel des touristes qui débarquent des ferrys tous les jours dans le port de Genovia est assez mauvais pour certains de nos très vieux ponts, comme le pont des Vierges. Le pont s’appelle comme ça à cause de mon arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-grand-mère Agnès, qui s’est jetée de là pour ne pas entrer dans les ordres comme le désirait son père (elle a eu raison, vu qu’elle a été repêchée par un navire de la marine royale et qu’elle s’est enfuie ensuite avec le capitaine, à la grande consternation de la maison Renaldo). Je me fiche de savoir quel pourcentage du produit national brut repose sur la fréquentation des touristes qui viennent passer une journée ici. Ils détruisent TOUT !
14 h 30 - 16 h 30
Conférence de presse donnée par mon père sur l’importance de Genovia en tant que partenaire incontournable dans l’économie mondiale d’aujourd’hui
Est-il possible de s’ennuyer plus dans la vie ? Michael ! Ô, Michael ! Où es-tu, mon adoré ?
17 h 00 - 18 h 00
Thé avec Grand-Mère et les dames de charité de Genovia
J’ai renversé du thé sur mes nouveaux escarpins en satin blanc qui allaient avec ma robe blanche. Maintenant, ils vont avec le thé.
Dîner officiel avec l’ancien chef d’État russe et sa femme
René a été absent pendant presque tout le repas. On l’a retrouvé après le dessert en train de faire des cabrioles dans la fontaine du jardin avec la danseuse étoile du ballet de Genovia. Papa était très en colère. J’ai essayé de le calmer en faisant la conversation avec sa nouvelle petite amie, Miss République tchèque, histoire qu’elle se sente bien accueillie dans la famille au cas où elle en ferait partie un jour.
16 jours QJNPVM. Si ça continue, je vais devenir aphasique comme Drew Barrymore dans Firestarter et me mettre à penser que mon père est un chapeau.
Mardi 6 janvier
Dans les appartements privés de la princesse douairière
IL M’A APPELÉE !!!!!!!!!!!
Sauf que je n’étais pas là (comme d’habitude). J’étais à l’opéra de Genovia. On y donnait La Bohème. J’ai bien aimé, à part la fin, parce que tous les personnages sympa MEURENT.
Michael a laissé un message à la standardiste du palais. Il me dit : Salut.
Salut !!!!!!!!! Michael m’a dit SALUT !!!
J’ai essayé de le rappeler, bien sûr, mais les Moscovitz étaient tous sortis à l’exception du Dr. Moscovitz (Mme). Elle attendait le coup de fil d’une de ses patientes, qui avait besoin d’une séance en urgence (une accro du shopping qui avait rechuté à cause des soldes de janvier).
Le Dr. Moscovitz m’a promis de dire à Michael que j’avais rappelé et de lui transmettre mon message. Qui est : Salut.
J’aurais voulu lui dire quelque chose de plus romantique, mais ce n’est pas évident de prononcer le mot « aimer » quand on s’adresse à la mère de son petit copain.
Ce n’est pas vrai ! Grand-Mère est encore en train de hurler. Elle m’a fait la morale toute la journée à cause de ce stupide bal que le palais a organisé pour me souhaiter un bon retour en Amérique. Il doit avoir lieu la veille de mon départ... et de mes retrouvailles avec l’amour de ma vie.
En deux mots : le princeWilliam y assistera, vu qu’il sera de toute façon à Genovia puisqu’il participe au match de polo organisé au profit d’une œuvre de charité. Bref, Grand-Mère a peur que je gaffe devant lui (P.W.) comme j’ai gaffé quand je ne me suis adressée pour la première fois à mon peuple.
Comme si j’allais parler de parcmètres avec le prince William. Enfin, passons.
« Franchement, tu es une énigme pour moi ! s’est-elle écriée. Tu es dans la lune depuis qu’on a quitté New York. C’est pire que d’habitude ! »
Elle m’a dit ça en plissant les yeux et je peux vous assurer qu’elle fait super peur, dans ces moments-là. Grand-Mère s’est fait tatouer un trait d’eye-liner autour des paupières. Comme cela, le matin, elle n’a plus qu’à se raser les sourcils et s’en dessiner de nouveaux au lieu de s’embêter avec le mascara et le crayon.
« Tu ne penses pas encore à ce garçon ! » a-t-elle dit.
Ce garçon. C’est comme ça que Grand-Mère appelle Michael depuis que je lui ai annoncé qu’il était ma raison de vivre. Enfin, à l’exception de Fat Louie, mon chat, évidemment.
« Si tu parles de Michael Moscovitz, ai-je répondu de ma voix la plus princière, oui, c’est à lui que je pense. Et il occupe mes pensées pratiquement tout le temps car mon cœur brûle pour lui. »
En guise de réponse, Grand-Mère s’est contentée de ronchonner.
« Amours adolescentes, a-t-elle dit. Ça te passera. »
Excuse-moi, Grand-Mère, mais je crois que tu te trompes. J’aime Michael depuis à peu près huit ans, à l’exception peutêtre de deux petites semaines où j’ai cru être amoureuse de Josh Richter. Huit ans, c’est plus que la moitié de ma vie. Un amour aussi profond et constant ne s’oublie pas si facilement. Mais apparemment, ce genre de sentiment échappe à ta compréhension prosaïque des émotions humaines.
Bien sûr, je ne lui ai rien dit de tout cela, étant donné que Grand-Mère a de très longs ongles avec lesquels elle a tendance à griffer « sans le faire exprès ».
Petite précision : ce n’est pas parce que Michael est ma raison de vivre que je vais me mettre à décorer mon classeur de maths de petits cœurs et de petites fleurs, ou que je vais écrire partout Mrs. Michael Moscovitz, comme Lana Weinberger (sauf qu’elle, c’est « Mrs. Josh Richter » qu’elle écrit). Non seulement je trouve ça complètement stupide et je refuse de perdre mon identité pour celle de mon mari, mais en tant que prince consort, c’est Michael qui doit porter mon nom. Pas Thermopolis. Mais Renaldo. Michael Renaldo. Ça sonne pas mal, en fait.
Encore treize jours avant de revoir les lumières de New York et les yeux noirs de Michael. Je vous en prie, mon Dieu, faites que je vive jusque-là.
S.A.R. Michael Renaldo.
Michael Moscovitz Renaldo de Genovia.
17 jours QJNPVM.
D’APRÈS L’AGENDA
ROYAL
DE LA PRINCESSE
AMELIA MIGNONETTE THERMOPOLIS RENALDO
Mercredi 7 janvier
Tout ce que j’ai à dire aujourd’hui, c’est que si ces gens VEULENT que leur infrastructure soit détruite par les cars de touristes... qui consomment un maximum d’essence, c’est leur problème. Qui suis-je pour me mettre en travers de leur route ?
Oh, pardon, je suis juste leur PRINCESSE.
18 jours QJNPVM.
D’APRÈS L’AGENDA
ROYAL
DE LA PRINCESSE
AMELIA MIGNONETTE THERMOPOLIS RENALDO
8 h 00 - 9 h 00
Petit déjeuner avec l’ambassadeur d’Espagne
Toujours pas de Ketchup !!!!!!!
9 h 30 - 12 h 00
Dernières touches à mon portrait. Je ne serai autorisée à le voir fini que le soir du bal, quand il sera dévoilé devant toute l’assistance. J’espère que l’artiste n’a pas peint le bouton qui est en train de pousser sur mon menton. Ce serait assez gênant.
12 h 30 - 14 h 00
Déjeuner avec le ministre des Finances de Genovia
ENFIN!!!!!!!!!! Quelqu’un qui est d’accord avec moi sur l’avantage fiscal des parcmètres ! Et cet homme, c’est le ministre des Finances !
Dommage que Grand-Mère ne soit toujours pas convaincue. Parce que c’est elle, davantage que papa ou le Parlement, qui a le plus d’influence auprès de l’opinion publique.
Nouvelles répétitions aujourd’hui sur ce que je peux dire ou non au prince William quand je le rencontrerai. Par exemple, je peux lui dire : « Je suis enchantée de faire votre connaissance » mais pas « On vous a déjà dit que vous ressemblez à Heath Ledger ? ».
René, qui est passé en coup de vent, m’a suggéré de lui demander ce qui s’était vraiment passé entre lui et Britney Spears. Grand-Mère a dit que si je faisais ça, elle me confierait Rommel la prochaine fois qu’elle va à Baden-Baden pour un lifting.
19 h 00 - 23 h 00
Dîner officiel avec le plus grand importateur-exportateur d’huile d’olive de Genovia
RAS.
19 jours QJNPVM.
Vendredi 9 janvier, 3 heures
du matin
Dans mes appartements privés du palais
Je viens de penser à quelque chose : quand Michael m’a dit qu’il m’aimait, le soir du bal du lycée, peut-être qu’il voulait juste parler d’amitié, et non pas de passion enflammée. Bref, qu’il m’aimait bien, comme on aime bien une copine.
Sauf qu’on ne fourre pas sa langue dans la bouche d’une copine.
Enfin, peut-être qu’ils le font, en Europe, mais certainement pas en Amérique.
À l’exception de Josh Richter, qui m’a embrassée avec la langue le soir du bal du lycée. Mais il n’était PAS amoureux de moi !!!!!!!!
Cette histoire m’embête un peu. Franchement. Ça m’a même réveillée en plein milieu de la nuit. Ce qui n’est pas très malin, vu que demain je dois inaugurer le nouvel orphelinat de Genovia.
Mais comment dormir quand mon petit copain est en Floride et ne m’aime peut-être que comme une copine ? Qui sait s’il n’est pas en train de tomber amoureux de Kate Bosworth en ce moment même ? Contrairement à moi, Kate Bosworth est douée pour quelque chose (le surf). KATE BOSWORTH a du talent. PAS MOI.
Pourquoi est-ce que je suis aussi bête ? Pourquoi est-ce que je n’ai pas demandé à Michael de me préciser de quel amour il s’agissait quand il m’a dit qu’il m’aimait ? Pourquoi je ne lui ai pas dit : « Tu m’aimes comment ? Comme une amie ? Comme la femme de ta vie ? »
Je suis vraiment trop bête.
Jamais je n’arriverai à me rendormir. C’est impossible, sachant que l’homme que j’aime pense peut-être à moi comme à une copine qu’il aime bien embrasser sur la bouche.
Il ne me reste qu’une chose à faire : appeler la seule personne de ma connaissance qui pourra m’aider. Et je sais que je peux l’appeler parce que :
1. Il est sept heures du matin à Aspen, où elle est en ce moment.
2. Elle a reçu un nouveau portable pour Noël, donc je peux la joindre, qu’elle soit assise sur un télésiège ou en train de skier.
Heureusement que j’ai le téléphone dans ma chambre. Même si je dois faire le 9 pour avoir un numéro à l’extérieur du palais.
20 jours QJNPVM.
Vendredi 9 janvier, 3 heures
du matin
Toujours dans mes appartements privés du palais
Tina a décroché à la première sonnerie ! Elle n’était pas du tout assise sur un télésiège. Elle s’est foulé la cheville hier. Merci, mon Dieu, que Tina se soit foulé la cheville hier. Parce que ça veut dire qu’elle est disponible aujourd’hui pour moi, en ces heures difficiles.
Et merci aussi qu’elle n’ait pas trop mal (Tina m’a dit que ça l’élançait seulement quand elle bougeait).
Bref, Tina était dans sa chambre et regardait Co-Ed Call Girl quand j’ai appelé. C’est le téléfilm où Tori Spelling joue le rôle d’une étudiante qui travaille comme call-girl pour payer ses études. J’ai lu que c’était tiré d’une histoire vraie.
J’ai eu un peu de mal au début à obliger Tina à m’écouter. Tout ce qu’elle voulait savoir, c’est ce que je vais dire au prince William. J’ai essayé de lui expliquer que, d’après Grand-Mère, je n’étais pas autorisée à lui dire plus que : « Enchantée de faire votre connaissance. » Je crois que Grand-Mère a peur que je l’entretienne de parcmètres (elle ne trouve pas ça très glamour).
De toute façon, qu’est-ce que ça peut faire, ce que je vais lui dire ? Mon cœur est pris. J’ai l’impression que Tina a été un peu déçue quand je lui ai répondu ça.
« Tu pourrais au moins lui demander son adresse e-mail pour moi, a-t-elle dit. Je te rappelle que tout le monde ne vit pas une histoire d’amour aussi passionnée que la tienne. »
Depuis qu’il sort avec Tina, David El-Farouq n’a pas cessé de se dédire. Il lui a expliqué qu’un garçon ne peut pas s’engager auprès d’une fille avant seize ans. Du coup, même si Tina dit qu’il est son Roméo en pantalon baggy, elle se considère libre pour le cas où un joli garçon serait prêt, lui, à s’engager. À mon avis, le prince William est trop vieux pour elle. Je lui ai suggéré Harry, le petit frère de William, qui est, paraît-il, très mignon aussi. Mais Tina m’a répondu que dans ce cas, elle ne serait jamais reine. Je la comprends. En même temps, je peux vous dire qu’une fois qu’on est de l’autre côté de la barrière (c’est-à-dire du côté des rois et des princes), c’est nettement moins drôle que ce qu’on pouvait imaginer.
« D’accord, ai-je promis à Tina. Je vais essayer de t’obtenir l’adresse e-mail du prince William. Mais j’ai d’autres soucis en tête, Tina. Par exemple, je me demande si Michael ne m’aime pas juste comme une copine.
— Quoi ? s’est exclamée Tina, choquée. Je croyais qu’il avait employé le mot avec un grand A le soir du bal du lycée !
— C’est vrai, ai-je répondu. Sauf qu’il n’a pas dit qu’il était amoureux. Il a juste dit qu’il m’aimait. »
Heureusement, je n’ai pas eu besoin d’en dire plus. Tina a suffisamment lu d’histoires d’amour pour comprendre de quoi je parlais.
« Les garçons ne disent pas qu’ils aiment une fille s’ils ne l’aiment pas vraiment, Mia, a déclaré Tina. Je le sais parce que... Dave ne me l’a jamais dit, a-t-elle ajouté d’une voix tremblante.
— Je comprends, Tina, ai-je répondu avec compassion. Mais la question que je me pose, c’est comment Michael m’aime. Je l’ai entendu dire à son chien qu’il l’aimait. Mais il n’est pas amoureux de son chien.
— Je vois ce que tu veux dire, a déclaré Tina, bien que me paraissant assez perdue. Qu’est-ce que tu vas faire, alors ?
— C’est pour ça que je t’ai appelée ! me suis-je écriée. Tu crois que je devrais lui demander ? »
Tina a poussé un cri. J’ai cru qu’elle avait mal parce qu’elle avait bougé la cheville. Mais pas du tout. C’est parce qu’elle était horrifiée par ce que je venais de dire.
« Surtout pas ! a-t-elle hurlé. Tu te rends compte comme tu le mettrais dans l’embarras. Il faut que tu sois beaucoup plus subtile. N’oublie pas que même si Michael est un être supérieur, il n’en reste pas moins un garçon. »
Je n’avais pas pensé à ça. Il y a des tas de choses, finalement, auxquelles je n’ai jamais pensé. Par exemple, je n’en revenais pas de m’être laissée aller à la félicité, portée par le seul bonheur de savoir que Michael m’aimait bien, alors que pendant tout ce temps, il était peut-être tombé amoureux d’une autre fille, plus intellectuelle ou plus sportive.
« Peut-être que je devrais juste lui demander s’il m’aime comme une amie ou comme une petite amie ?
— Mia, a fait Tina, franchement je ne crois pas que tu devrais lui poser ce genre de question de but en blanc. Qui sait s’il ne va pas prendre ses jambes à son cou, comme un faon effarouché ? Les garçons ont tendance à faire ça. Ils ne sont pas comme nous. Ils n’aiment pas parler de leurs sentiments. »
C’est incroyable. Pour entendre un conseil aussi avisé que celui-ci, j’ai dû appeler quelqu’un qui se trouve à douze mille kilomètres d’ici. Merci, mon Dieu, d’avoir fait que Tina Hakim Baba existe, c’est tout ce que j’ai à dire.
« Qu’est-ce que je devrais faire à ton avis ? ai-je demandé.
— Avant ton retour, malheureusement pas grand-chose, a répondu Tina. La seule façon de connaître les sentiments d’un garçon, c’est de le regarder dans les yeux. Tu ne découvriras rien au téléphone, Mia. Les garçons sont assez mauvais au téléphone. »
Tout à fait vrai. Mon ex-petit ami, Kenny, en est un bon exemple.
