CHAPITRE XIII
Dom-Dom mourut au cours de son transfert à l’hôpital de Camp-Polcher. Quant à Lorin, il survécut à l’empoisonnement de son sang, devenu noir et pâteux. Ses jambes demeuraient gonflées, mais il pourrait remarcher sans séquelles fonctionnelles. En revanche, l’épiderme brûlé resterait définitivement insensible.
Les médecins lui firent garder le lit pendant un mois. Entre deux poussées de température, il eut tout le loisir de songer à Dom-Dom. Sa mort l’attristait. Il ne l’avait pas voulue. La fin des autres membres de la section le laissait indifférent.
Parmi les patients, certains appartenaient au bataillon Kvin. Le marécage avait décimé les sections. Six avaient été englouties sans laisser de traces. Toutes comptaient des pertes. Aussi, contrairement à ce que redoutait Lorin, la disparition d’Ajo, de Wolf et des autres ne provoqua pas de curiosité.
Très vite, il se rendit compte que les autres soldats l’envisageaient avec un respect mêlé de jalousie. Un médecin lui en expliqua la raison.
— Tu es le seul rescapé de ta section. Et de plus, tu as capturé la moitié des pouilleux. Si tu n’appartenais pas au bataillon des singes, tu aurais sûrement droit à une médaille.
— Qu’est devenue l’autre moitié des fuyards ?
Le médecin eut un geste évasif. Cela ne le concernait pas. Lorin essaya d’en savoir davantage auprès des malades. Un technicien des transmissions, qui venait se faire traiter un mycétome lui faisant un cou de crapaud, lui révéla contre un paquet de cigarettes que le satellite d’observation avait détecté les fugitifs tout près du territoire des scaras, à quatre-vingt kilomètres au nord du marécage.
— Leur groupe est foutu de toute façon. Ils se sont engagés sur les anciennes carrières, que les colonies de scaras ont transformées en fondrières. C’est là que nichent les Honuas, le dernier clan de la côte est. Tout le reste a été évacué. Mais avec ceux-là, rien à faire.
Lorin réfléchit. Ni Wolf ni Ajo n’avaient transmis ce qu’ils avaient appris sur lui. Leur mort refaisait de Lorin un soldat modèle. Plusieurs fois, Jelal était venu exiger un rapport. Lorin s’était exécuté, omettant de mentionner le clan des crabes mous. En ce qui concernait les méduses, il risquait de se heurter à l’incrédulité générale. Aussi préféra-t-il se taire, là aussi.
Au milieu de sa deuxième semaine d’hôpital, l’adjudant-chef Silas vint le voir pour lui annoncer qu’il était affecté au bataillon Kvar, chargé d’en finir avec les Honuas. Il avait le grade de sous-brigadier.
— Tu comprends, dit-il d’un air gêné, ces indigènes sont coriaces. Ils narguent la Milice Coloniale depuis trop longtemps. Et tu as fait tes preuves, dans le marécage.
Dès qu’il fut sur pieds, un sergent du bataillon Kvin emmena Lorin récupérer les affaires de Dom-Dom. Lesquelles se résumaient à une pile de revues pornographiques et un flacon de kaléidoscine entamé. La surface du liquide avait cristallisé, formant un vitrail miniature polarisant la lumière. Le sergent prit une revue et s’en alla.
Lorin se rendit au bloc quatre, où l’attendait son supérieur à qui il déclina son numéro d’immatriculation, 30-547, et son identité. L’adjudant Zimler lui attribua un lit.
La distribution des revues pornographiques de Dom-Dom facilita son intégration dans le bataillon. Lorin ne conserva pour sa part qu’une pastille sonore arrachée d’un phylactère. En la pressant, une séquence sonore se déclenchait. Un cri de femme. Dom-Dom en portait des dizaines sur lui en permanence, bien que Lorin ne l’ait jamais entendu les utiliser. Face aux sarcasmes de Wolf, Dom-Dom avait cru bon de se justifier.
