Mais Tony Costello n’en avait rien à cirer. Il n’en avait plus pour longtemps à s’occuper de la rubrique policière ; la fin, pour lui, se rapprochait de jour en jour, et il ne pouvait rien y faire. Encore un mois, six semaines, deux mois au maximum, et on l’enverrait avec armes et bagages à Duluth (Minnesota) ou dans un trou du même genre, où l’actualité se limitait aux accidents de voiture et aux défilés d’anciens combattants. Ça commençait peut-être à ressembler au printemps, les averses torrentielles de la nuit précédente avaient peut-être été le dernier râle d’un hiver agonisant, les douces brises et le soleil délavé de ce matin-là annonçaient peut-être la saison de l’espérance, mais qu’importait à Tony Costello, puisque l’espérance avait déserté son cœur ? Aussi fut-il glacial avec la jolie fille de l’ascenseur, qui en resta déconcertée pour toute la journée ; le pas lourd, il passa devant tous les autres employés de la chaîne, en pleine activité, et gagna, au bout du couloir, son box personnel, où il demanda à Dolorès, la secrétaire qu’il partageait (pour quelque temps encore) avec cinq autres reporters :

— Y a des messages pour moi ?

— Non, Tony, je regrette.

— Bien sûr. Naturellement. Pas de messages. Qui aurait l’idée d’appeler Tony Costello ?

— Remets-toi, Tony, dit Dolorès. (Elle était fine et élancée, ce qui ne l’empêchait pas d’être maternelle.) C’est une journée superbe. Regarde par la fenêtre.

— Tu veux que je me jette par la fenêtre ? demanda Costello.

Son téléphone sonna.

— Tiens, tiens, dit Dolorès.

— Un faux numéro, supposa Costello.

Mais Dolorès décrocha quand même :

— Ici le poste de M. Costello.

Costello la vit écouter, hocher la tête, lever les sourcils ; enfin elle dit :

— Si c’est une blague, M. Costello est bien trop occupé…

— Hum, fit Costello.

Dolorès écoutait de nouveau. Elle parut successivement intéressée, intriguée, amusée :

— Je pense qu’il vaudrait mieux que vous vous adressiez à M. Costello en personne, dit-elle enfin.

Elle enfonça la commande de mise en attente.

— C’est le Pape, suggéra Costello. Il est venu incognito à New York, déguisé en agent de police, pour enquêter sur la criminalité dans les quartiers pauvres. Et il me réserve l’exclusivité de ses impressions.

— Je crois que c’est encore mieux, dit Dolorès. C’est l’homme qui a cambriolé la bijouterie Skoukakis.

— Skoukakis… (Le nom lui rappelait quelque chose. Ça lui revint d’un seul coup.) Nom de Dieu, c’est là que le Brasier de Byzance a été volé !

— Exactement.

— Ça serait donc… euh, comment il s’appelle, déjà ? (N’étant pas bien en cour auprès de la Police, Costello s’informait essentiellement à la radio ; il avait entendu la déclaration de Maloney en voiture, sur le chemin de son travail. Oui, la vie était loin d’être rose pour Tony Costello.)

— Benjamin Arthur Klopzik, lui rappela Dolorès. Et il dit que c’est bien lui qui a cambriolé la bijouterie. Pour le prouver, il m’a décrit le magasin.

— De façon exacte ?

— Je n’en sais rien, je n’y ai jamais mis les pieds. En tout cas, il veut te parler du Brasier de Byzance.

— Peut-être qu’il veut le rendre.

Il était rare de voir Costello sourire ; et pourtant, un peu de gaieté suffisait pour atténuer sa ressemblance avec une tourbière irlandaise (ou un marécage italien). Par mon intermédiaire, dit-il, abasourdi. Est-ce possible ? Par mon intermédiaire !

— Parle-lui donc, dit Dolorès.

— Oui. Oui, j’y vais.

Il s’assit à son bureau, mit en marche le magnéto qui enregistrerait la communication, décrocha et dit :

— Ici Tony Costello.

La voix était faible et résonnait bizarrement, comme si son interlocuteur était dans un souterrain ou un tunnel.

— Je suis l’homme qui a cambriolé la Bijouterie Skoukakis.

— C’est ce qu’on me dit. Klop, euh…

— Klopzik, dit la voix. Benjamin Arthur, ou plutôt Benjy Klopzik.

