Dans ce chapitre :
Les
trois sujets corrigés du bac 2013 de chaque série
Pas
à pas, les erreurs à éviter et les bonnes choses à dire ou à faire
(en italique)
Il n’y a évidemment pas de corrigés de philosophie comme il y a des corrigés de mathématiques ou de géographie. Il y a beaucoup plus de façons de réussir que de manquer un devoir de philosophie. Ces corrigés ne sont donc pas des modèles, mais des exemples. Et puis n’oubliez pas que ce ne sont que des résumés.
Série L
1er sujet : Le langage n’est-il qu’un outil ?
Rappelons que
lorsqu’un sujet se présente sous la forme « ceci n’est-il que
cela ? », la réponse attendue à la question est forcément
négative. Mais puisqu’une dissertation comprend au moins deux
parties, il est nécessaire de commencer par la thèse « ceci
peut n’être que cela ».
Introduction
Le langage est un ensemble de signes, c’est-à-dire de moyens d’expression. Comme il existe une multitude de sortes de langages, nous allons d’abord traiter la question de manière très générale. Il nous est demandé si le langage peut être réduit à sa fonction instrumentale. Au cas où la réponse à cette question serait négative, il nous faudra chercher quelles sont les autres fonctions que le langage peut avoir.
Première partie : Le langage a une fonction utilitaire
Les signes dont le langage est fait – et qui peuvent être des cris et des chants (chez les animaux), des symboles, des signaux, des mots parlés et écrits, etc. – servent tous à communiquer un contenu déterminé, que ce soit une situation (un signal avertit d’un danger), ou bien une représentation mentale (c’est le cas de la parole humaine). Il n’y a pas de langage pour le langage comme il y a, par exemple, de l’art pour l’art.
Si la parole articulée, qui différencie le langage humain des langages animaux, est apparue à la suite de tout un ensemble de processus physiologiques liés à l’évolution, les spécialistes pensent que son développement est dû au fait que l’être humain vit nécessairement en société, et qu’il doit satisfaire un certain nombre de besoins.
Même lorsque le langage est cultivé pour lui-même, comme dans le cas de la poésie, du bavardage, ou des jeux de mots, il ne perd pas sa fonction de moyen pour transmettre quelque chose.
Deuxième partie : Le langage n’est jamais simplement un moyen
Si le langage n’était qu’un moyen, cela voudrait dire qu’il n’est rien d’autre qu’un ensemble d’informations. Cela est vrai du langage des abeilles : le sens de leur danse est entièrement lié à une information, une source de nectar. Cela est vrai aussi du langage des machines : ses signes ne sont pas autre chose que des moyens d’information et de communication.
En revanche, lorsque je parle avec un ami, je ne fais pas que lui apprendre un certain nombre de choses. Je parle pour le plaisir de parler, pour le plaisir de parler avec un ami. En ce cas, le langage n’est pas seulement un moyen. Certes, on pourra toujours dire que, dans ce cas, il est le moyen d’avoir le plaisir de parler avec un ami. Mais la question qui nous est posée contient le terme d’outil, qui est un terme technique. Le langage, quand il est véritablement humain, n’est jamais seulement un outil.
Conclusion
La différence que l’on fait parfois entre le sens et la signification peut nous servir à comprendre que le langage humain n’est pas seulement un outil. Reprenons l’exemple du langage des abeilles : il n’y a dans ce cas aucune différence entre le sens et la signification. En revanche, lorsque je parle avec un ami, ce que je dis a une signification (je parle de mes vacances, du dernier film que j’ai vu…), mais, au-delà de cela, il y a le sens d’être avec quelqu’un que j’aime, de lui manifester ma confiance, de lui témoigner mon affection.
C’est le propre du langage humain, tel qu’il s’exprime dans les langues nationales et dans les paroles individuelles, que de n’être jamais simplement un outil.
2e sujet : La science se limite-t-elle à constater les faits ?
Comme le sujet
précédent, celui-ci implique inévitablement une réponse négative.
La question pourrait, en effet, se poser sous la forme
suivante : « La science n’est-elle qu’un constat de
faits ? ». Il faudra, par conséquent, dans une seconde
partie, se demander ce que peut être la science, au-delà de
l’établissement des faits.
Introduction
Il est impératif, dans
l’introduction, de définir tous les termes de la question, et donc
le terme de « fait », même si son sens paraît
évident.
La science est un ensemble de disciplines qui ont pour objectif, grâce à la démonstration logique et à la preuve expérimentale, d’établir la réalité objective des choses. Cette réalité objective peut être traduite par le terme de « fait ». À la différence de nos idées, les faits ne dépendent pas de nos représentations. La question qui nous est posée revient donc à nous demander si la science peut avoir d’autres objectifs que celui de constater la réalité objective des choses.
Première partie : La science est une connaissance de la réalité objective
Depuis Platon, la philosophie oppose la science, qui est la connaissance de la réalité, et l’opinion (doxa) qui ne porte que sur les apparences. L’allégorie de la caverne dans La République illustre cette opposition : alors que les prisonniers restés dans la caverne sont prisonniers de l’opinion, le prisonnier libéré, qu’incarne Socrate, parvient à la lumière du jour, et prend connaissance du vrai monde.
