CHAPITRE PREMIER
Le fer entrait dans sa chair. Il s’appelait Lorin, et on l’avait entraîné dans l’abdomen d’une libellule de métal qui ne volait pas comme les oiseaux.
Les côtes du ventre métallique entraient dans l’échine du garçon. À chaque fois qu’il changeait de position, un Vangkana au crâne rasé lui assénait un coup de matraque. Des hématomes marbraient de violet sa peau dorée.
Sa djellaba de lichen tanné, déchirée dans l’action, laissait voir des muscles longs, noués sur une charpente anguleuse. On pouvait lui donner vingt ans. En réalité, il comptait quatre hivers de moins. L’inquiétude altérait ses traits. Son visage se différenciait de celui de ses compagnons par la noirceur de ses cheveux, des yeux symétriquement écartés aux cils féminins, et un nez presque plat.
En cet instant, il ne pensait pas à la souffrance qui fouaillait son dos, ni à ses compagnons de captivité. Il pensait à Soheil. Quelque part, en bas.
Depuis trois saisons, Lorin et Soheil vivaient ensemble dans un village côtier, Dao. Ils avaient été recueillis par les habitants, après avoir quitté leurs clans respectifs, de l’autre côté de Felya, pour traverser le grand désert de pierre de la Carapace. C’était là que, malgré leurs différences et peut-être à cause d’elles, ils s’étaient unis(1). Et depuis ce temps, les yeux multicolores de la jeune fille ne brillaient que pour lui.
Son ventre commençait à s’arrondir, quand une nuée de libellules de fer s’était abattue sur le village. Lorin n’avait eu que le temps de secouer Soheil pour la jeter hors de la hutte.
Fraad et Lossheb montaient sur l’horizon chargé de nuages de laine sale. Les rayons du grand dieu rouge se mêlaient à ceux du soleil jaune, irisant les gouttelettes de rosée sur l’herbe mauve. Plus tard, Lorin apprendrait qu’ils étaient une étoile double, et Felya une boule de terre qui tournait autour en 402 jours 3/4 selon une courbe compliquée, en forme de poire.
« — Cours, Soheil ! avait-il crié, tandis que les insectes géants décrivaient des cercles au-dessus de la place. Pars dans le désert de pierre, rejoins n’importe quel clan. Je reviendrai dès que possible. »
Il avait lâché ses épaules. De la poussière se soulevait autour d’eux.
« — Cours ! »
Il avait galopé au milieu du troupeau d’oiseaux-vaches qui piétinaient leurs petits dans leur affolement, agitant les bras pour attirer l’attention. Les patins des machines volantes avaient raclé le sol, leurs ventres creux avaient crevé pour vomir une multitude de Vangkanas au crâne rasé, habillés de noir et de vert, qui criaient en cadence.
Un Vangkana plus gros que les autres portait un objet ressemblant à une conque. Quand il parlait, ses mots sonnaient fort, plus fort même que le vrombissement des libellules.
« — Pas de panique ! Ceci est une opération d’évacuation, selon les prescriptions légales d’exploitation du territoire. Vous allez être déplacés dans une autre région. Jetez vos lances à terre, tout de suite, ou bien nous utiliserons nos grenades paralysantes. »
Il répéta le message plusieurs fois de suite. Des Vangkanas pénétraient dans les huttes, sortaient des enfants par le cou, des femmes par les cheveux.
Lorin n’avait que sa djellaba, battant dans le vent des libellules. Un Vangkana sanglé dans un uniforme noir et vert stoppa devant lui et pointa un doigt sur sa poitrine.
— Toi, où est ta lance ?
Lorin montra ses mains nues. L’autre lui ordonna de se mettre à genoux. Lorin obéit. L’homme ricana.
— Tu apprends vite, mon gars. Tu veux pas d’ennuis, hein ? Moi non plus. À genoux !
Lorin sentit un contact froid à travers l’étoffe, contre l’omoplate gauche. Un sifflement, une douleur. Il porta la main à son cou.
— Après ce que je t’ai injecté, reprit le Vangkana, tu te tiendras tranquille de toute façon.