« J’ai trouvé, a repris Tina, avec la voix de quelqu’un qui vient d’avoir une idée. Pourquoi ne demandes-tu pas à Lilly ?
— Je ne sais pas. Ça me fait un peu bizarre de la mêler à ça... »
En vérité, on n’avait pas encore vraiment parlé, Lilly et moi, de mes sentiments pour son frère ou de ses sentiments à lui pour moi. J’avais toujours pensé que Lilly serait folle de rage. En fait, elle nous a plus ou moins aidés quand elle a confié à Michael que c’était moi qui lui envoyais des lettres d’amour anonymes.
« Demande-lui, tu verras bien, a insisté Tina.
— Mais il est tard.
— Tard ? a répété Tina. Il n’est que neuf heures en Floride !
— C’est-à-dire l’heure à laquelle les grands-parents de Michael et de Lilly vont se coucher. Imagine que j’appelle et que je les réveille. Ils ne me le pardonneront jamais. »
Et ça risquerait de se retourner contre moi, le jour du mariage. Je ne l’ai pas dit à Tina. Mais maintenant que j’y repense, je regrette de m’être tue parce que je suis sûre qu’elle aurait compris.
« Ils ne t’en voudront pas si tu les réveilles, Mia, a fait remarquer Tina. Ils savent que tu appelles d’un autre fuseau horaire. En tout cas, n’oublie pas de me téléphoner quand tu lui auras parlé. Je veux savoir ce qu’elle te dira. »
Je dois avouer que ma main tremblait quand j’ai composé le numéro. Pas tant parce que je craignais de réveiller Mr. et Mrs. Moscovitz et qu’ils me haïssent pendant le restant de leur vie, mais parce qu’il y avait une chance pour que ce soit Michael qui décroche. S’il y avait une chose dont j’étais sûre et certaine, c’est que je n’allais pas lui demander à lui s’il m’aimait comme une amie ou une petite amie. Tina me l’avait interdit.
Lilly a répondu dès la première sonnerie. Voilà comment s’est déroulée notre conversation.
Lilly : Ouah ! C’est toi ?
Moi : Il n’est pas trop tard ? Je n’ai pas réveillé tes grands-parents, j’espère ?
Lilly : Eh bien... si, mais ne t’inquiète pas. Ils s’en remettront. Comment ça se passe, alors ?
Moi : Tu veux parler de Genovia ? Ça va.
Lilly : Un peu que ça doit aller ! Avec tout le monde qui est aux petits soins pour toi, trente-six mille serviteurs prêts à satisfaire le moindre de tes désirs, et une couronne sur la tête !
Moi : La couronne est un peu lourde. Mais, écoute, je t’appelle pour autre chose, Lilly. Dis-moi, est-ce que Michael a rencontré une autre fille ?
Lilly : Une autre fille ? De quoi tu parles ?
Moi : Tu sais bien. Une fille de Floride, qui fait du surf. Une fille qui s’appellerait Kate, ou Anne-Marie, avec un œil bleu et l’autre marron. Dis-moi la vérité, Lilly. Je te jure que je suis capable de l’entendre.
Lilly : Premièrement, si Michael avait rencontré une autre fille, ça voudrait dire qu’il a éteint son ordinateur portable et qu’il est sorti de l’appartement, ce qu’il ne fait que pour venir dîner et aller s’acheter du matériel informatique. Il est blanc comme un cachet d’aspirine. Et deuxièmement, il est hors de question qu’il sorte avec une fille du nom de Kate, parce que c’est toi qu’il aime.
Moi (en pleurant pratiquement de soulagement) :C’est vrai, Lilly ? Tu me le jures ? Tu ne me racontes pas des craques pour que je me sente mieux ?
Lilly : Non, je ne te raconte pas de craques. Cela dit, je me demande pendant combien de temps encore il va te vénérer, sachant que tu ne t’es même pas rappelé que c’était son anniversaire.
J’ai eu l’impression que quelque chose me saisissait à la gorge. L’anniversaire de Michael ! J’avais oublié l’anniversaire de Michael ! Je l’avais noté sur mon nouvel agenda mais avec tout ce qui s’était passé...
« Oh, Lilly ! ai-je hurlé. J’ai complètement oublié !
— Oui, a répondu Lilly. Tu as oublié. Mais ne te fais pas de mouron. Je suis pratiquement sûre qu’il ne s’attendait pas à recevoir de carte. Il sait bien que tu es partie pour assumer ton rôle de princesse de Genovia. Comment peut-on espérer que tu te souviennes de quelque chose d’aussi important que l’anniversaire de ton petit ami ? »
Ce n’était vraiment pas juste. On ne sort ensemble que depuis vingt-deux jours, Michael et moi, et sur ces vingt-deux jours, j’ai été très, très occupée pendant vingt et un jours. C’est facile pour Lilly de se moquer. On voit bien qu’elle n’a pas eu à inaugurer des navires ou à partir en croisade pour des parcmètres. Je suis prête à parier que personne n’imagine à quel point le métier de princesse est difficile.
« Lilly, est-ce que je peux lui parler ? ai-je demandé. À Michael, je veux dire ?
— Bien sûr, a répondu Lilly avant de hurler : Michael ! Téléphone !
— Lilly ! ai-je fait, choquée. Et tes grands-parents ?
— Ça leur apprendra à claquer la porte à cinq heures du matin, quand ils vont chercher le Times. »
Après un temps qui m’a paru très long, j’ai entendu le bruit de pas puis la voix de Michael qui remerciait sa sœur et qui disait ensuite, d’un air intrigué, car Lilly ne lui avait pas révélé l’identité de la personne au bout du fil : « Allô ? »
Le seul fait d’entendre sa voix m’a aussitôt fait oublier qu’il était deux heures du matin, que j’étais malheureuse et que je détestais ma vie. J’avais soudain l’impression qu’il était deux heures de l’après-midi, que j’étais allongée sur une des plages que je cherche tant à protéger de l’érosion et de la pollution et que quelqu’un m’apportait un verre d’Orangina glacé sur un plateau d’argent. C’est l’effet que me faisait la voix de Michael.
« Michael, ai-je dit. C’est moi.
— Mia ! » s’est-il exclamé, l’air sincèrement ravi de m’entendre. Je ne crois pas avoir rêvé : il semblait vraiment heureux et ne donnait pas du tout l’impression d’être sur le point de me plaquer pour Kate Bosworth.
« Comment vas-tu ? m’a-t-il demandé.
— Ça va », ai-je répondu. Puis, parce qu’il fallait bien que je le reconnaisse à un moment ou à un autre, j’ai ajouté : « Je suis désolée, Michael. Je n’arrive pas à croire que j’aie pu oublier ton anniversaire. Je suis nulle. Complètement nulle. Je suis la personne la plus horrible qui ait jamais existé. »
Michael a fait alors quelque chose d’extraordinaire. Il a éclaté de rire. Comme si ce n’était pas grave que j’aie pu oublier son anniversaire !
« Laisse tomber, a-t-il dit. Je sais bien que tu es occupée, sans compter qu’avec le décalage horaire, on ne vit pas à la même heure. Raconte-moi plutôt comment ça se passe. Est-ce que ta grand-mère s’est calmée avec cette histoire de parcmètres ou est-ce qu’elle est encore sur ton dos ? »
J’étais assise sur mon lit à baldaquin, avec le téléphone coincé contre mon oreille et j’ai fondu devant tant de gentillesse. Comment Michael pouvait-il être aussi adorable après ce que j’avais fait ? Ce n’était plus comme si vingt deux jours s’étaient écoulés. C’était comme si on se tenait encore devant la porte de mon immeuble, tandis que la neige tombait, si blanche comparée à ses cheveux noirs, et que Lars commençait à râler parce qu’on n’arrêtait pas de s’embrasser et qu’il avait froid et envie de rentrer.
Je n’en revenais pas d’avoir pu penser que Michael pouvait tomber amoureux d’une fille avec un œil marron et l’autre bleu, et une planche de surf sous le bras. Peut-être que je ne savais toujours pas s’il était amoureux de moi, mais ce qui ne laissait pas l’ombre d’un doute, c’est qu’il m’aimait bien.
Et pour l’instant, à trois heures du matin, Dans mes appartements privés du palais de Genovia, ça me suffisait.
Je lui ai demandé comment s’était passé son anniversaire et il m’a raconté qu’il l’avait fêté avec toute sa famille dans un restaurant de poissons. Sauf que Lilly a fait une allergie à son cocktail de crevettes, et qu’ils ont dû écourter le repas pour la conduire aux urgences parce qu’elle s’était mise à enfler de partout, comme Violette Beauregard dans Charlie et la chocolaterie. Résultat : maintenant, elle doit tout le temps avoir sur elle une seringue d’adrénaline au cas où elle remangerait des coquillages sans le savoir. Sinon, Michael m’a dit que ses parents lui avaient offert un nouvel ordinateur portable qu’il pourra emporter à l’université. Il m’a expliqué aussi qu’à son retour à New York, il envisageait de monter un groupe de rock parce qu’il a du mal à se trouver des sponsors pour son magazine en ligne, Le Cerveau, depuis qu’il a descendu Windows dans ses colonnes et écrit qu’il n’utilisait plus que Linux.
Apparemment, un tas d’anciens souscripteurs du Cerveau craignaient de subir les foudres de Bill Gates et de ses comparses.
J’étais tellement heureuse d’entendre la voix de Michael que je me suis rendu compte de l’heure seulement lorsqu’il m’a dit : « Hé ? Il n’est pas trois heures du matin, chez toi ? » Oui, il était trois heures du matin mais je m’en fichais ! Je parlais avec Michael et il n’y avait que ça qui comptait.
« Oui, je crois, ai-je répondu d’une voix rêveuse.
— Tu devrais aller te coucher, a dit Michael. À moins qu’on te laisse faire la grasse matinée. Mais ça m’étonnerait. Je parie même que tu as un paquet de choses à faire, demain.
— Oh, ai-je dit, sur mon petit nuage, parce que c’est là où me transporte la voix de Michael, j’ai juste un ruban à couper pour l’inauguration d’un hôpital. Ensuite, je dois déjeuner avec la Société historique de Genovia, visiter le zoo et enfin je dîne avec le ministre de la Culture et sa femme.
— Ouah ! s’est exclamé Michael. Et c’est comme ça tous les jours ?
— Hum hum. »
Qu’est-ce que j’aurais aimé être à ses côtés à ce moment-là ! Plonger mon regard dans ses adorables yeux noirs, me laisser bercer par son adorable voix grave, et savoir s’il m’aimait d’amour ou pas puisque, d’après Tina, c’est la seule façon d’être fixé, avec les garçons.
« Mia, il faut vraiment que tu dormes, a insisté Michael.
— Oui, oui, ai-je répondu, gaiement.
— Je ne plaisante pas, Mia. »
Michael peut être très autoritaire, parfois, comme la Bête, dans La Belle et la Bête, qui est mon film préféré. Ou comme Patrick Swayze avec Bébé dans Dirty Dancing. Je trouve ça tellement excitant !
« Raccroche maintenant et va te coucher ! m’a-t-il ordonné.
— Tu raccroches le premier », ai-je dit.
Il s’est montré moins autoritaire, après ça. Il m’a parlé avec la voix que je lui ai entendue juste une fois, quand on était dehors, devant la porte de mon immeuble, le soir du bal du lycée, et qu’on s’embrassait comme des fous.
Pour être franche, c’était encore plus excitant que lorsqu’il est autoritaire.
« Non, Mia, tu raccroches d’abord.
— Non, ai-je répondu en gloussant presque. Toi.
— Non, a-t-il dit. Toi.
— C’est pas un peu fini, vos simagrées, a lâché Lilly qui avait vraisemblablement décroché un autre appareil. Raccrochez, maintenant. Il faut que j’appelle Boris avant qu’il soit trop tard. »
On s’est alors dit au revoir très rapidement, Michael et moi, et on a raccroché.
Mais je suis quasi sûre que Michael m’aurait dit « Je t’aime » si Lilly n’avait pas surpris notre conversation.
Dans dix jours, je le revois. Je n’en peux plus !!!!!!!!!!!!!!
D’APRÈS L’AGENDA
ROYAL
DE LA PRINCESSE
AMÉLIA MIGNONETTE THERMOPOLIS RENALDO
Samedi 10 janvier
13 h 00 - 15 h 00
Déjeuner avec l’ambassadeur du Brésil
C’est incroyable ce que Grand-Mère peut être méchante. Et je pèse mes mots. Elle m’a pincée tout à l’heure parce que je me suis endormie un quart de seconde pendant le déjeuner ! Je suis sûre que je vais avoir un bleu. Heureusement pour elle, je n’ai pas le temps d’aller à la plage, sinon tout le monde, en voyant la marque qu’elle m’a faite, aurait appelé les services de la Protection de l’enfance.
En plus, je ne dormais même pas. Je reposais mes yeux.
Grand-Mère dit que Michael est cruel de me tenir éveillée pendant des heures à me conter fleurette dans le creux de l’oreille. Elle dit que le prince René ne traiterait jamais ses petites amies de façon aussi cavalière !
Je lui ai fait remarquer que Michael m’avait dit de raccrocher, parce qu’il se soucie de ma personne, et que c’est moi qui ai insisté pour continuer à parler. Par ailleurs, on ne se contait pas fleurette, comme elle dit, on parlait de choses sérieuses, comme l’art, la littérature et la mainmise de Bill Gates sur l’industrie de l’informatique. Ce à quoi Grand-Mère a répondu en faisant : Pfuit !
En fait, elle est jalouse. Elle adorerait avoir un petit ami aussi intelligent et attentionné que Michael. Mais ça n’arrivera jamais, parce que Grand-Mère est trop méchante. Sans compter ce qu’elle s’est fait aux sourcils. Les garçons aiment les filles qui ont de vrais sourcils, et pas des sourcils tatoués.
Encore neuf jours avant d’être dans les bras de l’amour de ma vie.
Samedi 10 janvier, 11
heures
Dans mes appartements privés du palais
Je n’en reviens pas ! Comme elle ne pouvait pas skier avec sa famille, Tina a passé toute la journée dans le cybercafé d’Aspen où elle a téléchargé les horoscopes de tous ses amis. Elle m’a faxé le mien et celui de Michael ! Je vais les recopier dans mon journal pour ne pas les perdre. C’est tellement juste que j’en ai des frissons.
Michael – Date de naissance : 5 janvier
Le Capricorne dirige tous les signes de Terre. Stable, c’est l’un des signes du zodiaque les plus consciencieux. Il est doté d’intenses pouvoirs de concentration et est tout sauf narcissique. Le Capricorne a bien plus confiance dans ce qu’il fait que dans ce qu’il est. C’est un sujet très doué ! Mais s’il ne fait pas attention, il peut se montrer trop rigide et ne s’intéresser qu’à l’accomplissement, au détriment des petites joies de l’existence. Quand le Capricorne décide enfin de se détendre et de profiter de la vie, il révèle des secrets délicieux. Personne n’a autant le sens de l’humour que lui. Dernière chose : le Capricorne a un sourire à faire fondre !
Mia – Date de naissance : 1er mai
Gouverné par Vénus, le Taureau est un esprit d’une grande profondeur émotionnelle. Les amis et les amoureux comptent sur la chaleur et l’accessibilité affective du Taureau. Le Taureau représente la constance, la loyauté et la patience. Signe de Terre, il peut se révéler très rigide et trop prudent face à certains risques nécessaires dans la vie. Parfois, le Taureau se retrouve enfoncé dans la boue. Il est possible qu’il ne veuille pas se montrer à la hauteur ou donner toute sa mesure. Le Taureau est très têtu. Il refait toujours surface. Son yin peut l’entraîner à beaucoup trop de passivité. Mais on ne peut rêver meilleur amoureux ou ami plus loyal.
Michael + Mia
Courageux et ambitieux, ces deux signes de Terre que sont le Taureau et le Capricorne semblent faits l’un pour l’autre. Ils accordent une grande importance à la réussite professionnelle et partagent l’amour de la beauté et des choses qui durent. L’ironie du Capricorne charme le Taureau tandis que la sensualité experte du Taureau sauve le Capricorne d’un carriérisme un peu trop obsessionnel. Ils aiment avoir de grandes conversations et leur communication est excellente. Ils ont confiance l’un dans l’autre et pour rien au monde ne se blesseraient ni ne se trahiraient. Bref, ils forment un couple parfait.
Incroyable : on est faits l’un pour l’autre ! Mais une sensualité experte ? Moi ? J’ai du mal à y croire. En attendant, je suis tellement heureuse ! C’est génial !
