6

Avec huit personnes entassées dans un véhicule initialement prévu pour quatre, Leia avait été obligée de s’asseoir sur les genoux de Han. Chewbacca, qui avait besoin de plus de place que les autres, s’occupait du pilotage. Tamora était assise sur C-3PO, lui-même installé sur le siège avant du passager. La jeune femme les guida dans un dédale de ruelles encombrées de sable jusqu’au cœur du quartier commerçant de Mos Espa. Grunts était assis à l’arrière, avec Han et Leia, disant pis que pendre sur la conduite du Wookiee, les deux enfants Banai sur ses genoux. Ils ne devaient pas avoir plus de six ans mais savaient déjà contrôler leur peur. Ils avaient obéi aux ordres de leur mère sans hésiter et restaient parfaitement calmes et discrets. De longues larmes coulaient cependant de leurs grands yeux noirs.

Leia mourait d’envie de les réconforter mais préféra limiter son action à des sourires rassurants et des paroles encourageantes. Ils ne lui semblaient pas appartenir à cette catégorie d’enfants qui réagiraient bien aux démonstrations d’affection d’une étrangère. Et dans le cas contraire, Leia savait que leur mère n’accepterait guère une telle familiarité de la part de quelqu’un lancé aux trousses de leur père.

— Tournez ici !

Tamora indiqua une ruelle s’ouvrant sur le côté. Elle était si étroite que Chewbacca dut arrêter le speeder pour le faire pivoter sur ses répulseurs avant de s’y engager. Leia glissa une main sous son manteau, prête à dégainer son blaster si cela était nécessaire. Même si Tamora était parvenue à leur faire éviter deux barrages de fantassins Impériaux, Leia demeurait nerveuse. D’après ce qu’elle avait vu jusqu’à présent, Mos Espa n’était qu’un empilage de dômes bourdonnant d’activité, où chaque angle mort était une invitation à la catastrophe et chaque recoin obscur un danger en puissance. Quiconque s’avançait dans cette cité sans faire preuve de vigilance ne pouvait espérer aller loin.

Leia s’était juré de bien garder ça à l’esprit, même lors de ses tractations avec la jeune femme blonde. Tamora avait à peine été impressionnée lorsqu’elle avait appris l’identité des Solo. Jusqu’à présent, elle avait été bien incapable d’expliquer ce que Kitster comptait faire du Crépuscule des Killik. Elle avait toutefois insisté sur le fait qu’il détestait les Impériaux et – contrairement aux soupçons de Leia – qu’il n’irait jamais leur vendre la toile. Mais Tamora semblait totalement perdue à chaque fois qu’on lui demandait de fournir une explication à ce larcin. La seule excuse qu’elle avait été à même d’avancer était que Kitster avait volé le tableau sous le coup d’une impulsion, pour le sauver. Elle imaginait donc, disait-elle, qu’il essaierait à terme de trouver un acheteur originaire d’Alderaan.

La cause paraissait noble, bien sûr, et lors de l’exposition précédant les enchères, Leia avait pu constater en inspectant les lots mis en vente par Kitster Banai que l’homme était, tout comme elle, un véritable amateur d’art. Pourtant, il s’agissait également d’un homme qui possédait, chez lui, un holocube d’Anakin Skywalker. Pour Leia, tout homme digne de ce nom se serait empressé de se débarrasser de l’hologramme en apprenant que son ami d’enfance était devenu Dark Vador.

L’animation enjouée qui avait accompagné les enchères de l’holocube était tout aussi perturbante. Dans n’importe quel groupe, il y avait toujours quelques individus pour glorifier le pouvoir, même sous sa forme la plus brutale. Mais il y avait eu là plusieurs douzaines d’acheteurs potentiels enthousiastes. Et des centaines de spectateurs, natifs de Tatooine, avaient émis l’opinion que cet holocube était un magnifique objet à posséder.

Tout cela avait peut-être quelque chose à voir avec la Force qui semblait flotter aux alentours et dont la présence résiduelle paraissait aveugler les natifs de Tatooine et leur faire occulter ce qu’était devenu Anakin Skywalker. Ce qui pouvait même peut-être expliquer le cauchemar éveillé de Leia à bord du Faucon Millennium. Il s’agissait peut-être d’un affreux vestige de la présence de son père du temps où il était enfant, une réminiscence spirituelle qui aurait senti l’arrivée de sa fille et tenté de la contacter.

