Mon cœur se débat avec force, Seigneur.
Sous les coups des paroles de tes saintes Écritures, dans la nudité
de ma vie.
Trop de discours cache la pauvreté de
l’intelligence humaine. La quête est plus bavarde que la
découverte. Demander est plus long qu’obtenir. Il est plus
difficile de frapper à la porte que de recevoir.
Nous avons une promesse. Qui voudrait la
détruire ?
Demandez et vous recevrez.
Cherchez et vous trouverez.
Frappez et on vous ouvrira.
Oui, qui demande reçoit.
Qui cherche trouve.
Ce sont tes promesses.
Qui peut avoir peur d’être déçu quand la
vérité a promis ?
Ma langue obscure avoue ton
immensité.
Tu as fait le ciel et la terre. Le ciel
que je vois. La terre sur laquelle je marche. La terre d’où vient
la terre que je porte en moi. Tu as tout fait.
Mais où est, Seigneur, le ciel de
ciel ? Celui de la voix du psaume que j’entends :
Où est le ciel que nous ne distinguons
pas ? Rapporté à lui, tout ce que nous distinguons est terre.
Oui, tout ce monde physique, qui n’est jamais dans sa totalité
partout, et qui est fondé sur notre terre, est d’une apparente
beauté dans sa grande étrangeté. Mais comparé à ce ciel de ciel
même le ciel de notre terre est terre. Il n’est pas absurde de
qualifier ces deux grands corps (ciel et terre) de terre, par
rapport à je ne sais quel ciel qui appartient au Seigneur et non à
l’humanité.
3.
Oui, la terre était invisible et
désordonnée. Une profondeur abyssale inconnue. Au-dessus, pas une
lumière. Aucune forme.
Tu as ordonné d’écrire :
Noirceur signifie absence de lumière. Où
pouvait-il y avoir de la lumière, s’il y en avait, ailleurs
qu’au-dessus, surplombante et rayonnante ? Et où il n’y a pas
encore de lumière, la présence du noir signifie l’absence de
lumière. Au-dessus, il n’y avait pas de lumière, le noir
était donc au-dessus. Quand il n’y a pas de
bruit, c’est le silence. Et un lieu silencieux est un lieu sans
bruit.
Seigneur, tu as appris cela à l’âme qui se
confie à toi.
Seigneur, tu m’as aussi appris qu’avant
même d’avoir donné une forme et des signes distinctifs à cette
matière informe, il n’y avait rien, ni couleur ni figure ni corps
ni esprit. Or ce n’était pas totalement rien. Mais quelque chose
d’informe sans apparence aucune.
4.
Comment nommer cela autrement que par des
mots courants pour en donner une vague idée aux esprits
lents ?
Dans toutes les parties du monde, quels
autres mots que terre et abîme se rapprochent le plus d’une absence
totale de forme ? D’un rang inférieur, leur apparence ne vaut
pas celle des êtres supérieurs, lumineux et éclatants. Pourquoi ne
pas accepter que les mots terre invisible et inorganisée
puissent facilement désigner aux hommes cette matière informe,
faite sans apparence pour en faire un monde
d’apparences ?
5.
La pensée cherche comment parvenir à une
expression sensible. Ce n’est pas là une forme intelligible, se
dit-elle. Comme la vie, la justice. Il s’agit de la matière des
corps. Et ce n’est pas une forme sensible. On ne peut rien voir ni
percevoir de ce qui est invisible et inorganisé. Mais dans cet
effort de formulation, la pensée humaine n’aura d’autre choix que
de comprendre sans savoir ou de savoir sans comprendre.
6.
Moi, Seigneur, je voudrais tout t’avouer,
oralement et par écrit, ce que tu m’as appris de cette
matière.
Avant j’entendais son nom sans rien
comprendre. Ceux qui m’en parlaient n’y comprenaient rien non plus,
d’ailleurs. Je ne l’imaginais pas comme elle était mais sous
d’innombrables aspects différents. L’esprit désordonné, perdu dans
des formes horribles et repoussantes (mais malgré tout des formes).
