Chapitre 7
Ezio prit un repas léger – il se contenta de pollo ripieno accompagné de légumes grillés –, et il but son chianti coupé avec de l’eau. Le dîner fut relativement paisible, il répondit poliment, mais laconiquement au déluge de questions de sa mère. La tension qui s’était accumulée avant la réunion, et qui était désormais retombée, l’avait épuisé. Il n’avait pas vraiment eu l’occasion de se reposer depuis qu’il avait quitté Rome, et il sentait qu’il ne réaliserait pas son rêve de passer un peu de temps chez lui, à Florence, à lire ou à flâner dans les petites collines environnantes, avant un bon moment.
Dès qu’il en eut décemment la possibilité, Ezio s’excusa et prit la direction de sa chambre, une grande pièce calme et faiblement éclairée à l’un des étages supérieurs, avec une vue sur la campagne plutôt que sur la ville. Quand il eut remercié le serviteur, il se débarrassa des protections en acier qui l’avaient soutenu tout au long de la journée. Son corps s’avachit, ses épaules s’affaissèrent et il se sentit plus léger. Ses gestes étaient délibérément lents. Il traversa la pièce, le serviteur lui ayant déjà fait couler un bain, et s’approcha de la baignoire tout en ôtant ses bottes et en se déshabillant. Une fois nu, il resta un moment immobile, ses vêtements roulés en boule entre les mains, devant un miroir en pied posé sur une petite estrade près du bac en cuivre. Il observa son reflet d’un œil las. Qu’avait-il fait de ces quarante longues dernières années ? Il se redressa. Il était plus âgé, plus robuste, certainement plus sage, mais il lui était impossible de nier qu’il ressentait une profonde fatigue.
Il jeta ses vêtements sur le lit. En dessous, dans un coffre en orme verrouillé, se trouvaient les armes secrètes du Codex que Leonardo da Vinci avait fabriquées pour lui. Il les vérifierait le lendemain matin, juste après le conseil de guerre qu’il tiendrait avec son oncle. La lame secrète originale ne le quittait jamais, sauf quand il était nu, et, même dans ce cas, elle se trouvait toujours à portée de main. Il la portait tout le temps, elle faisait désormais partie de son corps.
Ezio se glissa dans le bain en poussant un soupir de soulagement. Immergé jusqu’au cou dans l’eau chaude, humant la vapeur délicatement parfumée, il ferma les yeux et poussa de nouveau un long soupir. Enfin en paix. Autant profiter au mieux de ces quelques rares heures de répit.
Il venait de s’assoupir et il commençait à rêver quand un bruit imperceptible – la porte qui s’ouvrait et se refermait derrière les lourdes tapisseries – le réveilla. Ses sens furent aussitôt en éveil, comme ceux d’un animal sauvage. Il chercha sa lame à tâtons sans faire le moindre bruit et, d’un geste exercé, il la fixa à son poignet. Puis, en un mouvement fluide, il se retourna et se leva dans la baignoire, prêt à en découdre, regardant fixement en direction de la porte.
— Eh bien, dit Caterina en approchant avec le sourire. Il semblerait que les années n’aient pas eu prise sur toi.
— Tu as un avantage sur moi, contessa, dit Ezio en souriant. Tu es habillée.
— J’imagine que l’on peut vite trouver le moyen de remédier à cela. Mais j’attends.
— Tu attends quoi ?
— Que tu me dises que tu n’as pas vraiment besoin de le voir par toi-même. Que tu es sûr, même sans avoir vu mon corps dénudé, que mère Nature s’est montrée généreuse avec moi, peut-être même plus qu’avec toi. (Voyant l’air désemparé d’Ezio, elle se fendit d’un large sourire.) Mais je crois me souvenir que tu n’as jamais été aussi doué avec les compliments que tu l’es pour te débarrasser des Templiers.
— Viens là !
Il l’attira contre lui, l’ayant saisie par les jupons, tandis qu’elle détachait la lame avant de se charger des lacets de son corsage. Quelques secondes plus tard, elle était dans la baignoire, avec lui. Leurs lèvres étaient jointes et leurs corps nus entrelacés.
Ils ne restèrent que peu de temps dans la baignoire, mais, dès qu’ils l’eurent quittée, ils se séchèrent mutuellement à l’aide de serviettes rêches que le serviteur avait laissées. Caterina avait apporté une fiole d’huile de massage parfumée, et elle la tira d’une des poches de sa robe.