— Et vous détenez le Brasier de Byzance.

— Non, je ne l’ai pas.

Costello soupira ; encore une fois, l’espoir volait en éclats.

— Bon, dit-il. C’est gentil d’avoir appelé.

— Un instant, dit Klopzik. Je sais où il est.

Costello hésita. Ce coup de fil avait tout du canular, à une chose près : la voix de Klopzik. Elle était rude et fatiguée, comme celle d’un homme qui a perdu bien des batailles, et Costello se sentit en terrain de connaissance. Avec une voix pareille, on ne s’amuse pas à faire des blagues, on ne monte pas des coups idiots pour le plaisir. Costello resta donc en ligne et demanda :

— Où est-il ?

Hélas, il fallut que Klopzik dit alors :

— Il est toujours dans la bijouterie.

— Salut, dit Costello.

— Merde ! (Klopzik avait vraiment l’air fâché.) Qu’est-ce qui vous prend ? Vous êtes pressé ? Mon histoire ne vous intéresse pas ?

Costello fut piqué au vif.

— Si vous avez une histoire à me raconter, bien sûr qu’elle m’intéresse.

— Alors arrêtez de me dire au revoir. Je vous ai choisi parce que je vous ai vu à la télé, et j’ai pas l’impression que vous êtes dans les petits papiers des flics, comme l’autre, là, Mackenzie. Vous voyez qui c’est ?

Costello ressentit une sympathie vive et immédiate pour cet inconnu.

— Oui, je vois très bien.

— Si je file mon tuyau à Mackenzie, il va le filer aux flics en douce, et eux, ils vont y aller en douce, et moi, je serai toujours dans la merde.

— Je ne comprends pas.

— J’ai tout le monde au cul, expliqua Klopzik. Ils cherchent le gars qui a cassé la bijouterie parce qu’ils croient que c’est moi qui ai le rubis. Mais je ne l’ai pas. Alors ce que je veux, c’est beaucoup de publicité quand vous irez chercher le rubis : comme ça, tout le monde saura que je ne l’ai jamais eu, et ils vont me lâcher les baskets.

— Je commence à vous croire, dit Costello. Continuez.

— Je suis rentré dans cette boutique, cette nuit-là. Sûrement qu’ils venaient juste d’y mettre le rubis. Je les ai pas vus, ni rien, je ne suis pas témoin. J’ai forcé la porte, j’ai ouvert le coffre, j’ai pris ce qui m’intéressait, j’ai vu une grosse pierre rouge avec une monture dorée, je me suis dit que ça devait être du toc. Alors je l’ai laissée.

— Un instant, dit Costello. Selon vous, le Brasier de Byzance n’a jamais quitté la bijouterie ? (Du coin de l’œil, il aperçut Dolorès, les yeux écarquillés, bouche bée.)

— Absolument, dit Klopzik d’une voix vibrante de sincérité. Toute cette affaire a été très dure pour moi, très injuste. Mes relations avec mes amis sont devenues difficiles, j’ai été la cible d’un coup de filet policier, j’ai été chassé de chez moi…

— Attendez, attendez. (Costello tourna vers Dolorès un regard perplexe ; du moins était-il maintenant convaincu d’avoir affaire réellement à un honnête cambrioleur.) Vous pouvez me dire de façon précise vous avez vu le Brasier de Byzance ?

— Bien sûr. Dans le coffre, sur un plateau, en bas à droite. Vous savez, un plateau coulissant, qu’on peut tirer comme un tiroir. La bague est là, avec un tas de petites broches dorées en forme d’animaux.

— C’est là que vous l’avez vue.

— Et c’est là que je l’ai laissée. Une énorme pierre rouge comme ça dans une petite bijouterie de South Ozone Park, difficile de croire que c’est une vraie, non ?

— En effet, dit Costello. Donc la police – et le FBI, bon Dieu, la police et le FBI – ils sont tous allés dans cette bijouterie, ils ont fouillé les lieux, et aucun d’entre eux n’a vu le Brasier de Byzance, qui n’a jamais quitté le magasin !

— Exactement, dit Klopzik. Je n’ai jamais eu ce bijou entre les mains. Je ne l’ai même jamais touché.

— Voyons voir. (Costello se gratta le crâne à travers son épaisse chevelure noire.) Vous seriez d’accord pour que je vous interviewe ? On ne vous verrait qu’en silhouette, et aucun nom ne serait donné.