Et si Anakin avait été capable de laisser une trace dans la Force, alors peut-être que Luke en avait fait autant. Luke et son père étaient extrêmement puissants et leurs présences, mêlées l’une à l’autre, expliquaient peut-être pourquoi Leia avait eu l’impression de voir son frère basculer vers le Côté Obscur.

Leia ignorait si une telle chose était possible, bien entendu. Mais elle préférait cette explication à toutes les autres qui se bousculaient dans sa tête depuis l’incident.

Tamora demanda à Chewbacca de s’arrêter en face d’une hutte sordide, faite de sable et de boue, à la périphérie du quartier des marchands. Derrière la hutte se dressait une haute clôture opaque, surmontée, tous les cinq mètres, par les électrodes d’un système anti-intrusion. Dépassant çà et là au-dessus de la barricade, on pouvait distinguer toutes sortes de verrières, tourelles et carénages de moteurs appartenant à des vaisseaux allant du simple cargo léger au puissant transporteur spatial. Un panneau en métal grossièrement découpé était accroché au-dessus de la porte, on y avait inscrit WALD – PIÈCES DÉTACHÉES – LA BONNE OCCASION AU MEILLEUR PRIX.

Si Tamora ne les avait pas roulés dans la farine, Kitster Banai devait l’attendre à l’intérieur. Chewbacca ouvrit la porte de l’habitacle et le petit groupe débarqua du speeder pour plonger dans les séquelles de la tempête. La poussière demeurait ici bien plus en suspension qu’aux Buttes d’Espa et faisait office de piège à chaleur. L’atmosphère déjà étouffante de Tatooine était ici encore plus torride et irrespirable. Mais le premier des deux soleils était déjà bien bas sur l’horizon. Les couleurs du crépuscule rappelaient presque celles d’Ob Khaddor. Au-dessus des toits de la ville se dessinait un épais ruban teinté de pourpre, cuivre et corail, strié par endroits de volutes rose et jaune. Et là, grossissant de plus en plus au milieu de la cascade de couleurs, une douzaine de silhouettes en forme de H venaient de faire leur apparition.

Leia tendit le doigt vers les silhouettes.

— Han, est-ce que ce sont… (Un hurlement familier retentit, provenant de la direction qu’elle indiquait. Le son augmenta en puissance et en octave, fournissant une réponse à sa question inachevée.) Des TIE !

À peine avait-elle terminée sa phrase que les chasseurs stellaires plongèrent sur les Buttes d’Espa. Ils balayèrent la cité de part en part dans le mugissement de leurs moteurs jumeaux, soulevant des nuages de poussière à la surface des toitures les plus élevées. Quand Han et les autres se tournèrent pour regarder, les TIE étaient déjà sur eux, volant si bas que l’air crépitait sous les décharges de leurs propulseurs ioniques. L’escadron passa au-dessus d’eux beaucoup trop vite pour être suivi à l’œil nu. Croisant à la vitesse du son, les engins produisirent des détonations qui transformèrent l’air chargé de poussière en une brume ondoyante et grisâtre. Ils filèrent en hurlant vers le désert avant de disparaître.

— Quel bande de malpolis ! dit Han, essayant d’aplatir ses cheveux soulevés par l’électricité statique. Le spatioport devrait annuler les droits d’atterrissage accordés aux Impériaux !

Chewbacca, le poil hérissé par les décharges statiques et transformé en espèce de goupillon de près de deux mètres cinquante de haut, indiqua en grondant le ciel au-dessus de Mos Espa. Un détachement de cinq barges de débarquement de classe Sentinelle était en train de descendre dans le soleil couchant. Les nez des appareils en pleine décélération étaient déjà relevés, signalant l’imminence de leur atterrissage. À raison de cinquante-quatre fantassins Impériaux par vaisseau, cela faisait deux cent soixante-dix soldats. Une compagnie d’assaut au grand complet.

— Oh… s’étrangla Tamora. Dans quoi Kitster s’est-il fourré ?

L’expression de panique sur le visage de la jeune femme aurait pu être simulée mais la pâleur de ses joues semblait bien réelle. Personne ne pouvait imiter cela. Elle se tourna vers Leia.

— Tout ça pour un tableau ?

— Les commandeurs Impériaux ont l’habitude de mener à bien leurs missions coûte que coûte. (Han et Leia échangèrent un regard inquiet, puis la Princesse fit signe aux enfants d’aller rejoindre leur mère.) Pourquoi ne pas emmener les enfants à l’intérieur ? Nous vous rejoignons dans une minute…

— Oh oui, bien sûr… les enfants… (Tamora tendit les mains vers son fils et sa fille puis lança un regard inquiet aux navettes en approche.) On vous attend à l’intérieur…

Quand la jeune femme fut partie, Han se tourna vers son épouse.

