VIII
L’INFIDÉLITÉ DU ROI
R
etour en 1733, une année douloureuse dans la vie de Marie Leszczyńska qui entend de vilaines rumeurs sur le roi. On évoque des parties fines, des conquêtes féminines et même des maîtresses cachées. Au début, elle ne s’expliquait pas cette instabilité subite qui poussait son époux à fuir Versailles pour courir de Rambouillet à Fontainebleau, de Chantilly à Compiègne, ou de Marly à la Muette. Désormais, elle en est convaincue : il s’est organisé une vie parallèle. Certes, il accomplit sans faillir ses devoirs conjugaux, comme en témoigne sa sixième grossesse en cours, mais la reine sent poindre de lourdes menaces sur leur couple. Elle ne peut que les deviner car Louis XV n’est pas du genre démonstratif. De plus, Fleury ayant conseillé à son protégé de se garder de l’influence de la reine, il se montre parfois si distant et si secret qu’elle n’ose jamais lui ouvrir son coeur.
Elle connaît pourtant ses problèmes, son caractère cyclothymique, ses inhibitions et s’est habituée à sa timidité maladive, surtout face aux dames. Cette timidité qui avait poussé les ragotiers de Versailles à s’interroger sur les moeurs du roi, dans le passé. Elle sait, par expérience d’épouse, que leurs propos étaient aussi vils qu’erronés. Mais elle n’en sait pas davantage car, depuis 1725, son mariage fonctionne sur des non-dits. La reine s’en accommode parce qu’elle aime son époux, mais le roi ne dissimule plus sa lassitude.
Louis XV trompe son ennui
Marie est lucide. Le 23 juin 1733, elle a passé le cap de la trentaine et compris que leur différence d’âge de sept ans devient un handicap. Louis XV est maintenant un beau jeune homme de vingt-trois ans qui fait tourner les têtes. « Les plus beaux yeux de l’Europe », selon Monsieur de Lévis, alors que Marie a l’allure d’une femme mûre, alourdie par les maternités. La plupart des mémorialistes de l’époque s’accordent pour trouver sa compagnie sans éclat et trop sérieuse. Même le duc de Luynes, qui pourtant l’apprécie, avoue : « Elle n’a pas le talent de bien conter et elle le sent fort bien ; cependant elle a des saillies et des reparties extrêmement vives. » Et, pour Talleyrand, les vertus de Marie ont « quelque chose de triste qui ne porte à aucun entraînement vers elle ».
À Versailles, le roi a pris l’habitude de tromper son ennui en compagnie de ses « marmousets », Gesvres, Épernon et quelques autres, avec lesquels il ripaille, boit du vin de Champagne et court les bals masqués. Ou se promène la nuit sur les toits de Versailles pour effaroucher les dames qui logent sous les combles. Ces amitiés agacent le cardinal de Fleury qui redoute leur influence sur son élève. Inquiétude logique pour un homme qui a craint toute sa vie de perdre les faveurs de son roi. S’il est parvenu à neutraliser la reine, ce n’est pas pour se laisser concurrencer par de jeunes blancs-becs !
L’intérêt personnel du cardinal et, accessoirement, la bonne conduite des affaires de l’État poussent Fleury à imaginer différentes stratégies pour remettre de l’ordre dans l’esprit de Louis XV. La plus intéressante consisterait à glisser une nouvelle femme dans le lit du jeune roi. Cette favorite, bien contrôlée par le cardinal, conforterait sa position et fidéliserait le roi à sa manière, en le détachant de certaines influences néfastes. Le plan prend lentement forme dans l’esprit du vieux mentor, mais le roi va devancer ses intentions.
Prémices d’une émancipation
Dans la vie de Louis XV, un couple compte énormément : le comte et la comtesse de Toulouse. Chaque jour, à Versailles, le roi emprunte le petit escalier qui le conduit dans leur appartement du rez-de-chaussée. Il y passe des moments exquis en compagnie de ce duo d’âge mûr qui pratique avec raffinement l’art de recevoir. Dernier fils de Louis XIV et de Madame de Montespan, le comte peut être considéré comme son grand-oncle et le dernier membre de la famille à avoir connu ses parents. Leur passion pour la chasse et une grande connivence les unissent.
