Chapitre 32

Et si vous aviez passé l’épreuve l’année dernière ?

Dans ce chapitre :

Les trois sujets corrigés du bac 2015 de chaque série

Pas à pas, les erreurs à éviter et les bonnes choses à dire ou à faire (en italique)

Il n’y a évidemment pas de corrigés de philosophie comme il y a des corrigés de mathématiques ou de géographie. Il y a beaucoup plus de façons de réussir que de manquer un devoir de philosophie. Ces corrigés ne sont donc pas des modèles, mais des exemples. Et puis n’oubliez pas que ce ne sont que des résumés.

Série L

1er sujet : Respecter tout être vivant, est-ce un devoir moral ?

Le sujet met en relation trois concepts : le respect, l’être vivant et le devoir moral, qu’il faut définir dès l’introduction. Il ne porte donc pas sur le vivant en lui-même. Attention au hors-sujet !

Introduction

Respecter, c’est, pour reprendre la formule de Kant, considérer quelqu’un ou quelque chose comme une fin, et non comme un moyen. Le respect est la reconnaissance d’une dignité.

Le vivant se définit par opposition à ce qui est inerte, c’est-à-dire purement matériel, et à ce qui est mort. Quant au devoir moral, il est l’expression d’une obligation, dont la transgression n’est cependant pas sanctionnée par la loi juridique – la loi morale gardant une certaine indépendance par rapport au droit.

Aucune règle juridique n’imposant le respect de la vie en tant que telle, reste à savoir si ce respect n’est pas un devoir moral.

Première partie : Le respect est une valeur morale

Ce qui est vivant peut être tué. Respecter le vivant, c’est s’interdire de le tuer.

Ce qui est vivant possède une certaine intégrité. Respecter le vivant, c’est ne pas attenter à cette intégrité.

Dans le monde du vivant, c’est l’être humain lui-même qui doit être le premier objet de respect. Mais, comme disait Spinoza, l’homme n’est pas un empire dans un empire. Ce que l’écologie scientifique montre, c’est la solidarité du vivant au sein de l’écosystème Terre. Certes, il existe des contradictions dans ce système (voir la fameuse « lutte pour la vie » darwinienne), il n’en reste pas moins vrai que l’écosystème terrestre forme un tout.

Deuxième partie : Le respect ne peut s’adresser qu’à l’homme

Kant définissait le respect comme la considération de la personne d’autrui. La personne, c’est ce qui fait qu’un être est davantage qu’un individu, qu’il possède une dimension morale inaliénable. Or, dans le monde vivant, seul l’être humain peut être défini comme une personne. Un animal est un individu, mais pas une personne. Dès lors, respecter n’importe quel être vivant est dépourvu de sens.

D’autant que le monde vivant commence aux microbes. Les antibiotiques seraient-ils une forme d’irrespect à leur égard ? Il y a des êtres vivants que, pour sa préservation, l’homme doit combattre, il y en a également qu’il utilise comme moyens de subsistance (c’est le cas des animaux d’élevage). Certes, la position du respect inconditionné du vivant a été adoptée par certains courants de pensée, comme le jaïnisme, qui est une religion de l’Inde. Mais cet écocentrisme (par opposition à l’anthropocentrisme dominant) semble impossible à universaliser.

Conclusion

Des lois interdisent les mauvais traitements infligés aux animaux, qui sont reconnus comme des êtres doués de sensibilité. Mais, même dans ce cas, nous n’avons pas besoin de parler de respect. Et puis, lorsque nous disons « les animaux », nous amalgamons des formes de vie tellement hétérogènes qu’une attitude unique à leur égard semble impossible.

2e sujet : Suis-je ce que mon passé a fait de moi ?

Introduction

La question porte sur l’identité personnelle : suis-je actuellement, et seulement, le résultat de mon existence depuis ma naissance ? Ou bien une autre dimension, indépendante de mon passé, doit-elle être prise en compte pour définir mon identité ?

Aller directement au cœur du sujet sans tournoyer indéfiniment à haute altitude, comme un rapace.

Première partie : Être, c’est avoir été

L’être humain possède trois dimensions : il a un corps, un mental et il est un être social. Que ce soit sur le plan physique, psychique ou social, il est dans le présent la résultante de ce qu’il a été dans le passé. Ainsi le corps a-t-il un certain âge, qui contient l’ensemble écoulé des années d’existence, avec ses cicatrices et sa morphologie.

Il en va de même avec le psychisme : la psychanalyse définit l’inconscient comme « l’infantile en nous ». Mais le psychisme, c’est aussi l’expérience, que nous appelons justement le vécu. La mémoire est constitutive de l’être humain.

Enfin, il y a mon inscription dans une famille, dans un milieu social et culturel, que je n’ai pas choisi et qui a fait de moi celui que je suis présentement.

Une conception strictement déterministe s’en tiendra là pour définir l’identité personnelle. Mais d’autres dimensions sont envisageables.

Deuxième partie : La part de la liberté

Affirmer que je suis « ce que mon passé a fait de moi », c’est réduire ma personnalité à un effet de causes extérieures, c’est faire de moi un objet qui serait le résultat de facteurs purement mécaniques.

Or, comme l’a montré Sartre, si je ne choisis pas mes conditions de départ, je peux en revanche choisir le sens que je leur donne. Hegel disait que les déterminismes n’ont que le sens que nous leur attribuons. En d’autres termes, je peux me résigner, dire « oui » passivement, mais je peux aussi dire « non » par la critique ou la révolte. Un déterminisme n’est pas un destin. Je peux partir de ce déterminisme et m’en extraire.