— Qu’est-ce que tu en dis ? Tu crois qu’on nous a reconnus à la vente aux enchères ?

— Peut-être, répondit Leia. Difficile à dire mais il vaut mieux faire comme si.

Du regard, elle indiqua Grunts. Han hocha la tête et s’adressa au Weequay.

— Heu… Merci pour ton aide, vieux… mais…

— Ouais, je sais, c’est votre combat, pas le mien. (Il pivota, avant d’ajouter :) Je n’avais pas l’intention de m’attarder, de toute façon.

Leia savait qu’il était déplacé d’offrir de l’argent à un Weequay en échange de son aide. Mais elle tenait cependant à le récompenser pour les risques qu’il avait pris en gardant le secret sur leurs identités.

— Grunts, si vous avez besoin d’un transport pour quitter la planète…

— Merci, mais pas au point de voyager en compagnie d’un Wookiee. (Grunts regarda dans la direction des barges de débarquement. Les engins s’étaient dispersés un peu partout au-dessus de la ville et venaient de relever leurs ailes inférieures en prévision de l’atterrissage.) De plus, le jour où je déciderai de ficher camp d’ici, j’aimerais pouvoir aller où bon me semble.

Chewbacca marmonna quelque chose qui pouvait aussi bien vouloir dire « Bonne chance, mon ami » que « Dégage, tête de nœud ».

Leia et Han relevèrent leurs masques protecteurs et suivirent Tamora dans la casse de Wald. L’intérieur, faiblement éclairé, était relativement frais et semblait peu poussiéreux comparé aux standards de Mos Espa. Il y régnait aussi une drôle de pagaille. Des éléments de répulseurs, des bouts de servomoteurs et des pièces détachées de droïdes jonchaient le sol. Tamora et ses enfants se trouvaient dans le fond de la hutte, là où la moitié inférieure d’un vaporateur était tombée en biais en travers de la porte donnant sur la cour.

Han se tourna vers Chewbacca.

— Je croyais que tu t’étais occupé des Squibs ?

Chewie poussa un grondement indigné.

— Tu les as laissés dans un conteneur de recyclage ? s’exclama Leia. Mais enfin, Chewie, ça doit être un véritable four là-dedans !

Le Wookiee haussa les épaules en marmonnant.

— Je me moque de savoir que ce sont des durs à cuire, dit Leia. On ne peut pas les laisser rôtir comme ça !

— Kit ? (Tamora avançait prudemment au milieu du capharnaüm, regardant sous les armoires renversées et dans chaque recoin sombre.) Kitster, tu es là ?

Les enfants, solidement tenus par leur mère, joignirent leurs voix à celle de Tamora.

Han dégaina son blaster et se tourna vers C-3PO.

— Surveille ce qui se passe dehors.

— Certainement. (Le droïde braqua ses photorécepteurs sur la porte.) Pour le moment, je vois notre speeder à l’endroit où nous…

— C-3PO, fais-nous simplement savoir si quelqu’un vient par là, dit Leia.

— Oh, je vois, répondit le droïde. Certainement, Maîtresse Leia.

Han fit quelques pas à l’intérieur et étudia la pièce. Constatant que Chewbacca avait déjà empoigné son arbalète laser et protégeait les arrières de Tamora, Leia fit signe à Han de la suivre jusqu’au comptoir. La porte donnant sur le bureau de l’arrière-boutique était fermée. La Princesse se pencha par-dessus le comptoir et découvrit que le sol était jonché de datapuces, bons de crédits et cellules énergétiques compactes fort dispendieuses.

— Donc, ce n’est pas un braquage. Dommage, ça nous aurait plutôt arrangés.

Leia fit le tour du comptoir. Han sauta par-dessus le meuble et s’approcha de la porte du bureau. Il pressa la commande d’ouverture. Rien ne se produisit.

— C’est verrouillé. (Han fit un pas en arrière et braqua son blaster vers le boîtier de commande.) Attention…

La porte s’entrouvrit et le canon d’un fusil blaster surgit juste sous le nez de Han. Leia voulut se porter à son secours mais la voix monotone d’un Rodien l’obligea à s’arrêter :

— Bougez plus ou je lui désintègre la tête. (Le Rodien enfonça un peu plus le canon de son fusil sous la capuche de Han, forçant celui-ci à reculer contre le comptoir. D’où elle se trouvait, Leia ne pouvait toujours pas le voir.) Et vous, qu’est-ce que vous alliez faire à ma porte, hein ?