Le comte de Toulouse a patienté jusqu’à la mort du Régent pour rendre public son mariage, célébré secrètement quelques mois auparavant, avec la femme de sa vie : une Noailles, veuve du marquis de Gondrin, nièce du cardinal-archevêque de Paris et soeur du duc de Noailles. Malgré son âge, la comtesse est une belle femme brune au regard enjôleur qui adore prendre en main la destinée de ses proches. Pour combattre la timidité du roi, elle l’introduit dans une aimable compagnie où règnent l’esprit et la gaieté. Il y prend goût et c’est dans leur château de Rambouillet que Louis XV parvient le mieux à se dérider. Il adore cette résidence aux allures médiévales d’où rayonnent les routes empruntées par les chasses royales. Alliant ainsi chasses et soupers, il lui arrive d’y passer deux ou trois jours, d’autant que la comtesse de Toulouse met toujours beaucoup de soin à choisir ses invités. La chère y est raffinée et les conversations riches de bonnes histoires de chasseurs, enjolivées selon l’inspiration des narrateurs. Le roi ne se lasse pas non plus d’entendre les récits de son grand-oncle sur la cour de Louis XIV.
Les nouvelles amies du roi
Informé des soirées de Rambouillet, Fleury ne s’en émeut pas. En revanche, il est plus soucieux lorsqu’il apprend que le roi accepte l’hospitalité de sa cousine, Mademoiselle de Charolais. Soeur du duc de Bourbon, Louise-Anne de Bourbon-Condé réside au château de Madrid, seulement séparé de la maison royale de la Muette par le bois de Boulogne. Incarnation de la Régence libertine, célibataire pour mieux collectionner les amants, elle a pris un certain ascendant sur le roi qui vient de lui accorder le titre de « Mademoiselle », initialement réservé à la fille aînée du frère du roi. D’abord effarouché par ses attitudes cavalières frisant l’irrespect, Louis XV a vite apprécié cette belle femme, de quinze ans son aînée, pour son sens de la repartie et sa verve railleuse. Bien que fort différentes, la comtesse de Toulouse et Mademoiselle de Charolais, amies intimes pour l’heure, connaissent les inhibitions du roi et s’entendent pour le distraire. En cela, elles partagent le point de vue du duc de Luynes qui écrit dans ses Mémoires : « Le roi aime les femmes, et cependant n’a nulle galanterie dans l’esprit. »
Grâce à sa cousine, Louis XV rencontre pour la première fois l’une des dames du palais de la reine : la comtesse de Mailly . Issue d’une vieille lignée de militaires picards, Louise-Julie de Nesle est l’aînée des cinq filles du marquis de Mailly-Nesle, condamné à vivre dans la misère depuis la saisie de ses biens. Mariée à seize ans à son cousin débauché, le comte de Mailly, elle est apparentée à de grandes familles comme les Mazarin-La Meilleraye et les Durfort. À la mort de sa mère, en 1729, la jeune femme a repris sa charge de dame du palais.
La comtesse de Mailly a vingt-trois ans, l’âge du roi. Elle n’est pas jolie, ce qui ne déplaît pas à Louis XV, plutôt intimidé par la beauté féminine. Cette grande fille toute simple, vive et enjouée, a le visage et le nez longs, une grande bouche, des joues plates, le teint mat, de grands yeux vifs et une voix « rude ». Selon un contemporain, cité par Pierre de Nolhac, « elle passe pour avoir la jambe fine, beauté que peut-être elle doit à sa maigreur ; mais elle n’a ni grâce ni noblesse, quoiqu’elle se mette d’un très grand goût et avec un art infini, talent qui lui est particulier, et que les femmes de la cour ont tâché en vain d’imiter ». Gaie, spirituelle et désintéressée, elle apprécie la compagnie du roi et ne cache pas son attirance pour ce jeune homme qu’elle trouve superbe. En revanche, elle n’est absolument pas impressionnée par la fonction, ce qui rassure Louis XV. Mais, pour l’heure, le roi ne semble tenté par aucune liaison…
Infidèle mais toujours discret
Au fil des semaines, Mademoiselle de Charolais se convainc de précipiter Madame de Mailly dans les bras du roi. Cette jeune comtesse ne cherchera pas à saper son influence sur le souverain ; elle lui a d’ailleurs fait promettre « de s’en tenir aux seuls honneurs du mouchoir » et de ne rien entreprendre sans l’avis « des personnes qu’elle sait avoir la confiance et l’estime du roi ».