Depuis ses origines, la science apparaît comme un effort pour se libérer des opinions et des préjugés, qui sont toujours faux ou illusoires. Par exemple, tous les peuples ont cru que la Terre était au centre du monde et que le Soleil tournait autour. Cela a représenté un progrès considérable lorsque, au XVIe siècle, Nicolas Copernic a substitué à ce modèle géocentrique un modèle héliocentrique. Alors que l’opinion exprime les désirs et les angoisses des hommes (ils sont, par exemple, la base même de l’astrologie), la science établit les faits, c’est-à-dire la réalité telle qu’elle est, indépendamment de nos désirs et de nos intérêts.
Deuxième partie : La science va au-delà du constat des faits
Le constat des faits est une condition nécessaire mais jamais suffisante de la science. Il ne représente qu’une étape dans la recherche. En effet, une fois que le fait est bien établi, il convient d’en connaître les causes : il ne suffit pas de constater que le feu consume le bois, il faut comprendre pourquoi. Il n’y aurait jamais eu de science médicale si la médecine s’était contentée de décrire les symptômes des maladies.
Dans les sciences humaines comme l’histoire, l’établissement des faits n’est lui aussi qu’une première étape dans la recherche. La Seconde Guerre mondiale a commencé le 1er septembre 1939. Voilà un fait. Mais la connaissance historique ne peut évidemment se contenter de cela. Elle doit interpréter les faits. Il en va de même dans les autres sciences humaines comme la psychologie ou la sociologie.
Pour ce sujet, les
deux parties précédentes suffiraient. Mais il est possible de
creuser la question plus profondément. En philosophie, il est
toujours possible de penser au-delà.
Troisième partie : La science construit des faits
« Constater un fait » suppose que le fait existe déjà à la manière d’une chose. Neptune est une planète du système solaire : voilà un fait reconnu au XIXe siècle. Mais les sciences contemporaines vont bien au-delà du constat.
Remarquons au préalable qu’il existe au moins une science pour laquelle l’idée de constater des faits ne s’applique pas : les mathématiques, car leurs objets idéaux ne sont pas de l’ordre du fait. Par ailleurs, les sciences expérimentales, qui traitent des objets naturels, ont largement dépassé, au XXe siècle, le stade de l’observation de la réalité objective. La physique et la biologie modernes ne se contentent pas d’observer des faits, elles en construisent. Les transuraniens (éléments plus lourds que l’uranium) et les organismes génétiquement modifiés ne sont pas des faits constatés, mais des productions de laboratoire.
Conclusion
Nous ne pouvons plus conserver l’idée naïve qu’un fait puisse être simplement constaté. Même lorsqu’il n’est pas produit en laboratoire, il est toujours l’objet d’une élaboration intellectuelle. Ainsi se justifie le paradoxe en forme de jeu de mots du mathématicien Henri Poincaré : « Les faits sont faits ».
Une citation bien
frappée en conclusion ne peut que susciter chez votre correcteur un
amour véritable.
3e sujet : Explication de texte
« Bien que chacun de nous soit une personne séparée des autres, et dont, par conséquent, les intérêts sont en quelque façon distincts de ceux du reste du monde, on doit toutefois penser qu’on ne saurait subsister seul, et qu’on est, en effet, l’une des parties de l’univers, et plus particulièrement encore l’une des parties de cette terre, l’une des parties de cet État, de cette société, de cette famille, à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa naissance. Et il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier ; toutefois avec mesure et discrétion, car on aurait tort de s’exposer à un grand mal, pour procurer seulement un petit bien à ses parents ou à son pays ; et si un homme vaut plus, à lui seul, que tout le reste de sa ville, il n’aurait pas raison de se vouloir perdre pour la sauver. Mais si on rapportait tout à soi-même, on ne craindrait pas de nuire beaucoup aux autres hommes, lorsqu’on croirait en retirer quelque petite commodité, et on n’aurait aucune vraie amitié, ni aucune fidélité, ni généralement aucune vertu ; au lieu qu’en se considérant comme une partie du public, on prend plaisir à faire du bien à tout le monde, et même on ne craint pas d’exposer sa vie pour le service d’autrui, lorsque l’occasion s’en présente ».
Descartes, Lettre à Élisabeth, 1645.
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question [avertissement figurant sur la feuille d’examen].
Ce texte remarquable
est écrit dans un style qui peut rendre la compréhension difficile
pour beaucoup de candidats. N’oubliez pas qu’il est normal de ne
pas comprendre tout tout de suite en philosophie. On pourrait
presque dire que c’est bon signe. Un texte comme celui-ci doit être
lu trois ou quatre fois.
Introduction
Descartes est connu pour le cogito, « je pense donc je suis », qui marque l’émergence du sujet moderne, auteur de sa pensée. On a beaucoup reproché à cette conception son « solipsisme », c’est-à-dire l’idée que le sujet humain pouvait se définir tout seul, indépendamment des autres.
Ce texte, qui a un contenu moral, montre que Descartes avait parfaitement conscience qu’un être humain ne se définit pas tout seul, dans la solitude de sa propre pensée.
Vous pouvez replacer la problématique du texte dans un
contexte historique, à condition de ne pas vous égarer. Il serait
ici totalement inutile de dire tout ce que vous savez de Descartes.
L’ensemble du travail doit être orienté par le sens même du
texte.
Première partie : L’être humain est une partie et non un tout
Les êtres humains apparaissent comme des individus (le mot d’origine latine signifie « indivisible » et traduit le grec « atome ») séparés les uns des autres : leurs corps sont distincts et leurs pensées cachées. En réalité, dit Descartes, ils ne sont que les parties de touts plus grands qu’elles : l’univers, qui comprend la totalité de l’être ; la société, qui est une partie de l’univers ; la famille, qui est une partie de la société. Contrairement à ce que suggère l’expression de self-made-man, aucun homme ne s’est fait tout seul, aucun homme ne s’est donné à lui-même la naissance et l’éducation.