Par ailleurs, et c’est encore un thème développé par Sartre, l’homme (et cela est particulièrement vrai de l’homme moderne) est un être de projet, c’est-à-dire un être tendu vers l’avenir, et pas seulement tourné vers le passé. Or un projet, qui au départ n’est qu’une idée, peut en grande partie conditionner l’existence présente. Par exemple, si je suis en train de rédiger une dissertation de philosophie, ce n’est pas seulement parce que mon passé m’y a conduit, mais aussi, et d’abord, parce que mon avenir me le commande.

Conclusion

Être ce que son passé a fait de soi : la formule conviendrait bien davantage aux animaux, dont l’existence est dictée par le génome de leur espèce, qu’aux hommes qui ont la capacité de transformer par leur conscience un futur abstrait en avenir concret.

3e sujet : Explication de texte


« Les croyances dogmatiques sont plus ou moins nombreuses, suivant les temps. Elles naissent de différentes manières et peuvent changer de forme et d’objet ; mais on ne saurait faire qu’il n’y ait pas de croyances dogmatiques, c’est-à-dire d’opinions que les hommes reçoivent de confiance et sans les discuter. Si chacun entreprenait lui-même de former toutes ses opinions et de poursuivre isolément la vérité dans les chemins frayés par lui seul, il n’est pas probable qu’un grand nombre d’hommes dût jamais se réunir dans aucune croyance commune.

Or, il est facile de voir qu’il n’y a pas de société qui puisse prospérer sans croyances semblables, ou plutôt il n’y en a point qui subsistent ainsi ; car, sans idées communes, il n’y a pas d’action commune, et sans action commune, il existe encore des hommes, mais non un corps social. Pour qu’il y ait société, et, à plus forte raison, pour que cette société prospère, il faut donc que tous les esprits des citoyens soient toujours rassemblés et tenus ensemble par quelques idées principales ; et cela ne saurait être, à moins que chacun d’eux ne vienne quelquefois puiser ses opinions à une même source et ne consente à recevoir un certain nombre de croyances toutes faites.

Si je considère maintenant l’homme à part, je trouve que les croyances dogmatiques ne lui sont pas moins indispensables pour vivre seul que pour agir en commun avec ses semblables ».

Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1840.


La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question [avertissement figurant sur la feuille d’examen].

Si ce texte ne présente pas de grandes difficultés techniques (le sens de « croyances dogmatiques » pourrait poser problème, mais Tocqueville prend soin de préciser ce qu’il entend par là), il est d’une grande richesse d’idées, et réclame par conséquent une lecture et une analyse particulièrement attentives.

Introduction

Dans ce texte, Tocqueville établit que les « croyances dogmatiques », c’est-à-dire les idées et les valeurs reçues sans critique, sont nécessaires pour la constitution d’une société. Ce faisant, il montre que l’ordre politique et social (le « corps social ») n’obéit pas à la même logique que l’ordre des connaissances scientifiques, qui ne va pas sans la libre recherche critique de la vérité et de la certitude.

L’opposition entre société et politique d’une part, connaissance scientifique de l’autre, n’est pas évoquée explicitement dans ce texte. Expliquer un texte, en effet, c’est en développer le sens, c’est-à-dire en dérouler les implications.

Première partie : L’existence nécessaire des croyances dogmatiques

Les croyances dogmatiques ont une histoire diversifiée : elles n’ont pas les mêmes sources, ni les mêmes caractéristiques, ni les mêmes objets. Il y a, par exemple, des croyances religieuses et d’autres qui ne le sont pas. Les croyances sont plus ou moins rationnelles ; certaines portent sur des phénomènes empiriques (ainsi celles qui s’expriment par des dictons météorologiques), d’autres sur des phénomènes qui échappent à l’expérience sensible (ainsi celles qui portent sur la vie après la mort).

Les copies des candidats sont souvent trop abstraites, c’est-à-dire qu’elles s’en tiennent trop souvent aux généralités, sans prendre en compte les différentes particularités. Il convient de rappeler ici que le monde de la croyance est extrêmement diversifié.

Mais si les croyances sont relatives, donc contingentes dans leur mode d’expression, leur existence est nécessaire en ce sens qu’elles ne sauraient ne pas exister. On ne peut imaginer un monde humain sans croyance dogmatique. Ce que vérifient des sciences comme l’histoire ou l’anthropologie.

Deuxième partie : Les croyances dogmatiques ont une nécessité sociale et politique

Dans le Discours de la méthode, Descartes raconte comment il a entrepris de révoquer en doute les idées qu’il avait reçues pour chercher et trouver la certitude et la vérité dans les sciences. Qu’est-ce, en effet, qu’une idée qu’on a adoptée sans l’avoir jugée, sinon un préjugé ? Or, un préjugé est presque fatalement faux. Il ne peut y avoir de certitude ou de vérité sans le doute.

Mais, nous dit Tocqueville, c’est autour de croyances collectives que les individus forment société, et non à partir de la recherche critique personnelle. C’est à cela qu’ont servi les mythologies, les religions et les idéologies. Sans idées communes, pas d’actions communes, et sans actions communes, pas de corps social. Ainsi « la gloire de l’Empire romain », « Allah », « la République », « la liberté » ont-ils été des idées communes qui ont permis des actions communes et la constitution d’une société.

Les exemples historiques servant à illustrer les idées du texte seront toujours les bienvenus, à condition qu’ils soient rapidement mentionnés, et ne soient pas traités pour eux-mêmes. Une page entière consacrée à la laïcité, par exemple, serait ici hors sujet.

Troisième partie : Deux précisions à apporter à la thèse précédente

Le troisième paragraphe de l’extrait de texte, qui se présente comme l’affirmation d’une idée non développée, établit que la réception des idées reçues n’est pas seulement nécessaire au corps social, mais qu’elle l’est également pour chaque individu. Ce que Spinoza appelait « connaissance du premier genre », c’est-à-dire la connaissance par ouï-dire, représente une indispensable économie psychique pour la vie quotidienne. L’individu n’a ni le temps, ni même la possibilité de tout examiner de manière critique. N’est pas Descartes qui veut, n’est pas Descartes qui peut.