D’APRÈS L’AGENDA
ROYAL
DE LA PRINCESSE
AMELIA MIGNONETTE THERMOPOLIS RENALDO
Dimanche 11 janvier
9 h 00 - 10 h 00
Messe à la chapelle royale de Genovia
Ce n’est pas possible ! Ça fait seulement vingtquatre jours que je suis la petite amie de Michael et je suis déjà nulle. En tant que petite amie, je veux dire. Je ne sais pas quoi lui offrir pour son anniversaire. Michael est l’amour de ma vie, la raison pour laquelle mon cœur bat. Je devrais avoir plein d’idées.
Eh bien, non. Je n’en ai aucune.
Tina dit que le seul cadeau approprié qu’on peut faire à un garçon avec qui on sort officiellement depuis moins de quatre semaines, c’est un pull. Mais même ça, elle trouve que c’est un peu trop, dans la mesure où Michael et moi, on n’a pas encore eu de rendezvous officiel. Comment peut-on alors sortir ensemble ?
Un pull ? Ce n’est pas très romantique. C’est le genre de cadeau que je pourrais offrir à mon père, s’il n’avait pas un tel besoin de livres pour apprendre à contrôler sa colère. D’ailleurs, c’est ce que je lui ai offert à Noël. Je pourrais tout à fait offrir un pull à mon beau-père.
Mais à mon petit ami ?
Ça m’a un peu étonnée que Tina me suggère un cadeau aussi banal. C’est tout de même l’experte en amour de notre petit groupe. Mais d’après Tina, les règles qui fixent ce qu’on doit offrir aux garçons sont très strictes. C’est sa mère qui les lui a apprises. La mère de Tina était mannequin avant de se marier et fréquentait la jet-set internationale. Il paraît même qu’elle est sortie avec un sultan. Je pense qu’on peut lui faire confiance. Bref, d’après Mrs. Hakim Baba, voilà le genre de cadeaux qu’on peut offrir à un garçon :
DURÉE | CADEAU APPROPRIÉ |
1-4 mois | Pull |
5-8 mois | Parfum |
9-12 mois | Briquet* |
1 an et + | Montre |
* Si le garçon ne fume pas, Mrs. Hakim Baba suggère un canif au manche gravé ou bien une flasque de cognac. N’importe quoi ! Comme si j’allais sortir avec un garçon qui fume ou qui boit, ou qui se promène avec un couteau dans la poche. Bonjour l’amoureux !
Cela dit, sa liste vaut mieux que celle de Grand-Mère. Voilà ce qu’elle m’a proposé hier quand je lui ai raconté – honte sur moi – que j’avais oublié l’anniversaire de Michael.
DURÉE | CADEAU APPROPRIÉ |
1-4 mois | Bonbons |
5-8 mois | Livre |
9-12 mois | Mouchoir |
1 an et + | Gants |
Des mouchoirs ? Qui offre encore des mouchoirs ? Les mouchoirs, c’est complètement contraire à l’hygiène !
Et des bonbons ? Des bonbons pour un garçon ?
Grand-Mère dit que les mêmes règles s’appliquent aux filles. Ainsi, Michael n’est autorisé à m’offrir que des bonbons ou des fleurs, à la rigueur, pour mon anniversaire !
Finalement, je crois que je préfère la liste de Mrs. Hakim Baba.
Vous savez quoi ? Cette histoire de cadeau commence à me prendre la tête. Toutes les personnes que j’ai interrogées m’ont dit quelque chose de différent. Par exemple, ma mère, que j’ai appelée hier soir pour lui demander ce qu’elle me conseillait d’offrir à Michael, m’a répondu des caleçons.
Comme si j’allais offrir des SOUS-VÊTEMENTS à Michael !!!!!!
J’espère qu’elle va se dépêcher d’avoir son bébé, pour arrêter de faire ou de dire n’importe quoi. Dans l’état de déséquilibre hormonal où elle se trouve en ce moment, elle ne m’est pas d’un grand secours.
En désespoir de cause, j’ai demandé son avis à mon père. Il m’a répondu un stylo, pour que Michael puisse m’écrire quand je suis ici au lieu que je l’appelle tout le temps, au risque de faire sauter la banque de Genovia.
Hé ho, papa ? Est-ce que tu sais que plus personne n’écrit avec un stylo de nos jours ? Par ailleurs, je te rappelle que je viens à Genovia seulement pour les vacances de Noël et d’été, comme il a été stipulé dans le contrat qu’on a signé en septembre.
Un stylo. Ben voyons. Est-ce que je suis la seule dans cette famille à être un minimum romantique ?
Oh oh... Je vais devoir arrêter d’écrire. Le Père Christophe regarde vers moi. Mais c’est sa faute, après tout ! Si ses sermons étaient un peu plus intéressants, je n’écrirais pas dans mon journal.
12 h 00 - 14 h 00
Déjeuner avec le directeur de l’opéra de Genovia et la première mezzo-soprano de l’Académie de musique
Moi qui pensais être difficile sur la nourriture, je me suis rendu compte que les mezzo-sopranos sont dix fois plus difficiles que les princesses.
Mon bouton grossit à vue d’œil. Pourtant, je l’ai bien enduit de dentifrice hier soir avant de me coucher.
15 h 00 - 17 h 00
Réunion avec l’Association de propriétaires de Genovia
Les propriétaires auraient quand même pu me soutenir dans mon combat pour l’installation de parcmètres. Après tout, c’est devant LEURS maisons que les touristes se garent. Ils auraient pu être contents que les impôts locaux servent à améliorer l’état des trottoirs. Eh bien, non !!!!!!!!!!
Franchement, je me demande comment mon père fait toute la journée.
19 h 00 - 22 h 00
Dîner officiel avec l’ambassadeur du Chili et sa femme
Énorme polémique due au fait que René a « emprunté » la Porsche de l’ambassadeur – et sa femme, par la même occasion – pour aller faire un tour après le dessert. On a fini par les retrouver en train de jouer au tennis, sur le terrain du palais.
Sauf qu’ils jouaient au « strip-tennis ».
Encore huit jours et je revois Michael. Oh, joie ! Oh, ravissement !
Lundi 12 janvier, 1 heure du
matin
Dans mes appartements privés du palais
Je viens de raccrocher le téléphone. J’étais en ligne avec Michael. Il fallait que je l’appelle. Je ne pouvais pas faire autrement. Je devais absolument savoir ce qu’il voulait pour son anniversaire. Je sais bien que c’est de la triche – de DEMANDER à quelqu’un ce qu’il veut—, mais je ne vois pas du tout ce que je peux lui offrir. Évidemment, si j’étais une fille comme Kate Bosworth, je lui aurais déjà donné son cadeau depuis longtemps. Et en plus, je ne me serais pas trompée. Je lui aurais offert un bracelet, par exemple, que j’aurais tissé moi-même avec des algues.
Mais je ne suis pas Kate Bosworth. Je ne sais même pas tisser. AU SECOURS !!!!! DIRE QUE JE NE SAIS MÊME PAS TISSER !!!!!!!!!
Il faut que je lui trouve quelque chose de vraiment bien, puisque je n’y ai même pas pensé. À son anniversaire, je veux dire. Quelque chose de tellement fabuleux qu’il oubliera que je ne suis pas une Kate Bosworth qui sait faire du surf, tisser, qui s’autoréalise et qui n’a pas de boutons, mais une élève de seconde sans talent, qui se ronge les ongles et est née par hasard princesse.
Bien entendu, Michael m’a dit qu’il ne voulait rien, sauf moi (si seulement je pouvais le croire !!!!!) et que me revoir dans huit jours était le plus beau cadeau qu’on puisse lui faire.
Apparemment, il doit m’aimer d’amour et non d’amitié pour me dire ça. Je vais quand même demander à Tina ce qu’elle en pense, quoique, personnellement, j’aurais tendance à pencher pour le OUI !!!!!!!!!
En tout cas, ça m’a donné une raison d’appeler Michael. Je ne lui ai pas seulement téléphoné pour entendre le son de sa voix. Je ne suis tout de même pas tombée aussi bas.
Bon, d’accord, ce n’est pas tout à fait vrai. Mais qu’est-ce que je peux y faire ? J’aime Michael depuis... toujours. J’aime la façon dont il prononce mon nom. J’aime la façon dont il rit. J’aime quand il me demande mon avis, comme s’il se souciait vraiment de ce que je pense (ce qui n’est pas exactement le cas ici. Dès que je suggère quelque chose – par exemple, couper la fontaine devant le palais la nuit pour faire des économies d’eau, dans la mesure où il n’y a personne pour l’admirer – tout le monde se comporte comme si l’une des armures du grand hall s’était mise à parler).
J’admets que mon père n’est pas comme ça. Mais je le vois tellement peu quand je suis ici... Il faut dire qu’il est assez occupé entre ses sessions parlementaires, ses régates et sa nouvelle petite amie tchèque.
Pour en revenir à Michael, la vérité, c’est que j’aime lui parler. Où est le mal ? C’est quand même mon petit ami ! Si seulement j’étais digne de lui ! Quand on pense que j’ai oublié son anniversaire, que je ne suis même pas capable d’avoir une idée de cadeau et que comparée à lui, je ne suis pas bonne à grand-chose, c’est un miracle qu’il s’intéresse à moi !
Bref, on se disait au revoir, après avoir eu une longue conversation sur l’Association des producteurs d’huile d’olive de Genovia, puis sur le groupe de rock que Michael veut monter (il est tellement doué !), et je me demandais si j’allais avoir le cran de lui dire : « Tu me manques » ou « Je t’aime » de façon à lui laisser la possibilité de me répondre quelque chose de similaire, histoire de résoudre une bonne fois pour toutes le dilemme : est-ce-qu’il-m’aime-bien ou est-ce-qu’il-est-amoureux-de-moi, quand j’ai entendu la voix de Lilly.
Apparemment, elle voulait me parler.
« Sors d’ici, a lâché Michael, mais Lilly a insisté.
— Passe-la-moi ! a-t-elle hurlé. J’ai quelque chose d’hyper important à lui dire.
— Tu n’as pas intérêt à lui en souffler mot », a menacé Michael.
Mon cœur s’est alors brusquement serré. À tous les coups, Lilly allait m’annoncer que son frère sortait en cachette avec une certaine Anne-Marie. Mais avant que j’aie le temps de dire quoi que ce soit, Lilly a arraché le téléphone des mains de son frère (qui a poussé un hurlement – de douleur, je suppose –, Lilly lui ayant sans doute donné un coup de pied) et elle a dit :
« Est-ce que tu l’as vu ?
— Lilly, ai-je commencé – car même si j’étais à treize mille kilomètres, je sentais que Michael souffrait –, je sais que tu as l’habitude de m’avoir pour toi toute seule, mais il va falloir que tu apprennes à partager. S’il faut pour cela fixer des limites à notre relation, je n’hésiterai pas. Tu ne peux pas continuer à arracher le téléphone des mains de Michael quand il a peut-être quelque chose de très important à...
— La ferme, avec mon frère ! m’a coupée Lilly. Dis moi plutôt si tu l’as vu.
— De quoi parles-tu ? »
Est-ce que quelqu’un avait encore essayé d’entrer dans la cage de l’ours polaire du zoo de Central park ? Comme si ces malheureuses bêtes n’avaient pas déjà suffisamment de problèmes avec le stress dû au fait de vivre à Manhattan et non sur un iceberg. Non seulement on les exposait à la vue de tous vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jour sur sept, mais il fallait en plus que des détraqués plongent dans leur bassin.
Vous savez quoi ? Je comprends tout à fait qu’ils aient arraché les deux bras du dernier type qui a essayé.
« Du film ! Qui raconte ta vie ! a répondu Lilly. Celui qu’ils ont passé à la télé hier soir. Tu es au courant qu’on a tourné un film qui retrace l’histoire de ta vie ? »
Oui, j’étais au courant. On m’avait prévenue qu’un téléfilm sur moi était en préparation. Mais le service de presse du Palais m’avait assuré qu’il ne serait pas diffusé avant février.
Après tout, quelle importance ? Quatre biographies non autorisées étaient déjà sorties. L’une d’elles avait même été en tête des listes des meilleures ventes pendant un quart de seconde. Je l’avais lue et je ne l’avais pas trouvée si mal que ça. Mais peut-être parce que je connaissais la fin.
« Et alors ? » ai-je dit, assez en colère contre Lilly.
Quand je pense qu’elle avait arraché le téléphone des mains de Michael pour me parler de ce stupide film.
« Hé ho, a fait Lilly. C’est un film ! Sur toi ! Où on te présente comme une fille timide et maladroite.
— Mais je suis timide et maladroite, ai-je rappelé.
— Quant à ta grand-mère, ils en font une femme d’une grande bonté qui te soutient pendant ces heures difficiles, a continué Lilly. C’est l’interprétation la plus grossière que j’aie jamais vue depuis que Shakespeare in Love a essayé de faire passer le chantre d’Avon pour un type sexy qui boit de la bière par pack de six et a des dents nickel.
— Oui, c’est affreux, ai-je concédé. Est-ce que je peux finirma conversation avecMichael, maintenant ?
— Tu ne me demandes pas comment ils m’ont décrite, moi, ton amie la plus loyale ? s’est écriée Lilly d’un ton accusateur.
— Comment t’ont-ils décrite ? » ai-je demandé en jetant un coup d’œil à la somptueuse pendule sur la somptueuse plaque de marbre au-dessus de la somptueuse cheminée de ma chambre à coucher. « Et fais vite, s’il te plaît, ai-je ajouté, parce que j’ai un petit déjeuner et une balade à cheval avec la Société équestre de Genovia dans exactement sept heures.
— Ils ont dit que je n’avais jamais soutenu Son Altesse royale ! a-t-elle pratiquement hurlé à l’autre bout du fil. Qu’à ta sortie de chez ce stupide coiffeur, je me suis moquée de toi et je t’ai traitée de fashion victim superficielle !
— Hum hum », ai-je fait en attendant qu’elle en vienne au fait, parce que, d’après mes souvenirs, elle ne m’avait pas vraiment soutenue quand j’étais sortie de chez Paolo ou quand j’avais appris que j’étais princesse.
Le problème, c’est qu’elle en était déjà venue au fait.
« Je ne t’ai pas soutenue ! a-t-elle hurlé à nouveau, si fort cette fois que j’ai dû écarter le combiné de mon oreille. Je suis celle qui t’a le plus soutenue parmi toutes tes amies ! »
C’était tellement faux que j’ai pensé que Lilly plaisantait et je me suis mise à rire. Mais quand je me suis aperçue que mon rire était accueilli par un silence glacial, j’ai compris qu’elle ne plaisantait pas. Apparemment, elle faisait partie de ces gens qui ont une mémoire sélective et ne se rappellent que leurs bonnes actions et jamais les mauvaises. Un peu comme les politiciens.
Si Lilly m’avait vraiment soutenue, comme elle le disait, je n’aurais jamais fait la connaissance de Tina Hakim Baba, avec qui je me suis mise à déjeuner seulement parce que Lilly avait décrété qu’elle ne m’adresserait plus jamais la parole sous prétexte que j’étais princesse.
« J’espère sincèrement que tu ris parce que tu trouves qu’ils sont gonflés de laisser entendre que je ne t’ai pas toujours été loyale, Mia, a repris Lilly. Je sais bien qu’on a connu des hauts et des bas, mais chaque fois que j’ai été un peu dure avec toi, sache que c’était pour ton bien.
— Oui, évidemment, ai-je répondu.
— J’ai décidé d’envoyer une lettre à la chaîne et d’exiger des excuses écrites. S’ils refusent et s’ils ne les publient pas en pleine page dans Variety, je leur intente un procès. Tant pis si je dois passer devant la Cour suprême. Ces types de Hollywood pensent qu’ils peuvent raconter n’importe quoi devant la caméra et que les téléspectateurs vont gober tout ce qu’ils disent. C’est peut-être vrai de la plupart des personnes ordinaires, mais moi, je monterai au créneau pour obtenir des portraits honnêtes des gens et des événements. Je ne me laisserai pas abattre par l’homme ! »
Quand j’ai demandé à Lilly de quel homme elle parlait, pensant qu’il s’agissait du directeur de la chaîne ou du réalisateur, elle a répondu : « L’homme ! L’homme ! », comme si j’étais demeurée.
Lorsque Michael a repris le téléphone, il m’a expliqué que l’« homme » était une allusion métaphorique à l’« autorité ». De la même façon que les psychanalystes freudiens rejettent systématiquement la faute sur la « mère », les musiciens de blues ont de tout temps rendu l’« homme » responsable de leurs souffrances. Traditionnellement, a poursuivi Michael, l’« homme » est blanc, il a réussi financièrement parlant, il a une quarantaine d’années et occupe une position de pouvoir.