Deuxième partie : Le tout vaut mieux que la partie
De la question de fait (l’individu n’est qu’une partie), Descartes passe à la question de droit, qui est une question morale : il faut préférer les intérêts du tout, dont on est une partie, à ceux de sa personne. L’égoïsme (au XVIIe siècle, on parlait plutôt d’amour-propre) est une faute morale née d’une illusion, celle d’être un tout autosuffisant. L’altruisme (le mot sera introduit plus tard au XIXe siècle dans la langue française, par Auguste Comte), opposé à l’égoïsme, est un ensemble de vertus où se reconnaissent la bienveillance, la bienfaisance, le dévouement, etc.
Le dévouement et la reconnaissance, néanmoins, ne peuvent aller jusqu’au sacrifice de soi, que Descartes condamne. Dans ce cas, en effet, la perte risque d’être plus forte que le gain. On songe aux comportements sacrificiels, dictés par des raisons religieuses ou politiques. Pour Descartes, la préservation de soi est un devoir moral.
Il n’en reste pas moins vrai que l’amour-propre (qui englobe l’égoïsme et le narcissisme) est moralement mauvais car, d’une part, il rend insensible au mal que l’on peut faire à autrui, et d’autre part, celui qui ne vit et n’agit que pour lui est incapable d’aucune vertu.
Expliquer un texte,
c’est le reprendre, et non pas le répéter, comme le fait la
paraphrase.
Conclusion
L’intérêt philosophique d’un texte ne réside pas nécessairement dans son caractère actuel. Mais, à une époque comme la nôtre marquée par un individualisme croissant, qui dérive volontiers dans ses formes les plus pathologiques (l’égoïsme, l’égocentrisme et le narcissisme), ce passage de la correspondance de Descartes résonne particulièrement. Ceux qui croient malin de mettre leur fortune à l’abri dans des paradis fiscaux pour échapper à l’impôt devraient le lire.
Série ES
1er sujet : Que devons-nous à l’État ?
À la différence de la
plupart des sujets de dissertation, celui-ci ne demande pas à
choisir entre deux options (oui ou non). La question est ouverte.
Il convient donc d’éviter les réponses aux extrêmes, qui sont les
plus simplistes (nous devons tout à l’État ; nous ne devons
rien à l’État).
Introduction
L’État est l’ensemble des instances d’administration d’une société. L’expression de « pouvoirs publics » a le même sens. Depuis Hegel, il est de tradition de définir l’État par opposition à la société civile et aux particuliers.
Lorsque l’on doit quelque chose à quelqu’un, cela signifie que l’on est son débiteur, que l’on a tiré parti d’un bienfait que l’on doit normalement rembourser d’une façon ou d’une autre. La première réponse extrême à la question – « nous devons tout à l’État » – peut être exclue d’emblée, seul un État totalitaire pourrait tout accorder mais en ce cas les individus, écrasés par lui, ne se diraient certainement pas ses débiteurs. L’autre réponse extrême – « nous ne devons rien à l’État » – semble également inenvisageable : tous les hommes dépendent de l’organisation d’un État, aucune société aujourd’hui ne s’est constituée sans lui.
Première partie : L’État assure la sécurité
Selon Hobbes, la première fonction de l’État est d’assurer la sécurité des biens et des personnes. C’est pour sortir de la violence de l’état de nature, où chacun est un loup pour l’homme, que les individus acceptent, par le contrat, de se soumettre au pouvoir de l’État qui les représente. La sécurité (qu’on a longtemps appelée « sûreté ») a été conçue comme un droit naturel. Sans elle, la vie bonne (pour reprendre l’expression d’Aristote) est impossible. Les individus tendent naturellement à l’égoïsme, seul un pouvoir supérieur, impartial, permet d’assurer leur coexistence pacifique. L’armée, qui est un organe de l’État, assure la sécurité des citoyens contre les agressions extérieures.
Deuxième partie : L’État organise la vie matérielle de la société
Même lorsqu’elles sont le résultat d’initiatives privées, les infrastructures ont besoin d’un plan d’ensemble, que seul l’État est en mesure de constituer. Il est pratiquement impossible à des individus isolés d’avoir une idée juste de l’intérêt général. Seul l’État peut se faire l’expression de l’intérêt général – ce qui ne signifie pas, bien évidemment, qu’il le fasse toujours.
Troisième partie : L’État accorde et garantit des droits
La sécurité, comme nous venons de le voir, est le premier droit. Mais il y en a bien d’autres. L’éducation, la santé, le travail, les ressources matérielles ont été garantis et organisés par les lois de l’État. En effet, même si elles sont efficaces et moralement bonnes, les initiatives privées sont toujours insuffisantes pour organiser l’ensemble d’une société qui regroupe un nombre considérable d’hommes. À grande échelle, la charité ne vaudra jamais la justice.
Conclusion
Remarquons pour finir que la question posée présuppose que l’État est de nature démocratique, soucieux de l’intérêt général. Or historiquement, ce cas de figure a été l’exception plutôt que la règle.
N’hésitez pas à
relever les présupposés de la question. Ne faites jamais comme si
elle allait de soi.
2e sujet : Interprète-t-on à défaut de connaître ?
Ce sujet difficile ne
peut être traité convenablement que par les candidats qui ont des
idées et des références précises sur les concepts d’interprétation
et de connaissance.