L’instant d’après, il avait disparu. Lorin voulut se remettre debout. Il dut s’y reprendre à plusieurs fois. Ses jambes avaient subitement pris la mollesse de la cire d’élardier. Des silhouettes floues couraient autour de lui, passaient à travers lui. Soheil était-elle en sûreté ? Il ne la voyait pas. Les sons aussi se diluaient. Des bulles envahissaient son esprit, faisaient éclater ses pensées.
Une voix toute proche l’assourdit :
— Celui-là est à moi.
Un Vangkana (le même qui lui avait parlé, tout à l’heure ? leurs uniformes et leurs visages carrés se ressemblaient tous) l’empoigna sans ménagement, et traça une croix écarlate sur le dos de sa main à l’aide d’un gros feutre. Lorin fut enfourné trébuchant dans la gueule noire, toute en angles de fer, d’une libellule. Une trentaine de villageois s’y entassaient, accroupis contre les parois. Pas de femme, uniquement des hommes et des jeunes. Six Vangkanas debout, armés de bâtons gainés de caoutchouc, les surveillaient.
Une barre de lumière crue, emprisonnée dans un grillage serré, éclairait l’intérieur. Lorin fut placé entre deux hommes du village, Oïlik et Dilar. Ils paraissaient tout aussi hébétés que lui. La soute se referma dans un bruit de ferraille. La libellule s’éleva sur-le-champ, comprimant les vertèbres du garçon. Le sol tangua.
Dilar fut pris de hoquets, et vomit une giclée de bile. Une odeur écœurante envahit le ventre métallique. Des Vangkanas protestèrent. Le plus proche leva son bâton au-dessus du villageois en jurant, et lui donna des coups sur le crâne. Puis il approcha l’extrémité du bâton de son cœur. Une étincelle bleue jaillit, noircissant le vêtement. Dilar encaissa sans réagir, la bouche baveuse. Quelques gouttes de sang perlaient à son front. Il glissa sur le flanc. Pas plus que les autres, Lorin n’avait songé à s’interposer. Le présent s’engluait dans un temps qui n’était pas le sien.
Une secousse plus forte lui arracha un gémissement. Ils devaient avoir touché le sol. Un Vangkana beugla :
— Terminus, les déplumés.
Le ventre de la libellule de fer se fendait en grinçant.
Les appareils avaient atterri sur un champ plat et nu. Alentour, des huttes rectangulaires s’ancraient dans une terre noire et stérile. Deux ou trois Vangkanas sortirent pour observer les nouveaux arrivants. Des exclamations fusèrent :
— Eh, Juan. Tu étais dans l’hélico des filles, salaud de veinard ?
— Bof, ça pue pareil.
— Je te connais, vieux porçon, t’as pas pu t’empêcher d’en peloter deux ou trois.
Lorin fut poussé avec les autres au milieu du camp. L’un des gardes leur ordonna de battre les pieds. Tous d’obéir mécaniquement. Un lent nuage de poussière noire monta jusqu’au genou. Le garçon songeait à Soheil. Il était certain qu’elle avait pu s’échapper. Elle courait dans la savane en ce moment même. Vers le village de Jedjalim, ou de Teodihuaqhan. Ou bien de Laqhlan.
Un Vangkana interrompit ses pensées. Il était plus gros que les autres. Lorin en déduisit qu’il s’agissait du chef. Sa face poupine, d’un teint de brique, évoquait le faciès de ces gros chiens qui rôdaient près du village. Une veine saillait au côté gauche de son cou. Anormalement épaisse, comme si elle avait dû se muscler pour charrier un sang trop lourd. Il parlait dans une conque qui amplifiait ses paroles, et il semblait que sa voix atteignait Lorin à travers tous les pores de sa peau.
— C’est ici que vous logerez, à Camp-Polcher, en attendant votre transfert vers le sud. Toute la zone doit entrer en exploitation intensive dans un mois. Ce terrain ne vous appartient pas. La FelExport vous avait prévenus de vous implanter ailleurs. Elle a même mis à votre disposition une région où vous installer. Vous n’avez pas voulu déguerpir, ce qui arrive est de votre faute.