On s’est demandé, Michael et moi, si « L’homme » n’était pas un bon nom pour son groupe de rock, et puis finalement, on a décidé que non car cela pouvait avoir des sous-entendus misogynes.
Encore sept jours avant de me retrouver dans les bras de Michael. Oh, que ne donnerais-je pour que les heures volent aussi légères que des colombes ailées !
Je viens juste de me rendre compte que le portrait de l’« homme » d’après Michael ressemblait énormément à mon père ! Sauf que ça m’étonnerait que les musiciens de blues parlent du prince de Genovia. En plus, je n’ai pas le souvenir que mon père soit allé à Memphis.
D’APRÈS L’AGENDA
ROYAL
DE LA PRINCESSE
AMELIA MIGNONETTE THERMOPOLIS RENALDO
Lundi 2 janvier
20 h 00 - minuit
Concert de l’orchestre symphonique de Genovia
Pile au moment où je commençais à me dire que la vie allait peut-être enfin – j’ai bien dit peut-être – me sourire, il a fallu que quelque chose vienne tout gâcher.
Et comme d’habitude, Grand-Mère en est responsable.
J’étais à nouveau tellement endormie aujourd’hui qu’elle a deviné que j’avais passé une partie de la nuit au téléphone avec Michael. Résultat, ce matin, entre ma balade à cheval avec la Société équestre et mon rendez-vous avec la Société pour le développement du front de mer de Genovia, elle m’a fait tout un sermon. Non pas sur les cadeaux qu’une jeune fille bien élevée est autorisée à offrir à un garçon pour son anniversaire. Mais sur les choix à faire ou à ne pas faire dans la vie.
« Que tu apprécies ce garçon, Amelia, cela te regarde, a-t-elle déclaré.
— Un peu que ça me regarde ! me suis-je exclamée avec indignation. Tu as toujours refusé de le rencontrer ! De toute façon, que sais-tu de Michael ? Rien ! »
Grand-Mère m’a fusillée du regard.
« Néanmoins, a-t-elle poursuivi, je ne pense pas que cela soit très raisonnable de laisser ton affection pour lui t’empêcher de voir qu’autour de toi d’autres prétendants seraient beaucoup plus convenables, comme le... »
Je l’ai interrompue pour lui dire que si elle pensait au prince William, je me jetais du pont des Vierges.
Grand-Mère m’a répondu de ne pas être plus ridicule que je ne l’étais déjà et m’a rappelé que je ne pourrais jamais épouser le princeWilliam vu qu’il appartenait à l’Église anglicane. Mais apparemment, il devait y avoir d’autres jeunes hommes infiniment plus romantiques que Michael et tellement plus dignes de la princesse de la maison Renaldo. Grand-Mère m’a expliqué qu’elle serait désolée si je passais à côté de l’un d’eux tout simplement parce que je m’étais entichée de Michael. Elle m’a même assuré que, dans le cas inverse, si Michael était à la tête d’une principauté et d’une immense fortune, elle était quasi sûre qu’il ne m’aurait pas été aussi scrupuleusement fidèle.
Je me suis élevée contre ce procès d’intention, et je lui ai fait remarquer que si elle s’était donné la peine de connaître Michael, elle se serait rendu compte que dans toutes les sphères de sa vie, que ce soit en tant que rédacteur en chef de son ex-magazine en ligne Le Cerveau ou en tant que trésorier du club informatique, Michael avait toujours fait preuve d’une grande loyauté et intégrité. Je lui ai aussi expliqué, le plus calmement possible, que ça me blessait de l’entendre critiquer l’homme que j’aimais et à qui j’avais donné mon cœur.
« C’est bien ça, le problème, Amelia ! s’est exclamée Grand-Mère en levant les yeux au ciel. Tu es bien trop jeune pour t’engager auprès d’un garçon. penses-tu qu’il est sage de décider, à quatorze ans, avec qui tu vas passer le restant de ta vie ? À moins, bien entendu, qu’il ne s’agisse d’une personne tout à fait exceptionnelle. Une personne que ton père et moi-même connaîtrions. Très, très bien. Une personne qui, si elle peut paraître légèrement immature, aurait probablement besoin de rencontrer la femme qui lui convient pour se poser. Les filles mûrissent bien plus vite que les garçons, Amelia, et... »
Je l’ai interrompue à nouveau pour lui rappeler que j’aurais quinze ans dans quatre mois et que Juliette avait quatorze ans lorsqu’elle avait épousé Roméo. Ce à quoi elle a répondu par :
« C’est vrai que leur histoire s’est bien terminée ! »
Manifestement, Grand-Mère n’a jamais été amoureuse. Elle n’a aucun goût non plus pour la tragédie romantique.
Comme je trouvais que ce n’était pas très sympa de sa part de laisser entendre qu’après avoir eu un petit ami pendant vingt-cinq jours seulement, durant lesquels je lui avais parlé exactement trois fois, je risquais déjà de le perdre pour une fille aux yeux vairons, je le lui ai fait remarquer.
« Je suis désolée, Amelia, a-t-elle dit. Mais si tu tiens vraiment à ce garçon et que tu veux le garder, tu ne fais pas du tout ce que tu devrais faire, à mon avis. »
Je ne sais pas ce qui m’a pris à ce moment-là. C’était comme si la pression qui s’accumulait depuis un moment – entre l’histoire des parcmètres, Michael qui me manquait, ma mère et Fat Louie qui me manquaient aussi, ce que j’allais dire au prince William plus mon bouton au menton – m’était brusquement devenue insupportable.
« Évidemment que je tiens à lui et que je veux le garder ! ai-je hurlé. Mais comment veux-tu que je fasse étant donné que je ne suis qu’une mutante qui ne s’autoréalise pas, qui n’a ni talent ni poitrine et qui n’a rien à voir avec une Kate Bosworth ? »
Grand-Mère a paru plutôt surprise par mon éclat. On aurait dit qu’elle ne savait pas très bien à quoi répondre en premier : au fait que je n’ai pas de talent ou pas de poitrine. Au bout du compte, elle s’en est sortie en disant :
« Eh bien, tu pourrais commencer en ne restant pas des heures au téléphone avec lui. Tu ne lui donnes pas beaucoup de raisons de douter de ton affection.
— Bien sûr que non, ai-je répliqué, horrifiée. Pourquoi je ferais ça ? Je l’aime !
— Mais tu ne dois pas le lui laisser savoir ! » s’est exclamée Grand-Mère. J’ai bien cru qu’elle allait me lancer son cocktail de la matinée, un Sidecar, à la figure. « Es-tu complètement stupide ou quoi ? Ne laisse jamais un homme être sûr de ton amour pour lui ! Tu as très bien fait en oubliant son anniversaire, mais tu es en train de tout gâcher en l’appelant toutes les cinq minutes. Si ce garçon découvre la réalité de tes sentiments, il cessera immédiatement d’être charmant avec toi. »
Je ne comprenais plus rien.
« Mais Grand-Mère, ai-je dit, tu as épousé Grand-Père. Il a donc bien dû se douter que tu l’aimais si tu as accepté de devenir sa femme.
— Ton Grand-Père ne s’est certainement pas douté de mes sentiments à son égard, a déclaré Grand-Mère. J’ai fait en sorte qu’il pense que je l’épousais pour son argent et son titre. Je ne crois pas qu’il soit utile de te rappeler que nous avons connu quarante années de bonheur. Sans jamais faire chambre à part comme certains couples princiers que je ne mentionnerai pas, a-t-elle précisé avec malice.
— Une minute ! ai-je fait. Tu as dormi dans le même lit que Grand-Père pendant quarante ans sans jamais lui dire une seule fois que tu l’aimais ? »
Grand-Mère a fini son cocktail d’un trait et a tapoté doucement la tête de son caniche nain. Depuis que le véto de Genovia a diagnostiqué un trouble obsessionnel compulsif, Rommel a vu ses poils recommencer à pousser grâce au cône en plastique qu’il porte autour de la tête. Il a le corps couvert d’un fin duvet blanc, maintenant, comme les petits poussins. Mais il n’en reste pas moins tout aussi affreux à regarder.
« C’est exactement ce que je suis en train d’essayer de t’expliquer, a répondu Grand-Mère. J’ai forcé ton grand-père à rester vigilant et il n’a jamais cessé de m’aimer. Si tu veux garder ton Michael, je te conseille de faire la même chose. Arrête de l’appeler tous les soirs. Arrête de ne pas regarder les autres garçons. Et arrête de te ronger les sangs pour savoir ce que tu vas lui offrir pour son anniversaire. C’est lui qui devrait se demander quel cadeau te faire pour te garder, et non l’inverse.
— Mais Grand-Mère, mon anniversaire n’est pas avant mai ! » me suis-je exclamée.
Je ne voulais pas lui dire que je savais déjà ce que j’allais offrir à Michael, parce que c’était quelque chose que je devais d’abord sortir du musée du palais.
En même temps, comme personne ne s’en servait, je ne vois pas pourquoi je ne pouvais pas le prendre. Je suis la princesse de Genovia, après tout ! Tout ce qui se trouve dans ce musée m’appartient. Ou du moins appartient à ma famille.
« Qui a dit qu’un homme ne devait offrir des cadeaux à une femme que pour son anniversaire ? a repris Grand-Mère en me regardant comme si elle avait en face d’elle un spécimen n’appartenant pas au genre Homo sapiens. Elle a levé la main pour me montrer son bracelet serti de diamants aussi gros qu’une pièce d’un euro.
« Ton Grand-Père me l’a offert le 5 mars 1967, a-t-elle annoncé. Pourquoi le 5 mars ? Ce n’est ni mon anniversaire ni aucune fête d’aucune sorte. Ton Grand-Père me l’a offert ce jour-là parce qu’il trouvait que ce bracelet, tout comme moi-même, était une chose merveilleuse. » Elle a baissé la main et l’a reposée sur la tête de Rommel avant d’ajouter : « C’est ainsi, Amelia, qu’un homme doit traiter une femme. »
Tout ce à quoi je pensais à ce moment-là, c’était : « Pauvre Grand-Père. » Comment aurait-il pu deviner dans quoi il allait se fourrer ? Grand-Mère devait être aussi innocente qu’un agneau quand elle était jeune, c’est-à-dire avant de se faire tatouer son trait d’eyeliner et de s’épiler les sourcils. Je suis même quasiment sûre que Grand-Père a eu le coup de foudre pour elle quand il l’a vue pour la première fois, de l’autre côté de la piste de danse. S’il avait su ce qui l’attendait...
Des années de subtils traits d’esprit et de Sidecar à servir.
« Je ne suis pas comme ça, Grand-Mère, ai-je déclaré. D’abord, je ne tiens pas à ce que Michael m’offre des diamants. Je veux juste qu’il m’invite au bal du lycée.
— Eh bien, il n’en fera rien s’il ne sait pas que d’autres garçons te l’ont peut-être proposé.
— Jamais je n’irai au bal du lycée avec un autre garçon que Michael ! » me suis-je écriée, choquée, même si je sais bien que c’est peu probable – qu’un autre garçon me demande de l’accompagner au bal.
« Mais tu ne dois jamais le lui faire savoir, Amelia, a repris Grand-Mère d’un ton sévère. Il ne doit pas cesser de douter de tes sentiments, être toujours vigilant. Les hommes aiment chasser, et une fois la proie attrapée, ils ont tendance à s’en désintéresser. Tiens, j’ai quelque chose pour toi qui va te permettre de comprendre. »
Et de son sac Gucci, elle a sorti un livre. J’ai regardé la couverture.
« Jane Eyre ? me suis-je exclamée. Grand-Mère, excuse-moi, mais j’ai vu le film et, sans vouloir te vexer, j’ai trouvé ça assez rasant.
— Le film ! a fait Grand-Mère avec une moue de dédain. Lis ce livre, Amelia, et nous verrons bien s’il ne t’apprend pas une chose ou deux sur les relations entre les hommes et les femmes.
— Grand-Mère, ai-je insisté en me demandant comment lui faire passer le message qu’elle n’était plus dans le coup. Les gens qui veulent comprendre les relations entre les hommes et les femmes lisent aujourd’hui Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus.
— Lis-le ! » a-t-elle hurlé, si fort que Rommel a bondi de ses genoux pour se cacher derrière un pot de géraniums.
Je le jure. Je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter une grand-mère comme la mienne. Celle de Lilly est en adoration devant Boris Pelkowski, le petit ami de Lilly. Elle lui envoie tout le temps des petits pâtés de viande ou d’autres spécialités yiddish dans des Tupperware. Pourquoi faut-il que ma grand-mère à moi essaie déjà de me faire rompre avec un garçon avec qui je ne sors que depuis vingt-cinq jours ?
Encore sept jours, six heures et quarante-deux minutes avant de revoir Michael.
D’APRÈS L’AGENDA
ROYAL
DE LA PRINCESSE
AMELIA MIGNONETTE THERMOPOLIS RENALDO
Mardi 13 janvier
8 h 00 - 10 h 00
Petit déjeuner avec les membres de la Shakespeare Company de Genovia
Qu’est-ce que ça peut être ennuyeux, Jane Eyre ! Jusqu’à présent, ça ne parle que d’orphelinat, de coupes de cheveux massacrées et de quintes de toux.
10 h 00
- 16 h 00
Session parlementaire
Jane Eyre commence à être un peu plus intéressant. Elle s’est trouvé un poste de gouvernante dans la maison d’un certain Mr. Rochester, un homme très riche. Mr. Rochester est très autoritaire, un peu comme Wolverine ou Michael.
17 h 00 – 19 h 00
Thé avec Grand-Mère et la femme du Premier ministre anglais
Finalement, Mr. Rochester est assez sexy. Je vais le mettre sur ma liste des Hommes les plus sexy, entre Hugh Jackman et l’acteur bosniaque qui joue dans Urgences.
20 h 00 – 22 h 00
Dîner officiel avec le Premier ministre anglais et sa famille
Quelle idiote, cette Jane Eyre ! Ce n’était pas la faute deMr. Rochester ! Pourquoi est-elle si méchante avec lui ? Quant à Grand-Mère, elle est gonflée de hurler sous prétexte que je lis à table. Elle n’avait qu’à pas me le donner, ce livre !
Six jours, onze heures et vingt-neuf minutes avant de revoir Michael.
Mercredi 14 janvier, 3
heures du matin
Dans mes appartements privés du palais
Bon. Je crois que j’ai compris où Grand-Mère voulait en venir en me faisant lire Jane Eyre. Mais franchement, tout le passage où Mrs. Fairfax fait promettre à Jane de ne pas être trop intime avec Mr. Rochester avant le mariage, c’est parce qu’on ne connaissait pas le planning familial, à cette époque.
Cela dit – et il va peut-être falloir que je consulte Lilly sur ce point –, je suis pratiquement sûre que ce n’est pas une bonne chose de calquer son comportement sur celui d’un personnage de fiction, surtout quand le livre a été écrit en 1842.
En même temps, j’adhère complètement à la mise en garde de Mrs. Fairfax, qui est : Ne cours pas après les garçons. Courir après les garçons peut conduire à des choses horribles, comme une maison qui prend feu, une main amputée, la cécité et la bigamie. Il vaut mieux se respecter et ne pas aller trop loin avant le mariage.
Mais qu’est-ce que Michael va penser si je ne l’appelle plus ?????? Il va penser que je ne l’aime plus !!!!! N’oublions pas que je ne déborde pas vraiment d’atouts au départ. Comme petite amie, je crains. Sans compter que je suis nulle en tout. Je ne me souviens même pas des dates d’anniversaire, et je suis princesse.
Voilà sans doute le message que Grand-Mère voulait me faire passer : n’avoue jamais tes sentiments si tu veux t’assurer l’amour éternel d’un garçon.
Je ne sais pas. En même temps, ça a eu l’air de marcher avec Grand-Père. Et ça a marché pour Jane, du moins à la fin. Je pourrais peut-être essayer.
Ça ne va pas être facile. Il est vingt et une heures en Floride en ce moment. Qu’est-ce que peut bien faire Michael ? Il est peut-être allé se balader sur la plage et a rencontré une jolie musicienne sans abri, qui vit là et qui gagne son pain en jouant des airs folk pour les touristes sur sa Stratocaster. Je ne sais même pas jouer au tennis, alors d’un instrument de musique... !
Je parie qu’elle porte un truc avec des franges, qu’elle est blonde et qu’elle a une super poitrine, comme Jewel. Aucun garçon ne pourrait continuer sa promenade tout seul s’il croisait une fille comme elle !