Selon le calendrier de ses chasses, le roi prend l’habitude de coucher une fois par semaine à la maison royale de la Muette. Un soir de 1732, Louis XV y soupe en joyeuse compagnie. Les mets délicats et le vin de Champagne dont le souverain raffole suffisent à délier les langues. La conversation s’oriente sur les charmes et la réputation des femmes de la cour. Tout à coup, le roi lève son verre en annonçant qu’il boit « à l’Inconnue » ! Le lendemain, les convives interloqués s’interrogent encore sur le nom de cette muse mystérieuse. S’agissait-il d’une plaisanterie provocatrice du roi ? Louis XV gardera son secret mais, ce soir-là, l’assistance a compris qu’il était prêt à sauter le pas.
Selon les ragots, la comtesse de Mailly devient la maîtresse du roi quelques mois plus tard, en 1733. Mais les avis divergent : le duc de Luynes parie, lui aussi, sur 1733 ; le marquis d’Argenson opte pour 1736 ; et Barbier n’en parle qu’en novembre 1737. À la cour, personne n’aura vent de cette liaison avant 1737. Preuve que les amants et leurs complices, vraisemblablement Mademoiselle de Charolais, la comtesse de Toulouse, la maréchale d’Estrées et Bachelier, le premier valet de chambre du roi, ont su donner le change !
Seule la reine a compris dès les premiers mois. Au comportement de son époux, elle a deviné son infidélité. Peut-être en est-elle partiellement responsable, car elle vient de fermer la porte de sa chambre à Louis XV, sur ordre des médecins qui craignent pour sa septième grossesse. Quelques ragots sont venus étayer ses convictions mais elle ignore le nom de sa rivale.
Elle se garde bien d’en parler au cardinal, préférant confier ses peines à son père. Dans une lettre datée du 3 janvier 1734, Stanislas commente les soupçons de sa fille. Une phrase, écrite en polonais et à demi codée, répond aux états d’âme de la reine : « Ce que vous me mandez de la constance du roi, sans espérance de changement, me désole. Cependant, je crois que les circonstances présentes, si le bon Dieu les donne heureuses, pourront le ramener. » Toujours optimiste, Stanislas espère que la naissance prochaine d’un prince rendra à sa fille son époux volage. Malheureusement, ce sera encore une fille, la sixième, appelée Madame Sophie .
Quant au cardinal de Fleury, a-t-il été complice ou pas de la trahison familiale du roi ? Les deux ! Au début, il se comporte en Tartuffe, jouant le précepteur fâché par l’attitude de son élève ; au point de se retirer une nouvelle fois à Issy en 1738. Pourtant, il finit par accepter la situation puisqu’il déclare, un peu plus tard, à la duchesse de Brancas qui rapporte ses propos avec une ironie mordante : « Ah ! si vous saviez combien il était nécessaire que Madame de Mailly eût le coeur du roi, combien il serait funeste de le lui enlever. […] Le roi commençait à craindre la reine ; elle avait été livrée aux intrigues de Monsieur le Duc et de Madame de Prie. Le roi pouvait se perdre par un mauvais choix ; il n’y en avait qu’un bon qui pût le sauver. Si vous saviez combien j’ai gémi aux pieds de cette croix. […] Combien j’ai maudit mon pouvoir, sans puissance sur le coeur du roi ! Le roi a du moins les vertus de Madame de Mailly, laissons-les-lui. Je n’ai plus qu’un moment à vivre… »
Les tourments du roi
Période étrange où la reine continue d’enchaîner les maternités au rythme d’une par an, ce qui prouve que Louis XV n’a pas déserté la couche royale. Il soupe parfois avec elle et lui témoigne toujours son affection. Au début, sa liaison avec Madame de Mailly se limite apparemment à quelques rencontres épisodiques, car Louis XV culpabilise terriblement. Écartelé entre la honte et le désir, il fait des efforts pour ignorer sa maîtresse.