Lorin n’avait jamais entendu parler d’avertissement, mais il savait qu’il n’y avait rien à faire. Les Vangkanas faisaient partie des catastrophes naturelles, comme les épidémies du mal des agités, ou les éclosions massives de scaras venimeux. Ils venaient du ciel, issus des démons qui portaient tous le nom de Vangk.
— Je dirige ce camp. Quand vous vous adressez à moi, vous devez dire : Colonel Jelal. Compris ? Suivez-moi.
Son regard effleura celui de Lorin. Imperceptible froncement de sourcils.
Le colonel Jelal les guida jusqu’à un enclos de fil de fer barbelé encerclant deux grandes huttes rectangulaires.
— C’est là que vous dormirez. Il n’y a qu’une pièce, mais vous avez l’habitude de coucher les uns sur les autres, pas vrai ? Tout à l’heure, vous vous foutrez à poil et on vous apportera des habits de civilisés.
Il y eut des remous dans la foule.
— Qu’est-ce que…, commença Jelal irrité. Ah oui, vos femelles. Elles iront dans l’autre dortoir. Pas de fornications dégoûtantes à Camp-Polcher. Pour éviter les incidents, la porte sera bouclée.
Il se retira.
Les vêtements ne furent distribués que deux jours plus tard. Un pantalon et une chemise de gros lin décoloré, qui donnait envie sitôt enfilés de se gratter jusqu’à l’os. Dans l’intervalle, des Vangkanas apportèrent un sac de pommes de terre verdâtres. Faire du feu était interdit. Ils durent les manger crues, croquantes de terre. La hutte qui leur était dévolue était jonchée de vieux matelas moisis, jetés à même le sol.
Lorin chercha Dilar. Personne ne l’avait vu depuis leur arrivée. Les adultes commençaient à grogner, car les femmes étaient toujours inaccessibles. Le colonel les avait consignées. Parfois, deux Vangkanas entraient dans leur hutte et ressortaient avec l’une d’entre elles. Ils revenaient une heure plus tard en faisant jaillir des rires épais.
Haslam se porta en ambassadeur auprès du colonel Jelal, afin de demander que les Vangkanas cessent leur manège auprès des femmes. Plus tard, beaucoup plus tard, Haslam revint. Il boitait et sa peau était marquée de plaques noires. Les villageois l’entourèrent mais il se contenta de dire :
— Ils vont nous emmener très loin, dans un pays que je ne connais pas. Si loin que l’on ne pourra plus jamais revenir.
Ces paroles glacèrent le cœur de Lorin au fond de sa poitrine. Il s’accroupit devant le chef.
— Quand cela, Haslam ? Quand allons-nous partir ?
Les yeux injectés de sang clignèrent une fois.
— Dans peu de jours. Trois ou quatre, il m’a dit.
Lorin retourna dans le hangar servant de dortoir.
À Dao, les huttes étaient tapissées de plumes de faisans-léopards courbées au feu ; elles n’avaient pas de barreaux aux fenêtres. L’été, il fallait faire bouillir l’eau pour ne pas être malade, mais elle n’avait pas ce goût acide qui faisait saliver. Il n’y avait qu’un robinet pour les soixante villageois.
Comment s’évader ? Les barbelés ceinturaient le camp.
Il lui fallait partir le plus vite possible.
L’intervention d’Haslam ne fit pas cesser les incursions vangkanes. En revanche, le colonel Jelal posta deux gardes derrière l’enclos.
« En trois jours, songea Lorin, toutes y passeront. »
Et ils ne pouvaient rien faire. Le garçon refoula la colère qui lui venait. Il ne devait penser qu’à son évasion.
L’enclos était hermétiquement fermé. Des barbelés couraient à ras de terre. Sauf en un endroit. Un sillon d’évacuation des eaux usées, sinuant jusqu’au fossé qui entourait Camp-Polcher. Un homme mince pouvait s’enfouir dans la vase d’excréments qui l’engluait, et, se faisant serpent, ramper sous la ligne de fer.
Soheil murmura dans sa tête, et sa décision fut prise en une seconde.