Non. Grand-Mère et Mrs. Fairfax ont raison. Il faut que je résiste. Que je me force à ne pas l’appeler. Quand on n’est pas disponible, ça les rend fous, les hommes. La preuve : Jane Eyre.
De là à changer de nom et à m’enfuir pour aller vivre chez un lointain parent comme Jane, c’est peut-être un peu exagéré.
Cinq jours, sept heures et vingt-cinq minutes avant de revoir Michael.
D’APRÈS L’AGENDA
ROYAL
DE LA PRINCESSE
AMELIA MIGNONETTE THERMOPOLIS RENALDO
Mercredi 14 janvier
Petit déjeuner avec la Société de médecine de Genovia
Je tiens à peine debout. C’est la dernière fois que je passe la moitié de la nuit à lire de la littérature du xixe siècle.
10 h 00 - 16 h 00
Session parlementaire
Le ministre des Finances fait de l’obstruction ! Il dit que Genovia doit avoir des parcmètres ou disparaître !
17 h 00 - 19 h 00
Session parlementaire
L’obstruction parlementaire se poursuit. Je sortirais bien pour aller me chercher un Orangina mais j’ai peur de donner l’impression de ne pas m’intéresser à ce qui se dit.
20 h 00 - 22 h 00
Session parlementaire
Je n’en peux plus. Ces obstructions parlementaires sont d’un ennui ! Sans compter que René vient de passer la tête par la porte et m’a souri d’un air narquois. Qu’il rie donc. Ça se voit qu’il ne se retrouvera pas un jour à la tête d’un pays.
Jeudi 15 janvier
Grand-Mère a fini par remarquer mon bouton. Et elle a complètement flippé à l’idée que je pourrais rencontrer le prince William avec ça sur le menton. Je lui ai dit que je contrôlais la situation mais, apparemment, Grand-Mère ne croit pas aux vertus antiacnéiques du dentifrice. Elle a fait venir le dermato du palais. Il m’a injecté un produit dans le menton en me disant de ne plus jamais me mettre de dentifrice sur le visage.
Je ne sais même pas soigner les boutons correctement. Comment voulez-vous que je dirige un pays ?
À FAIRE AVANT DE QUITTER GENOVIA :
1. Cacher le cadeau de Michael avant que Grand-Mère ou les dames d’honneur qui doivent m’aider à faire mes bagages ne le trouvent. (Dans mes bottes ?)
2. Dire au revoir au personnel des cuisines et les remercier de s’être donné autant de mal pour me préparer des plats végétariens.
3. S’assurer que le capitaine du port a accroché une paire de ciseaux à chaque bouée afin que les plaisanciers qui n’en ont pas puissent ouvrir leur pack de bière.
4. Enlever le nez de clown et les lunettes sur la statue de Grand-Mère, dans la salle des portraits.
5. S’entraîner à la rencontre avec le prince William. S’entraîner aussi pour le discours d’adieu au prince René.
6. Battre le record de glissade en chaussettes dans le couloir de Cristal (6,20 m).
7. Libérer toutes les colombes du palais (si elles veulent revenir au pigeonnier, ça les regarde, mais qu’elles aient au moins le choix.
8. Rappeler à tante Jean-Marie qu’on vit au xxie siècle et qu’elle n’est plus obligée de supporter les stigmates de la pilosité faciale en lui laissant mon pot de crème dépilatoire.
9. Passer au ministre des Finances les notes que j’ai trouvées sur Internet concernant les fabricants de parcmètres.
10. Récupérer mon sceptre auprès du prince René.
Vendredi 16 janvier, 11
heures
Dans mes appartements privés
Tina a passé toute la journée d’hier à lire Jane Eyre (c’est moi qui le lui ai conseillé). Elle est d’accord qu’il y a peut-être du bon à laisser les garçons nous courir après. Du coup, elle a décidé de ne plus envoyer de mail ou de ne plus téléphoner à Dave (sauf pour lui répondre).
Lilly, elle, refuse de nous suivre, sous prétexte que sa relation avec Boris n’a rien à voir avec les pratiques d’accouplement psycho-sexuel à la mode de nos jours. D’après Tina (je ne peux pas appeler Lilly parce que Michael pourrait décrocher et penser que je le harcèle), Lilly dit que Jane Eyre est l’un des premiers manifestes féministes et elle nous encourage vivement à nous en servir comme modèle pour nos relations amoureuses. En même temps, elle m’a prévenue, via Tina, que Michael ne me demanderait certainement pas en mariage avant d’avoir passé sa thèse et commencé à travailler pour une boîte qui le paierait au minimum deux cent mille dollars par an, sans compter les primes annuelles.
La seule fois où elle a vu son frère à cheval, a ajouté Lilly, il n’avait pas l’air très romantique, et ne ressemblait en rien à Mr. Rochester.
J’avoue que j’ai du mal à la croire. Je suis sûre que Michael serait très romantique sur un cheval.
Tina m’a dit que Lilly n’avait toujours pas digéré le téléfilm sur ma vie. Elle l’a vu, elle aussi, et elle trouve que Lilly exagère. Ce n’est pas si mauvais que ça. Il paraît que l’actrice qui joue la principale Gupta est hilarante.
Mais Tina n’apparaît pas dans le film. Dès que son père en a entendu parler, il a menacé les producteurs de les poursuivre en justice s’ils mentionnaient le nom de sa fille. Mr. Hakim Baba a peur que Tina se fasse kidnapper par un autre magnat du pétrole, un rival. Tina m’a confié que ça ne la gênerait pas si le magnat du pétrole en question était mignon, prêt à s’engager dans une relation à long terme, et qu’il lui offrait pour la Saint-Valentin un pendentif en forme de cœur avec un petit diamant au milieu, comme ceux qu’on vend chez Kay Jewelers.
Il paraît aussi que l’actrice qui joue le rôle de Lana Weinberger est géniale et mériterait de recevoir un Emmy award. D’après Tina, Lana n’a pas dû apprécier d’être décrite comme une fille jalouse, qui rêve d’être princesse. Quant à l’acteur qui incarne Josh, Tina m’a dit qu’il était supermignon. Elle essaie de trouver son adresse e-mail.
Sinon, on s’est juré, Tina et moi, que chaque fois qu’on aura envie d’appeler son petit copain, on se téléphonerait toutes les deux à la place. Le problème, c’est que je n’ai pas de portable et que Tina ne pourra pas me joindre si je suis en train d’adouber quelqu’un, par exemple. Dès demain, il faut que je demande un Motorola à mon père. Hé ho, je suis l’héritière du trône de tout un pays. Je pourrais au moins avoir un beeper, non ?
Quatre jours, douze heures et cinq minutes avant de revoir Michael.
Samedi 17 janvier
Pendant le match de polo
Existe-t-il un sport plus ennuyeux que le polo ? À part le golf ? Ça m’étonnerait.
En plus, je ne pense pas que ce soit très bon pour les chevaux quand on balance des maillets si près de leurs têtes. C’est comme Silver, le cheval du Ranger solitaire. Le Ranger solitaire n’arrête pas de tirer des coups de feu près de l’oreille de Silver. Pas étonnant que la pauvre bête recule tout le temps.
Et René, qu’est-ce qu’il a avec le prince William ? Pourquoi il se met toujours devant lui pour lui piquer la balle chaque fois que le pauvre a une chance de la toucher ? En plus, ils sont dans la même équipe !
Je suis prête à parier qu’en cas de victoire, si René retire son tee-shirt, ce sera pour impressionner la horde de filles venues pour le prince William. Ce qui se comprend. En revanche, ce que René ne doit pas comprendre, c’est le succès de PW alors qu’il est loin d’avoir ses pectoraux.
Ce serait intéressant de voir la réaction de ces filles si elles étaient au courant pour Enrique Inglesias...
Quatre jours, dix-sept heures et six minutes avant de revoir Michael. En parlant de pectoraux...
Samedi 17 janvier, 11 heures
du soir
Dans mes appartements privés
Grand-Mère devrait vraiment s’occuper de ce qui la regarde.
Ce soir, c’était le bal en mon honneur, pour célébrer la fin de ma première visite officielle à Genovia.
Bref, ça fait des semaines que Grand-Mère me bassinait avec ce bal, comme quoi ce serait ma dernière chance de me faire pardonner cette histoire de parcmètres. Sans parler de ce que je devais ou ne devais pas dire au prince William. Je suis sûre que c’est à cause de ça que j’ai eu un bouton, même s’il a disparu grâce au miracle de la dermatologie moderne. Ça, et son insistance à me faire comprendre que Michael n’avait rien d’un éventuel prince consort. Entre la pression qu’elle me met et l’angoisse que j’ai à l’idée que mon petit ami, en ce moment même, soit en train de prendre des leçons de surf avec une fille qui n’a pas d’acné et qui serait le sosie de Kate Bosworth, je n’en reviens pas que ma peau ne ressemble pas à celle du type qui est enfermé au sous-sol, dans Les Goonies.
Mais bon. Grand-Mère m’a fait tout un foin à cause de mes cheveux (qui, en repoussant, ont retrouvé leur forme de panneau de la circulation. Et alors ? Les garçons préfèrent les filles aux cheveux longs – je l’ai lu dans Cosmo), à cause de mes ongles (d’accord, malgré la résolution que j’ai prise le 1er janvier, je continue de les ronger) et enfin au sujet de ce que je devrais dire ou pas au princeWilliam.
Résultat, quand je me suis avancée vers PW (qui, je dois l’admettre – bien que mon cœur appartienne toujours à Michael –, était assez séduisant dans son smoking) en m’apprêtant à lui dire : « Enchantée de faire votre connaissance », je ne sais pas ce qui m’a pris. Au dernier moment, j’ai oublié qui il était parce qu’il a tourné vers moi des yeux bleus, mais alors très bleus, et je suis restée figée sur place, exactement comme quand Josh Richter m’a souri le jour où je l’ai croisé à la parfumerie. Sérieux. Je n’arrivais plus à me rappeler où j’étais ni ce que je faisais. Je regardais juste ces yeux bleus en pensant : « Incroyable ! Ils sont exactement de la couleur de la mer vue de la fenêtre de mes appartements privés. »
Le prince William m’a dit : « Je suis ravi de faire votre connaissance », et il m’a serré la main, et moi, je continuais de le regarder, même si je ne suis pas amoureuse de lui PUISQUE JE SUIS AMOUREUSE DE MICHAEL.
Mais sans doute qu’on ne peut pas réagir autrement en face de lui, à cause de son charisme. Un peu comme Bill Clinton, quoique, lui, je ne l’aie jamais rencontré. Je l’ai juste lu dans la presse.
Enfin. Voilà en gros l’étendue de mon échange avec le princeWilliam d’Angleterre ! Après m’avoir saluée, il s’est détourné pour répondre à quelqu’un qui lui parlait de courses de pur-sang, et moi, je me suis écriée : « Super, des champignons farcis ! », histoire de masquer ma gêne, et je me suis élancée à la poursuite du domestique qui en offrait aux invités.
Inutile de dire que je n’ai pas son adresse e-mail. Il va falloir que Tina apprenne à vivre avec ses désillusions.
Mais la soirée ne s’est pas terminée là. Oh non ! Je ne savais pas alors que ce que je venais de vivre n’était rien – mais alors rien du tout – comparé à ce qui m’attendait : pendant toute la durée du bal, Grand-Mère n’a pas cessé de me pousser dans les bras du prince René, de sorte qu’on s’est retrouvés à danser tous les deux devant le journaliste de Newsweek qui est venu à Genovia pour faire un reportage sur le passage à l’euro. Elle m’a JURÉ que c’était la seule raison : faire des photos.
Mais tandis qu’on dansait la valse... Je danse très mal. Quand je valse, je dois regarder mes pieds et compter dans ma tête pour ne pas me tromper. Sinon, je sais danser le slow, évidemment, mais comme par hasard, ce n’est pas une danse très pratiquée à Genovia, du moins dans l’enceinte du palais. Pendant qu’on dansait, donc, j’ai vu que Grand-Mère ne nous quittait pas des yeux et nous montrait aux personnes autour d’elle. Et je vais vous dire : ce n’est pas la peine de savoir lire sur les lèvres pour comprendre qu’elle leur disait : « Ne forment-ils pas un joli couple ? »
QUOI ???????????????????????????????????????
Dès que l’orchestre s’est arrêté de jouer, je suis allée la voir et je lui ai dit, au cas où elle se monterait la tête :
« Grand-Mère, je veux bien me calmer et moins appeler Michael, mais ça ne signifie pas pour autant que je vais sortir avec le prince René. »
À ce propos, il m’a demandé si je voulais aller faire un tour sur la terrasse pour fumer une cigarette. Je lui ai répondu que je ne fumais pas et qu’il ferait mieux de ne pas fumer non plus, sachant que le tabac cause la mort de cinq cent mille personnes par an, aux États-Unis, mais il m’a ri au nez, comme James Spader dans Pretty in Pink.
Ensuite, je lui ai conseillé de ne pas se faire d’idées parce que j’avais déjà un petit ami. Et s’il avait vu le film sur ma vie, il saurait comment je traite les garçons qui ne s’intéressent à moi que pour mes bijoux et ma couronne.
Le prince René m’a répondu que j’étais adorable. Alors que je le priais de ne pas me faire le coup à la Enrique Inglesias, mon père est arrivé et m’a demandé si j’avais vu le Premier ministre grec. Quand je lui ai dit : « Papa, j’ai l’impression que Grand-Mère essaie de me caser avec René », il a serré les dents et a pris Grand-Mère à part pour lui parler pendant que le prince René filait draguer l’une des sœurs Hilton.
Grand-Mère est venue me trouver après et m’a dit que j’étais ridicule. Elle voulait juste que je danse avec le prince René parce que ça faisait une jolie photo pour Newsweek. Et si le magazine publiait en plus un petit article sur nous, ça attirerait les touristes.
J’ai rétorqué qu’un afflux de touristes était exactement ce qu’il fallait éviter, étant donné l’infrastructure vacillante de notre pays.
Si mon palais avait été racheté par un fabricant de chaussures, je serais assez désespérée, mais pas au point de faire des avances à une fille qui doit veiller au bien-être de tout un peuple, et qui a déjà un petit ami, de toute façon.
Cela dit, si Newsweek publie la photo, peut-être que Michael sera jaloux de René, comme Mr. Rochester avec Saint-John !!!!!
Deux jours, huit heures et dix minutes avant de revoir Michael.
JE N’EN PEUX PLUS !!!!!!!!!!!
Lundi 19 janvier, 3 heures
de l’après-midi
Dans le jet privé de Genovia à plus de dix mille mètres
d’altitude
Je n’arrive pas à croire :
a) que mon père soit resté à Genovia pour régler la crise des parcmètres au lieu de retourner à New York avec moi ;
b) qu’il ait cru Grand-Mère quand elle lui a dit que, compte tenu de ma piètre prestation à Genovia, je devais continuer à prendre des leçons de princesse ;
c) qu’elle (sans parler de Rommel) m’accompagne à New York. CE N’EST PAS JUSTE. J’ai respecté ma part du contrat. Je n’ai pas manqué une seule leçon de princesse, j’ai eu la moyenne en maths, j’ai fait mon discours devant le peuple de Genovia.
Grand-Mère dit que contrairement à ce que je pense, je dois encore apprendre des tas de choses avant de pouvoir gouverner mon pays. Est-ce qu’elle croit vraiment que je suis dupe ? Je sais très bien pourquoi elle m’accompagne : pour continuer à me torturer. C’est son hobby en ce moment. En fait, elle est naturellement douée pour ça. Peut-être même que c’est inné chez elle.
Elle a la chance de m’avoir. Mais ce n’est quand même pas juste.
Avant de partir, mon père m’a donné cent euros. Il a promis de me dédommager d’une façon ou d’une autre si je faisais en sorte que ça se passe bien avec Grand-Mère.
Mais rien ne pourrait me dédommager de ça. Rien.
Quand il m’a dit que c’était juste une vieille dame inoffensive et que je devais profiter d’elle tant que c’était possible, parce qu’un jour elle ne serait plus là, je l’ai regardé comme s’il avait perdu la tête. Il a dû se rendre compte à ce moment de ce qu’il venait de dire car il a aussitôt ajouté : « O.K. Je donnerai deux cents dollars par jour à Greenpeace si ça se passe bien. »
C’est le double de ce qu’il verse déjà en mon nom à mon organisation préférée. J’espère sincèrement que les gens de Greenpeace apprécient le sacrifice que je fais pour eux.
Bref, Grand-Mère vient avec moi à New York. Rommel aussi, bien sûr. Elle lui a enfilé un petit manteau. Le pauvre ! Ses poils commençaient à peine à repousser.