Les références aux grands philosophes ne sont ni obligatoires ni attendues, mais elles sont évidemment toujours les bienvenues.

Il y a une autre précision, ou une autre réserve que l’on pourrait apporter à l’idée selon laquelle l’existence de croyances collectives partagées est nécessaire à celle d’un corps social. Tocqueville présuppose l’homogénéité de celui-ci. Or, une société est faite, comme le montrera Karl Marx, de classes sociales non seulement différentes mais antagonistes, qui peuvent avoir de ce fait des croyances et des valeurs opposées. Elle peut être faite également de populations d’origines diverses : tel est le cas aujourd’hui des sociétés dites multiculturelles, dans lesquelles la lutte pour la reconnaissance crée des lignes de fracture et des antagonismes.

Conclusion

À l’instar des théoriciens du contrat social, Tocqueville pense que la société n’est pas naturelle ou spontanée, mais le produit d’une volonté collective. Mais, à la différence de la plupart des théoriciens classiques du contrat social, il ne pense pas que ce qui fait le lien social soit d’ordre rationnel, comme la nécessité de défendre la sécurité et la liberté personnelles, mais appartient plutôt au domaine des croyances. Cela dit, Tocqueville présuppose pour la société une unité qu’on serait bien en peine de trouver aujourd’hui.

Série ES

1er sujet : La conscience de l’individu n’est-elle que le reflet de la société à laquelle il appartient ?

Vous savez que lorsqu’une question se présente sous la forme : « ceci n’est-il que cela ? », la réponse attendue est négative. Il conviendra donc ici de commencer par la thèse.

Introduction

Le terme de conscience désigne à la fois une faculté psychique (on a, on prend conscience), et l’ensemble de ses activités (les idées, les représentations). La question posée revient à savoir si la conscience est une simple production sociale, dont l’individu dispose à la manière d’un instrument fourni de l’extérieur.

N’oubliez jamais de définir en introduction les termes de la question, même s’ils sont évidents, surtout s’ils sont évidents.

Première partie : La thèse de la conscience-reflet

La thèse de la conscience-reflet appartient au matérialisme. « L’esprit » n’est pas une réalité substantielle, il n’est qu’un mot commode pour désigner le résultat de facteurs extérieurs. Pour les matérialistes du XVIIIe siècle, la conscience est le reflet du corps ; pour les neurophysiologistes matérialistes d’aujourd’hui, elle n’est que le reflet de l’activité cérébrale.

Pour les marxistes, la conscience est également le reflet de la société à laquelle les individus appartiennent. « Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, écrivait Marx, c’est la vie sociale qui détermine la conscience » (voir p. 135). Marx appelait « idéologie » l’ensemble des idées et des valeurs caractéristiques d’une classe sociale, l’idéologie dominante étant l’idéologie de la classe dominante. L’homme ne choisit ni ses croyances, ni ses idées, il exprime celles du milieu social dont il fait partie.

Deuxième partie : La contestation de cette thèse

Si la conscience n’était que le reflet de conditions sociales, comment expliquer qu’elle puisse aussi les critiquer, les récuser et les contredire ? D’ailleurs, Marx lui-même, moins dogmatique que ceux qui se réclameront de lui par la suite, restait assez hégélien pour savoir que la conscience est capable de négation (c’est même un privilège qu’elle a conservé face aux ordinateurs les plus puissants). Penser, imaginer, rêver, c’est la capacité de nier le déterminisme social.

Par ailleurs, « la société » est loin d’être un milieu homogène. Elle est elle-même traversée par des contradictions, la principale étant, selon Marx, l’antagonisme des classes sociales. Mais même une classe sociale n’est pas homogène au point de produire une forme de conscience unifiée. L’extrême dispersion des consciences suffirait à récuser la thèse de la conscience-reflet.

Conclusion

Certes, comme disait Hegel, nul ne peut sauter par-dessus son temps. Il n’en reste pas moins vrai que la conscience possède une puissance et une liberté capables de transcender le déterminisme social, et de faire de celui-ci autre chose qu’un destin. C’est l’ordinateur qui n’est que le reflet de la société qui le produit, pas la conscience.

2e sujet : L’artiste donne-t-il quelque chose à comprendre ?

Un hors-sujet est vite arrivé ! Il ne s’agit pas ici de parler de l’art en général, mais d’analyser les relations entre l’art et le sens.

Introduction

Un artiste est un homme qui crée des œuvres destinées à être regardées ou écoutées pour leurs qualités principalement, voire exclusivement pour leurs qualités esthétiques. « Comprendre » est une activité de l’esprit qui consiste à saisir le sens. La question posée revient donc à savoir si l’artiste délivre un sens.

N’oubliez pas qu’il faut toujours définir le sens de la question posée, en la posant autrement.

Première partie : L’artiste délivre un sens

À de rares exceptions, l’œuvre d’art est le produit d’une conscience, d’une intention. Elle est donc, dès sa création, animée par le sens qu’elle doit manifester : architectures et peintures religieuses, tragédies, poèmes philosophiques, symphonies, etc. Ce qui n’a pas de sens est dit absurde. On ne saurait concevoir une œuvre d’art absurde.

Le sens délivré par l’artiste n’est pas forcément conscient, car ce qu’il crée le dépasse. Ainsi des schizophrènes « donnent quelque chose à comprendre » alors même qu’ils ne le voulaient pas. Il y a dans le « donner à comprendre » un excès de sens par rapport à l’intention de départ.

Deuxième partie : La finalité de l’art peut être l’art lui-même

Un romancier ou un poète n’a pas, à la différence de l’essayiste ou du journaliste, à délivrer un message. Les artistes qui ont soumis leur art à la nécessité de délivrer un message religieux, politique ou autre, c’est-à-dire à quelque chose d’étranger à l’art lui-même, ont souvent fait un mauvais travail. Ce n’est pas, en effet, le contenu signifiant qui fait d’un objet une œuvre d’art, mais sa forme, son style.