Le soir approchait. On n’allait pas tarder à les enfermer dans le dortoir, pour la nuit. Ils ne seraient libérés qu’en fin de matinée, quand le Vangkana apportait le sac de pommes de terre. Celui-ci disait à Haslam :
— On peut pas vous faire confiance. Au début du programme d’évacuation, je donnais tous les sacs le premier jour. Les sauvages s’empiffraient à s’en crever la panse. Une semaine de nourriture était engloutie en une nuit d’orgie. Au matin suivant, il ne restait rien. Vous ne savez pas vous rationner, vous êtes comme des enfants.
Lorin savait que Dao n’était pas le premier village à être détruit. Ni le dernier. Il avait vu des sites abandonnés depuis des décennies, dont on avait perdu le souvenir du nom, à proximité de champs gardés par des engins à chenilles de métal. Certains villages, Jedjalim par exemple, vivaient du ramassage d’animaux foudroyés par les machines de garde, en bordure des champs.
Les deux hommes en faction échangeaient des plaisanteries sur les femmes de Dao. Lorin s’approcha du ruisseau d’écoulement, à trois mètres de la barrière. Le canal dégageait une odeur putride, qui avait le mérite d’éloigner les gardes. Lorin leur jeta un dernier coup d’œil. Son cœur battait la chamade. Puis il s’allongea sur le dos. Ses mains ramenèrent des paquets de boue froide sur son ventre, son torse. Il remua les jambes pour les enfouir, comme le faisaient les crapauds pour se protéger de la chaleur.
Personne n’avait eu l’air de remarquer son manège. Le couple solaire felyan, Fraad-la-jaune et Lossheb, jetait ses dernières forces contre la nuit qui teintait les nuages. Seul le visage de Lorin émergeait, improbable tache blanche au milieu de la tourbe. Il se retenait de vomir malgré la nausée tordant ses entrailles.
Une sirène retentit, à l’autre bout du camp. Le signal de la rentrée. Raclement de barrière, quand l’officier vint boucler la porte du dortoir. Lorin attendit un quart d’heure. La nuit était presque complète. Il commença à ramper sur le dos. Ses doigts s’enfonçaient dans la pâte à modeler des bords, poussaient. Pouce après pouce, le jeune homme se mit à progresser dans le canal. Les effluves le suffoquaient, la boue glacée coulait le long de ses joues, aux commissures des lèvres, l’obligeant à respirer par le nez.
Un temps indéfinissable, il rampa dans ce cauchemar linéaire, où chaque parcelle de boue semblait s’opposer à ses mouvements. Sans doute avait-il dépassé la ligne de barbelés. Impossible d’être certain, l’obscurité gommait tout. Des particules gluantes cimentaient ses paupières. Il ne saurait qu’il aurait atteint le fossé qu’au moment de tomber dedans.
La nuit avançait. Il y avait une heure – deux, trois ? – qu’il se déplaçait en aveugle, à la manière d’une salamandre. La vase suçait ses forces. Des débuts de crampes tiraillaient ses muscles. Il dut se ménager une pause. Puis une autre, dix minutes (?) plus tard.
Le terrain s’incurva. Lorin pivota sur lui-même, afin de se mettre sur le ventre. Il glissa dans un fossé à demi rempli de fange glaireuse, résidu des eaux usées de tout le camp. À quelques pas, un Vangkana solitaire alluma une cigarette. Lorin suivit la pointe rouge dans le noir, attendit qu’elle se soit fondue dans la pénombre. Plus loin, des veilleuses éclairaient les cubes d’habitations.
Lorin dut s’y reprendre à deux fois pour escalader la pente glissante du fossé.
Il était dehors. Libre.
Il franchit une centaine de mètres sur les genoux. Des frissons de froid et de peur parcouraient sa peau. Il se redressa et se mit en marche d’un pas incertain.
Il ignorait où le camp se trouvait. À plusieurs kilomètres de la côte en tout cas, car le garçon ne sentait pas le vent du large.
Ses pieds foulèrent de l’herbe. Il ôta son pantalon et sa chemise, les jeta et se roula dans l’herbe. La puanteur ne disparut pas, mais il put à nouveau respirer librement.
