7
Bob Morane reprit conscience. Un vide dont il émergeait à grand-peine. Une douleur à l’estomac, au ras de la peau et des muscles. Et ses poignets, tirés vers le haut, lui faisaient mal, comme broyés.
L’origine de sa douleur à la poitrine lui était connue. Les effets du blaster. Mais celle de ses poignets ?
Doucement, le contrôle de ses facultés lui revenait, et il se rendit compte qu’il se trouvait attaché à une muraille, les bras en croix, comme crucifié. Ses poignets étaient fixés par des lanières de cuir solidement retenues à la muraille par des crampons. Il en allait de même pour les chevilles, tenues écartées de la même façon que ses poignets.
Au fur et à mesure que les minutes s’écoulaient, Morane regagnait le monde réel. Ça allait mieux maintenant. Il se retrouvait bon pied bon œil. D’un coup de reins il se redressa. La pointe de ses pieds reposait sur le sol et il pouvait se tenir debout, non sans efforts.
La première chose dont il se rendit compte, c’était qu’il était torse nu. La seconde qu’il se trouvait dans une cave aux murs nus, faits de plâtre et de briques disjointes. Un sol de terre battue. Pas de meubles, sauf une petite table boiteuse. Comme lumière, une unique ampoule nue suspendue à la voûte par un fil, nu lui aussi.
Que lui voulait-on Pas du bien, c’était sûr.
Il se maudit. Il avait triomphé de quatre costauds en usant sur eux de toute sa science du close-combat, mais il avait oublié la matraque électrique. Une sale invention le blaster. Cela ne respectait pas les règles du jeu.
Une seule préoccupation était venue à Morane depuis qu’ il avait retrouvé ses esprits : se libérer. Il tourna la tête vers la droite pour se rendre compte, força sur les liens de cuir. De plus en plus fort, faisant appel à sa force, mais sans aucun résultat, sauf de faire entrer profondément les liens dans sa chair. Le cuir était solide et le crampon, fiché entre deux interstices de briques, tenait bon. Même tentative avec le poignet gauche, sans plus de résultats.
Encore une question sans réponse : pourquoi l’avait-on mis torse nu ? À peu de distance, sa chemise gisait sur le sol, mais ça n’éclaircissait rien.
Une voix retentit.
— Ravi de voir que vous êtes enfin revenu parmi nous, monsieur Morane.
La voix dudit Abdullah. Celui-ci se tenait au bas de l’escalier, à l’entrée de la cave. Deux des malabars de tout à l’heure l’accompagnaient. Bob les reconnut. Sans doute les moins amochés, mais l’un d’eux portait quand même à la mâchoire une ecchymose de la grosseur d’une mandarine.
Un autre individu venait derrière l’Égyptien. Un homme corpulent, affublé d’une barbe en broussaille et vêtu d’une blouse blanche. À la main, il tenait une mallette carrée, un peu plus grande qu’un attaché-case. De la main, Abdullah le désigna.
— Permettez-moi de vous présenter le docteur Molo, monsieur Morane.
Bob ne réagit pas. Il devinait que ce docteur Molo, s’il ne ressemblait pas au docteur Jekyll, pouvait à tout moment se changer en Mister Hyde.
— C’est vrai que vous êtes un homme dangereux, monsieur Morane, poursuivait Abdullah. La façon dont vous avez traité mes malheureux collaborateurs…
— Complices, corrigea Bob à mi-voix.
Mais l’Égyptien se contenta de poursuivre :
— La façon dont vous avez traité mes collaborateurs le prouve. Aussi, je ne vais plus courir de risques… en vous laissant cependant une dernière chance…
— Et qui va payer la note d’électricité ? interrogea Morane.
Il parlait du blaster. Abdullah ne parut pas comprendre, ou ne comprit pas.
— Si vous me dites ce que je veux savoir, vous avez une chance de vous en tirer… Je ne suis pas un assassin…
— Sauf pour les éléphants, commenta Bob. Quant à vous dire ce que vous voulez savoir, il y a un hic : je ne sais rien.
Les traits à l’expression doucereuse de l’Égyptien se durcirent.