Conclusion

Cela dit, même dans le cas d’un art très formel, ou très « abstrait », d’un art qui n’a d’autre raison que lui-même, et qui est produit par un artiste qui n’a rien à dire, il est inévitable qu’un processus de sens et d’interprétation s’enclenche. Ni l’artiste, ni celui qui prendra connaissance de son œuvre, ne peut échapper au sens et à l’interprétation. L’artiste ne donne pas toujours quelque chose à comprendre, parce que ce qu’il fait comprendre n’est pas toujours intentionnel.

3e sujet : Explication de texte


« Dans un État démocratique, des ordres absurdes ne sont guère à craindre, car il est presque impossible que la majorité d’une grande assemblée se mette d’accord sur une seule et même absurdité. Cela est peu à craindre, également, à raison du fondement et de la fin de la démocratie, qui n’est autre que de soustraire les hommes à la domination absurde de l’appétit1 et à les maintenir, autant qu’il est possible, dans les limites de la raison, pour qu’ils vivent dans la concorde et dans la paix. Ôté ce fondement, tout l’édifice s’écroule aisément. Au seul souverain, donc, il appartient d’y pourvoir ; aux sujets, il appartient d’exécuter ses commandements et de ne reconnaître comme droit que ce que le souverain déclare être le droit.

Peut-être pensera-t-on que, par ce principe, nous faisons des sujets des esclaves ; on pense en effet que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme libre celui qui agit selon son caprice. Cela cependant n’est pas absolument vrai ; car en réalité, celui qui est captif de son plaisir, incapable de voir et de faire ce qui lui est utile, est le plus grand des esclaves, et seul est libre celui qui vit, de toute son âme, sous la seule conduite de la raison ».

Spinoza, Traité théologico-politique, 1670.


La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question [avertissement figurant sur la feuille d’examen].

À l’exception de certains termes comme « souverain » qui peuvent être mal interprétés, le texte n’offre pas de difficultés de lecture particulières. Mais beaucoup de candidats n’ont pas suffisamment souligné le lien entre les deux paragraphes.

Introduction

Au XVIIe siècle, Spinoza fut, avec Locke, le grand philosophe de la démocratie. Mais alors que Locke justifie le régime démocratique comme celui de la liberté, Spinoza y voit d’abord le régime le plus conforme à la raison.

Répétons que si les références en histoire de la philosophie ne sont pas requises, elles seront toujours hautement appréciées.

Pour Spinoza, c’est parce que la démocratie est un régime conforme à la raison qu’elle est, par le fait même, un régime de liberté.

Première partie : La démocratie est rationnelle et raisonnable

Caligula, l’empereur romain, avait nommé consul son cheval. Les décisions absurdes, habituelles en régime despotique, semblent impensables en démocratie. Si l’on considère les deux dimensions de la raison, théorique et pratique, on peut dire que, selon Spinoza, la démocratie est à la fois le plus rationnel et le plus raisonnable des régimes politiques.

Trois raisons sont données à l’appui de cette affirmation.

La première est qu’une assemblée est moins portée aux décisions les plus folles qu’un individu ou qu’un petit groupe d’individus. La remarque avait déjà été faite par Aristote : dans une assemblée, les individus les plus violents se neutralisent, et c’est pourquoi on ne la voit pas souvent pencher du côté des solutions extrêmes. Montesquieu dira que tout pouvoir tend à l’abus de pouvoir. Disposant d’un pouvoir absolu, sans contrôle extérieur, sans la pression d’une opinion publique qui ne peut s’exprimer, un despote comme Caligula peut donner des ordres absurdes. Pour prendre un exemple plus récent, il est douteux qu’une assemblée démocratiquement élue aurait pu, à la majorité des voix, comme l’a fait Hitler, décider d’exterminer les juifs et les malades mentaux.

La deuxième et la troisième raisons données par Spinoza pour justifier sa thèse du caractère rationnel de la démocratie tiennent au fondement et à la fin de ce régime, c’est-à-dire à son origine et à ses objectifs. À l’opposé du despotisme, qui s’exerce dans la violence et est né d’elle, la démocratie est un régime de délibération, qui prend acte de la pluralité des points de vue des individus. Les représentants du peuple, qui promulguent les lois et les exécutent, et exercent la souveraineté, sont librement choisis par le peuple lui-même.

Dans ce texte, le « souverain » n’est pas un roi ou un empereur, puisque nous sommes dans un contexte démocratique, mais une assemblée. Plus tard, arrachant symboliquement le pouvoir au roi, Rousseau, dans Du contrat social, dira du peuple qu’il est « le souverain » lui-même.

« Car tel est notre bon plaisir » : cette formule attribuée à Louis XIV résume la monarchie comme régime de l’appétit, c’est-à-dire du désir et du caprice personnels, aux antipodes de la raison. Louis XIV allait à la guerre comme il allait à la chasse. Dans la mesure où les lois émanent d’une assemblée démocratique, il est du devoir des sujets d’y obéir.

Deuxième partie : La liberté est obéissance aux lois de la raison

Dans le second paragraphe, Spinoza répond à l’objection commune selon laquelle, dans un régime démocratique, puisque les sujets doivent obéir aux lois, ils ne sont pas plus libres que ceux qui vivent dans un régime non démocratique.

C’est, réplique Spinoza, être libre que d’obéir aux lois de la raison. Inversement, c’est être esclave que d’obéir à son seul appétit. Platon avait déjà développé cette idée. Caligula était en fait autant esclave que ses esclaves.

