« Ma mère était mercière et mon père mercier. »

Telle est l’introduction à sa biographie qu’avait livrée un jour Raymond Queneau. Il est né au Havre en 1903, où il commence ses études. Puis il entre en 1924 en faculté des lettres à Paris et obtient sa licence de philosophie et de lettres.

De 1925 à 1927, pendant son service militaire, il s’initie à ce qu’il appellera la langue verte des « crocheteurs du Port-au-foin ». Il collabore à La révolution surréaliste mais, dès 1929, et pour des raisons personnelles, il rompt avec le mouvement d’André Breton. En 1934, il s’inscrit à l’École pratique des hautes études et suit en 1935 les cours d’Alexandre Kojève sur Hegel.

Après un voyage en Grèce, en 1932, lors duquel Raymond Queneau est frappé par l’hiatus entre la langue parlée et la langue « littéraire » qui reste fidèle au grec ancien, il publie son premier roman, un roman-poème, Le chiendent, dans lequel on trouve cette phrase qui apparaît comme une critique interne de l’ouvrage : « Sa complexité apparente cachait une simplicité profonde. » C’est à l’occasion de la parution du Chiendent qu’est créé le prix des Deux-Magots, dont Queneau est donc le premier lauréat. Suivent trois romans autobiographiques : Les derniers jours (1936), Odile (1937), Les enfants du limon (1938), dans lequel est intégrée une enquête sur les « fous littéraires ».

Après avoir été employé de banque et vendeur, il entre aux Éditions Gallimard comme lecteur d’anglais en 1938 et se consacre à l’écriture. Il fonde avec Georges Pelorson la revue Volontés et publie Un rude hiver en 1939. Il connaît son premier succès littéraire avec Pierrot mon ami, en 1942. Après Loin de Rueil (1944), Saint Glinglin (1948), l’extravagant Dimanche de la vie (1952), c’est, bien sûr, et avant la publication des Fleurs bleues (1965), par Zazie dans le métro (1959), surtout, que son œuvre romanesque s’est fait connaître. Il appartenait au Collège de Pataphysique depuis 1950, il présidait aux travaux de l’Oulipo (OUvroir de Littérature Potentielle) qu’il avait créé avec François Le Lionnais, il était membre de l’académie Goncourt depuis 1951 et, depuis 1954, assurait la direction de la publication des Encyclopédies de la Pléiade.

De même qu’il mène parallèlement toutes ces activités dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles requièrent des compétences sinon contradictoires du moins diverses, Raymond Queneau écrit parallèlement à son œuvre romanesque d’abord son œuvre poétique, depuis Chêne et chien, la même année que Odile, jusqu’aux Sonnets de 1960, ensuite tout un éventail de figures, de jeux stylistiques, rhétoriques ou typographiques, tels les célèbres Exercices de style (1947) — quatre-vingt-dix-neuf variations stylistiques sur la même insignifiante anecdote —, tels encore Les temps mêlés de 1941 qui reprennent trois récits sous trois genres littéraires différents (poésie, prose et théâtre) ou les Cent mille milliards de poèmes de 1961. À part, enfin, si tant est que chaque ouvrage de Raymond Queneau ne soit pas « à part », irréductible à un genre, à une esthétique, à part, donc, sont la Petite cosmogonie portative (1950), en raison de son inspiration scientifique, ou les études critiques réunies dans Bâtons, chiffres et lettres (1965), ou les récits pseudonymes — et leur obscénité — rassemblés sous le titre Les œuvres complètes de Sally Mara, datant de 1962 et composés d’un roman (On est toujours trop bon avec les femmes), d’un fournal intime et d’une sorte de recueil d’aphorismes (Sally plus intime).

Où classer, maintenant, les chansons ? les traductions ou textes pour le cinéma ? tous ces écrits dits « mineurs » réunis, après sa mort, survenue en 1976, dans Contes et propos (1981) ?

Tout, il aura joué de tout, et — osons le dire, avec quel sérieux ! — il aura joué de toutes les formes — du simple aphorisme au roman, en passant par l’ode ou la ballade, le proverbe ou le texte critique —, et de tous les styles, depuis les formules les plus sobrement littéraires jusqu’à l’écriture phonétique, en passant, là encore, par des monologues en argot, des contrepèteries ou les dialogues comme « pris sur le vif » qu’échangent les personnages de son univers romanesque : bistrotiers, boutiquiers, petits marlous et cartomanciennes, hurluberlus et autres Pierrots lunaires.