— Écoutez, vieux, on veut juste essayer de retrouver un de nos amis. (Han fit bien attention à ne pas pointer son propre blaster vers le Rodien. Mais il ne se débarrassa pas de son arme pour autant.) Nous n’avons rien à voir avec tout ce bazar.

— Je ne vous crois pas, dit le Rodien, parlant toujours à travers la porte entrouverte. Et vous croyez que votre ami est caché dans mon bureau ?

Chewbacca arriva à l’autre bout du comptoir et braqua son arbalète sur la porte. Lui devait certainement voir le Rodien.

— Wald ! (Tamora apparut juste derrière le Wookiee.) Pose ton arme et laisse-moi voir Kitster !

Wald ne posa pas son arme.

— Et qu’est-ce qui te fait croire que Kitster est ici ?

— Parce qu’il m’a demandé de venir le retrouver. (L’inquiétude de Tamora parut soudain tangible et authentique.) Il a des choses à voir avec ces gens-là.

— Ici ? Dans mon magasin ? Quel genre de choses ?

— Elle ne peut pas vous le dire, répondit Han.

— Alors, je doute de pouvoir ôter mon doigt de cette gâchette. (Wald poussa encore son canon contre le front de Han.) Je n’ai plus mes réflexes d’autrefois, vous savez…

— Wald ! lança Tamora en foudroyant le Rodien du regard. C’est fini, oui ?

— Oui, j’arrêterai quand j’aurai obtenu une réponse satisfaisante. Tu vois bien ce qui est arrivé à mon magasin. C’est légitime, non ?

Les articulations des phalanges de Han se mirent à blanchir. Leia savait parfaitement ce que cela signifiait.

— Écoutez, pourquoi ne pas baisser nos armes tous ensemble ? dit-elle en rangeant son blaster. Si nous avions vraiment eu l’intention de nous entre-tuer, ce serait déjà fait.

— Je n’en suis pas si sûr, dit Han, le regard fixé sur l’embrasure de la porte. Je sais me montrer patient.

— Ce n’est pas de ta patience dont on a besoin. (Leia fit quelques pas en avant, prit le blaster des mains de Han et le déposa sur le comptoir, puis elle adressa un signe de tête à Chewbacca.) Toi aussi. Je pense que Wald a besoin d’être sûr que Tamora est ici de son plein gré.

Chewbacca regarda à travers la porte pendant un moment, gronda de façon menaçante et posa à son tour son arme sur le comptoir.

Wald, en revanche, conserva le canon de son fusil braqué sur le visage de Han.

— Tamora, prends tes enfants et viens me rejoindre dans mon bureau.

Tamora leva les yeux au ciel. Elle prit l’arbalète laser sur le comptoir et la pointa sur Chewbacca. Leia eut soudain peur d’avoir mal jugé la sincérité de la jeune femme. Le Wookiee grogna doucement. Tamora l’ignora.

— Bon, Wald, je les tiens en respect. Alors, tu me crois maintenant ?

Wald émit un sifflement ressemblant à celui d’une torche de soudure à court de gaz. Le fusil blaster disparut derrière la porte du bureau et un petit Rodien corpulent fit son apparition. Leia avait toujours éprouvé de la difficulté à donner un âge aux Rodiens. Probablement parce que les représentants de cette espèce choisissaient des professions dangereuses et avaient tendance à mourir jeunes. Mais l’affaissement de ses pavillons sensoriels, les zones grisâtres pigmentant l’extrémité de son fin museau et le voile laiteux qui couvrait ses yeux globuleux signifiaient que Wald devait être relativement âgé.

— Désolé pour le blaster, dit Wald, tendant une petite main verte à Han. Sans rancune, hein ?

— Ben voyons…

Han lui serra la main mais il serra également tellement les dents que Leia eut l’impression de les entendre crisser.

— Kit ? appela Tamora. (Elle rendit son arbalète à Chewbacca, prit ses enfants par la main, fit le tour du comptoir et alla jusqu’au bureau de Wald.) Kit ? Où es-tu ?

— Il n’est pas là. (Comprenant que la femme en détresse avait besoin de vérifier les choses de ses propres yeux, Wald laissa entrer Tamora dans son bureau et s’adressa à Han et à Leia :) Il n’y est plus. Il est venu, cependant, avec cette toile en mousse végétale qui semble intéresser tout le monde.

Leia essaya de contenir son inquiétude à l’évocation de ce « tout le monde ».