J’ai dit à mon père que d’accord, je reprendrais des leçons de princesse pendant les deux prochains trimestres, mais qu’il avait intérêt à être très clair avec Grand-Mère sur une chose : j’ai déjà un petit ami. Qu’elle n’essaie pas de me saboter ça ou de me caser avec le prince René. Je me fiche du nombre de titres qu’il a, mon cœur appartient au bel écuyer, Mr. Michael Moscovitz.
Mon père a répondu qu’il verrait ce qu’il pouvait faire. Le problème, c’est que je ne suis pas sûre qu’il m’ait bien écoutée dans la mesure où Miss République tchèque se tenait à côté de lui et tortillait son écharpe d’un air impatient.
En attendant, j’ai prévenu Grand-Mère de se tenir à carreau en ce qui concernait Michael.
« Je ne veux plus t’entendre me dire que je suis trop jeune pour être amoureuse, ai-je déclaré pendant le déjeuner (saumon poché pour Grand-Mère, trois salades de haricots pour moi). Je suis suffisamment grande pour connaître mon cœur, donc suffisamment âgée pour le donner à qui je veux. »
Grand-Mère m’a alors fait remarquer que je pouvais m’attendre à souffrir mais je l’ai ignorée. Ce n’est pas parce que sa vie amoureuse est moins satisfaisante depuis la mort de Grand-Père qu’elle doit se montrer cynique quand il s’agit de la mienne. Voilà où ça la mène de fréquenter des patrons de presse et des dictateurs.
Parce que Michael et moi, on va vivre le grand amour, comme Jane et Mr. Rochester. Ou Jennifer Anniston et Brad Pitt.
Ou du moins, c’est ce qu’on va vivre si on arrive à se voir.
Encore un jour et quatorze heures.
Lundi 19 janvier, jour
anniversaire de Martin Luther King Jr.
À la maison, enfin !
Je suis tellement heureuse, j’ai l’impression que je vais exploser, comme l’aubergine que j’ai lancée un jour de la fenêtre de la chambre de Lilly.
Je suis rentrée !!!!!!!! Je suis enfin à la maison !!!!!!!
Vous ne pouvez pas imaginer le bonheur que j’ai ressenti en apercevant par le hublot les lumières de Manhattan. De savoir que je survolais ma ville chérie, j’en ai eu les larmes aux yeux. En dessous de moi, des chauffeurs de taxi renversaient des vieilles dames (malheureusement, pas Grand-Mère), des épiciers volaient leurs clients en ne leur rendant pas correctement la monnaie, des banquiers ne ramassaient pas les déjections de leurs chiens et dans toute la ville des gens voyaient leurs rêves de devenir chanteur, acteur, musicien, écrivain ou danseur s’envoler en fumée à cause de producteurs, de réalisateurs, d’agents, d’éditeurs et de chorégraphes sans cœur.
Oui, j’étais de retour à New York, j’étais enfin de retour chez moi.
Lars m’attendait à ma descente d’avion, prêt à prendre la relève de François, mon garde du corps français qui, en plus de me protéger à Genovia, m’a appris plein de gros mots.
Lars est superbronzé. Il a passé un mois au Belize avec Wahim, le garde du corps de Tina. Ils ont fait de la plongée et ont chassé le sanglier. Lars m’a rapporté une petite défense en ivoire, alors que je suis opposée au massacre d’animaux pour le simple plaisir de les massacrer, même les sangliers qui sont pourtant d’une laideur et d’une méchanceté rares.
Enfin. Après une heure d’embouteillages, à cause d’un carambolage sur l’autoroute, j’étais de retour à la maison.
Quel plaisir de retrouver maman ! Son ventre commence à s’arrondir, mais je me suis bien gardée de le lui faire remarquer. Ma mère prétend qu’elle ne croit pas aux standards occidentaux de la beauté idéale et qu’il n’y a rien de choquant si une femme fait du 44, par exemple. Mais si je m’étais écriée : « Tu es énorme, maman ! », même sous la forme d’un compliment, elle aurait éclaté en sanglots. Après tout, elle n’est qu’au début de sa grossesse.
Du coup, je me suis contentée de dire :
« Ce bébé doit être un garçon. Parce que si c’est une fille, elle va être aussi grande que moi.
— J’espère bien que ce sera une fille, a-t-elle répondu en essuyant les larmes de bonheur qui coulaient le long de ses joues – à moins que ça n’ait été des larmes de douleur parce que Fat Louie lui mordait les chevilles pour qu’elle le laisse s’approcher de moi. Ça ne me gênerait pas d’avoir une seconde Mia pour remplacer la première quand elle n’est pas là. Tu m’as tellement manqué ! Il n’y avait personne pour m’empêcher de commander de la soupe aux boulettes de porc chez la Chinoise.
— J’ai essayé pourtant », est intervenu Mr. Gianini.
Lui aussi a l’air en pleine forme. Il se fait pousser le bouc. J’ai fait semblant de trouver ça beau.
J’ai pris ensuite Fat Louie dans mes bras. Il miaulait depuis un moment pour attirer mon attention. Il est possible que je me trompe, mais j’ai l’impression qu’il a maigri pendant mon absence. Je ne voudrais accuser personne de l’avoir laissé mourir de faim exprès, mais j’ai remarqué que son écuelle de croquettes n’était pas complètement remplie. En fait, elle n’était qu’à moitié remplie. Quand c’est moi qui donne à manger à Fat Louie, je remplis toujours son assiette à ras bord. On ne sait jamais : une maladie soudaine pourrait se déclarer et tuer tout le monde à Manhattan à l’exception des chats. Fat Louie est incapable d’attraper ses croquettes tout seul puisqu’il n’a pas de pouce. C’est pour ça que je lui en mets toujours un peu plus, au cas où on mourrait tous et où personne ne serait là pour ouvrir le sac de croquettes.
Sinon, l’appartement est superbe ! Mr. Gianini a fait beaucoup de choses pendant mon absence. Il a enlevé le sapin de Noël – c’est la première fois dans l’histoire de la famille Thermopolis qu’un sapin de Noël ne reste pas dans l’appartement jusqu’à Pâques – et a fait installer l’ADSL. Maintenant on peut se connecter sur Internet et envoyer des mails sans occuper la ligne de téléphone.
Ce n’est pas tout. Il a aussi complètement refait la chambre noire, vestige de la « période photo » de ma mère. Il a retiré les planches qui obstruaient la fenêtre et a jeté tous les produits toxiques qui traînaient depuis des années parce qu’on avait trop peur, ma mère et moi, de les toucher. La chambre noire va être la chambre du bébé ! Elle est tellement jolie et ensoleillée maintenant ! Du moins, elle l’était jusqu’à ce que ma mère ne se mette à peindre sur les murs des scènes d’une grande portée historique, comme le procès de Julius et Ethel Rosenberg ou l’assassinat de Martin Luther King. Elle veut que le bébé comprenne tout de suite les problèmes de notre pays (Mr. G. m’a assuré en cachette qu’il ferait repeindre la chambre dès que maman serait à la maternité, et qu’elle ne verrait pas la différence une fois que les endomorphines auront agi. Tout ce que je peux dire, c’est que maman a eu du nez, cette fois, de choisir pour se reproduire un homme doté d’autant de bon sens).
Mais la plus belle surprise pour fêter mon retour, c’est ce qui m’attendait sur le répondeur. Maman a appuyé sur le bouton PLAY à la minute même où je franchissais la porte de l’appartement.
C’ÉTAIT UN MESSAGE DEMICHAEL !!!!!!!!! MON PREMIER MESSAGE DE MICHAEL DEPUIS QUE JE SUIS SA PETITE AMIE !!!!!!!
Ce qui signifie que ça marche. De ne pas l’appeler.
Voilà ce que Michael me dit :
« Euh... Mia ? Salut, c’est Michael. Est-ce que tu pourrais... euh... me rappeler quand tu entendras ce message. Comme je n’ai pas de nouvelles depuis quelques jours, je me demandais si tout allait bien. Et je voulais savoir aussi si tu étais bien rentrée. Voilà, quoi. C’est tout. Eh bien, salut. Au fait, c’est moi, je veux dire Michael. Mais je te l’ai peut-être déjà dit, je ne me souviens pas. Bonjour, Mrs. Thermopolis. Bonjour, Mr. G. Bon, ben... voilà. N’oublie pas de me rappeler, Mia. Salut. »
J’ai sorti la cassette du répondeur pour la ranger dans le tiroir de ma table de nuit avec :
a) quelques grains de riz du sac sur lequel on s’est assis, Michael et moi, le soir du bal du lycée, en souvenir de notre premier slow.
b) un vieux bout du toast que j’ai mangé pendant The Rocky Horror Show qu’on a vu, Michael et moi, la première fois qu’on est sortis ensemble, même si ce n’était pas une vraie sortie en amoureux, puisque Kenny était là aussi.
c) un faux flocon de neige du bal du lycée en souvenir de notre premier baiser.
Ce message est mon plus beau cadeau de Noël. C’est même mieux que l’ADSL.
Dès que je suis allée dans ma chambre pour défaire mes valises, je l’ai réécouté sur mon magnétophone. J’ai dû le passer au moins une cinquantaine de fois. Ma mère n’a pas arrêté de venir pour me faire un câlin, savoir si j’avais besoin de quelque chose, si je voulais écouter son nouveau CD de Liz Phair. À sa trentième visite, alors que j’écoutais une fois de plus le message de Michael, elle m’a dit : « Tu ne l’as toujours pas rappelé ?
— Non, ai-je répondu.
— Mais pourquoi ?
— Parce que j’essaie d’être comme Jane Eyre. »
Elle a plissé les yeux comme quand elle écoute un débat parlementaire à la télévision sur les bourses que l’État accorde aux artistes.
« Jane Eyre ? a-t-elle répété. Tu veux parler du livre ?
— Oui, ai-je répondu en retirant de dessous Fat Louie le porte-serviettes napoléonien que le Premier ministre français m’a offert pour Noël. Si tu t’en souviens bien, Jane ne court pas après Mr. Rochester. C’est lui qui court après elle. Eh bien, c’est ce qu’on a décidé de faire, Tina et moi. Se comporter comme Jane. »
À l’inverse de Grand-Mère, maman n’a pas eu l’air enchantée du tout.
« Mais Jane Eyre était dure avec ce pauvre Mr. Rochester ! » s’est-elle exclamée.
Je n’ai pas osé lui dire que c’était exactement ce que j’avais pensé aussi... au début.
Du coup, j’ai déclaré fermement :
« Et Bertha enfermée dans le grenier ? Tu y as pensé, à Bertha ?
— Mais c’est parce qu’elle était folle, a rétorqué ma mère. Les psychotropes n’existaient pas à cette époque. Enfermer Bertha au grenier, c’était faire preuve de bien plus d’humanité que l’envoyer dans un hôpital psychiatrique, où les malades étaient affreusement maltraités, enchaînés aux murs et sans télévision. Franchement, Mia. J’avoue que je ne comprends pas où tu es allée chercher cette idée. Jane Eyre ! Qui t’a parlé de Jane Eyre ? »
J’ai hésité à répondre parce que je savais qu’elle n’apprécierait pas la réponse.
« Qui ? a-t-elle insisté.
— Grand-Mère », ai-je fini par dire.
Ma mère s’est mordu les lèvres de rage.
« J’aurais dû m’en douter, a-t-elle marmonné. Écoute-moi, Mia. C’est tout à fait louable de ta part et de la part de tes amies de ne pas courir après les garçons, mais si un garçon comme Michael te laisse un gentil message sur le répondeur, avoir la politesse de le rappeler ne veut pas dire que tu lui cours après. »
J’ai pris le temps de réfléchir à ses paroles et je suis arrivée à la conclusion qu’elle avait raison. Ce n’est pas comme si Michael cachait une épouse folle dans le grenier. De toute façon, il n’y a pas de grenier dans l’appartement des Moscovitz.
« Très bien, ai-je dit en posant les vêtements que j’étais en train de ranger. Je vais le rappeler. »
À cette idée, mon cœur s’est mis à battre à tout rompre. Dans une minute – peut-être même moins, si j’arrivais à faire sortir ma mère de ma chambre –, j’allais parler à Michael ! Et il n’y aurait pas de parasites sur la ligne comme quand je l’appelais de l’autre côté de l’océan. Parce qu’aucun océan ne nous séparait désormais ! Il n’y avait que Washington Square Park entre nous ! Et je n’aurais pas à m’inquiéter de savoir s’il ne préférait pas être avec Kate Bosworth plutôt qu’avec moi, Mia Thermopolis, parce qu’il n’y a pas trop de filles à Manhattan qui ont le look Kate Borsworth... et si par hasard il y en a, elles ne sont pas en maillot de bain, du moins en hiver.
« Oui, tu as raison. Le rappeler, ce n’est pas lui courir après », ai-je déclaré.
Ma mère, qui était assise sur mon lit, a juste secoué la tête.
« Franchement, Mia, a-t-elle dit. Tu sais que je n’aime pas contredire ta Grand-Mère – c’était le plus gros mensonge que j’entendais depuis que René m’avait dit que je valsais divinement bien –, mais je ne crois pas que tu devrais jouer à ce genre de petits jeux avec les garçons. En particulier avec un garçon que tu apprécies. Et surtout un garçon comme Michael.
— Maman, si je veux passer le restant de ma vie avec lui, il le faut, lui ai-je expliqué patiemment. Je ne peux tout de même pas lui dire la vérité. S’il découvrait la profondeur de mes sentiments, il se sauverait comme un faon effarouché.
— Un quoi ? a demandé ma mère de l’air de quelqu’un qui ne comprend rien à ce qu’on lui raconte.
— Un faon effarouché, ai-je répété. En gros, quand Tina a avoué à son petit ami Dave El-Farouq à quel point elle l’aimait, il a réagi à la David Caruso.
— David Caruso ? » a interrogé ma mère.
Elle me faisait vraiment pitié. Comment pouvait-elle ne pas savoir ça ?
« Ça veut dire qu’il a disparu pendant très longtemps, ai-je repris. Dave a refait surface quand Tina a réussi à obtenir des places pour un match de hockey sur glace. Et depuis, elle a remarqué qu’il était bizarre avec elle. »
Une fois ma valise vide, je l’ai fermée et posée par terre. Puis je me suis assise sur le lit, à côté de ma mère.
« Maman, ai-je dit doucement, je ne veux pas que ça se passe comme ça avec Michael. Je l’aime plus que tout au monde, après toi et Fat Louie. »
Je lui ai dit « après toi » pour ne pas lui faire de peine. Mais je crois que j’aime Michael plus que ma mère. C’est horrible, mais je ne peux pas m’en empêcher, c’est comme ça.
Mais je n’aimerai jamais personne plus que Fat Louie.
« Tu comprends ? ai-je continué. Je ne veux pas gâcher ce que nous vivons, Michael et moi. Il est mon Roméo en jeans. » Même si je ne l’ai jamais vu en jeans, je suis sûre qu’il en a un. On porte un uniforme au bahut, du coup, quand je le vois, il est en pantalon de flanelle, comme tous les autres garçons. « Par ailleurs, ai-je poursuivi, il ne faut pas oublier que Michael peut trouver nettement mieux que moi. Alors, j’ai intérêt à faire très attention. »
Ma mère a cligné des yeux plusieurs fois et a dit :
« Mieux que toi ? Qu’est-ce que tu racontes, Mia ?
— Voyons, maman, tu sais bien que je ne suis pas un canon, comme on dit. Je ne suis pas très jolie, et tu as bien vu combien j’ai dû travailler pour avoir la moyenne en maths ce trimestre. Sans compter qu’il n’y a pas grand-chose où l’on peut considérer que je suis bonne.
— Mia ! s’est écriée ma mère d’un air choqué. Tu dis n’importe quoi ! Tu es bonne dans plein de choses ! Tu sais tout ce qu’il y a à savoir sur l’environnement et sur l’Islande, et tu es toujours au courant du programme télé. »
Je me suis efforcée de sourire. Je ne voulais pas qu’elle se sente responsable de ne pas m’avoir transmis de talents artistiques. Ce n’est pas sa faute, c’est l’ADN.
« Oui, je sais bien, maman, mais ce ne sont pas vraiment des talents. Michael, lui, est beau, intelligent, il joue de plein d’instruments de musique, il compose, bref il est bon en tout. Et à mon avis, ce n’est qu’une question de temps, mais il va se rendre compte qu’il peut trouver une fille superjolie qui sait faire du surf et...