Conclusion

Au XVIIe siècle, avec Descartes et Spinoza, le terme de « sujet » commence à changer de sens, pour prendre celui, actuel, de personnalité et de maîtrise. Mais l’ancien sens du sujet comme entité assujettie (lorsque l’on dit « être sujet à des maux de tête »), n’a pas disparu. Pour lever l’équivoque, Rousseau réintroduira le terme de citoyen. À la différence du sujet qui obéit à des lois extérieures, le citoyen n’obéit qu’à celles qu’il s’est lui-même prescrites.

Série S

1er sujet : Une œuvre d’art a-t-elle toujours un sens ?

Ce sujet recoupe en bonne partie le deuxième sujet de la série ES, « L’artiste donne-t-il quelque chose à comprendre ? », c’est pourquoi ce résumé de corrigé sera plus court que les autres.

Introduction

Est-il possible qu’une œuvre d’art soit dépourvue de sens ?

Première partie : L’œuvre d’art a nécessairement un sens

Une œuvre d’art n’est pas le produit du hasard. Un édifice religieux, un texte littéraire, une forme musicale ne sont séparables ni du contexte culturel qui les a vu naître, ni des intentions de ceux qui les ont créés.

Deuxième partie : Le sens de l’œuvre d’art n’est pas nécessairement extérieur à l’art lui-même

Au XIXe siècle, le courant dit de « l’art pour l’art » a revendiqué pour l’artiste une indépendance totale vis-à-vis de tout ce qui est étranger à l’art lui-même : la religion, la morale, la politique… Une bonne partie de l’art contemporain a rompu avec toute référence extérieure : tel est le cas de la peinture non figurative, dite « abstraite », ou des « performances ».

Conclusion

Il convient de faire la distinction entre le sens et la signification. L’œuvre d’art peut très bien ne pas avoir de signification, c’est-à-dire qu’elle peut très bien ne véhiculer aucun message. En revanche, elle fait toujours sens. Le sens, en effet, commence avec la simple relation qu’une conscience a avec un objet.

2e sujet : La politique échappe-t-elle à l’exigence de vérité ?

N’oubliez pas que vous êtes en train de rédiger une dissertation de philosophie, donc que vous faites un travail d’analyse et d’argumentation. On n’attend donc pas ici des complaintes sur les hommes politiques tous menteurs.

Introduction

La politique est un vaste domaine de l’activité humaine qui concerne l’organisation de la société. En ce sens, et cela est bien entendu plus marqué encore dans les régimes démocratiques, elle est l’affaire de tous, et pas seulement des « politiques », c’est-à-dire des responsables politiques.

La question des rapports entre l’action politique et l’exigence de vérité remonte pratiquement aux origines de la philosophie. Elle est particulièrement présente dans l’œuvre de Platon.

Les références historiques et philosophiques ne sont ni obligatoires ni attendues, mais elles sont hautement valorisées.

Première partie : L’hétérogénéité de la théorie et de la pratique

La vérité, qui est la qualité d’un discours conforme à la réalité, est une valeur pour la pensée et la connaissance. Elle est, par exemple, la valeur cardinale de la science. Mais elle n’est pas, du moins immédiatement, une valeur inhérente à la vie pratique (dont la politique fait partie). Parmi les valeurs inhérentes à la vie pratique, on peut citer la justice, l’utilité ou encore l’efficacité.

Platon, qui croyait à l’unité des valeurs idéales sous l’empire du Bien, ne dissociait pas la morale de la politique. Ainsi condamnait-il le mensonge (qui s’oppose à la valeur de vérité) comme injuste. Plus tard, Machiavel, qui, à l’opposé de Platon, dissociera la morale de la politique et donnera à la politique son indépendance, considérera en toute logique qu’un « prince », c’est-à-dire un chef d’État, peut et doit utiliser l’arme du mensonge dès lors que celle-ci est un moyen de pouvoir efficace. De fait, imagine-t-on des responsables politiques se priver, par devoir moral, d’une telle arme ?

Deuxième partie : La politique ne peut se passer de vérité

La politique dispose de bien d’autres moyens que le mensonge pour contrevenir à l’exigence de vérité : la dissimulation est le plus courant, mais il y a également la désinformation par la propagande, la diffamation, la diffusion des rumeurs, etc. La question est de savoir si une politique durable (c’est un critère d’efficacité, selon Machiavel) est possible dans ces conditions.

Le propre d’un régime démocratique est de contrevenir le moins possible à l’exigence de vérité. Il n’y a pas, en effet, de démocratie sans la sincérité et la franchise qui donnent son sens à la liberté d’opinion et de parole. Comme l’a fortement marqué Kant, le mensonge est une rupture du contrat social. Il contredit le principe d’égalité qui, avec celui de liberté, fonde la démocratie. Ce que l’on appelle aujourd’hui « transparence » est une exigence démocratique fondamentale.

Mais, à l’échelle de l’histoire, la démocratie est une exception, et le despotisme la règle. Tous les moyens sont bons pour acquérir et conserver le pouvoir, lequel ne fait pas bon ménage avec la vérité. Cela dit, un régime despotique, qui reposerait sur une pratique constante de mensonge, de dissimulation, et de trahison, pourrait d’un moment à l’autre être renversé. Comme Spinoza a été le premier à le remarquer, la démocratie n’est pas seulement le régime politique le plus rationnel, elle est aussi le régime le plus puissant.

Conclusion

Même si l’histoire passée nous montre que la politique a été très rarement scrupuleuse en matière de vérité, ce qu’elle nous montre également, c’est l’impossibilité d’un ordre politique qui serait exclusivement fondé sur la négation et l’absence de vérité. En ce sens, nous pouvons dire que la politique n’échappe pas à l’exigence de vérité.