Introduction
L’interprétation est un travail intellectuel consistant à trouver ou à forger du sens. La connaissance est un travail intellectuel consistant à trouver ou à construire la vérité. Le problème qui nous est posé est celui de savoir si l’interprétation n’existe qu’en l’absence de connaissance possible, autrement dit s’il y a une incompatibilité entre la vérité et le sens.
Première partie : L’interprétation est une forme de connaissance
Qu’est-ce que connaître une œuvre d’art, un événement historique, un comportement humain, sinon les interpréter ? Inversement, interpréter, c’est connaître puisque c’est pénétrer son esprit au plus profond du phénomène.
Seconde partie : La dualité de la connaissance et de l’interprétation
Les sciences les plus rigoureuses, celles que les Anglo-Saxons appellent « hard sciences », « sciences dures », utilisent les moyens de la démonstration et de la preuve expérimentale pour établir la validité d’une hypothèse. La loi en physique est l’expression d’un rapport objectif entre des phénomènes naturels. La connaissance certaine en sciences fait l’économie de l’interprétation, elle n’en a pas besoin.
Le philosophe Wilhelm Dilthey a opposé deux types de sciences : les sciences de la nature, qui expliquent par les causes, et les « sciences de l’esprit » (on dira plus tard « sciences humaines ») qui comprennent par les raisons. La dualité de l’explication et de la compréhension recoupe celle de la connaissance objective et de l’interprétation. On appelle herméneutiques les sciences interprétatives. On ne comprend pas une œuvre d’art, un événement historique ou un comportement humain comme on explique une réaction chimique ou le mécanisme de la digestion.
Conclusion
De fait, c’est parce certaines réalités ne peuvent être l’objet d’une connaissance certaine qu’il y a matière à interprétation. Là où il y a certitude, il n’y a pas lieu d’interpréter. Le propre des phénomènes humains, qui excluent la certitude et impliquent l’interprétation, est d’être pourvus de sens. Or un sens ne se saisit pas de la même manière qu’une réalité naturelle. C’est la raison pour laquelle, par exemple, il n’y a pas une science de l’art ou du beau (l’esthétique) comme il y a une science des corps physiques ou du vivant.
3e sujet : Explication de texte
« Prenons maintenant un exemple où apparaissent une volonté droite, c’est-à-dire juste, la liberté du choix et le choix lui-même ; et aussi la façon dont la volonté droite, tentée d’abandonner la rectitude, la conserve par un libre choix. Quelqu’un veut du fond du cœur servir la vérité parce qu’il comprend qu’il est droit d’aimer la vérité. Cette personne a, certes, la volonté droite et la rectitude de la volonté ; mais la volonté est une chose, la rectitude qui la rend droite en est une autre. Arrive une autre personne la menaçant de mort si elle ne ment. Voyons maintenant le choix qui se présente de sacrifier la vie pour la rectitude de la volonté ou la rectitude pour la vie. Ce choix, qu’on peut aussi appeler jugement, est libre, puisque la raison qui perçoit la rectitude enseigne que cette rectitude doit être observée par amour de la rectitude elle-même, et que tout ce qui est allégué pour son abandon doit être méprisé et que c’est à la volonté de repousser et de choisir selon les données de l’intelligence rationnelle ; c’est dans ce but principalement, en effet, qu’ont été données à la créature raisonnable la volonté et la raison. C’est pourquoi ce choix de la volonté pour abandonner cette rectitude n’est soumis à aucune nécessité bien qu’il soit combattu par la difficulté née de la pensée de la mort. Quoi qu’il soit nécessaire, en effet, d’abandonner soit la vie, soit la rectitude, aucune nécessité ne détermine cependant ce qui est conservé ou abandonné. La seule volonté détermine ici ce qui est gardé et la force de la nécessité ne fait rien là où le seul choix de la volonté opère ».
Saint Anselme, De la concorde.
En choisissant un tel
texte, incompréhensible pour un élève normalement constitué, les
membres du jury ont probablement voulu que les candidats fassent
une dissertation. Il est précisé, à l’adresse des candidats, que la
connaissance d’un auteur n’est pas requise pour expliquer un texte.
Or, sans un minimum de connaissances en philosophie médiévale
(saint Anselme est un auteur du Moyen Âge), cet extrait est
incompréhensible.
Introduction
Le texte traite de la question de la volonté et de la liberté. Philosophe chrétien, saint Anselme pense que la volonté libre et rationnelle est un don fait par Dieu à l’homme, sa créature.
Première partie : La rectitude de la volonté
La volonté est la capacité d’agir qui, en tant que simple potentialité, peut aller en des sens contraires. On peut dire la vérité, mais aussi mentir (à la différence de l’erreur, il n’y a pas de mensonge sans volonté de mentir), on peut aider son voisin, mais également lui faire du mal.
Ce que saint Anselme appelle la rectitude de la volonté, c’est la qualité d’une volonté droite, c’est-à-dire qui va dans le sens du bien et de la vérité. La volonté peut perdre sa rectitude. Ainsi, dans l’expérience de la tentation, dont on connaît l’importance pour la réflexion morale chrétienne, la volonté hésite entre deux possibilités : celle de garder et celle d’abandonner sa rectitude.
Deuxième partie : Rien ne peut supprimer la volonté
Saint Anselme imagine une situation de dilemme : quelqu’un menace de mort une personne si elle n’accepte pas de mentir. C’est ainsi qu’on contraint parfois des personnes à porter un faux témoignage ou à dissimuler ce dont elles ont été le témoin.