— Jergo, un Kubaz expert en négoce d’informations, a surgi derrière lui et l’a menacé avec un blaster. Jergo voulait récupérer le tableau. Kit ne s’est pas laissé faire. (Wald baissa la voix et indiqua un impact carbonisé dans le plafond.) Il a bien failli se faire tuer. Il a fallu que je calme le Kubaz à grands coups d’hydropince.

— Et où est le tableau maintenant ? demanda Leia.

Wald, retardant sa réponse, se tourna vers la porte de son bureau.

— Attendons plutôt Tamora.

Han sortit une poignée de bons de crédits de sa poche.

— Écoutez, vous avez subi beaucoup de dégâts ici, à cause de nous. On pourrait vous aider à couvrir les frais de réparation.

Les pavillons sensoriels sur le dessus de la tête de Wald se tordirent sous le coup de l’irritation.

— Les dégâts que j’ai subis ne sont pas de votre fait. Ce serait plutôt de la faute de Kit et de Tamora. De plus, il est hors de question de mettre fin aux accords que vous avez pu passer avec les Banai, quels qu’ils soient.

— Bien entendu. (Leia prit les billets des mains de Han et les glissa dans celles du Rodien.) Mais on se sent quand même responsables.

— Bien sûr. (En dépit du cynisme imprimé à sa voix, Wald empocha les crédits.) Mais je pense qu’on devrait quand même attendre Tamora.

Quelques instants plus tard, la jeune femme sortit seule, les yeux rouges et pleins de larmes. Laissant les enfants dans le bureau, elle ferma doucement la porte et s’approcha de Wald.

— Bon, Wald, qu’est-il arrivé à Kit ?

— J’aimerais bien pouvoir te répondre. (Wald écarta les mains et, jetant un coup d’œil à Han et à Leia, ajouta :) La vérité, c’est que je n’en sais rien.

— Mais tu dois bien savoir quelque chose, pourtant ? insista Tamora.

Wald répéta son histoire de l’espion Kubaz qu’il avait dû assommer puis continua :

— Ça s’est produit juste après que Kit t’a appelée. À un moment, j’ai cru que Jergo voulait voler la toile pour aller la vendre, mais c’est alors qu’une escouade de fantassins Impériaux s’est pointée.

— Ils l’ont fait prisonnier ? s’étrangla Tamora.

— Non, non. (Wald regarda Han et Leia.) Peut-être que je devrais te raconter la suite en privé.

Chewbacca émit un grognement. Leia leva la main pour lui intimer l’ordre de se taire. L’intimidation ne les mènerait nulle part.

— C’est à Tamora de décider, dit-elle.

— Ça va, Wald, dit Tamora. Je leur fais confiance.

Wald observa les visages masqués de Han et de Leia avec suspicion.

— Kit m’a dit de ne faire confiance à personne.

— Il m’a dit la même chose, répondit la jeune femme. Et Kitster n’a pas la moindre idée de ce qu’il est en train de faire. Ces gens, eux, ont l’air de le savoir. Ils… heu… ils travaillent pour les propriétaires du tableau.

— Les propriétaires ? (Wald jeta un coup d’œil à C-3PO et à Chewbacca. Son museau se tordit de façon intéressée.) Un peu brutaux pour des amateurs d’art, non ?

— L’habit ne fait pas le moine, dit Han.

— Est-ce que tu veux bien nous raconter ce qui est arrivé à Kit ? l’implora Tamora. Tu as vu ce qui se passe dehors ? Le ciel grouille de TIE et de navettes d’assaut. Kitster va finir par se faire tuer !

Wald, à contrecœur, détacha son regard de Han et de Leia et dit :

— Il a pris mon vieux swoop et il est parti dans le désert.

Le visage de Tamora se décomposa.

— Ton vieux swoop ? Le vieux swoop ?

Wald hocha la tête.

— Et le pire, ajouta-t-il, c’est qu’il est parti par le Canyon de l’Arche.

— Le Canyon de l’Arche ? balbutia Tamora. Pas le Canyon de l’Arche de l’ancienne piste des pods, quand même ?

Wald hocha de nouveau la tête.

— Il a dit que c’était son seul espoir de semer les Impériaux. Il a certainement raison mais c’est quand même de la folie furieuse. (Le Rodien lança un regard désobligeant aux époux Solo avant d’ajouter :) Je lui ai dit qu’il aurait dû vendre la toile pour s’en débarrasser, mais il n’a pas voulu m’écouter. Il a dit que Le Crépuscule des Killik ne devait pas échouer entre les mains des Impériaux.