— Maintenant, allonge-toi, dit-elle. Je veux être sûre que tu sois fin prêt pour moi.
— Ça doit certainement se voir !
— Laisse-toi aller. Laisse-moi faire…
Ezio esquissa un sourire. C’était mieux que de dormir. Le repos attendrait.
Il se révéla que le repos dut attendre trois heures. Caterina était blottie dans ses bras. Elle s’était assoupie avant lui, et il la contempla un long moment. La nature s’était en effet montrée fort généreuse avec elle. Son corps élancé, mais aux courbes divines, avec ses hanches étroites, ses larges épaules et ses magnifiques petits seins, était encore celui d’une jeune fille de vingt ans, et sa fine chevelure rousse qui lui chatouillait le torse quand elle posait la tête dessus avait le même parfum que celui qui l’avait rendu fou tant d’années auparavant. Une ou deux fois dans le courant de la nuit, il se réveilla et se rendit compte qu’il s’était éloigné d’elle, dans le lit, et quand il la prenait de nouveau dans ses bras, elle se blottissait contre lui dans son sommeil en poussant un minuscule soupir de joie et en refermant sa main sur l’avant-bras d’Ezio. Il se demanda plus tard s’il ne s’était pas agi de la plus belle nuit d’amour de sa vie.
Ils firent la grasse matinée, naturellement, mais Ezio n’avait pas l’intention de renoncer à un nouvel assaut pour un entraînement de tir au canon, même si, au fond de lui, il réprouvait ce choix. Dans le lointain, il perçut faiblement les soldats qui marchaient au pas, les vociférations de leurs supérieurs qui aboyaient des ordres, suivis de la déflagration d’un canon.
— Ils s’entraînent à tirer sur des cibles avec les nouveaux canons, expliqua Ezio quand Caterina l’interrogea du regard. Des manœuvres. Mario est très exigeant.
Les épais rideaux en brocart empêchaient une grande partie de la lumière de pénétrer dans la pièce, plongée dans une confortable pénombre. Aucun serviteur n’était venu les déranger. Bientôt, les gémissements de plaisir de Caterina couvrirent tous les autres bruits. Il serrait les mains sur ses fesses fermes, et elle l’attirait vers elle avec insistance, quand ils furent interrompus par un vacarme épouvantable.
Le calme et la volupté de la pièce volèrent soudain en éclats. Les fenêtres explosèrent en produisant un bruit monstre, emportant avec elles une partie du mur de pierre, un énorme boulet de canon s’abattant, brûlant, à quelques dizaines de centimètres du lit. Le sol céda sous le poids du projectile.
Au premier signe de danger, Ezio s’était instinctivement jeté sur Caterina pour la protéger, et, à cet instant, les amants devinrent des professionnels – s’ils voulaient rester amants, il fallait avant tout qu’ils restent en vie.
Ils bondirent du lit et enfilèrent rapidement leurs vêtements. Ezio remarqua qu’en plus de l’exquise fiole d’huile, Caterina glissait une précieuse dague à la lame dentelée sous ses jupons.
— Qu’est-ce que c’est que…, s’écria Ezio.
— Va chercher Mario, lui dit Caterina d’un ton pressant.
Un nouveau boulet s’abattit dans la chambre, faisant voler en éclats la poutre qui se trouvait au-dessus du lit qu’ils venaient de quitter.
— Mes hommes sont dans la cour principale, dit Caterina. Je vais les rejoindre et voir s’il y a moyen de prendre à revers ceux qui nous canardent en passant derrière la citadelle. Dis-le à Mario.
— Merci de ton aide, dit Ezio. Sois prudente.
— J’aurais bien aimé avoir le temps de me changer, dit-elle en riant. La prochaine fois, on réserve une chambre dans un albergo, hein ?
— Tâchons donc de faire en sorte qu’il y ait une prochaine fois, répondit Ezio en éclatant d’un rire nerveux en bouclant son ceinturon.
— Compte sur moi ! Arrivederci ! s’écria-t-elle en se ruant vers la porte de la chambre sans oublier de lui envoyer un baiser.
Il contempla le lit dévasté. Les armes du Codex – la double lame, la lame empoisonnée et le pistolet – étaient ensevelies sous les décombres, et probablement détruites. Au moins, il lui restait la lame secrète. Même in extremis, il ne l’aurait jamais abandonnée, c’était le dernier cadeau que lui avait fait son père avant d’être assassiné.