3e sujet : Explication de texte


« Comment peut-on prévoir un événement dépourvu de toute cause ou de tout indice qui explique qu’il se produira ? Les éclipses du soleil et de la lune sont annoncées avec beaucoup d’années d’anticipation par ceux qui étudient à l’aide de calculs les mouvements des astres. De fait, ils annoncent ce que la loi naturelle réalisera. Du mouvement invariable de la lune, ils déduisent à quel moment la lune, à l’opposé du soleil, entre dans l’ombre de la terre, qui est un cône de ténèbres, de telle sorte qu’elle s’obscurcit nécessairement. Ils savent aussi quand la même lune, en passant sous le soleil et en s’intercalant entre lui et la terre, cache la lumière du soleil à nos yeux, et dans quel signe chaque planète se trouvera à tout moment, quelles seront le lever ou le coucher journaliers des différentes constellations. Tu vois quels sont les raisonnements effectués par ceux qui prédisent ces événements.

Ceux qui prédisent la découverte d’un trésor ou l’arrivée d’un héritage, sur quels indices se fondent-ils ? Ou bien, dans quelle loi naturelle se trouve-t-il que cela arrivera ? Et si ces faits et ceux du même genre sont soumis à pareille nécessité, quel est l’événement dont il faudra admettre qu’il arrive par accident ou par pur hasard ? En effet, rien n’est à ce point contraire à la régularité rationnelle que le hasard, au point que même un dieu ne possède pas à mes yeux le privilège de savoir ce qui se produira par hasard ou par accident. Car s’il le sait, l’événement arrivera certainement ; mais s’il se produit certainement, il n’y a plus de hasard ; or le hasard existe : par conséquent il n’y a pas de prévision d’événements fortuits ».

Cicéron, De la divination, Ier siècle avant J.-C.


La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question [avertissement figurant sur la feuille d’examen].

Introduction

Dans ce texte, Cicéron distingue deux ordres de réalités dans la nature : celles qui sont soumises à des lois nécessaires et qui, de ce fait, peuvent être l’objet de prévisions ; et celles qui ne sont dues qu’au hasard, et qui de ce fait sont imprévisibles.

Plus de deux mille ans nous séparent de ce texte. La question sera aussi de savoir dans quelle mesure les extraordinaires progrès que la science a connus depuis l’Antiquité ont confirmé ou, à l’inverse, infirmé, les analyses de Cicéron.

N’hésitez pas à aller rapidement au cœur du sujet, sans détour.

Première partie : Les événements qui arrivent nécessairement sont prévisibles

À la différence d’un « événement dépourvu de toute cause ou de tout indice », qui correspond, selon la définition de Cicéron, au hasard, un phénomène naturel comme une éclipse arrive nécessairement, car ses causes et ses effets sont bien répertoriés. La régularité des mécanismes naturels, exprimée sous la forme symbolique des lois scientifiques, légitimera ce que l’on appellera plus tard le principe du déterminisme.

Un certain nombre de candidats ont commis d’emblée un contresens en interprétant la première phrase du texte comme ce qui était illustré par l’exemple de l’éclipse, alors qu’au contraire cet événement a des causes et des indices.

Par ailleurs, dans ce texte, la « loi naturelle » a le sens d’ordre objectif et régulier de la nature, et non pas celui d’expression symbolique, élément du langage scientifique (comme le sont en astronomie les lois de Kepler).

Deuxième partie : Les événements aléatoires sont imprévisibles

Dans son traité consacré à la divination, d’où ce texte a été tiré, Cicéron veut montrer qu’à la différence des astronomes, capables de faire des prévisions fiables, les devins – qui examinent les entrailles des poulets ou le vol des corbeaux pour dire ce qui arrivera – ne disposent d’aucune cause et d’aucun indice objectif pour énoncer leurs prédictions. C’est toute la différence entre la prévision rationnelle et la prédiction qui ne l’est pas (une différence qui n’est plus marquée en français puisque, sous l’impact de l’anglais, on parle désormais de prédiction scientifique).

L’usage d’indiquer sur la feuille d’examen le titre de l’ouvrage dont l’extrait a été tiré peut servir aux candidats, qui ne le connaissent très probablement pas, à faire quelques déductions.

Cicéron définit le hasard par la contingence, c’est-à-dire par l’absence de nécessité. S’il arrivait qu’un dieu connût à l’avance un événement qui serait à nos yeux aléatoire, alors cela signifierait que cet événement n’est pas un hasard, mais une nécessité. Raisonnement remarquable : au début du XIXe siècle, le mathématicien et astronome Pierre-Simon de Laplace rédigera un Essai philosophique sur les probabilités dans lequel il exposera une fiction, désormais connue sous le nom de « démon de Laplace », pour exposer le principe d’un déterminisme absolu. Si une intelligence supérieure (un « démon ») connaissait la totalité des causes et de l’état de l’univers à l’instant présent, alors, dit Laplace, il pourrait prévoir, grâce aux mathématiques, l’état de l’univers à n’importe quel moment futur.

Troisième partie : Le hasard existe, mais il n’est pas imprévisible

Cette troisième partie n’est pas indispensable dès lors que la totalité du texte a été analysée. Mais si le candidat a suffisamment de connaissances pour une partie critique, alors il peut ajouter une partie.

Contrairement à ce que pensait Laplace, la nature physique n’est pas gouvernée par un déterminisme absolu. Il existe, aussi bien au niveau macroscopique (voir la théorie du chaos), qu’au niveau microscopique (voir la mécanique quantique), une multitude de hasards objectifs.

Par ailleurs, le hasard n’est pas, comme le définissait Cicéron « un événement dépourvu de toute cause et de tout indice » mais, bien à l’inverse, un événement qui a tellement de causes enchevêtrées que celles-ci ne sont pas déterminables à l’avance.

Enfin, avec la découverte du calcul des probabilités, à partir du XVIIe siècle, le hasard sera intégré dans la connaissance scientifique. Cela dit, on ne peut raisonnablement pas reprocher à Cicéron de n’avoir prévu ni la mécanique quantique, ni le calcul des probabilités !