Comme tous les Bourbons, il a été éduqué à la religion de la Contre-Réforme. Initié par le catéchisme du concile de Trente qui met l’accent sur la morale sexuelle, Louis XV en a parfaitement compris les leçons. Mais le roi les interprète avec la rigueur d’un esprit scrupuleux. Il sait, par exemple, que le rite du toucher des écrouelles, qui fait du Roi Très Chrétien un roi thaumaturge, ne peut s’accomplir qu’après s’être préparé par la confession et la communion. La tradition veut qu’il communie cinq fois l’an, à Pâques, Pentecôte, Toussaint, Noël et à l’une des fêtes de la Vierge (le 15 août ou le 8 septembre), parfois remplacée par la Saint-Louis, le 25 août. Depuis son sacre, en 1722, Louis XV s’était consciencieusement plié à ces rites. Les premiers accrocs dans ses devoirs de Roi Très Chrétien se situent à Noël 1733, Noël 1734 et à la Toussaint 1735. Preuve que les périodes d’infidélité ne durent pas et que Louis XV, sermonné par son confesseur, le père de Linières , revient chaque fois à la vie conjugale. Ainsi naissent Victoire en 1733, Sophie en 1734 et Thérèse-Félicité en 1736 ; sans compter la fausse couche de Marie en 1735.
Madame Dernière  !
Au printemps 1737, le roi Stanislas et Catherine Opalinska quittent Meudon pour prendre possession des duchés de Lorraine, abandonnant Marie enceinte à ses angoisses et à ses pleurs. En digne descendante des Leszczyński, la reine réagit face au malheur en priant pour deux. Elle ne manque à aucun de ses devoirs religieux, respectueuse des jeûnes et pénitences, attentive aux sermons, recueillie au cours des offices ; et si douce quand elle lave les pieds de treize petites filles pauvres, le jour du Jeudi saint. Pareille dévotion n’apaise pas les tortures de l’incertitude. Et lorsque Louis XV lui fait passer un billet, dans la nuit du Lundi gras, pour l’informer qu’il se rend incognito et en grand secret au bal de l’Opéra, elle se pose mille questions sur cette équipée nocturne.
Aux premières douleurs de la reine, ce roi paradoxal redevient un tendre époux. Le 15 juillet 1737 à 21 heures, Marie donne naissance à… une huitième fille ! Elle sort épuisée de cet accouchement long et douloureux. Auprès d’elle, le roi prend la main qu’elle lui tend tout en murmurant faiblement : « Je voudrais souffrir encore autant et vous donner un duc d’Anjou. » La duchesse de Luynes [1], présente au chevet de la reine, ajoute que Louis XV l’a consolée avec une grande tendresse.
Le caustique marquis d’Argenson n’assistait pas à l’accouchement, mais il en propose une version plus cinglante. Il prétend qu’à l’annonce de la naissance, on a demandé au roi s’il fallait appeler le bébé « Madame Huitième  ». Louis XV aurait répondu : « Madame Dernière  ! » Et le marquis de conclure « que la pauvre reine va être bien délaissée ». La formule du marquis fait aussitôt le bonheur des gazetiers, en mal de qualificatifs désobligeants pour cette reine qui peine tant à mettre des garçons au monde ! C’est aussi le cas de Barbier, enflammé : « Elle a le ventre furieusement disposé de ce côté-là ; en voilà bon nombre. Le Français politique est alarmé de n’avoir qu’un Dauphin bien jeune, et un roi qui fatigue beaucoup son tempérament. »
Mais nul ne saura jamais si « Madame Dernière  » est née de l’imagination agressive du marquis d’Argenson ou des regrets de Louis XV…
Marie connaît sa rivale, Paris aussi…
À l’automne 1737, Marie n’ignore plus le nom de sa rivale. Elle est atterrée d’apprendre de la bouche de Madame de Mazarin, la propre tante de Madame de Mailly , qu’il s’agit de l’une de ses dames du palais. À Versailles, les langues se délient et les confidences vont bon train : chaque fois que le roi sort ou revient de souper dans ses petits appartements, il passerait deux heures dans ses garde-robes, où l’on affirme que Bachelier lui amène Madame de Mailly . En novembre, Barbier ose écrire : « Il y a longtemps que l’on parle de cette comtesse de Mailly pour être la maîtresse du roi, mais la chose paraît certaine. […] Cette intrigue se mène toujours secrètement parce que le cardinal retient ; mais il n’est pas possible que les gens de cour et les officiers ne voient pas. […] On dit aussi qu’elle va aux soupers particuliers de la Muette, avec les seigneurs, sans autres femmes. […] On dit que le roi donne à la comtesse six mille livres par mois. Elle pourrait bien faire son mari duc, sans que personne y trouvât à redire. C’est un nom reconnu parmi nous comme de la première noblesse de ce pays-ci. »
Tout Paris se passionne pour les amours du roi. Le petit peuple trouve l’attitude de Louis XV plutôt rassurante ; quant aux chansonniers, ils ajoutent un couplet à la chanson de La Béquille du père Barnabas :
« Notre monarque enfin
Se distingue à Cythère ;
De son galant destin
L’on ne fait plus de mystère.