— Je ne crois pas que vous soyez venu au Kenya uniquement pour compter les éléphants… Pas un homme d’action comme vous… Une façade ce comptage… Votre enquête de ce matin le prouve, bien qu’elle paraisse fort maladroite. Mais peut-être n’était-ce là qu’un moyen d’entrer en contact avec nous, en éveillant nos soupçons… Nous avons la certitude que vous agissez pour le compte de l’Organisation Internationale pour la Protection de la Nature et de la Faune… Et vous allez nous le dire… Vous allez nous dire à quel point en est l’enquête à laquelle on se livre sur notre organisation…
— Meurtres en tous genres ! fit Bob. Quant à vous dire ce que je sais, je ne sais rien…
Et il ne mentait pas.
— Je pourrais vous faire torturer pour vous forcer à parler, reprit l’Égyptien, mais je suppose que vous résisteriez et nous ne serions pas plus avancés. Vous tuer ne servirait à rien non plus… Je vais donc user d’un autre moyen…
Abdullah eut un geste en direction du docteur Molo et lança :
— À vous, docteur…
Le barbu à la blouse blanche déposa sa mallette sur la table, l’ouvrit, rabattit le couvercle. À l’intérieur, Bob aperçut tout un attirail de chirurgien. Des scalpels, des ampoules devant contenir quelque sérum, des seringues… Et aussi quelques petits flacons à large col fermés avec de l’adhésif.
— Le sérum de vérité sans doute ? fit nonchalamment Morane.
Discrètement, il faisait bouger sa main gauche pour tenter de desceller le crampon qui la fixait à la muraille. Pourtant, le seul résultat était de s’entamer la chair avec la lanière de cuir.
— Mieux que le sérum de vérité, avait répondu Abdullah. Vous pourriez y résister. Comme vous résisteriez peut-être aussi au détecteur de mensonges. Cela arrive avec des individus au caractère fortement trempé, comme je crois que vous l’êtes. Non, j’ai trouvé beaucoup mieux… Veuillez renseigner notre ami à ce sujet, docteur Molo…
Le barbu à la blouse blanche prit dans la mallette l’un des petits flacons à large goulot. S’approcha de Bob et porta le flacon à hauteur de son visage. À l’intérieur, quelque chose bougeait. Quelque chose que Morane identifia sans peine : un grand scorpion jaune, d’une longueur approximative de sept centimètres.
— Bhutus funestus… beau spécimen, apprécia Morane.
Au fond de lui-même, il se sentait vaguement inquiet. Les scorpions, funestus ou non, étaient des petites bébêtes qu’il n’appréciait pas tellement.
— Bravo pour vos connaissances en zoologie, et en particulier pour les arthropodes, fit le docteur Molo.
Il avait une voix désagréable, faisant penser au son d’un magnétophone aux piles usées. Mais c’était dans la norme des choses. Un individu comme le docteur Molo ne pouvait avoir une voix tout à fait humaine.
Molo montra la mallette.
— Nous avons plusieurs spécimens de ces gentilles bestioles… au cas où le venin de l’une ou de l’autre se révélerait inefficace…
— Vous me rassurez, fit Bob.
En réalité, il n’en menait pas large et se demandait comment s’en tirer.
Subrepticement, il continuait à tirer sur ses poignets. Avec pour seul résultat, comme précédemment, de s’entamer les chairs.
S’adressant à Abdullah, Morane reprit :
— Bon… En admettant que la piqûre de ce scorpion soit réellement mortelle, ça vous avancerait à quoi de me tuer ?… Les morts ne parlent pas… Or, ce que vous voulez, justement, c’est me faire parler… En admettant que j’aie quelque chose à vous dire…
— Pour commencer, répondit l’Égyptien, je dois vous confirmer que le venin de ce scorpion est bien mortel. Surtout s’il est injecté en plusieurs piqûres. Or, vous avez vu que nous avons à notre disposition plusieurs de ces gentilles petites bestioles, comme dit le docteur Molo… Vous tuer ?… Non… Du moins pas tout de suite… Ce que je veux, c’est vous faire parler, bien entendu… Laissez-moi vous expliquer comment cela se passera…
Un silence et un sourire de l’Égyptien, qui prenait un plaisir sadique à prolonger le suspense. Il reprit :
— Vous voyez, monsieur Morane, si la piqûre de ce Bhutus funestus est mortelle, ses effets ne sont pas immédiats. Elle provoque une longue agonie en paralysant petit à petit les centres nerveux. Pour commencer, les muscles se contractent jusqu’à la douleur… C’est lent… Très lent… Pendant de longues minutes, le patient connaît les tortures de l’enfer… La paralysie lui immobilise les membres, mais il demeure conscient… Finalement, cette paralysie gagne les poumons, puis le cœur, et c’est la mort… Mais après combien de temps ?… Un quart d’heure ?… Une demi-heure ?… L’agonie peut durer juqu’à une heure chez les sujets les plus vigoureux… et vous êtes un homme particulièrement vigoureux, monsieur Morane… Vous me suivez sans doute ?…
Bob ne répondit pas. Il n’avait rien à répondre. Il se contentait de continuer à tenter de libérer ses poignets. Toujours sans autre résultat que se blesser de plus en plus profondément.