Leia poussa un soupir de soulagement silencieux. Tamora avait au moins raison sur ce point.

— Alors, à qui Kitster a-t-il l’intention de vendre le tableau ?

Wald se tourna vers Tamora.

— Tu es sûre de vouloir que je le dise devant eux ?

— Oui, j’en suis sûre, dit Tamora. Ji et Elly ont envie de revoir leur père.

— Bon, d’accord. (Wald baissa les yeux vers le sol et donna un petit coup de pied dans une vieille électrode d’enregistrement, qu’il envoya rouler à l’autre bout de la pièce.) Eh bien, c’est là qu’est le problème. Je ne pense pas que Kit ait l’intention de vendre la toile à qui que ce soit.

— Quoi ?! crièrent à l’unisson Han, Leia et Tamora.

Wald se tourna vers la jeune femme.

— Je pense qu’il débloque. Il m’a rabâché sans cesse la même histoire, comme quoi un Devaronien et une Twi’lek avaient failli faire sauter la toile et qu’il avait donc l’intention d’aller la cacher en lieu sûr.

— En lieu sûr… (Leia n’en croyait pas ses oreilles.) Sur Tatooine ?

— Bien entendu, sur Tatooine, répondit Wald. Il ne va pas aller jusqu’à Ohann en swoop !

— J’en doute, acquiesça Leia. Et ensuite ?

— Eh bien, je pense qu’il espérait toucher une récompense. Il m’a dit qu’il allait envoyer un message à la Princesse Leia. (Wald se dandina jusqu’à Leia et, plissant les yeux, essaya de regarder sous sa capuche pour apercevoir son visage.) Sauf que je suis certain que Kit croit que vous êtes encore sur Coruscant.

Leia soupira.

— Bon, est-ce qu’il y a une seule personne à Mos Espa qui ne sache pas qui nous sommes ? demanda-t-elle en ôtant sa capuche.

Wald fit pivoter ses pavillons sensoriels et indiqua, du pouce, C-3PO et Chewbacca.

— Un droïde, un Wookiee, le tableau… Il faudrait que je sois totalement aveugle pour ne pas avoir compris.

— Merci de nous le faire remarquer. (Leia et les autres savaient depuis longtemps que rester en groupe faciliterait leur identification, mais les choses s’étaient déroulées à une telle vitesse qu’ils n’avaient pas osé se séparer. Elle se tourna vers son époux.) Au moins, on a toujours un petit avantage.

— Pour le moment. (Wald indiqua une petite caméra holographique de son système de sécurité dissimulée dans le plafond.) J’ai entendu les fantassins Impériaux discuter de leur nouvel amiral.

— Pellaeon ? demanda Han.

— Tout ce que je sais, c’est qu’il leur fiche la trouille, dit Wald. Mais vous devez savoir qu’il est persuadé qu’il y a quelque chose de dissimulé dans Le Crépuscule des Killik, quelque chose que la Nouvelle République ne voudrait pas voir tomber aux mains de l’Empire. C’est, pour lui, la seule explication possible pour qu’un Devaronien soit allé jusqu’à lancer un détonateur sur le tableau.

Leia et Han échangèrent un regard exaspéré. Ils n’auraient quand même pas pu rester debout à ne rien faire si les Impériaux avaient embarqué le tableau. La découverte de la clé codée aurait signifié la mise à jour de l’intégralité du réseau Shadowcast et la mort de milliers d’agents. Mais c’était tout aussi frustrant de se rendre compte que, s’ils n’avaient rien tenté, la toile serait à l’heure actuelle, et probablement pour la décennie à venir, accrochée au mur de la cabine privée d’un amiral sans que personne soit au courant du secret contenu dans son cadre.

Leia soupira.

— Et ce serait peut-être trop espérer que de vous demander s’il vous a dit où il comptait aller avec le tableau ?

Wald écarta les bras.

— En lieu sûr. C’est ce qu’il a dit.

Leia se tourna vers Tamora mais préféra s’abstenir de lui demander quoi que ce soit en voyant l’expression désespérée qui se lisait sur le visage de la jeune femme.

— On ne le rattrapera jamais en speeder, dit Han. Surtout s’il a une meute de TIE aux basques. (Il s’adressa à Wald :) Vous avez un autre swoop ?

Wald et Tamora échangèrent un regard.

— Moi non, dit enfin Wald. En tout cas, aucun qui permettrait de rattraper le swoop de Kitster…

— Il s’agit de l’engin avec lequel Wald a gagné sa liberté, expliqua Tamora.