Une analyse
philosophique est la plupart du temps abstraite, parce que située
au niveau des généralités. N’hésitez pas à illustrer la pensée de
l’auteur par des exemples concrets.
Le dilemme est une situation de contrainte objective parce que les deux termes de l’alternative semblent également désastreux. Mais il est très rare que les inconvénients soient identiques en tous points aux yeux de celui qui doit faire un choix. « La bourse ou la vie » : la plupart du temps, on préférera perdre son argent plutôt que sa vie. La thèse défendue par saint Anselme est que, même dans une situation de dilemme, où la nécessité l’emporte, parce que l’un des termes semble préférable à l’autre, l’être humain dispose toujours de la liberté de choisir l’autre terme. Ainsi, même menacé de mort, l’homme peut préférer la vérité à la conservation de sa vie. Cela a été l’attitude de bien des martyrs qui ont préféré mourir plutôt que d’abjurer leur foi.
Conclusion
La question de la liberté a été l’une des plus controversées dans la pensée théologique, et pas seulement chrétienne (on trouve des débats semblables dans le judaïsme et l’islam). D’un côté, en tant que créature de Dieu, faible et limitée, soumise à lui, l’homme n’a pas réellement de volonté propre, sa liberté est illusoire. Mais d’un autre côté, l’homme n’est pas un animal dépendant de ses seuls besoins, il est un être raisonnable, capable du bien et du mal. S’il était lié aux seules nécessités naturelles, on ne pourrait ni juger ni sanctionner ses actes. C’est pourquoi la plupart des théologiens ont affirmé l’existence nécessaire de la liberté chez l’homme.
Série S
1er sujet : Peut-on agir moralement sans s’intéresser à la politique ?
Un sujet
particulièrement retors. L’expression « s’intéresser à la
politique » est vague, elle renvoie à des situations
difficilement conceptualisables. En fait, la question est idiote,
mais il ne faut surtout pas le dire. Le présupposé des sujets d’examen, c’est qu’ils sont toujours
intelligents. C’est la part de jeu de l’examen : il faut jouer
le jeu.
(derechef, comme eût
dit Descartes) Prenez garde au hors sujet : il ne s’agit pas
de savoir si la politique et la morale sont compatibles. Beaucoup
de candidats n’ont pas résisté à la tentation du
hors-sujet.
Introduction
On agit moralement lorsque l’intention de notre action est droite, et lorsque sa finalité est bonne. S’intéresser à la politique ne signifie pas mener une action politique, ni s’engager politiquement mais, plus modestement, manifester une attention particulière aux affaires politiques. On dira de quelqu’un qui s’informe quotidiennement par les médias ou qui a régulièrement des conversations à contenu politique avec d’autres personnes, qu’il s’intéresse à la politique.
Première partie : La moralité n’a pas besoin de politique
La moralité d’une action concerne d’abord l’agent et ceux que cette action implique. Elle semble ainsi être cantonnée dans la sphère privée. Lorsque c’est la sphère publique qui est en jeu ou en cause, alors ce n’est plus la morale qui fournit les critères de valeur pour le jugement, mais le droit.
Ainsi peut-on agir moralement, c’est-à-dire en faveur du bien d’autrui, et être totalement détaché des questions politiques. Un abstentionniste n’est pas moralement moins bon qu’un citoyen qui participe à toutes les élections. On peut respecter scrupuleusement les impératifs moraux sans pour cela avoir un quelconque intérêt pour les questions politiques.
Seconde partie : La nécessité de la politique pour la morale
Cela dit, dans la mesure où nous vivons nécessairement en société, où la société est nécessairement organisée sur le plan politique, il paraît difficile, sinon impossible de ne faire aucun cas de la politique dans notre action. Ainsi les personnes bénévoles qui s’engagent dans des actions caritatives en faveur des plus démunis, et en qui nous reconnaissons des exemples convaincants d’action morale, doivent normalement finir par se poser des questions de type politique.
Conclusion
On peut agir moralement sans s’intéresser à la politique, mais alors il semble que la qualité morale de l’action perd en extension et en intensité. L’intérêt manifesté envers les questions politiques contribue à renforcer la profondeur morale d’une action.
2e sujet : Le travail permet-il de prendre conscience de soi ?
Enfin un sujet clair,
sans ruse ni piège. Mais attention à son apparente facilité. Ici la
difficulté tient aux arguments de l’antithèse : il faut
trouver des cas où le travail est antinomique avec la conscience de
soi.
Introduction
Le travail est l’ensemble des activités productrices grâce auxquelles l’être humain transforme son environnement ainsi que son être propre. « Prendre conscience de soi » suppose que la faculté de savoir qui l’on est, de connaître celui que l’on est, n’est pas une donnée innée, mais le résultat d’un processus, d’une activité.
Première partie : Le travail aliénant
L’étymologie du mot « travail » renvoie à l’idée de souffrance extrême. Le travail est une nécessité vitale pour l’homme. Presque toujours il est pénible, harassant, abrutissant. Ce caractère est aux antipodes de la conscience. On s’oublie dans le travail, comment pourrait-on s’y reconnaître ?
À cette aliénation naturelle s’ajoute l’aliénation d’origine sociale. La division du travail a toujours signifié une inégalité dans le travail. Dans l’Antiquité, le travail était l’affaire des esclaves, dans les temps modernes, la grande majorité des gens effectuent les travaux à la fois les plus ingrats, les plus pénibles et les moins bien rémunérés. Comme l’observait Karl Marx, c’est en dehors du travail que le travailleur se retrouve, en dehors du travail qu’il est libre.