— Comme tout venin, poursuivait Abdullah, celui du Bhutus funestus possède un antidote… Il y en a plusieurs doses dans ces ampoules. (l’Égyptien désignait la mallette). S’il est administré à temps, les muscles se détendent et la douleur s’estompe, puis disparaît tout à fait. Il y a alors beaucoup de chances pour que le patient en réchappe, mais ce n’est cependant pas tout à fait sûr… Par contre, si l’antidote n’est pas administré à temps, c’est la mort, inéluctable… Vous m’entendez bien, monsieur Morane, I-NÉ-LUC-TABLE…
— Tu causes… tu causes…, fit Bob, mais ça nous mène à quoi tout ça, papa ?…
Il avait l’air de plaisanter, mais le cœur n’y était pas.
— Ça nous mène au fait que le docteur va vous faire piquer par un scorpion… ou par plusieurs si la première piqûre ne suffit pas… Ensuite, si vous parlez, le docteur vous injectera l’antidote… Vos paroles seront enregistrées sur ce magnétophone…
Abdullah tira de sa poche un petit enregistreur et le posa sur la table, près de la mallette ouverte.
— Et si je ne parle pas ? interrogea Morane.
— Vous mourrez, les centres nerveux atteints… Cela ne doit pas être très agréable.
— Alors, je mourrai, conclut Bob avec une feinte indifférence… Puisque je n’ai rien à vous dire…
Mais, au fond de lui-même, il pensait : « Faudra trouver le moyen de s’en tirer… Du côté des lanières à mes poignets, ça n’a pas l’air de marcher… Alors, faudra inventer autre chose… Oui, mais quoi ?… Il interrogea :
— Je suppose que vous assisterez à mon agonie, monsieur… euh… Abdullah ?
L’Égyptien secoua la tête.
— Non, je n’y assisterai pas… J’ai le cœur sensible, vous savez…
— Sauf quand il s’agit des éléphants…
— Je n’assiste jamais aux massacres, monsieur Morane, puisque vous appelez ça comme ça…
— Je suppose qu’Hitler n’aurait pas aimé non plus assister au gazage des Juifs à Auschwitz et à Dachau…, fit Bob.
Abdullah ne releva pas. Se contenta de dire :
— Je vais vous confier au docteur Molo… Je lui fais pleine confiance… Mais cela ne sera pas un cadeau que je vous ferai là… Le docteur Molo aime voir souffrir, lui…
L’Égyptien mit le magnétophone sous tension, fit un geste en direction de ses gardes du corps et tous trois gagnèrent l’escalier, se mirent à le gravir, disparurent…
*
— Je suppose, docteur Molo, qu’il serait superflu de tenter de vous faire entendre raison ?
Morane n’avait prononcé ces paroles que pour détourner l’attention de Molo de ses tentatives, toujours vaines, de libérer ses poignets.
Le docteur Molo ne répondit pas. Cela faisait plusieurs minutes qu’Abdullah avait quitté la cave où, jusque-là, un silence total avait régné.
Finalement, Molo décida, de cette voix qui, à part les mots, n’avait rien d’humain :
— Passons aux choses sérieuses…
Sur la table, le petit magnétophone déroulait sa bande, indifférent à tout. Et Morane n’avait rien à dire. Même s’il avait voulu parler, il n’aurait rien eu à dire.
Molo reprit le flacon à large col qu’il avait déposé sur la table, revint vers Morane.