Conclusion

L’opposition faite par Cicéron dans ce texte entre le discours rationnel de l’astronome et le discours irrationnel du devin garde aujourd’hui toute sa pertinence. On note que plus les événements auxquels sont confrontés les individus sont incertains ou menaçants, et plus ceux-ci sont tentés de recourir à la superstition.

Séries technologiques

1er sujet : La culture fait-elle l’homme ?

Le sujet ne peut être véritablement traité que par les candidats qui savent que la culture se définit par opposition à la nature.

Introduction

La culture est l’ensemble des productions humaines, matérielles comme les objets techniques et les œuvres d’art, ou immatérielles comme les idées, les croyances, les valeurs. Résultat du travail humain, la culture, qui est de l’ordre de l’acquis, s’oppose à la nature, qui est de l’ordre de l’inné.

Par ailleurs, la culture est ce qui spécifie, par rapport aux autres, une société ou une population. Ainsi parlons-nous de la culture indienne ou chinoise, de la culture française, etc.

L’homme n’échappe pas à ce travail de transformation. Source de la culture, par opposition aux animaux, il en est également le résultat.

Première partie : La culture fait l’homme

Nous constatons une extraordinaire diversité des sociétés humaines et des individus au sein de celles-ci. Si la culture ne faisait pas l’homme, c’est-à-dire si l’homme n’était qu’un animal génétiquement programmé, il devrait être toujours et partout le même. La diversité et le changement historique montrent que la culture fait l’homme en même temps que celui-ci la fait.

« L’homme fait l’histoire qui le fait », disait Marx.

Nulle part nous ne voyons l’homme vivre intégralement nu, se nourrir d’aliments crus, dormir par terre, se contenter des fruits de la nature que le hasard lui présente, chasser les animaux sans armes. Tout ce qui caractérise l’être humain (vêtements, ornements, cuisine, habitation, outillage technique) constitue l’ensemble que nous appelons « culture ».

Seconde partie : La part de la nature dans la constitution de l’homme

Une dissertation de philosophie comprend au moins deux parties.

Les sept milliards d’hommes qui peuplent la terre aujourd’hui appartiennent tous à l’espèce Homo sapiens, qui fait partie de la famille des Primates. Ni l’apparition de cette espèce, il y a quelque 160 000 ans, ni son évolution jusqu’à l’homme moderne ne sont le produit de la culture humaine. Les volontés et les désirs de l’homme n’y comptent pour rien.

Par ailleurs, si l’homme peut modifier son apparence, ce n’est pas lui qui a inventé sa physiologie et sa morphologie. Il n’a pas non plus imaginé les besoins de la faim, de la soif et du sommeil, ni la division sexuelle qui est source de désir. Il n’a pas non plus inventé la mort. Il n’a pas eu le choix entre vivre seul et vivre en société.

Conclusion

Certes, l’homme est un être de culture capable de se transformer lui-même et de transformer son milieu d’existence. Mais, comme disait Sartre, s’il n’y a pas une nature humaine qui serait permanente en tout temps et en tout lieu, il existe une condition humaine, qui représente la base à partir de laquelle le travail de la culture peut s’élaborer.

2e sujet : Peut-on être heureux sans être libre ?

Le sujet porte sur la relation, nécessaire ou pas (ce sera à vous de l’examiner) entre deux concepts, celui de bonheur et celui de liberté. Il ne faut donc pas, comme certains candidats l’ont fait, traiter du bonheur ou de la liberté indépendamment l’un de l’autre.

Introduction

Le bonheur est un état de contentement durable. La liberté est la faculté de pouvoir agir, penser et vivre selon sa volonté propre. La liberté est-elle indispensable pour être heureux ? Un individu qui n’est pas libre, qu’il soit esclave ou prisonnier, handicapé ou vivant dans un régime totalitaire, est-il forcément malheureux ?

En introduction, il faut définir les termes de la question et formuler celle-ci autrement.

Première partie : Le bonheur sans liberté est possible

Si l’on considère, comme le faisaient les épicuriens et les stoïciens dans l’Antiquité, que nos représentations dépendent de nous et que tout ce qui arrive de l’extérieur peut être traité par nous avec indifférence, alors, même dans les pires conditions, un individu peut être heureux grâce à la seule force de sa pensée.

Si le bonheur est complètement subjectif, s’il dépend du caractère personnel et de lui seul, alors on peut imaginer qu’un esclave ou un prisonnier peut être heureux. Dans Le Mythe de Sisyphe, Albert Camus disait : « On peut imaginer Sisyphe heureux ».

Rappelons que les citations et les références ne sont pas obligatoires, mais que lorsque le correcteur en rencontre dans une copie, il sent en lui monter une bienveillance extrême pour leur auteur.

Seconde partie : La liberté est une condition du bonheur

Dès lors que nous définissons la liberté non pas comme la simple possibilité abstraite mais comme la capacité concrète, c’est-à-dire comme la puissance d’agir (telle était la conception de Spinoza), alors il paraît très difficile d’envisager le bonheur dans la servitude, puisque celle-ci représente une impuissance objective. Un pauvre est moins libre que celui qui a de l’argent. Contrairement à une idée reçue, qui s’appuie sur des exceptions, les pauvres sont généralement moins heureux que les riches : les statistiques internationales montrent que c’est dans les pays économiquement les plus développés que les hommes se sentent le plus heureux.

Conclusion

Certes, il n’est pas impossible de se sentir heureux, même dans des conditions de dépendance ou de soumission. Mais cela ne peut concerner que des individualités d’exception (comme les sages de l’Antiquité). Pour la grande majorité des êtres humains, la liberté est une condition indispensable du bonheur.

En conclusion, n’hésitez pas à répondre clairement la question. Évitez les grandes envolées à l’infini des temps.