Seconde partie : Le travail comme condition de la conscience de soi
Dans un fameux passage de La Phénoménologie de l’Esprit, connu sous le nom de « dialectique du maître et de l’esclave », Hegel montre comment l’esclave, profondément aliéné dans son travail, trouve pourtant en lui la condition de sa libération. Maintenu à distance de la satisfaction immédiate de ses besoins, l’esclave acquiert une maîtrise dont le maître est lui-même dépourvu. Lorsqu’il prend conscience que le maître dépend de lui, le moment de la révolte est arrivé. En se connaissant comme esclave, l’esclave montre du même coup qu’il ne l’est plus.
Le « soi » de la conscience de soi n’est pas une nature donnée au départ, mais le résultat fragile, contradictoire, toujours en devenir, d’un processus dont on peut dire qu’il est lui-même un véritable travail. Ce n’est pas par le cogito, mais par l’action, donc par le travail que l’être humain prend conscience de lui-même, disait Fichte. Inversement, on voit bien comment l’absence de travail, que ce soit sous la forme de l’oisiveté ou du chômage, loin de contribuer à la prise de conscience de soi-même, engloutit dans une espèce de brouillard.
Conclusion
Ainsi une réponse affirmative à la question posée paraît inévitable. Le travail n’est pas la seule condition d’une prise de conscience de soi (l’amour peut l’être également, le deuil aussi), mais il est, indéniablement, l’une de ses conditions.
3e sujet : Explication de texte
« Qu’est-ce qu’un jugement vrai ? Nous appelons vraie l’affirmation qui concorde avec la réalité. Mais en quoi peut consister cette concordance ? Nous aimons à y voir quelque chose comme la ressemblance du portrait au modèle : l’affirmation vraie serait celle qui copierait la réalité. Réfléchissons-y cependant : nous verrons que c’est seulement dans des cas rares, exceptionnels, que cette définition du vrai trouve son application. Ce qui est réel, c’est tel ou tel fait déterminé s’accomplissant en tel ou tel point de l’espace et du temps, c’est du singulier, c’est du changeant. Au contraire, la plupart de nos affirmations sont générales et impliquent une certaine stabilité de leur objet. Prenons une vérité aussi voisine que possible de l’expérience, celle-ci par exemple : “La chaleur dilate les corps”. De quoi pourrait-elle bien être la copie ? Il est possible, en un certain sens, de copier la dilatation d’un corps déterminé à des moments déterminés, en la photographiant dans ses diverses phrases. Même, par métaphore, je puis encore dire que l’affirmation “cette barre de fer se dilate” est la copie de ce qui se passe quand j’assiste à la dilatation de la barre de fer. Mais une vérité qui s’applique à tous les corps, sans concerner spécialement aucun de ceux que j’ai vus, ne copie rien, ne reproduit rien. »
Bergson, La pensée et le mouvant
Introduction
Dans ce texte, Bergson critique la conception classique de la vérité comme image de, adéquation ou correspondance à la réalité. Selon le philosophe, cette théorie n’est pas fausse, mais ne s’applique qu’aux cas les plus rares.
Première partie : La théorie de la vérité-correspondance
L’idée selon laquelle la vérité est l’imitation de la réalité est non seulement très ancienne en philosophie, mais elle est partagée par l’opinion. Cette imitation est censée être si parfaite que, dans la langue courante, « vrai » et « réel » sont interchangeables. Ainsi dit-on « un vrai Delacroix » pour dire un tableau réellement peint par Delacroix. Un philosophe juif du Moyen Âge, Isaac Israëli, a donné à cette idée son expression canonique en définissant la vérité comme l’adéquation de l’intellect (de la pensée) et de la chose.
Deuxième partie : La critique bergsonienne de cette théorie
Bergson interroge et critique cette évidence : que voulons-nous dire lorsque nous disons que la vérité est l’image de la réalité ? Que signifie cette « ressemblance » impliquée dans les termes d’image, d’adéquation ou de correspondance ?
Pour Bergson, cette « ressemblance » n’existe que dans les cas les plus rares. Ainsi l’énoncé : « Le ciel est bleu », est vrai dès lors que le substantif « ciel » et l’adjectif « bleu » correspondent à des réalités bien définies (le ciel, la couleur bleue) : à un mot correspond une chose, et une seule.
Or, remarque Bergson, la « réalité » n’entre presque jamais dans le carcan des concepts et des jugements universels. Ce qui la caractérise en effet, c’est d’être singulière (unique), et changeante (jamais identique). Il existe, par conséquent, une hétérogénéité fondamentale entre les choses et les mots qui les désignent. L’idée de vérité-ressemblance suppose que le langage est une peinture de la réalité. Or un mot n’est jamais une image, c’est une convention à valeur symbolique. Une loi physique n’est pas la représentation d’une réalité physique, mais une expression.
Conclusion
Dans ce texte, Bergson procède à un critique convaincante d’une illusion commune au sujet de la vérité. La vérité est la qualité de certains énoncés, dès lors que ceux-ci obéissent à certains critères. Elle appartient par conséquent au domaine du langage, ou du symbolique. Comme elle n’est pas située sur le même plan que la réalité des choses, elle ne peut pas plus en être l’image qu’une musique peut être une peinture.
Séries technologiques
1er sujet : Être libre, est-ce n’obéir à aucune loi ?
La façon dont la
question est posée invite le candidat à répondre évidemment non.