— Je vais libérer le scorpion, expliqua-t-il. Il grimpera sur vous, à la verticale. Au moindre mouvement, au moindre frémissement de peau, il vous piquera… vous piquera encore… Le venin se mêlera à votre sang, attaquera petit à petit vos centres vitaux… Tout d’abord, vous sentirez des fourmillements aux extrémités. Ensuite, vos membres s’engourdiront… Alors commencera une longue agonie, une longue et douloureuse agonie. Vos nerfs se noueront. Vos muscles se contracteront… Vous étoufferez…
— Merci pour tous ces renseignements, fit Bob calmement… On n’en sait jamais trop…
Une façade. L’angoisse commençait à l’envahir. « Me libérer ! Réussir à me libérer avant que ce sinistre polichinelle et sa maudite bestiole ne commencent leur sale boulot ». Il continuait à tirer sur ses liens, sans parvenir à autre chose qu’à se faire éclater plus profondément les chairs…
— Avant qu’on n’en arrive au stade ultime, vous aurez parlé, continuait Molo, ou alors vous mourrez…
« Le pire, pensa encore Bob, c’est que, justement, je n’ai rien à dire… »
Lentement, Molo se mit à dévisser le bouchon percé de trous d’aération fermant le flacon, puis il déposa le rebord du goulot sur la poitrine de Morane. Morane abaissa ses regards. À moins de vingt centimètres de son visage, l’entrée ronde du goulot lui apparaissait tel un œil fixe et menaçant.
Et, lentement, brassant l’air de ses pinces, le scorpion sortit. Les pinces d’abord, puis le thorax, et enfin la longue queue, terminée par la glande à venin en forme de virgule, et qui se repliait vers l’avant, telle une arme.
À grand-peine, Bob réprima un frisson. Sur sa peau, il sentait maintenant courir, en un infini fourmillement, les huit pattes de l’arthropode. La taille de ce dernier n’excédait pas sept centimètres, mais vu ainsi, de près, en gros plan, il apparaissait tel un monstre.
« Surtout, ne bouge pas, mon petit Bob, songea Morane. Reste calme ». Il savait qu’au moindre geste suspect de sa part, frémissement, contraction des muscles, le scorpion, croyant à une attaque, frapperait. Son appendice caudal se replierait vers l’avant, avec la rapidité d’un coup de fouet et la glande à venin, terminée par une minuscule lancette, s’incrusterait dans sa peau.
En fait, Bob ignorait si le venin du scorpion entraînait réellement la mort, comme l’avait affirmé l’Égyptien. Peut-être tout cela n’était-il qu’une mise en scène pour le mettre en état d’infériorité. Pourtant, il ne voulait pas prendre de risque. En outre, malgré lui, il éprouvait comme tous les hommes, une répulsion instinctive pour les bêtes rampantes, sans doute en souvenir du serpent de la Genèse.
À présent, le scorpion se promenait sur la poitrine nue de Bob comme en territoire conquis. Morane savait maintenant pourquoi on l’avait dépouillé de sa chemise. Sur sa peau, le contact des pattes articulées lui était plus pénible que s’il s’était agi des chenilles d’un tank lourd.
Palpant l’air devant lui de ses pinces, prêtes à saisir une proie, le Bhutus funestus atteignit le cou, se coula le long de l’artère jugulaire. S’il frappait là, le venin s’écoulerait directement dans la source de la vie.
À moins d’un mètre de son visage, Morane avait le masque repoussant du docteur Molo, penché sur lui. De temps à autre, les dents découvertes, Molo poussait un rire sonore, qui faisait penser au cri de l’hyène. Selon toute évidence, la situation lui plaisait.
Ayant atteint la crête de l’os maxillaire, le scorpion la franchit, s’installa sur la joue, hésita. Allait-il se diriger à gauche, vers l’oreille ? Ou à droite, en direction de la bouche ? Il opta pour la droite, très doucement. Pour que la crispation des muscles faciaux ne soient pas perçus par l’animal, Bob ferma les lèvres à bloc.
Petit à petit, le scorpion atteignit la bouche. Vu d’aussi près, en flou, il paraissait monstrueux. À présent, il se tenait sur la bouche, son corps formant croix avec elle. Ses pinces tâtonnaient contre la barrière du nez. Alors, Bob entrouvrit les lèvres et souffla de toutes ses forces, se vidant d’un coup les poumons.
Emporté tel un fétu, le scorpion vola en l’air, atterrit sur le visage du professeur Molo, qui poussa un cri de terreur, tenta d’un revers de main de chasser l’animal accroché à la naissance de ses cheveux, manqua son coup.
Déjà, le scorpion frappait. À plusieurs reprises, son dard perça la peau, s’y incrusta profondément, à hauteur de l’artère temporale.