« — Ce que je fais n’est pas sale. Ces revues viennent des mondes de la Ceinture, des planètes du premier rush colonial. La plupart datent de plus de soixante ans. Toutes les femmes qui ont prêté leur voix sont mortes aujourd’hui, ou bien ce sont des vieillardes. Pour moi, c’est une façon de les faire revivre. Leurs voix m’accompagnent. »
« — Tu es un pervers, avait rétorqué Wolf en crachant de côté. Se contenter de voix, alors que c’est précisément ce qui est insupportable, chez une femme. »
La plaisanterie était passée par-dessus la tête de Lorin.
Un soldat auquel Lorin venait de tendre un magazine le détailla avec insistance. La peau de son crâne transparaissait sous la brosse décolorée des cheveux.
— Eh, tu ne me reconnais pas ?
Lorin avoua son ignorance.
— Je suis Ijssel, clama l’homme en s’emparant de la main de Lorin et en la serrant. Content que tu te sois sorti de la fosse à merde du Thore. Tu ne te rappelles pas ? L’expédition maritime, pour les bordels des cités minières…
Lorin grimaça. Il aurait préféré ne plus revoir cet individu.
— Tu retournes au casse-pipe avec nous ? Les huiles de Camp-Polcher ne t’aiment pas beaucoup. Il circule des histoires bizarres sur toi : que tu as fait un pacte avec les scaras, qu’une sorcière a rendu ton sang noir comme le venin du serpent fel.
— Tu crois cela ?
Ijssel haussa l’épaule.
— J’ai entendu des tas de trucs étranges sur les tribus. J’en ai même vu. Ça ne les a pas empêchées de se faire botter le cul par nos troupes. Montre-moi une magie qui stoppe une balle lancée à deux kilomètres-seconde en vitesse initiale. Là, je te croirai.
Lorin lui demanda pourquoi la Milice voulait en finir au plus vite avec les Honuas. Ijssel leva les yeux au plafond.
— C’est en orbite que ça se décide. Scaras ou pas, les responsables de la FelExport veulent reprendre l’exploitation interrompue. Dans une semaine, des engins viendront éventrer la plaine. Ce n’est pas par hasard si ces bestioles Yuweh se sont installées là en nombre : c’est qu’il y a un énorme gisement ferreux en dessous.
— Que va-t-il se passer avec les Honuas ?
Ijssel l’entraîna dehors. Il lui montra un hangar.
— Il y a trois jours, une cargaison de gaz neurotoxiques a été livrée ici. Cela sent la dératisation.
— Ils vont les enfumer ?
Le soldat secoua la tête.
— Les colons auraient préféré que nous utilisions directement cette méthode, afin d’en être débarrassés pour de bon. Moi aussi, mais la loi nous oblige à nous efforcer de les déloger d’abord. Ce qui signifie qu’il va falloir pénétrer dans leurs terriers.
Ils retournèrent dans le bloc quatre. L’aumônier était en train de discuter avec Zimler du problème des Honuas. L’utilisation des gaz sous pression avait soulevé certaines questions parmi les officiers. Le prêtre expliquait que pour les hommes-taupes, même les missionnaires avaient déclaré forfait. Ce n’étaient pas des êtres humains mais des animaux, incapables de croire en quoi que ce soit, même de païen. Ils n’avaient pas de culte – à moins que les scaras ne constituent leur culte –, ne s’exprimaient que par signes, que les ethnologues n’avaient pas dénombrés à plus de vingt. La plupart avaient les paupières cousues juste après l’accouchement. Les tentatives de troc des colons s’étaient toutes soldées par un échec. Ceux-ci prétendaient qu’ils étaient des crétins congénitaux, ou bien que les scaras les lobotomisaient à la naissance, afin de les utiliser à creuser leurs galeries, comme des fourmis. Les mines enfouies près des terriers n’explosaient jamais. À la place, on ne récupérait que les galettes de plastic explosif qui en formaient le cœur, au fond d’un cratère.
— Il y a une quinzaine d’années, les colons ont essayé de les engloutir, lui raconta Ijssel. Ils avaient creusé un chenal depuis le Sest, long de cinquante kilomètres, avec les drones fouisseurs. Les scaras avaient senti l’eau. Ils ont miné les abords de fondrières. Des drones se sont enlisés là-dedans, il y a eu des millions d’équors en pertes brutes. Ce jour-là, les colons ont compris qu’ils n’étaient pas de taille.