3e sujet : Explication de texte


« La règle par où nous nous conduisons communément en nos raisonnements, est que les objets dont nous n’avons pas l’expérience ressemblent à ceux dont nous l’avons ; que ce que nous avons vu être le plus ordinaire est toujours le plus probable ; et que, lorsqu’il y a opposition des arguments, nous devons donner la préférence à ceux qui se fondent sur le plus grand nombre d’observations passées. Mais quoique, en procédant selon cette règle, nous rejetions promptement tout fait insolite ou incroyable à un degré ordinaire, pourtant, en avançant davantage, l’esprit n’observe pas toujours la même règle : lorsque quelque chose est affirmé de suprêmement absurde et miraculeux, il admet d’autant plus promptement un tel fait, en raison de la circonstance même qui devrait en détruire l’autorité. La passion de surprise et d’émerveillement qui produit des miracles, étant une agréable émotion, produit une tendance sensible à croire aux événements d’où elle dérive ».

Hume, Enquête sur l’entendement humain, 1748.


Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d’abord étudié dans son ensemble [avertissement figurant sur la feuille d’examen].

Pauvres candidats technologiques ! Ce texte est sans doute le plus difficile des quatre séries. Certains mots (il y a beaucoup à parier que nombre de candidats ignorent le sens de « promptement » ou de « passion »), certaines tournures de phrases (les premières lignes sont propres à décourager toute bonne volonté), le raisonnement tortueux de Hume, tout rend la lecture de ce texte particulièrement ingrate.

1. Donner la thèse du texte et les étapes de son argumentation.

Hume qui, en tant que philosophe empiriste, considère que toutes nos idées viennent d’impressions sensibles, met en évidence un paradoxe du fonctionnement de l’esprit humain. Alors qu’il ne devrait accorder sa confiance qu’aux choses qu’il a lui-même observées, et à celles qui ont la plus grande probabilité d’exister, l’esprit est porté à croire à des miracles et à des absurdités, parce qu’il éprouve un réel plaisir à être surpris ou émerveillé. Du coup, cette agréable émotion subjective est prise, à tort, comme le signe de vérité de l’événement auquel on croit.

Le cheminement du texte est particulièrement complexe. Il peut se décomposer en cinq temps. 1. Les choses les plus banales sont les plus probables. 2. Le grand nombre d’observations passées rend la chose plausible (ainsi le fait qu’il y avait plus de gens à avoir vu un rhinocéros que de gens à avoir vu une licorne pouvait donner à penser que l’existence du rhinocéros était plus probable). 3. Normalement, nous devrions rejeter comme très improbables les choses extraordinaires (comme le fait de marcher sur l’eau). 4. Or nous constatons que nous admettons parfois comme réelles des choses extravagantes (le yeti, le monstre du Loch Ness, le triangle des Bermudes…). 5. Cette absence anormale d’esprit critique vient du plaisir que nous éprouvons à croire à de telles fantaisies.

2.a. Expliquer : « nous devons donner la préférence à ceux qui se fondent sur le plus grand nombre d’observations passées ».

En cas de conflit entre interprétations contraires (« opposition des arguments »), nous devons plutôt admettre celle qui repose sur le plus de faits dûment constatés. Par exemple, les arguments des négationnistes qui nient l’existence des génocides arménien et juif sont ridiculement faibles par rapport à l’abondance des traces matérielles et des témoignages. Et irrationnelle sera l’attitude de celui qui préférera l’a priori des négationnistes plutôt que les faits historiques.

b. Expliquer : « il admet d’autant plus promptement un tel fait, en raison de la circonstance même qui devrait en détruire l’autorité ».

Hume fait allusion aux religions et aux miracles. Nous pourrions aujourd’hui ajouter l’exemple de toutes les rumeurs qui circulent sur Internet, et des théories complotistes qu’il favorise. Pourquoi l’être humain croit-il à ces extravagances ? Précisément parce qu’elles échappent à la raison et aux autorités scientifiques. Hitler disait : la meilleure preuve de l’authenticité des Protocoles des sages de Sion (un faux antisémite concocté en Russie par la police du tsar), c’est que les juifs la contestent !

Sortez des généralités ! Fuyez les abstractions ! N’oubliez pas que les idées et les raisonnements philosophiques n’ont de valeur qu’appuyés sur des faits objectifs. Pensez donc à donner des exemples pour illustrer votre analyse et celle de l’auteur du texte.

3. La force d’une croyance se fonde-t-elle nécessairement sur l’expérience ?

La troisième question est un sujet de dissertation : il faut donc examiner les différentes réponses et argumentations possibles.

Une croyance peut être faible (croire à ou croire que) ou forte (croire en). L’expérience peut être subjective ou objective. La question posée met en jeu l’expérience subjective, c’est-à-dire les observations et le vécu personnels, plutôt que l’expérience objective, scientifique.

Logiquement, plus nombreux et réguliers sont les vécus et les observations, et plus la croyance dans les choses concernées devrait être intense. Ainsi fonctionne le bon sens populaire, avec sa psychologie de base, son savoir élémentaire des mécanismes physiques.

Or, nous observons, comme l’a fait Hume dans l’extrait ci-dessus, que nous croyons à une multitude de choses dont nous n’avons fait et dont nous ne ferons jamais l’expérience, dont nous n’avons pas été les témoins, et que ces croyances peuvent avoir la force de convictions. Bien davantage, moins nous sommes objectivement certains, et plus nous sommes portés à être convaincus. Comme si la force de notre adhésion compensait la faiblesse de ses motifs. La diffusion des rumeurs est une évidente illustration de ce mécanisme psychologique : beaucoup de gens y croient d’autant plus qu’on leur dit que ce sont des rumeurs auxquelles il ne faut pas croire.


1 « Appétit » : ce qui nous porte à désirer quelque chose [note figurant sur la feuille d’examen].