Rappelons encore et toujours que la valeur de la dissertation
philosophique ne tient pas à la réponse qu’elle donne à la
question, mais à la manière dont elle le fait. Il faut, par
conséquent, trouver des arguments des deux côtés.
Introduction
La liberté est la capacité à agir selon sa volonté propre, indépendamment des contraintes extérieures. Les lois sont la forme la plus connue de ces contraintes. Elles peuvent être naturelles, ce sont les lois physiques ; elles peuvent être humaines, ce sont les lois sociales. La question qui nous est posée est celle de savoir si la liberté peut être confondue avec une totale indépendance vis-à-vis des lois.
Première partie : La liberté est une indépendance vis-à-vis des lois
Puisque la liberté est, en première analyse, une absence de contrainte, et que la loi, qu’elle soit naturelle ou physique, est une contrainte, il est logique de conclure qu’être libre, c’est n’obéir à aucune loi.
D’une part, ceux qui sont totalement soumis aux lois (poussés par la nécessité du besoin ou bien emprisonnés par les règles de la société) sont asservis, et non pas libres. Par ailleurs, toutes les grandes avancées historiques de la liberté se sont faites ou bien contre les lois de la nature (des moyens de transport à la contraception, on pourrait citer toutes les techniques), ou bien contre les lois de la société (les révoltes et les révolutions sont des grands mouvements de désobéissance aux lois).
Seconde partie : Il n’y a pas de liberté sans loi
Pour montrer qu’il n’y a pas de liberté sans loi, Emmanuel Kant prenait l’exemple d’une colombe qui s’imaginait, puisqu’elle sentait la résistance de l’air contre ses plumes, qu’elle volerait bien mieux sans lui. Comme elle n’a pas de connaissances particulières en physique, la colombe ne sait pas que ce qu’elle éprouve comme un obstacle est, en réalité, une condition favorable. Sans l’air, non seulement la colombe ne volerait pas mieux, mais elle ne volerait pas du tout.
Les
références aux philosophes ne sont évidemment pas obligatoires.
Mais si leur absence ne pénalise pas leur candidat, elles
impressionneront toujours favorablement le correcteur.
D’une part, nous ne pouvons échapper ni aux lois physiques, ni aux lois sociales. Mais nous pouvons agir en connaissant les premières et en transformant les secondes. Être libre, c’est obéir aux lois que l’on a choisies soi-même, ou que l’on accepte. Le joueur se sent complètement libre, et pourtant il obéit à des règles contraignantes. Mais il sait que sans ces règles, le jeu n’est pas possible.
Conclusion
N’obéir à aucune loi est un rêve, un fantasme, une illusion. La liberté est une capacité concrète à agir dans le réel, elle ne doit pas être confondue avec la licence.
2e sujet : La diversité des cultures sépare-t-elle les hommes ?
C’est un sujet que
l’on peut dire d’actualité. Mais n’oubliez pas que vous devez faire
un travail de philosophie et que, par conséquent, on vous demande
de dépasser le stade des réactions et des opinions
premières.
Introduction
En français, le sens du terme « culture » peut être équivalent à celui de « civilisation ». Il désigne l’ensemble des valeurs, des croyances et des productions propres à un peuple. Ainsi parle-t-on de culture chinoise, de culture arabe, de culture américaine, etc. Les cultures ont été nombreuses dans l’histoire. Même la mondialisation, qui tend à une uniformisation entre les modes de vie et de pensée, n’a pas complètement aboli la diversité des cultures.
La question qui nous est posée revient à savoir si cette diversité contribue à l’incompréhension entre les hommes, et à un sentiment d’étrangeté.
Même si leur sens
paraît évident, le sens de la question et celui de ses termes
doivent être impérativement donnés en introduction.
Première partie : La diversité des cultures sépare les hommes
Une culture est comme un monde en soi. Elle détermine une manière de voir et de penser, de vivre, d’aimer, de fabriquer, de s’habiller, etc. Cette diversité a frappé les hommes depuis toujours. Comment se fait-il que « les autres » ne soient pas « comme nous » ? Ne parlent pas la même langue ? Ne mangent pas la même nourriture ? L’incompréhension suscite la peur, et la peur débouche volontiers sur la violence. Les Grecs appelaient « barbares » tous les peuples qui n’étaient pas grecs.
Seconde partie : La diversité des cultures constitue la communauté humaine
Les rapports entre les différentes cultures n’ont pas toujours été des rapports de conquête et de guerre. Il y a, dans l’histoire passée, bien des exemples d’influences fécondes et d’échanges pacifiques. C’est justement parce que l’autre n’est pas comme moi, qu’il a des choses que je n’ai pas, que je peux désirer entrer en contact avec lui et m’enrichir de ses richesses.
Imaginons une histoire humaine occupée par une culture unique, sur toute la surface de la Terre. C’est alors, probablement, que la concurrence se serait exacerbée en hostilité de chacun contre tous. Si l’autre n’est pas différent de moi, qu’est-ce que je pourrais gagner à son contact ?
Conclusion
Certes, la diversité des cultures semble séparer les hommes. Mais la communauté humaine n’est pas comme un troupeau constitué d’individus interchangeables. C’est précisément parce que les cultures sont diverses que les hommes peuvent entretenir des échanges profitables à tous.