— Avec Kitster, on l’a construit d’après les plans que la mère d’un de nos potes a découverts, dans sa chambre, après que le pote en question fut parti. (La voix de Wald résonnait d’une immense fierté.) Ce swoop est presque aussi rapide qu’un podracer.

Un étrange sentiment de déjà vu s’empara de Leia.

— Qui était cet ami ? demanda-t-elle.

— Anakin Skywalker, répondit Wald.

— Vous connaissiez Anakin ?

— Un peu, que je le connaissais ! s’exclama Wald, d’un ton indigné. On était potes. On a été esclaves ensemble !

La mâchoire de Leia se décrocha.

— Mon père a été esclave ?

— Ah, je vous en prie, à vous entendre, on dirait que c’est dégoûtant, dit Wald sur la défensive. On n’avait rien demandé à personne, nous ! Nous n’étions que des gosses. C’est pas comme si on s’était retrouvés esclaves après avoir perdu au jeu !

— Ce n’est pas ce qu’elle voulait dire. (Han prit la main de Leia et la serra dans la sienne pour obliger son épouse à se ressaisir.) C’est seulement qu’il n’est pas évident d’imaginer qu’un simple esclave ait pu devenir Dark Vador…

— N’importe quoi ! (Wald leva les mains en signe de négation.) C’est un mensonge. Anakin Skywalker n’est pas devenu Dark Vador.

— Vraiment ? (Leia perçut le ton glacé dans sa propre voix. Elle se rendit compte qu’elle était en train de perdre la bataille pour le contrôle de ses sentiments. La négation du Rodien venait de toucher une corde aussi sensible que douloureuse.) Et comment pouvez-vous en être persuadé à ce point ?

— Parce que je connaissais Anakin, rétorqua Wald. Vous ne pouvez pas comprendre. Vous n’avez aucune idée de ce qu’un esclave devait faire, à cette époque, pour gagner sa liberté…

— D’accord, dit Tamora en essayant de se glisser entre Leia et Wald. Mais ce dont on a vraiment besoin maintenant…

Wald contourna Tamora et reprit la parole, la voix remplie d’admiration :

— Je pensais que c’était impossible, mais Anakin y est arrivé…

— Bon, d’accord, il a eu de la chance, il a gagné une course de pods, dit Leia. Ça n’en fait pas un héros pour autant !

— Sur Tatooine, si, dit Han, prenant Leia par le bras et l’attirant à lui. Fais un peu baisser la pression de tes cellules énergétiques, ma chérie, ce n’est pas vraiment le moment de s’écharper, ajouta-t-il tout doucement.

Han avait raison et Leia le savait. Mais c’était un sujet quasi viscéral, quelque chose de si puissant qu’il ne pouvait y avoir de compromis. Fort heureusement, cela n’avait pas grand-chose à voir avec l’affaire qui les avait conduits jusqu’ici et la Princesse comprit qu’il lui fallait remiser sa colère pour un temps.

Elle inspira profondément avant de déclarer :

— Wald, je suis désolée. Apparemment, nous avons tous deux des visions diamétralement divergentes au sujet d’Anakin Skywalker.

— Apparemment, répondit Wald. Et l’un d’entre nous se trompe forcément.

Leia serra les dents, préférant ravaler la réponse qu’elle avait au bord des lèvres. Forcément, songea-t-elle.

Tamora poussa un soupir de soulagement avant de déclarer :

— Bon, à propos de ce swoop…

— J’ai bien peur de devoir vous interrompre, déclara C-3PO, avançant maladroitement au milieu des débris jonchant le sol. Les Squibs sont ici.

— Les Squibs ? s’étrangla Tamora.

Elle alla se réfugier derrière Chewbacca. Han et Leia ajustèrent les capuches de leurs manteaux sur leurs têtes.

— Je vais m’occuper d’eux, dit Wald en allant vers la porte. Je suis sûr qu’ils sont ici pour me vendre quelque chose dont je n’ai pas besoin…

Il arriva trop tard à la porte. Le trio de rongeurs fit irruption dans la hutte. Leur pelage était graisseux et en bataille, leurs ceintures à poches débordaient de comlinks cassés, vieux datablocs, bâtonnets lumineux usagés et autres trésors récupérés dans le conteneur de recyclage.

Wald s’arrêta à trois pas d’eux.

— Grees, Sligh, je n’ai pas l’intention d’acheter quoi que…

— Nous ne vendons rien ! dit Sligh.