Mailly, dont on babille,
La première éprouva
La royale béquille
Du père Barnabas ![2] »
Le 1er décembre 1737, Louis XV perd le comte de Toulouse, le dernier lien qui l’unissait à ses parents et à Louis XIV, le seul proche qui pouvait lui parler comme à un fils. Effondré, le roi s’enferme dans sa chambre pour cacher son chagrin. Il s’éloigne un temps de Madame de Mailly , désappointée par les sautes d’humeur de son amant qu’elle ne peut comprendre. Marie partage la souffrance du roi mais reste discrète et attentive, bien décidée à tout mettre en oeuvre pour accomplir son voeu en donnant un nouveau duc d’Anjou à la France. À l’approche des fêtes de Noël, Louis XV vient passer auprès d’elle les nuits du 22 et du 23 décembre. Barbier apprend que « le roi a couché avec la reine […] avec préparation de bains, dans le dessein d’avoir un prince ».
Des ragots et un cadeau
Le jour de Noël 1737, le roi prend froid avant de communier. Comme il a de la fièvre, les médecins le saignent, lui interdisent la chasse et le consignent au lit. Un mois plus tard, il se porte mieux mais ne chasse toujours pas. Barbier fait état de commérages : « Il ne paraît plus douteux que le roi n’ait attrapé une galanterie. L’on croit qu’elle lui a été donnée par la fille d’un boucher de Poissy ou de Versailles, que le roi a trouvée fort jolie et qu’il s’est fait amener par Bachelier. […] On ne dit point comment Madame de Mailly se sera tirée de cette affaire, et si elle en aura eu sa petite part. »
Marie tente d’ignorer ces ragots. Se sentant coupable, Louis XV se soucie tout à coup du confort de son épouse et commande à la surintendance des Bâtiments la réfection de ses appartements. Les terrasses sont agrandies et embellies ; la petite galerie longeant le Grand Cabinet de la reine est modifiée et devient la Galerie verte, après que Martin y pose son célèbre vernis. Comme Marie adore les fleurs et les enfants, Boucher en peint partout. Les nouveaux décors et les plafonds, signés Girard, Verlet et Perrot, font entrer le soleil et la nature dans les pièces. La reine choisit les tissus sur cartons, dont un brocart de Lallié au décor de fleurs d’or sur fond cramoisi. Et pendant que Boucher immortalise les enfants royaux, Coypel exécute de nouveaux tableaux pour son oratoire.
Cet ensemble s’harmonise admirablement avec les travaux entrepris en 1730 dans la chambre de la reine. Les plafonds à compartiments, initialement peints pour Marie-Thérèse , ont été transformés par Boucher en grisaille d’or où s’entrelacent les chiffres de Louis XV et de Marie ; quant aux quatre médaillons des voussures, exécutés en camaïeu, ils représentent les vertus de la reine : charité, abondance, fidélité et prudence. Les marbres des murs ont cédé la place à des lambris de bois, blanc et or. Sur les dessus-de-porte, Natoire et De Troy ont peint La Jeunesse et la Vertu présentant Mesdames Élisabeth et Henriette à la France et La Gloire s’empare des enfants de France.
Avec un tel cadeau, Louis XV veut-il reconquérir le coeur de Marie ? Inutile, car il ne l’a jamais perdu. Veut-il simplement faire oublier ses écarts ? Peut-être. Mais Marie Leszczyńska évite de s’interroger. En ce printemps 1738, elle constate que son époux semble plus serein et plus proche d’elle. Pour l’heure, cela suffit à son bonheur. Et, le 26 mai, lendemain de la Pentecôte, Louis XV la rejoint dans sa chambre, pour la première fois de l’année.
1-
Marie Brûlart de Sillery, duchesse de Luynes , est la seconde épouse du duc Charles Philippe d’Albert, duc de Luynes, rendu célèbre par ses Mémoires sur la cour de Louis XV (1735-1758). Le 18 octobre 1735, elle a repris la charge de dame d’honneur abandonnée par la duchesse de Boufflers.
2-
Cette chanson, composée vers la fin du xviie siècle, fait allusion à un capucin paillard qui a oublié sa béquille chez les filles de joie.