3e sujet : Explication de texte
« Il n’y a presque rien qui n’ait été dit par l’un, et dont le contraire n’ait été affirmé par quelque autre. Et il ne serait d’aucun profit de compter les voix, pour suivre l’opinion qui a le plus de répondants1 : car, lorsqu’il s’agit d’une question difficile, il est plus vraisemblable qu’il s’en soit trouvé peu, et non beaucoup, pour découvrir la vérité à son sujet. Mais quand bien même2 ils seraient tous d’accord, leur enseignement ne serait pas encore suffisant : car jamais, par exemple, nous ne deviendrons mathématiciens, même en connaissant par cœur toutes les démonstrations des autres, si notre esprit n’est pas en même temps capable de résoudre n’importe quel problème ; et nous ne deviendrons jamais philosophes, si nous avons lu tous les raisonnements de Platon et d’Aristote, et que nous sommes incapables de porter un jugement assuré sur les sujets qu’on nous propose ; dans ce cas, en effet, ce ne sont point des sciences que nous aurions apprises, semble-t-il, mais de l’histoire ».
Descartes, Règles pour la direction de l’esprit.
Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d’abord étudié dans son ensemble (Avertissement figurant sur la feuille d’examen).
Encore une fois, on
aura supposé aux élèves de terminales technologiques des
connaissances que bien peu d’entre eux peuvent avoir. Ne choisissez
pas le texte par défaut (lorsque les deux sujets de dissertation
vous paraissent trop difficiles). Il est plus facile d’être
catastrophique sur un texte que sur un sujet de
dissertation.
1. Formulez la thèse de ce texte et montrez comment elle est établie
Dans cet extrait, Descartes traite de la question de la vérité, et de la certitude que l’on peut avoir. À la différence de la conviction, en effet, qui peut être illusoire, la certitude est la claire conscience de posséder la vérité.
Or, sur n’importe quel sujet, les idées contraires s’affrontent. Les sceptiques tirent argument de ces oppositions pour en conclure que la vérité n’existe pas. Tel n’est pas le point de vue de Descartes. Mais lorsqu’il y a une controverse sur un sujet, quel parti prendre ? Celui de la majorité ? Beaucoup de gens, en effet, sont sensibles à l’argument du plus grand nombre : ils pensent qu’un point de vue qui recueille un large assentiment a plus de chances d’être vrai qu’un point de vue contraire. Descartes rappelle que le consensus n’est jamais une preuve de vérité, car il peut arriver que tout le monde se trompe sur une question. Ainsi, pendant des siècles, tous les hommes ont cru que le Soleil tournait autour de la Terre.
En même temps que l’argument du plus grand nombre et l’argument du consensus, c’est l’argument d’autorité que conteste Descartes dans cet extrait. Platon et Aristote ont beau être des grands génies de la pensée, ils ne sont pas des garants de vérité. Et celui qui connaîtrait parfaitement leurs idées serait encore bien éloigné de la vérité, car celle-ci est d’abord l’exercice et le produit d’une pensée personnelle.
2. a) Expliquez : « Il ne serait d’aucun profit de compter les voix, pour suivre l’opinion qui a le plus de répondants »
Ce n’est pas parce qu’une opinion a plus de soutiens qu’une autre qu’elle est plus crédible ou véridique. Il est arrivé très souvent, dans l’histoire, qu’un individu ait eu raison seul contre tous, et que les grandes théories novatrices, comme la théorie de l’évolution ou la théorie de la relativité, aient suscité au début de l’incompréhension et de l’hostilité.
b) En vous appuyant sur les exemples des mathématiciens et des philosophes, expliquez pourquoi : « Mais quand bien même ils seraient tous d’accord, leur enseignement ne serait pas encore suffisant ».
Sur certaines questions, il n’y a jamais eu unanimité parmi les mathématiciens, et encore moins parmi les philosophes. Descartes dit : même s’il y avait eu unanimité, cela ne suffirait pas pour établir la vérité. Les philosophes et les mathématiciens, en effet, sont tous fils de leur temps. Ils peuvent donc être tous sourds ou aveugles à certaines choses. Ainsi, jusqu’au XIXe siècle, tous les mathématiciens ont-ils cru au caractère véridique des axiomes, sous prétexte qu’ils étaient évidents, et ils croyaient que la géométrie euclidienne était la seule géométrie possible.
Par ailleurs, « être dans le vrai », ne signifie pas apprendre et répéter mécaniquement les découvertes faites par les autres, mais comprendre, c’est-à-dire assumer, en soi-même, l’idée vraie.
3. Juger par soi-même, est-ce le seul moyen de découvrir ce qui est vrai ?
Rappelons que la
troisième question est un véritable sujet de dissertation et que le
correcteur attend une introduction, un développement en plusieurs
parties, et une conclusion.
Juger par soi-même signifie penser indépendamment de toute autorité et de toute contrainte extérieure, argumenter avec ses idées propres, faire confiance à sa propre raison. La question posée est celle de savoir si la découverte de la vérité a pour condition unique le jugement personnel.
Découvrir ce qui est vrai suppose que l’on reconnaisse la vérité. Or cette démarche ne peut être accomplie que par un sujet pensant personnel. Tel est le sens profond de la fameuse phrase de Descartes : « Je pense donc je suis ». Personne ne peut penser ni savoir à ma place.
Maintenant, je ne peux pas tout tirer de moi-même, de mon propre fonds seulement. Pour juger, je suis bien contraint de me servir d’informations qui me viennent de l’extérieur. C’est même un grand travers pour le jugement que de ne pas tenir compte de ses sources. Bien des erreurs et bien des illusions sont nées de ce désir orgueilleux de ne juger que par soi-même.
En conclusion, nous pouvons dire que le jugement fondé en raison est à la fois un jugement authentiquement personnel mais alimenté aussi par une matière qui vient nécessairement des autres et du monde extérieur.