Ils passèrent en trombe devant le Rodien, comme s’il n’était pas là, et allèrent se poster devant Han et Leia, sans pour autant perdre de vue toutes les choses passionnantes qui étaient éparpillées à terre.

— Je suis ulcérée ! Tu as vu comment tu nous as traités ? dit Elama à Han. Nous, on pensait que t’étais réglo en affaires !

Grees agita les cartes de transfert de fonds au niveau de la ceinture de Han.

— Essaye encore de nous doubler et on va directement trouver Mawbo avec ça ! On la paye et on récupère directement le tableau !

— Sauf que Mawbo n’a plus le tableau, dit Han. (Il essaya de s’emparer des cartes à puces mais Grees fut plus rapide que lui.) Et vous ne pourriez pas payer Mawbo avec notre argent, de toute façon, elle n’accepterait pas votre carte.

Wald apparut derrière les Squibs.

— Ils sont aussi impliqués dans cette histoire, ces trois-là ?

— Non, ils ne le sont pas, dit Leia. (Elle sortit un billet de deux mille crédits de sa poche et le tendit à Grees.) Je vous dédommage et vous disparaissez…

— Rien du tout ! dit Sligh. C’est nous qui avons remporté l’enchère !

— Donc, le tableau nous appartient, ajouta Grees. Tant que nous n’aurons pas reçu le montant initialement négocié.

— Et ça risque de prendre du temps, vu que deux escouades de fantassins Impériaux ont mis l’établissement de Mawbo sous scellés, dit Elama.

— Je vous offre le double de ce que nous avons payé pour… pour vos marchandises pendant la vente, dit Leia. Regardez…

— Quel rapport ? répondit Sligh. Ce n’est pas la même affaire.

— Bon, très bien, si vous voulez jouer à ça… Je vais annuler les transferts de fonds. Du coup, vous en serez de votre poche.

Les Squibs écarquillèrent les yeux.

— On revient, dit Grees. Faut qu’on réfléchisse.

Les trois rongeurs se dirigèrent vers la porte. Leia les regarda partir, plia le billet, le rangea dans sa poche et se tourna vers Han.

— Tu allais demander un truc à Wald, non ?

— Ah bon ? répondit Han, parfaitement hagard.

— Oui, à propos d’un swoop ! insista Leia. Wald a dit qu’il ne possédait pas d’engin susceptible de rattraper celui emprunté par Kitster…

— Ah oui, exact. Heu… À propos des cartes de transfert… Tu ne crois pas qu’on devrait d’abord les annuler ?

— Pas la peine, dit Leia. Si je ne suis pas présente pour autoriser le transfert, les cartes sont programmées pour s’autodétruire au cas où on tenterait de les utiliser.

— Ça leur ferait les pieds, à ces trois-là, pour une fois, intervint Wald. (La petite bouche au bout de sa trompe esquissa un sourire.) Mais je doute de pouvoir vous être d’une quelconque utilité, pour en revenir à notre histoire de swoop…

Le visage de Tamora se décomposa.

— Wald, je t’en prie, tu connais Kitster. Il n’a aucune chance, là, dehors ! Surtout avec les Impériaux aux fesses !

Wald hocha la tête, l’air grave.

— C’est sûr.

— Écoutez, Wald, dit Han. Si c’est à propos de cette histoire de Dark Vador, eh bien…

— Non, répondit sèchement Wald. Vous croyez que je laisserais crever un ami tout simplement parce que Leia Organa a insulté son père ?

— Non, bien entendu, intervint Leia. Comme je vous l’ai dit, nous avons des visions très différentes d’Anakin Skywalker.

Wald posa sur elle ses yeux globuleux pendant un long moment, puis il haussa les épaules.

— Pourquoi une princesse ferait-elle confiance à un vieux ferrailleur Rodien, hein ? (Il se tourna vers Tamora.) Il n’existe qu’un seul swoop susceptible de rattraper celui qu’a pris Kitster. Et tu sais très bien où il faut aller le chercher.

Tamora pâlit.

— Chez Ulda ?

Wald hocha la tête.

— Je sais, ce n’est pas évident, mais c’est elle qui a gardé le vieux swoop-fusée que Rao pilotait. Si tu veux, je peux les y conduire…

— Non, elle se rendrait compte de quelque chose, dit Tamora en secouant la tête. Il faut que j’y aille moi-même.

Leia se pencha vers Wald.

— Elle est si terrible que ça, cette Ulda ?

— Oh non, répondit Wald. Sauf si vous êtes la seconde épouse de Kitster.