— Le fait que tu aies dû travailler en maths un peu plus que les autres élèves de ta classe ne prouve pas que tu n’as aucun talent, m’a interrompue ma mère. Et je ne vois pas pourquoi Michael te délaisserait pour une fille qui fait du surf. Mais je pense sincèrement que si tu n’as pas vu un garçon depuis un mois et qu’il te laisse un message, la moindre des choses, c’est de le rappeler. Sinon, je peux te garantir qu’il va se sauver. Et pas comme un faon effarouché. »
Je l’ai regardée droit dans les yeux. Elle avait marqué un point. C’est sûr que le stratagème de Grand-Mère – laisser l’homme qu’on aime dans l’incertitude d’être aimé – présente quelques petits inconvénients. Par exemple, l’homme qu’on aime peut penser qu’on ne l’aime pas ; il risque alors de prendre ses distances et de tomber amoureux d’une autre fille qui l’assurera, elle, de son affection. Une fille comme Judith Geshner, la présidente du club informatique, et qui est brillante en plus. Bon d’accord, elle sort déjà avec un garçon de Trinity. Mais c’est peut-être faux, c’est peut-être juste pour ne pas éveiller mes soupçons et pour me faire croire que je n’ai rien à craindre d’une fille qui sait cloner des drosophiles...
« Mia ? a dit ma mère, brusquement inquiète. Tu es sûre que ça va ? »
J’ai essayé de sourire mais je n’y arrivais pas. Comment est-ce qu’on avait pu, Tina et moi, ne pas voir que notre plan clochait à ce niveau-là ? Qui sait si Michael n’était pas en ce moment même au téléphone avec Judith ou avec une autre fille dotée du même QI, et s’il n’avait pas avec elle une discussion sur les quasars, les photons ou n’importe quel autre sujet dont raffolent les gens intelligents. Pire, il était peut-être au téléphone avec Kate Bosworth et ils parlaient tous les deux du mouvement ondulatoire de la houle.
« Maman, ai-je dit en me levant. Est-ce que tu peux sortir ? Il faut que je l’appelle. »
Heureusement, la panique qui me saisissait à la gorge n’était pas audible.
« Oh, Mia, a répondu ma mère d’un air ravi, tu fais très bien. Charlotte Brontë est un grand écrivain, bien entendu, mais n’oublie pas qu’elle a écrit Jane Eyre en 1847 et que la vie était différente à cette époque.
— Maman », ai-je répété.
Les parents de Lilly et de Michael ont fixé une règle très stricte : leurs enfants n’ont pas le droit d’être au téléphone en semaine après vingt-trois heures. Et ce sous aucun prétexte. Il était presque vingt-trois heures et ma mère était toujours là et m’empêchait de passer mon coup de fil dans l’intimité.
« Oh ! » a-t-elle fait en souriant. Même enceinte, elle a des allures de jeune fille parfois, avec ses longs cheveux noirs bouclés. Moi évidemment, j’ai hérité des cheveux de mon père – cheveux que je n’ai jamais eu l’occasion de voir, en fait, puisqu’il est chauve depuis que je le connais.
L’ADN, c’est tellement injuste.
Enfin, ma mère est sortie de ma chambre. Qu’est-ce que les femmes enceintes peuvent être lentes ! On aurait pu penser que l’évolution de l’espèce les rendrait plus rapides pour qu’elles puissent échapper à leurs prédateurs, mais apparemment non. Bref, dès qu’elle est partie, je me suis jetée sur le téléphone. Je tremblais presque. J’allais enfin, ENFIN, parler à Michael.
Mais au moment où je posais la main sur le combiné, la sonnerie a retenti. Mon cœur s’est serré comme chaque fois que je vois Michael. C’était lui qui appelait, je le sentais. J’ai décroché à la seconde sonnerie – je ne voulais certainement pas qu’il me plaque pour une fille plus attentionnée, mais je ne voulais pas non plus qu’il pense que je passais mon temps assise près du téléphone à attendre qu’il appelle –, et j’ai dit, le plus gracieusement du monde :
« Allô ? »
La voix de Grand-Mère, enrouée par des années de tabagisme, a empli mon oreille.
« Amelia ? a-t-elle dit. Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as attrapé froid ?
— Grand-Mère ? »
Je n’arrivais pas à y croire. Il était vingt-deux heures cinquante-neuf ! Il me restait exactement une minute pour appeler Michael si je ne voulais pas subir les foudres de ses parents.
« Je ne peux pas te parler pour l’instant. Je dois passer un coup de fil.
— Pfuit ! a fait Grand-Mère d’un ton désapprobateur. Et qui dois-tu appeler à cette heure, hein ? »
Il était vingt-deux heures cinquante-neuf minutes et trente secondes.
« C’est bon, Grand-Mère, ai-je dit. C’est lui qui a appelé en premier. Je le rappelle par pure politesse.
— Il est trop tard pour téléphoner à ce garçon », a-t-elle déclaré.
Vingt-trois heures. Il était trop tard maintenant. Grâce à Grand-Mère.
« Tu le verras demain à l’école, de toute façon, a-t-elle continué. Passe-moi ta mère.
— Maman ? » ai-je dit.
Je n’en revenais pas. Grand-Mère n’adresse jamais la parole à maman si elle peut faire autrement. Elles ne s’entendent pas très bien depuis que maman a refusé d’épouser papa quand elle a découvert qu’elle était enceinte de lui, sous prétexte qu’elle voulait éviter à son enfant de subir les vicissitudes d’une aristocratie rétrograde.
« Oui, ta mère, a dit Grand-Mère. Tu as sûrement entendu parler d’elle. »
Je suis sortie de ma chambre et j’ai passé le téléphone à maman. Elle regardait la télé dans le salon avec Mr. Gianini. Je ne lui ai pas révélé qui était au bout du fil parce que sinon, elle m’aurait dit de répondre à Grand-Mère qu’elle était sous la douche, et je me serais retrouvée à faire les frais de la conversation.
« Allô ? » a-t-elle lancé gaiement en pensant sans doute que c’était l’une de ses amies. J’en ai profité pour me sauver. Il y avait plusieurs objets assez lourds autour du canapé, et ma mère aurait pu les lancer dans ma direction si je restais dans les parages.
De retour dans ma chambre, j’ai pensé à Michael. Qu’est-ce que j’allais lui dire, demain, quand je passerais les prendre en limousine, Lilly et lui, pour aller à l’école ? Que j’étais rentrée trop tard pour le rappeler ? Et s’il remarquait mes narines qui tremblent ? Je ne sais pas s’il s’est aperçu qu’elles tremblent chaque fois que je mens, mais je crois que je l’ai plus ou moins raconté à Lilly, puisque je suis incapable de me la fermer et donc de taire certaines choses qui me concernent. Bref, si Lilly lui en avait parlé, j’étais fichue.
Puis, alors que j’étais assise sur mon lit, abattue et endormie parce qu’à Genovia, il était quatre heures du matin et que j’étais en plein jet lag, j’ai eu une idée géniale. Si Michael était connecté, j’allais lui envoyer un message instantané ! Et je pouvais le faire pendant que ma mère était au téléphone puisqu’on avait l’ADSL !
J’ai allumé mon ordinateur : Michael était connecté.
Michael, ai-je écrit. Salut, c’est moi ! Je voulais t’appeler mais il est plus de onze heures et j’ai eu peur que tes parents se fâchent.
Depuis que Le Cerveau n’existe plus, Michael a changé de nom. Il ne s’appelle plus Le Cerveau, mais LinuxRulz, en signe de protestation contre Microsoft, qui domine l’industrie de la micro-informatique.
LinuxRulz : Salut ! Ça fait du bien d’avoir de tes nouvelles. J’avais peur que tu sois morte.
Il a remarqué que j’avais arrêté de l’appeler ! Ce qui signifiait que notre plan, à Tina et à moi, marchait à la perfection. Du moins jusqu’à présent.
FtLouie : Non, je ne suis pas morte mais super occupée. Tu sais bien, le destin de l’aristocratie qui repose sur mes épaules, etc. Est-ce que je passe vous prendre demain pour aller au bahut ?
LinuxRulz : Oui, ce serait sympa. Qu’est-ce que tu fais vendredi ?
Qu’est-ce que je fais vendredi ? Est-ce qu’il me proposait de sortir ? Est-ce que Michael et moi, on allait ENFIN sortir seuls ensemble ?
J’ai essayé de taper doucement sur le clavier pour qu’il ne voie pas à quel point j’étais excitée. J’avais déjà pas mal effrayé Fat Louie en faisant des bonds sur ma chaise d’ordinateur et en manquant de lui rouler sur la queue.
FtLouie : Rien, je crois. Pourquoi ?
LinuxRulz : Tu veux aller dîner au Screening Room ? Il passe le premier épisode de La Guerre des étoiles.
MON DIEU !!!!!!! IL ME PROPOSAIT DE SORTIR !!!!!!! Il m’invitait à dîner et à aller au cinéma. Les deux à la fois, en fait, parce qu’au Screening Room, on peut manger tout en regardant un film. Et en plus La Guerre des étoiles, c’est mon film préféré après Dirty Dancing. Est-ce qu’il existe une fille plus heureuse que moi ? Non, je ne crois pas.
Mes doigts tremblaient quand j’ai écrit :
FtLouie : Oui, j’aimerais bien. Il faut que je demande à ma mère. Je peux te donner ma réponse demain ?
LinuxRulz : Pas de problème. On se retrouve vers 8 h 15 ?
FtLouie : OK. 8 h 15.
Je voulais ajouter quelque chose comme « Tu me manques » ou « Je t’aime », mais j’ai hésité. Ça me faisait bizarre et, finalement, je n’ai pas osé. C’est gênant de dire aux personnes qu’on aime qu’on les aime. Je sais, c’est absurde, mais c’est comme ça. Et puis, Jane Eyre ne l’aurait pas fait. Elle attend de découvrir que Mr. Rochester a perdu la vue en voulant sauver sa femme, la folle, dans un incendie dont elle est responsable.
Il est vrai que m’inviter à dîner et au cinéma, ce n’était pas vraiment pareil.
Puis Michael a écrit :
LinuxRulz : J’ai traversé cette galaxie...
C’était ma réplique préférée du premier épisode de La Guerre des étoiles. Du coup, j’ai répondu :
FtLouie : Il se trouve que j’aime les hommes gentils.
Michael a tout de suite reconnu cette réplique de L’Empire contre-attaque, parce qu’il a écrit :
LinuxRulz : Je suis gentil.
Ce qui était nettement mieux que « Je t’aime », parce que juste après avoir dit « Je suis gentil », Han Solo embrasse la princesse Leia. OH, MON DIEU ! C’était comme si Michael était Han Solo et moi la princesse Leia. Et Pavlov, le chien de Michael, serait Chewbacca. En fait, il lui ressemble un peu. C’est-à-dire qu’il lui ressemblerait si Chewbacca était un berger écossais.
Je ne pouvais pas imaginer un premier rendez-vous plus romantique. Ma mère me donnerait son accord, c’est sûr, parce que le Screening Room est à côté et parce que je sortais avec Michael. Même Mr. Gianini aime bien Michael, c’est tout dire, vu qu’il n’y a pas beaucoup de garçons à Albert-Einstein qu’il apprécie. Il dit qu’à part quelques-uns, ce ne sont que des paquets de testostérone ambulants.
Je me demande si la princesse Leia a lu Jane Eyre. Mais peut-être que Jane Eyre n’existe pas dans sa galaxie.
Jamais je ne vais réussir à dormir, je suis trop excitée. Je vais le voir dans huit heures et quinze minutes.
Et vendredi, je vais être assise à côté de lui dans le noir. Toute seule. Sans personne autour de nous. Sauf les serveuses et les autres spectateurs.
La Force est tellement avec moi.
Jeudi 20 janvier
Premier jour d’école après les vacances de Noël
En perm
J’ai failli ne pas me lever ce matin. D’ailleurs, la seule raison qui m’a fait sortir de dessous les couvertures – et de dessous Fat Louie, qui était couché sur moi et a ronronné toute la nuit comme une tondeuse à gazon –, c’est parce que j’allais revoir Michael pour la première fois depuis trente-trois jours.
C’est cruel de forcer une personne de mon âge, qui devrait dormir au moins neuf heures par nuit, à passer d’un fuseau horaire à un autre, totalement à l’opposé en plus, sans lui accorder au moins un jour de repos entre les deux. Je suis encore complètement décalée. Je suis sûre que ça va retarder non seulement ma croissance (pas en taille, je suis déjà assez grande comme ça, mais du côté de mes glandes mammaires, les glandes étant très sensibles aux interruptions dans les cycles du sommeil) mais mon développement intellectuel aussi.
À partir de cette année, et surtout à partir de ce trimestre, les notes vont commencer à compter pour plus tard. Même si je n’ai pas l’intention d’aller à l’université tout de suite. J’ai décidé de faire comme le prince William : prendre une année sabbatique. J’espère que je la passerai à me consacrer à un de mes talents, et si je ne m’en suis pas trouvé un d’ici là, je proposerai mes services à Greenpeace. Ce qui serait bien, c’est qu’ils m’acceptent dans un des bateaux qui naviguent entre le Japon et la Russie pour surveiller les baleiniers et les baleines. Mais je ne pense pas que Greenpeace accepte des volontaires dont la moyenne générale n’a jamais dépassé 10.
Bref, j’ai eu un mal fou à me lever ce matin. Surtout quand, après avoir enfin réussi à m’extirper de mon lit, je me suis aperçue que mes sous-vêtements à l’effigie de la reine Amidala n’étaient pas dans le tiroir de ma commode. Je les porte tous les premiers jours de chaque trimestre pour conjurer le mauvais sort. Il ne m’arrive que de bonnes choses quand je les ai sur moi. Par exemple, je les portais le soir du bal du lycée quand Michael m’a dit qu’il m’aimait.
Pas qu’il était AMOUREUX, mais qu’il m’aimait. Plus que d’amitié, j’espère.
Bref, comme je mets mes sous-vêtements de la reine Amidala le premier jour de chaque trimestre, il faut que je les lave avant vendredi si je veux pouvoir les porter pour ma soirée avec Michael. Parce que je vais avoir besoin de beaucoup plus de chance que d’habitude, ce soir-là. D’abord, au cas où une Kate Bosworth traînerait dans le coin, et puis parce que j’ai décidé d’en profiter pour offrir à Michael son cadeau d’anniversaire. J’espère que ça lui plaira tellement qu’il tombera amoureux de moi, s’il ne l’est pas déjà.
Comme mes sous-vêtements de la reine Amidala n’étaient pas dans le tiroir de ma commode, j’ai dû aller dans la chambre de ma mère. C’est-à-dire celle qu’elle partage avec Mr. Gianini (heureusement que Mr. G. était sous la douche parce que si j’avais dû les voir tous les deux au lit dans l’état où j’étais à ce moment-là, je crois que j’aurais viré ma cuti, comme Anne Heche). J’ai secoué ma mère et je lui ai dit :
« Maman, est-ce que tu sais où sont mes sous-vêtements de la reine Amidala ? »
Ma mère, qui dort comme un loir depuis qu’elle est enceinte, a répondu : « Shrunowog », ce qui ne veut rien dire.
« Maman, ai-je répété, j’ai besoin de mes sous-vêtements de la reine Amidala. Tu sais où ils sont ? »
Quand je l’ai entendue me répondre, cette fois : « Kapukin », ça m’a donné une idée. Elle accepterait sûrement que je sorte vendredi soir avec Michael, surtout après son édifiant discours de la veille mais, histoire qu’elle ne revienne pas en arrière, j’ai dit :
« Maman, est-ce que je peux aller au Screening Room avec Michael vendredi soir ?
— Oui, oui, scuniper », a-t-elle marmonné en roulant sur le côté.
Voilà, c’était au moins ça de réglé.
Il me restait à aller au lycée avec des sous-vêtements ordinaires, ce qui craignait un peu parce qu’ils n’ont rien de spécial, ils sont juste blancs.
Mais quand je suis montée dans la limousine, j’ai retrouvé le moral parce que j’allais revoir Michael.
Sauf que tout de suite après, j’ai flippé en me demandant comment ça allait se passer quand je le reverrais, justement. Lorsqu’on n’a pas vu son petit copain depuis trente-trois jours, on ne peut pas lui dire juste : « Salut », le jour des retrouvailles. Il faut faire quelque chose : l’étreindre, l’embrasser... Quelque chose, quoi.
Mais comment l’embrasser avec Lars à côté ? Au moins, je n’avais pas à me soucier de mon beau-père puisque Mr. G. refuse d’aller à l’école en limousine avec Lars, Lilly, Michael et moi. Pourtant, on va tous au même endroit. Mais Mr. Gianini dit qu’il préfère prendre le métro parce que c’est le seul moment où il peut écouter la musique qu’il aime (maman et moi, on n’aime pas trop qu’il mette Blood, Sweat and Tears sur la chaîne de l’appartement. Résultat, il est obligé de l’écouter sur son diskman).