— Le sommes-nous nous-mêmes ?
Ijssel hocha la tête. Puis il baissa le ton, afin de ne pas être remarqué par l’aumônier qui bénissait les Escopaliens du bataillon, comme avant chaque opération.
— Pour une opération ponctuelle comme celle-ci, nous sommes qualifiés. Les scaras sont une chose, les Honuas une autre. Et les scaras ne nous concernent pas.
Lorin n’émit aucun commentaire. Il était persuadé que Soheil avait trouvé refuge chez les hommes-taupes. Le seul clan restant. Ce qui signifiait qu’elle espérait le revoir un jour. Sa volonté de vivre l’effarait. Lui ne s’était borné qu’à survivre parmi les Vangkanas. Soheil avait dû, à la tête d’un petit groupe, se débrouiller dans les clans, la steppe et le marécage, déjouer les manœuvres de la Milice. Après tout ce qu’elle avait vécu, il ne pouvait l’abandonner aux gaz. Même s’il ne se souvenait plus de son visage dans les rêves.
Restait à trouver un moyen pour parvenir jusqu’à elle avant les soldats.
*
* *
Dix hélicoptères décollèrent à l’aube.
Zimler distribua des masques à gaz, des matraques électriques et des lunettes amplificatrices de lumière. Il affirma que les gaz ne seraient utilisés qu’en tout dernier ressort, juste avant l’arrivée des engins de terrassement.
— À quoi ça servirait, de les évacuer ? murmura quelqu’un. Le Père de la mission a raison, ce ne sont plus des hommes. Sans les scaras, ils se laisseront mourir. Ils n’ont pas fait alliance avec les scaras, ils vivent dans une putain de symbiose.
Les soldats ne réagirent pas. Lorin se rendit compte qu’ils avaient peur, très peur. Ils pénétraient par effraction sur un territoire qui n’était pas le leur. Ijssel à côté de lui mâchouillait ses lèvres. Un autre se rongeait l’ongle du pouce.
Assis sur les bancs latéraux de la cale, ils évitaient de parler. Lorin eut la certitude qu’ils craignaient que, en ouvrant les vannes de leur terreur, celle-ci ne se déverse à torrents. Les scaras ne l’effrayaient pas, lui qui était passé entre leurs pinces et leurs mandibules. Bizarrement, le fait de savoir Soheil à leur merci ne l’inquiétait pas. Il était certain de la retrouver intacte.
Son accident avec les scaras avait transpiré. On le regardait à la dérobée. Les avis se partageaient entre ceux qui voyaient en lui de la sorcellerie, et d’autres, au contraire, un porte-chance. La majorité ne croyait pas à cette histoire. Lorin se garda de les détromper.
Ils survolèrent la zone marécageuse en un peu moins de trois heures. Il avait fallu une semaine à la section d’Ajo pour le traverser. Lorin se rencogna contre une membrure d’acier. Depuis sa séparation d’avec Soheil, son périple n’avait été qu’une succession de déboires. Il se demandait ce qui se passerait, une fois qu’il l’aurait retrouvée. Cette perspective ne lui arracha pas un sourire.
Les libellules de métal entamèrent la descente vers le plateau du Thore. Par les hublots, on apercevait les pipelines de la colonie lourde traçant des lignes parallèles vers le marécage.
D’immenses carrières à ciel ouvert défonçaient le plateau. Zimler ordonna d’enclencher les chargeurs.
— Pas de tir inconsidéré. Le sous-sol est un véritable gruyère. Ne tirez sur les scaras que si vous êtes agressés. Un projectile pourrait traverser une paroi, et blesser un autochtone.
Ses paroles soulevèrent des ricanements.
Par mesure de sécurité, les hélicoptères n’atterrirent pas. La porte s’ouvrit sur un mètre cinquante de vide. Ils durent sauter sur le sol. Lorin faillit se tordre la cheville. Aussitôt, les hélicoptères reprirent de l’altitude.
Une plaine percée de cheminées basses s’étendait sous ses yeux. Zimler regroupa le bataillon.
— Un premier groupe de huit hommes va descendre dans une gueule, que nous avons repérée il y a deux jours pour sa fréquentation. Plusieurs familles doivent loger non loin de cette entrée. Cela constituera un test. Les autres, vous attendez.