— Vous n’avez pas besoin de moi, dit Klopzik. L’important, c’est que je n’ai jamais rien eu à voir avec ce rubis. Écoutez, le magasin est vide maintenant, il est fermé, il n’est même pas gardé par la police. Ce que vous allez faire, enfin, ce que je pense que vous devriez faire, si ça ne vous ennuie pas que je vous donne un conseil…

— Pas du tout, pas du tout.

— Enfin, c’est votre métier, quand même…

— Donnez-moi un conseil, ordonna Costello.

— Bon. À mon avis, vous devriez aller là-bas avec la femme de Skoukakis, ou quelqu’un qui a la clé et la combinaison du coffre, et une caméra, et vous n’avez qu’à filmer la pierre posée sur ce plateau.

— Mon ami, dit Costello, si un jour j’ai l’occasion de vous rendre service…

— Vous me rendez service, dit Klopzik.

Un déclic ; il avait raccroché.

— Mon Dieu mon Dieu mon Dieu, dit Costello.

Il raccrocha à son tour et se mit à réfléchir.

— D’après ce que j’ai entendu, dit Dolorès, il affirme qu’il ne l’a pas pris.

— Le rubis est toujours là-bas. (Costello la regarda, les yeux ronds, stupéfait et ravi.) Je le crois, Dolorès. Le salaud, il disait la vérité. Et ces fumiers de la police, ils vont l’avoir dans le cul, leur Brasier de Byzance, et je vais l’enfoncer si loin qu’ils vont avoir les molaires rouges. Tu vas joindre… (Il s’arrêta, fronça les sourcils, rassembla ses idées.) Skoukakis est en prison ; il a une femme. Trouve-moi sa femme. Et commande-moi une unité mobile de retransmission. Ah oui : une dernière chose.

Dolorès s’arrêta, à mi-chemin de son propre bureau.

— Oui ?

— Tu avais raison, tout à l’heure, lui dit Tony Costello avec un sourire radieux. C’est une journée superbe.

46.

Au moment du journal de six heures, Dortmunder était encore caché dans son conduit téléphonique ; il regarda donc la rediffusion de onze heures du soir. À ce moment-là, la nouvelle s’était déjà répandue dans la ville, la traque était terminée, et Dortmunder était libre de s’asseoir dans sa propre salle de séjour, sur son canapé personnel, et de regarder avec satisfaction son téléviseur à lui. Les flics, les truands, les terroristes, les espions et les fanatiques religieux étaient tous partis ailleurs se mêler de leurs affaires. Dortmunder s’en était sorti, et il respirait librement.

La nuit d’avant, le Bar O.J. avait été l’objet d’une descente de police plutôt dure, tout de suite après que le matériel d’espionnage de Benjy Klopzik s’était mis à capter les ondes CB. Le bar était donc fermé pour travaux, et Dortmunder avait accepté que la réunion de Stan Murch se tienne chez lui, avec un peu de retard sur les prévisions. Il y avait mis une condition :

— Je veux regarder les nouvelles à onze heures.

— Bien sûr, avait dit Stan au téléphone. On va tous les regarder.

Et c’est ce qu’ils firent. Stan Murch, un rouquin massif aux mains couvertes de taches de rousseur, fut le premier à arriver, peu avant onze heures ; il expliqua :

— Comme j’étais dans Queens, j’ai pris Queens Boulevard et le pont de la Cinquante-Neuvième Rue, et je suis venu par Lexington Avenue.

— Mmm-mmh, dit Dortmunder.

— Ce qu’il y a, continua Stan, c’est qu’il ne faut pas faire comme tout le monde et tourner dans la Vingt-Troisième. Tu prends Lexington jusqu’au bout et tu rejoins Park Avenue en faisant le tour de Gramercy Park ; comme ça, tu évites des tas de feux et d’embouteillages, et c’est beaucoup plus facile de rejoindre Park Avenue par là.

— J’y penserai, dit Dortmunder. Tu veux une bière ?

— Oui, je veux bien. Salut, Kelp.

Kelp, assis sur le canapé, regardait la fin d’une rediffusion de téléfilm.

— Quoi de neuf, Stan ?

— Je me suis acheté une voiture.

— Tu t’es acheté une voiture ?