Nouveau cri du docteur Molo. Cette fois, il parvint à chasser la bête. Trop tard. Le venin se mêlait à son sang.
Durant un instant, Molo demeura immobile. Raide. Tétanisé. Puis des mots sans suite, à peine audibles, en arabe, s’échappèrent d’entre ses lèvres. Ses mains s’agitèrent en mouvements convulsifs. Des sursauts incontrôlables agitèrent son corps.
Molo mit un certain temps à réagir. La panique gommait ses réflexes. Puis il se précipita vers la mallette, sur la table, pour en extraire une fiole d’antidote et une seringue, qui lui échappèrent, roulèrent sur la table. Il tenta de les récupérer. En vain. Les objets, trop peu maniables, échappaient à l’emprise de ses mains tremblantes. Il recommença, sans réussir davantage. Pour lui, c’était comme si la fiole et la seringue appartenaient à un autre monde.
— Vous n’y arriverez pas ! hurla Morane. Détachez-moi… Je vous injecterai l’antidote…
Molo ne réalisa pas aussitôt. Ses mouvements se faisaient de plus en plus désordonnés. Était-ce l’épouvante ou le venin qui faisait déjà son effet ? Morane ne chercha pas à deviner, hurla à nouveau :
— Détachez-moi !… Détachez-moi !
Cette fois, Molo réagit. Parvint à arracher un scalpel de la trousse. Revint vers Morane. C’était tout juste si ses doigts crispés parvenaient à serrer le manche du scalpel dont la lame, agitée par les tremblements de la main, brillait, se changeait en flamme. Ces tremblements s’accentuaient à chaque seconde, transformant le scalpel en arme menaçante.
« Pourvu qu’il ne manque pas son coup ! pensa Morane avec angoisse. Il me trancherait le poignet. Jamais vu une tremblote pareille ! »
Cela tint du miracle. Molo ne manqua pas son coup. Le scalpel trancha net la lanière de cuir, au ras du poignet, manquant celui-ci de peu.
D’une saccade, Morane libéra complètement son bras droit. Enchaîna en arrachant le scalpel de la main de Molo, au risque de se blesser. Il libéra son poignet gauche en quelques coups de tranchant, se baissa, cisailla les lanières emprisonnant ses chevilles. Tout cela en une série de mouvements rapides, davantage dans la hâte qu’il avait de se libérer que de porter secours au docteur Molo dont le sort, finalement, lui importait assez peu.
Molo s’était écroulé, en proie à des sursauts faisant songer à de l’épilepsie. Ou crise nerveuse ou effet du venin.
En hâte, Bob saisit la fiole d’antidote, enfonça l’aiguille de la seringue dans la capsule servant de bouchon. Remplit la seringue. S’agenouilla près de Molo, lui enfonça l’aiguille dans l’avant-bras. Vida la seringue. Tout cela pour remplir la part du marché qu’il avait fait avec Molo. Celui-ci l’avait libéré, et il était normal qu’il lui administre l’antidote, même si cela ne servait à rien.
Dans l’une des poches du tablier de Molo, Morane trouva un petit Beretta 6,35 qu’il glissa dans la ceinture de son short en se disant que cela pouvait servir. Il repéra sa chemise, accrochée à un vieux clou à proximité de l’endroit où lui-même était attaché quelques minutes plus tôt. Il la passa, la boutonna, se dirigea vers l’escalier après avoir jeté un coup d’œil à Molo qui, toujours étendu sur le sol, paraissait se calmer. Était-ce l’effet de l’antidote ou était-il en train de mourir ? Morane ne se posa même pas la question. Le sort du docteur Molo l’intéressait moins que celui d’un protozoaire en train de mourir dans les eaux du Silurien.
Au moment de s’engager sur l’escalier, Morane hésita. Qu’est-ce qui l’attendait là-haut ? Aucun bruit ne lui parvenait. Aucun son de voix. Il tira le Beretta de sa ceinture, s’assura que le chargeur était en place, fit jouer la culasse pour glisser une balle dans le canon.
L’escalier débouchait dans une pièce vide. Pas de traces d’Abdullah ni de ses séides.
À l’autre extrémité de la pièce, il y avait une porte. Bob l’ouvrit. Elle donnait sur la rue. Sans demander son reste, le valeureux commandant Morane prit la poudre d’escampette, comme on disait au bon vieux temps.
Il en avait assez fait pour les éléphants ce jour-là…