Lorin fut choisi pour prendre part au raid. La raison ne lui en fut pas donnée, mais elle était facile à deviner. Il avait survécu une fois aux scaras. Ils comptaient sur lui pour revenir en vie.
« Ils en seront pour leurs frais », songea-t-il.
Ijssel lui adressa un signe d’encouragement. Il ne faisait pas partie du groupe. Lorin ne répondit pas.
Ils accompagnaient un homme de l’antenne sanitaire, portant un médikit. Chargé de dresser un bilan médical du premier villageois attrapé. Ils progressaient à travers une forêt de cheminées basses étrangement sculptées.
— Des conduits d’aération, annonça Zimler. Creusés par les scaras pour les humains. La gueule d’entrée n’est plus loin. À cent mètres, selon le positionnement.
Il avait raison. Un orifice s’ouvrit sous leurs pieds.
À peine plus large qu’un boyau. Un scara en sortait. L’un des hommes fit feu sans réfléchir. La carapace du scara éclata sous le choc.
Zimler se gonfla de colère.
— Qui a tiré ? Toi, Maloum ? J’avais dit : pas de ce genre d’incident. Je croyais avoir désigné les moins impressionnables d’entre vous. Huit jours de cachot, c’est le prix pour chaque scara abattu. Tout le monde : arme au côté, matraque électrique en main. Tout ce qu’on a à faire, c’est rassembler le troupeau.
Le soldat à la croix kaki de l’antenne sanitaire s’accroupit devant le scara. Celui-ci comportait cinq segments dotés chacun d’une paire de pattes. Dix membres articulés comme des pattes d’araignées, aux extrémités difformes. La balle avait fendu le corps blindé dans le sens de la longueur, offrant un enchevêtrement d’organes baignés dans un fluide transparent, reliés par des fils argentés. L’homme écarta les deux morceaux de carapace avec prudence, comme on ouvre la mâchoire d’un fauve.
— Un poumon lamellaire, les scaras respirent. Ce muscle doit être un cœur. Et ce cube, un régulateur hormonal ou le foie. Pas d’estomac. Des scaras sont probablement spécialisés dans cette tâche. La nourriture est injectée, ou le sang recyclé. Là, cette glande énorme, qui occupe tout un lobe crânien. Elle sécrète des fibres musculaires qu’ils tressent eux-mêmes avec leurs mandibules, puis greffent à leurs nouvelles exostructures.
Zimler s’impatientait.
— Vous terminerez votre cours plus tard, Rucker. Vous nous retardez dans notre boulot.
L’homme haussa les épaules. Ils firent glisser les lunettes nocturnes sur leurs yeux et s’enfoncèrent dans le boyau, la tête courbée.
Ils changeaient d’univers. Très vite, le confinement pesa sur leurs épaules. Lorin refoula un début de claustrophobie. Des relents animaux planaient dans l’air, ainsi que des odeurs indéfinissables. Les lunettes captaient une lumière extrêmement faible, bientôt il fallut allumer une torche. Des racines pendaient du plafond, en longs asticots dodus qui leur chatouillaient la nuque. Des tunnels annexes se branchaient sur leur galerie, parfois guère plus vastes que des conduits d’égout. D’autres, bien plus petits, devaient servir aux scaras.
Quelques-uns passaient entre leurs jambes, sans faire mine de s’intéresser à eux. Lorin avait à peine le temps de les détailler. Celui-ci évoquait un poulpe, un autre une araignée de mer, un troisième un animal qui n’existait pas sur Felya. Ils paraissaient emprunter à des êtres vivants leurs formes et leurs manières d’évoluer. Ce qui était fort possible après tout.
Le village souterrain s’étendait sur des kilomètres. Il devint évident qu’en trois jours, un bataillon ne viendrait pas à bout du dédale de galeries. Il aurait fallu analyser le sous-sol à la sonde sismique et dresser une carte tridimensionnelle. À en croire l’état-major, le tracé des galeries se modifiait sans cesse.
Certaines racines étaient nouées ensemble, de façon à former des symboles, sans doute des repères topologiques. Les Honuas avaient donc un langage.