Et Lilly ? Lilly aussi allait être dans la limousine. Comment sauter au cou de Michael avec Lilly à côté ? D’accord, c’est en partie grâce à elle que Michael et moi, on sort ensemble, mais ça ne signifie pas pour autant que je peux me laisser aller à des démonstrations d’affection en public, devant elle.
Si on était à Genovia, je pourrais l’embrasser sur les deux joues, parce que c’est comme ça qu’on fait là-bas. Mais on est en Amérique, et en Amérique, c’est tout juste si on se serre la main. Sauf si on est le maire de la ville, bien sûr.
Sans compter Jane Eyre ! C’était bien beau de s’être juré, Tina et moi, de pas courir après nos petits copains, mais qu’est-ce qu’on avait décidé pour les retrouvailles après trente-trois jours d’absence, hein ? Rien.
J’étais sur le point de demander à Lars son avis sur la question quand j’ai eu une idée géniale, pile au moment où on s’arrêtait devant l’immeuble des Moscovitz. Alors que Hans, le chauffeur, s’apprêtait à sortir pour ouvrir la porte à Lilly et à Michael, je lui ai dit que ce n’était pas la peine, et je suis sortie à sa place.
Michael se tenait là, debout dans la neige fondue, bronzé, grand, viril, les cheveux balayés par le vent. Le simple fait de le voir m’a fait battre le cœur à tout rompre. J’avais l’impression que j’allais défaillir...
... surtout quand il m’a souri, avec sa bouche et avec ses yeux, aussi noirs que dans mon souvenir, aussi intelligents et expressifs que lorsque j’y avais plongé le regard, trente-trois jours auparavant.
Ce que je n’arrivais pas à déceler, en revanche, c’était s’ils exprimaient de l’amour pour moi ou non. D’après Tina, il suffisait que je regarde dans ses yeux pour savoir si Michael m’aimait. En vérité, tout ce que j’ai réussi à deviner, c’est qu’il ne me trouvait pas complètement repoussante. Sinon, il aurait détourné la tête, comme moi quand je vois au réfectoire le garçon qui retire systématiquement le maïs de son chili.
« Salut, ai-je dit d’une voix brusquement supergrinçante.
— Salut », a répondu Michael, la voix pas du tout grinçante, mais profonde et qui sonnait un peu comme celle de Wolverine.
On est restés alors immobiles l’un en face de l’autre, accrochés par nos regards, soufflant de petits nuages de buée tandis qu’autour de nous des gens descendaient la 5e Avenue d’un pas vif. Des gens que je voyais à peine. Même Lilly, je l’ai à peine remarquée quand elle m’a bousculée en ronchonnant pour monter dans la limousine.
« Ça me fait plaisir de te voir, a dit Michael.
— Ça me fait plaisir à moi aussi, ai-je répondu.
— Hé ! a crié Lilly de l’intérieur de la voiture. Il doit faire moins deux dehors ! Vous ne voulez pas vous dépêcher, s’il vous plaît ?
— Je crois qu’on devrait..., ai-je commencé.
— Oui, je crois aussi », a dit Michael, et il m’a tenu la portière. Mais au moment où j’allais monter, il a posé sa main sur mon bras, et quand je me suis retournée pour voir ce qu’il voulait (même si j’avais déjà ma petite idée), il a murmuré : « Tu peux sortir, alors, vendredi soir ?
— Oui », ai-je soufflé.
Il m’a alors attirée contre lui, comme Mr. Rochester avec Jane, et il s’est penché vers moi à toute vitesse et m’a embrassée sur la bouche. Là, devant le concierge de son immeuble et au beau milieu de la 5e Avenue !
Je dois admettre que ni le concierge de l’immeuble des Moscovitz ni les gens autour de nous, y compris les passagers du bus M1 qui passait à ce moment-là, n’ont semblé remarquer que la princesse de Genovia était en train de se faire embrasser sous leurs yeux.
Mais moi, je l’ai remarqué. Je l’ai remarqué et j’ai trouvé ça super. Tous mes doutes s’envolaient, quant à la question de savoir si Michael m’aimait comme une compagne pour la vie ou comme une copine.
Parce qu’on n’embrasse pas une copine comme ça.
Je ne crois pas, du moins.
Je suis montée dans la limousine et je me suis assise à côté de Lilly, un sourire béat aux lèvres. J’ai eu peur que Lilly se moque de moi, mais je ne pouvais pas m’empêcher de sourire. J’étais tellement heureuse, parce que même si je ne portais pas mes sous-vêtements de la reine Amidala, le trimestre venait de très, très bien commencer !
Michael est monté à son tour, il a refermé la portière, Hans a démarré, Lars a dit bonjour à Lilly et à Michael, ils lui ont dit bonjour à leur tour et moi, je ne me suis même pas aperçue que Lars riait sous cape. C’est Lilly qui me l’a dit quand on a franchi la porte du lycée.
« Comme si on ne se doutait pas de ce que vous faisiez dehors », a-t-elle précisé.
Mais gentiment.
J’étais en fait tellement heureuse que j’ai à peine écouté ce qu’elle m’a raconté en chemin, à propos du film sur ma vie. (Lilly a envoyé une lettre en recommandé aux producteurs mais elle n’a toujours pas de réponse. Pourtant, ça fait plus de quatre semaines.)
« Encore une fois, les gens de Hollywood pensent qu’ils peuvent s’en tirer à bon compte avec n’importe quoi. Eh bien, je vais leur prouver le contraire. Si je n’ai pas de nouvelles d’ici demain, je préviens la presse. »
Cette dernière phrase a attiré mon attention.
« Tu vas donner une conférence de presse ? ai-je demandé en ouvrant de grands yeux.
— Pourquoi pas ? a répondu Lilly. Tu l’as bien fait, et il y a peu de temps, tu étais à peine capable de formuler une phrase cohérente devant une caméra. Ça ne doit pas être si difficile que ça. »
Ouah ! Lilly est vraiment très en colère. Il va quand même falloir que je regarde ce film pour voir s’il est si mauvais que ça. Apparemment, elle est la seule qui en pense quelque chose, à l’école. Mais c’est vrai que les autres étaient à Saint-Moritz ou dans leurs maisons de vacances, à Ojai6, et qu’ils étaient trop occupés à skier ou à s’amuser au soleil de la Californie pour regarder un stupide téléfilm sur la vie de l’une de leurs camarades d’école.
Vu le nombre de plâtres que j’ai comptés, tout le monde s’est bien plus amusé que moi pendant ces vacances. Même Michael. Il m’a raconté qu’il avait passé la majeure partie de son temps assis sur le balcon de l’appartement de ses grands-parents à écrire des chansons pour son nouveau groupe.
Bref, je suis la seule à avoir assisté à des débats parlementaires et négocié le prix du stationnement pour le parking du casino de Genovia.
Mais bon. Ça fait du bien d’être de retour. Surtout parce que, pour la première fois de ma vie, le garçon que j’aime m’aime bien – et est peut-être même amoureux de moi. En plus, je vais le voir aux interclasses et pendant l’étude dirigée.
Mon Dieu ! J’ai complètement oublié ! À chaque début de trimestre, on change d’emploi du temps ! Et si Michael et moi, on n’était plus ensemble pendant l’étude dirigée ? Je ne suis même pas censée y être inscrite. Normalement, l’étude dirigée, au lycée Albert-Einstein, c’est pour permettre aux élèves dotés d’un don particulier de le développer en travaillant sur un projet de leur choix. Moi, j’y suis parce que la proviseur a pensé que je pourrais en profiter pour faire des maths en plus, tellement je suis nulle. Sinon, j’aurais dû aller en techno. EN TECHNO ! LÀ OÙ ON APPREND À CONSTRUIRE DES ÉTAGÈRES À ÉPICES !
Et au second trimestre en arts ménagers. SI JE ME RETROUVE EN ARTS MÉNAGERS À LA PLACE DE L’ÉTUDE DIRIGÉE, JE PRÉFÈRE MOURIR !!!!!!!!!!!
Et ça risque de m’arriver puisque j’ai eu B − en maths au trimestre précédent. On n’impose pas d’heures supplémentaires dans une matière quand on a B − . B −, c’est considéré comme une bonne moyenne. Sauf pour des élèves comme Judith Geshner, évidemment.
Je le savais. Je savais qu’il m’arriverait quelque chose si je ne portais pas mes sous-vêtements de la reine Amidala.
Si je ne suis pas en étude dirigée, je ne verrai Michael dans la journée qu’à l’heure du déjeuner et pendant les interclasses.
Et encore, il est possible que je ne le voie même pas au réfectoire ! Parce qu’on ne déjeunera peut-être pas à la même heure !
De toute façon, même si on déjeune à la même heure, je ne vois pas pourquoi on mangerait ensemble. J’ai toujours mangé avec Lilly et Tina, et Michael avec les élèves du Club informatique. Est-ce qu’il va venir s’asseoir à ma table ? Il est impensable que moi, j’aille m’asseoir à sa table vu qu’on y raconte des choses auxquelles je ne comprends rien. Par exemple, que Steve Jobs craint (c’est le fondateur d’Apple), ou que c’est vraiment facile de détruire le système de défense antibalistique de l’Inde.
Mon Dieu, je vous en supplie, faites que je ne sois pas en Arts ménagers ce trimestre. JE VOUS EN SUPPLIE. JE VOUS EN SUPPLIE. JE VOUS EN SUPPLIE. JE VOUS EN SUPPLIE. JE VOUS EN SUPPLIE. JE VOUS EN SUPPLIE. JE VOUS EN SUPPLIE. JE VOUS EN SUPPLIE. JE VOUS EN SUPPLIE. JE VOUS EN SUPPLIE. JE VOUS EN SUPPLIE. JE VOUS EN SUPPLIE. JE VOUS EN SUPPLIE.
Mardi 20 janvier, pendant le cours de maths
Ha ! Je ne porte peut-être pas mes sous-vêtements de la reine Amidala, mais la Force est avec moi. J’ai le MÊME emploi du temps qu’au premier trimestre, sauf que j’ai bio en troisième heure à la place d’éducation civique (mon Dieu, si vous pouviez aussi faire en sorte que Kenny, mon partenaire de bio et ex-petit ami, ne soit plus avec moi ce trimestre). J’ai éducation civique en fin de journée maintenant, et à la place de la gym, j’ai hygiène et sécurité.
Sinon, je ne suis ni en techno ni en arts ménagers !!!!!! Je ne sais pas qui a raconté à l’administration que j’avais un don particulier, mais qui que ce soit, je lui serai à jamais reconnaissante et je ferai tout pour ne pas gâcher cette heure d’étude dirigée.
Par ailleurs, j’ai découvert que Michael était non seulement en étude dirigée avec moi, mais qu’on déjeunait à la même heure. Je le sais parce que cinq minutes après être entrée dans la salle où j’ai maths, Michael est arrivé !
Oui, il est venu dans la salle où Mr. Gianini nous fait maths, comme s’il faisait partie de notre classe. Tout le monde l’a regardé en écarquillant les yeux, même LanaWeinberger parce que jamais un terminale n’entre dans une salle de seconde, sauf s’il est envoyé par l’administration pour aller chercher un élève ou apporter un document.
Mais Michael n’était pas envoyé par l’administration. Non, il est entré dans la salle de Mr. Gianini pour me voir. Il s’est dirigé droit vers ma table, son emploi du temps à la main et il m’a demandé : « À quel service tu manges ?
— Au premier, ai-je répondu.
— Moi aussi, a fait Michael. Et tu as étude dirigée juste après ?
— Oui, ai-je dit.
— Génial ! On se voit à midi, alors », a-t-il murmuré.
Et il est parti. Il faisait tellement étudiant à ce moment-là avec son sac à dos Jansport et ses New Balance ! Et quand il a lancé aussi d’un air super désinvolte :
« Bonjour, monsieur Gianini », à Mr. Gianini qui était assis à son bureau, une tasse de café à la main.
Bref, on ne pouvait pas imaginer plus cool que ça.
Dire que c’est moi qu’il est venu voir. MOI, MIA THERMOPOLIS. Anciennement l’élève qui avait le moins la cote de tout le lycée, à l’exception du garçon qui n’aime pas le maïs dans le chili.
Maintenant, tous ceux qui ne nous ont pas vus nous embrasser, le soir du bal, savent qu’on sort ensemble parce qu’on n’entre pas dans la classe de quelqu’un entre deux cours pour vérifier son emploi du temps à moins qu’il ne s’agisse de son/sa petit(e) ami(e).
Je peux vous assurer qu’après le départ de Michael, j’ai senti sur moi le regard de tous mes compagnons d’infortune, y compris celui de Lana Weinberger. Et je suis sûre qu’ils pensaient tous à ce moment-là : « Il sort avec elle ? »
J’admets que ça peut paraître surprenant. Moi-même, j’ai du mal à y croire. Il faut dire que Michael est l’un des trois plus beaux garçons de tout le lycée, après Josh Richter et Justin Baxendale (cela dit, pour avoir vu Michael plein de fois torse nu, Josh et Justin font pâle figure comparés à lui). Donc, il est tout à fait normal de se demander ce qu’il fait avec moi, une mutante dénuée de tout talent avec des pieds grands comme des skis, une poitrine inexistante et des narines qui tremblent à chaque mensonge ?
Sans compter que je suis en seconde et que Michael est en terminale, et qu’il a déjà été accepté sur dossier dans l’une des plus grandes universités des États-Unis. Est-il nécessaire aussi de rappeler que Michael est le premier de sa classe et qu’il n’a eu que des A pendant toute sa scolarité tandis que moi, j’ai à peine la moyenne en maths ? Qu’il s’adonne avec brio à plusieurs activités extra-scolaires, comme l’informatique, les échecs et la culture physique. Que c’est lui qui a conçu le site Internet du bahut. Qu’il sait jouer d’au moins dix instruments de musique et qu’il vient de monter son propre groupe.
Moi ? Je suis princesse. C’est tout.
Et je ne le suis que depuis peu. Avant de le découvrir, je n’étais qu’une erreur de la nature, nulle en maths et avec plein de poils de chat sur mes habits.
J’imagine que cela a dû en surprendre plus d’un de voir Michael Moscovitz se diriger vers ma table pour comparer mon emploi du temps avec le sien. D’ailleurs, les cancans sont allés bon train, après son départ. Mr. G. a essayé de ramener le calme en disant : « C’est bon, la récréation est finie. Je sais bien que vous ne vous êtes pas vus depuis longtemps, mais on a du pain sur la planche. Alors, il vaut mieux s’y mettre dès maintenant. » Évidemment, personne n’en a tenu compte. Sauf moi.
À la table juste devant moi, Lana Weinberger était déjà accrochée à son téléphone portable – celui que je lui ai offert, puisque j’ai détruit l’ancien lors d’une crise semi-psychotique – et disait : « Shel ? Il vient de se passer un truc incroyable. Tu vois la fille bizarre qui est en latin avec toi, tu sais, celle qui a son émission de télé, avec la figure toute ratatinée ? Eh ben, son frère vient d’entrer dans la classe pour comparer son emploi du temps avec celui de Mia Thermopo... »
Malheureusement pour Lana, Mr. Gianini ne supporte pas qu’on téléphone pendant son cours. Résultat, il a foncé vers elle, a attrapé l’appareil, l’a porté à son oreille et a dit : « Mlle Weinberger ne peut pas vous parler pour l’instant. Elle est occupée à rédiger un essai de mille mots pour expliquer que c’est extrêmement mal élevé de téléphoner pendant les cours. » Après quoi, il a rangé le portable de Lana dans le tiroir de son bureau et lui a annoncé qu’elle le récupérerait à la fin de la journée lorsqu’elle lui aurait rendu son essai.
J’aurais préféré que Mr. G. me donne le portable de Lana à la place. J’en aurais fait un meilleur usage qu’elle.
Mais les profs n’ont sans doute pas le droit de confisquer quelque chose à un élève pour le donner à un autre. Même si le prof en question se trouve être votre beau-père.
Ce qui est la poisse parce que j’aurais bien besoin de passer un coup de fil maintenant. Je viens de penser que je n’ai pas demandé à ma mère pourquoi Grand-Mère avait appelé hier soir.
Zut. Les nombres entiers. Il va falloir s’y mettre.
B = (x : x est un nombre entier tel que x supérieur à 0)
Déf. : Quand un nombre entier est au carré, le résultat s’appelle un carré parfait.