— Une Honda avec un moteur de Porsche. Ça ne roule pas, ça vole. Il faut ouvrir un parachute pour l’arrêter.

— Je veux bien te croire.

Au moment où Dortmunder revenait avec la bière de Stan, on sonna encore à la porte ; cette fois, c’était Ralph Winslow et Jim O’Hara, les deux types dont Dortmunder avait fait la connaissance lors de la première réunion avortée, au Bar O.J. Tout le monde se dit bonjour, et Dortmunder partit à la cuisine chercher deux autres bières. À son retour, il dit en distribuant les bières :

— On est tous là, sauf Tiny.

— Il ne viendra pas, dit Ralph Winslow, qui n’avait pas l’air de le regretter.

— Ah bon ? Pourquoi ?

— Il est à l’hôpital, malade. La nuit dernière, quand les flics ont débarqué au Bar O.J., Tiny était tout seul dans la salle du fond avec tous les dossiers où étaient notés les détails de tous les délits commis par tout le monde dans la nuit de mercredi.

Dortmunder ouvrit de grands yeux.

— Les flics ont mis la main sur tout ça ?

— Non, justement, dit Winslow. Tiny a barricadé la porte. Il n’avait pas d’allumettes pour brûler les papiers, alors il les a mangés. Tous. À la dernière fournée, les flics ont enfoncé la porte, ils l’ont matraqué, et lui, il mâchait et avalait et essayait de les écarter à coups de chaises.

— Il paraît qu’il en a pour au moins un mois d’hôpital, dit O’Hara.

— On est quelques-uns à avoir décidé de faire une souscription pour lui, dit Winslow. C’était quand même héroïque de sa part.

— Je vais participer, dit Dortmunder. C’est bizarre, mais je me sens presque responsable, vous savez.

— Ça m’embête de te dire ça, John, fit Stan Murch, mais même moi, je commençais à croire que tu étais notre brebis galeuse.

— C’est ce que tout le monde a cru, dit Dortmunder. (Il avait un regard serein, la voix claire, et la main qui tenait la boîte de bière ne tremblait pas.) Je n’en veux à personne, c’est des choses qui arrivent. Les présomptions étaient contre moi.

— Ne me parle pas de présomptions, dit O’Hara. Une fois, j’ai fait de la tôle pour avoir cassé le coffre-fort d’une entreprise de bois de construction. Tout ce qu’ils avaient contre moi, c’était de la sciure qu’ils ont retrouvé dans mes manches.

— C’est vache, ça, dit Kelp. Où est-ce qu’ils t’ont pincé ?

— Dans les bureaux de l’entreprise.

— Ça s’est passé comme ça pour moi, dit Dortmunder. Et vu que tout le monde était d’une humeur massacrante, j’ai pas osé venir m’expliquer.

— Quel mec, quand même, ce Klopzik ! (Winslow eut un sourire presque admiratif ; il secouait sa botte de bière comme s’il avait voulu faire tinter des glaçons inexistants.) Travailler pour les deux camps à la fois, et tirer son épingle du jeu… Il était branché sur les flics, et tout ce temps-là, c’était lui qui avait refait le bijoutier.

— Et en plus, il n’avait même pas embarqué le Brasier de Byzance, dit O’Hara. Un truc aussi célèbre. Incroyable d’être aussi bête.

— Ça commence, dit Kelp.

Tout le monde s’assit pour regarder. Le présentateur rappela rapidement l’affaire, puis on diffusa un enregistrement du journal de six heures ; ça commençait par Tony Costello assis à un bureau devant une tenture bleue, la tête et la main droite bandées. L’air triomphant et heureux, il dit :

— Les recherches intensives menées dans tout le pays pour retrouver le Brasier de Byzance ont trouvé cet après-midi une conclusion inattendue et soudaine, à l’endroit même où avait commencé toute l’affaire : la Bijouterie Skoukakis, dans Rockaway Boulevard, dans le quartier de South Ozone Park.