Au bout de deux cents mètres, le tunnel s’élargit et ils entrèrent dans une salle aux sonorités caverneuses. Le plafond adoptait une forme de dôme, au centre duquel poussait un gros alame, tête en bas. Les feuilles vert pâle avaient l’air de pendeloques taillées dans une roche laiteuse. Il devait y avoir quatre ou cinq mètres entre les branches les plus basses et les racines ancrées dans le sous-sol. Lorin ignorait la façon dont procédaient les Honuas pour parvenir à ce résultat.
À l’autre extrémité de la salle, des galeries s’enfonçaient dans les profondeurs.
Leurs bottes foulèrent les restes d’un campement.
— C’est tiède au thermographe, malgré les cendres qu’ils ont éparpillé partout pour camoufler leur chaleur. Ils nous ont entendu venir.
— Les scaras les ont prévenus, lança Ijssel.
— À quoi tu t’attendais ?
Zimler fit un rapport à l’état-major via le relais hélicoptère, tout en baladant une micro-caméra dans l’espace de la caverne. Un liquide gouttait non loin de là. Zimler s’approcha et flaira, les narines retroussées.
— On dirait du pétrole.
Rucker goûta du bout de la langue.
— Des infiltrations d’hydrocarbures. Voilà pourquoi les scaras se sont installés ici. Avec le fer, ils disposent de toute la matière dont ils ont besoin pour se développer.
Zimler porta la main à son récepteur d’oreille, claqua dans ses doigts.
— On remonte, puis on prend des boyaux transversaux à mi-parcours. Quatre groupes de deux.
Il ne se faisait pas beaucoup d’illusions sur leurs chances de découvrir tous les habitants. Au mieux sauve-raient-ils deux ou trois familles. Pour la plupart des soldats, cela n’en valait pas le coup. Ils n’obéissaient qu’à une obligation légale de la FelExport.
Lorin s’approcha de Rucker, l’homme au médikit. Tout naturellement, Zimler le désigna pour l’accompagner. Lorin retint un soupir de soulagement. Rucker n’avait pas d’arme, il n’aurait pas à le tuer.
Il n’avait pas d’autre choix. L’unique espoir de retrouver Soheil passait par ce moyen. Se séparer du bataillon. Cet acte relevait de la haute trahison et il en avait conscience. S’il ne le faisait pas, c’était Soheil qu’il sacrifierait.
Ils remontèrent sur une centaine de mètres. Zimler répartit les groupes dans les boyaux les plus larges.
— Gardez le contact radio en permanence. À la première rencontre, vous vous localisez. Un seul indigène suffira.
— Passez devant, fit Lorin à Rucker. Je ne voudrais effrayer personne avec mon arme.
Celui-ci s’exécuta sans chercher à discuter. Ils marchaient genoux fléchis. Lorin compta cinquante pas. Puis il leva son arme. La crosse atteignit Rucker entre les omoplates. L’homme poussa un soupir étouffé en tombant à quatre pattes. Lorin l’enfourcha. Sa main trouva l’artère carotide, pressa en faisant levier sur son épaule afin de priver le cerveau d’oxygène. Les cours de close combat portaient leurs fruits. En quelques secondes, Rucker s’effondra à plat ventre et perdit conscience. Lorin relâcha sa prise. Il aurait pu s’épargner cette peine en lui défonçant la nuque, mais son but n’était pas de tuer.
Il le délesta du médikit et de son masque à gaz. Soheil en aurait besoin, si jamais ils ne sortaient pas avant le gazage des galeries.
Après cinq minutes de marche, le conduit se rétrécit. Puis disparut tout à fait, comblé par des éboulis. Un cul-de-sac. Lorin fut forcé de faire demi-tour.
Il repassa devant Rucker. Celui-ci n’avait pas bougé. Lorin en profita pour mettre son émetteur hors circuit.
Lorsqu’il déboucha du boyau, il s’aperçut que Zimler l’avait devancé. Il maudit les dieux vangkanas. Dans un moment, d’autres reviendraient.
Trop tard pour reculer. Il fit monter une balle dans la chambre à impulsion du fusil d’assaut, et entra dans la galerie.