Il se mit à marcher droit devant lui. Il lui fallait rallier un village, n’importe lequel, afin de demander des renseignements au sujet d’une femme du clan de Dao, aux yeux arc-en-ciel et au ventre rond.
Les nuages bas dissimulaient les étoiles, rendant la nuit opaque. Les dieux n’étaient pas avec lui. Son instinct lui soufflait de se coucher par terre et d’attendre l’aube. Mais il était encore trop près de Camp-Polcher, des machines sur roues molles pouvaient le remarquer. Et puis, la nuit était le domaine des scaras. Rester immobile attirait le risque de se faire repérer par une horde. Un simple coup de mandibules suffisait à trancher un tendon.
La terre avait fini de rendre la chaleur volée au ciel pendant la journée. Lorin se résolut à trotter. Sans vêtements, le froid l’agressait. Des nuages glissèrent derrière l’horizon, laissant poindre les étoiles.
Un grouillement flou à la limite de son champ visuel l’avertit. Aïe. Il était sur le territoire d’une horde. Les scaras avaient senti le choc de ses pieds sur la terre. Les insectes sortaient de leurs nids, faisant cliqueter leurs carapaces de fer. Son pas s’accéléra. Tant qu’il conserverait ce rythme, ils n’attaqueraient pas. Du moins, s’ils n’étaient pas affamés. Sinon, il n’avait pas une chance. Leur intelligence était comparable à celle du rat, mais certains rivalisaient avec les êtres humains. Il était utopique d’espérer les semer par la ruse. Lorin pria pour qu’un daim se soit rompu l’échine récemment dans une de leurs fondrières.
Ce qu’il redoutait se produisit. Il trébucha, l’aine sciée par une crampe. Des antennes frôlèrent ses mollets. Une peur viscérale lui fit faire un bond en arrière. Il se redressa et se mit à courir en boitillant. S’il pouvait se trouver un alame dans lequel grimper… mais pas un arbre ne se profilait.
Le terrain durcit sous ses pieds. Les scaras ne s’aventuraient pas sur les routes. Lorin ralentit le pas. Une route. Des phares.
Plus le temps de fuir. D’ailleurs, où aller ? La traque l’avait épuisé.
La machine sur roues s’arrêta devant lui en crissant longuement. Il n’en voyait que la paire de phares haut perchés, qui l’éblouissaient.
Des portières claquèrent. Une voix tonna :
— Eh, mais c’est un type de Dao. On a bien fait de passer par là. Bon sang, ce qu’il sent mauvais. Une infection.
— Des animaux, je te dis. Des nuisibles. Dire que les lois du Libral nous interdisent de les exterminer. En masse, en tout cas. Les pontes de la FelExport ne seraient pourtant pas fâchés de s’en débarrasser à bon compte.
Une silhouette humaine s’intercala entre l’un des phares et lui.
— Celui-là est tout seul. Qu’est-ce qui m’empêche de me le faire, comme un lapin-rat ?
— Tu es con. Ramener un fuyard, c’est huit jours de perme assurés plus un doublement de solde. Tu t’en feras un une autre fois.
Les voix se déplacèrent. On lui tira brutalement les mains en arrière. Des bracelets cliquetèrent sur ses poignets.
— Fous-toi à plat ventre. Voilà, sage. Tu sais qu’il a un beau petit cul, ce sauvage. J’ai bien envie d’en profiter, là tout de suite.
L’autre souffla.
— Même bourré, tu es une bite ambulante. Je suis crevé. On le ramasse et on rentre. Y a des filles de son clan, au camp. Tu pourras t’en envoyer autant que tu veux.
— Ce salaud de Molker les fait payer trop cher. Bon, d’accord. Mais tu t’occupes de le charger.
Lorin fut relevé sans douceur par la seconde silhouette. Il se laissa attacher à un montant de la plate-forme bâchée du véhicule. Un état d’hébétement faisait écran à son désarroi.
La machine repartit. Attaché par les mains, Lorin cahotait d’un bord à l’autre, se couvrant de contusions. Mais il sentait à peine les coups. Sa tentative avait échoué. Comment retrouver Soheil après cela ?