On vit ensuite un plan de la bijouterie ; devant le magasin, on reconnaissait Tony Costello (sans pansements) en compagnie d’une femme qui fut présentée sous le nom d’Irene Skoukakis, femme du bijoutier. Un commentaire en voix off expliquait que Benjamin Arthur Klopzik en personne, objet de la chasse à l’homme la plus intense de toute l’histoire de la Police new-yorkaise, avait téléphoné à ce reporter, un peu plus tôt dans la journée, pour lui faire une révélation stupéfiante qui avait permis de retrouver l’inestimable bague en rubis. Pendant ce temps, on vit Irene Skoukakis ouvrir la porte du magasin, sous les yeux de Costello, puis entrer et ouvrir le coffre-fort. La caméra panota sur un plan rapproché d’Irene qui sortait le plateau du coffre, pendant que la voix off racontait que le cambrioleur avait négligé d’emporter le Brasier de Byzance ; et on le vit enfin, ce foutu rubis, grandeur nature, énorme, rouge, resplendissant au milieu de la petite ménagerie dorée.

Puis on retrouva Costello derrière son bureau, couvert de pansements.

— Naturellement, dit-il, nous avons mis au courant la police et le FBI, sitôt le récit de Klopzik confirmé. Le résultat a été assez surprenant, surtout pour moi.

Retour aux scènes prises sur le vif : des voitures officielles freinent brutalement devant la bijouterie, des flics en civil et en uniforme tournent en rond. Et puis, la surprise : on voit un homme que le commentaire présente comme Malcolm Zachary, Agent du FBI, balancer à Tony Costello un coup de poing en pleine figure, juste devant le magasin. Costello s’effondre, et sous le regard impartial de la caméra, l’Inspecteur-Chef Francis X. Maloney, bien reconnaissable à sa corpulence, arrive en courant et bourre de coups de pied le journaliste à terre.

— Merde alors, dit Dortmunder.

Retour à Costello derrière son bureau, la mine grave et responsable ; un peu malicieuse, peut-être.

— Ce déplorable incident, explique-t-il aux téléspectateurs, montre qu’il est parfois difficile de garder le contrôle de soi-même dans les heures de mobilisation intense. Notre chaîne a déjà accepté les excuses du Bureau Fédéral d’investigation et du Maire de la Ville de New York, et j’ai personnellement accepté les excuses de l’Agent Zachary et de l’Inspecteur-Chef Maloney, qui se sont tous deux vu octroyer des congés pour raison de santé. Il y a dans tout ceci un seul détail qui me chagrine réellement : dans le feu de l’action, l’Inspecteur-Chef Maloney m’a traité de « sale Rital ». Or il se trouve que je suis à cent pour cent d’origine irlandaise, ce qui n’a, c’est bien évident, aucune importance dans un sens ou dans l’autre ; mais même si je n’étais pas irlandais, même si j’étais italien (ce qui n’est pas le cas), même si j’étais écossais, comme Jack Mackenzie, mon homologue sur une autre chaîne, quelle que soit, en fait, mon origine ethnique, je serais de toute façon attristé et choqué par ce qui me semble relever de l’application de stéréotypes ethniques. J’ai beau être irlandais, je tiens à déclarer que je serais fier d’être appelé Rital, Espingouin, ou tout autre qualificatif choisi par ces gens qui n’écoutent que leurs préjugés. Certains de mes meilleurs amis sont italiens. À vous, Sal.

— Chapeau, dit Andy Kelp, tandis que Dortmunder éteignait le poste.

— Bon, dit Stan Murch. Le passé est le passé. Et si on parlait de l’avenir ?

— Bonne idée, dit Kelp. T’as un projet, Stan ?

— Une petite affaire bien sympathique, dit Stan. Je conduirai, bien sûr. Ralph, y a des verrous pas faciles à décoincer.

— Tu peux compter sur moi, dit Ralph Winslow.

— Jim, Andy, il va y avoir de l’escalade et des trucs à porter.

— Ça marche, dit Kelp.

Et Jim O’Hara, qui commençait à perdre sa grise mine de taulard, déclara :

— Je suis prêt à reprendre du service, crois-moi.

— Et John, dit Stan en se tournant vers Dortmunder, on va avoir besoin d’un plan d’action détaillé. Tu te sens en forme ?

— Je me sens en pleine forme, dit Dortmunder.

Dommage qu’il ne puisse pas parler au monde entier de son plus grand triomphe ; mais en somme, son plus grand triomphe l’avait amené à boucler la boucle, et à remettre là où il l’avait pris son butin le plus splendide. Il valait donc mieux, de toute façon, le garder pour lui. Quand même : un triomphe est un triomphe. Un triomphe, quoi.

— En fait, dit-il, j’ai le sentiment que la chance est en train de tourner en ma faveur.