J’appelais informe non pas une absence de forme mais des formes
telles que si elles m’apparaissaient, leur aspect insolite et
absurde répugnait mes sens et effrayait mon humanité infirme. Dans
mon imagination, une chose était informe non parce qu’elle n’avait
pas de forme mais par comparaison avec de plus belles formes. En
toute logique, j’aurais dû m’abstraire de toute référence à une forme quelconque pour me représenter quelque
chose de totalement informe. J’en étais bien incapable. J’avais
plus vite fait de penser qu’une chose privée de toute forme
n’existait pas que d’imaginer une chose entre le néant et la forme
– ni forme ni néant mais informe et proche du néant.
À ce stade, mon intelligence a cessé
d’avoir recours à mon imagination, pleine d’images de formes
corporelles qu’elle pouvait librement modifier et diversifier. J’ai
fixé mon attention sur les corps eux-mêmes. Pour observer
minutieusement leur capacité à se transformer, à quitter ce qu’ils
avaient été et devenir ce qu’ils n’étaient pas. Je soupçonnais que
ce passage d’une forme à une autre se produisait par quelque chose
d’informe et non dans un néant total. Mais je voulais savoir et pas
me contenter de soupçonner.
Si je dois tout t’avouer, oralement et par
écrit, de la façon dont tu as éclairci pour moi cette question,
quel lecteur aura la patience de comprendre ?
Mon cœur n’arrêtera pas de t’honorer et de
chanter ta louange précisément en raison de ce qu’il ne parvient
pas à dire.
L’inconstance des choses inconstantes est
cette capacité même de toutes les transformations des choses
inconstantes.
Mais de quoi s’agit-il exactement ?
d’un esprit ? d’un corps ? d’une forme d’esprit ou de
corps ? S’il était possible de dire : un rien quelque
chose ou un être non-être, c’est ce que je dirais. Pourtant il doit
bien s’agir d’un être quelconque pour prendre ces formes visibles
et composées.
7.
Mais d’où venait cet être quelconque s’il
ne venait pas de toi d’où viennent toutes les choses pour autant
qu’elles sont ? Plus elles sont différentes, plus elles sont
loin de toi, et ce n’est pas une simple question de lieu.
Donc, toi, Seigneur, qui n’es jamais un
autre ni autrement, le même dans le même, le même dans le même,
saint, saint, saint, Seigneur Dieu tout-puissant, au commencement
(qui est de toi), dans ta sagesse, née de ta substance, tu as fait
quelque chose mais à partir de rien. Oui, tu as fait le ciel et la
terre mais non à partir de toi. Il y aurait sinon quelque chose
d’égal à ton unique engendré et donc aussi à toi. Et ce serait
absolument injuste qu’il y ait quelque chose
d’égal à toi qui ne soit pas de toi. Et il n’y avait rien d’autre à
part toi d’où tu aies pu les faire, Dieu, trinité une et unité
trine.
C’est donc à partir de rien que tu as fait
le ciel et la terre. Une grande chose et une petite chose. Parce
que tu es tout-puissant et bon, tu es capable de faire toutes
choses bonnes – le grand ciel et la petite terre. Toi tu étais, le
reste c’était le rien d’où tu as fait le ciel et la terre, deux
choses distinctes, l’une proche de toi, l’autre proche du rien. Tu
étais au-dessus de l’une, et au-dessous de l’autre c’était le
rien.
8.
Mais ce ciel de ciel t’appartient,
Seigneur. Et la terre que tu as donnée aux fils de l’humain à voir
et à toucher ne ressemblait pas à celle que nous voyons et touchons
aujourd’hui. Elle était invisible et inorganisée. Un abîme sur
lequel il n’y avait pas de lumière. Noir au-dessus de l’abîme. Pire
encore que dans un abîme. Oui, les abysses marins que nous voyons
aujourd’hui ont jusque dans leurs profondeurs leur lumière propre,
perceptible d’une certaine façon aux poissons et à la vie qui rampe
dans leurs fonds. Mais tout, en ce temps-là, était proche de rien
puisque tout était encore absolument informe. Tout en étant
pourtant capable de recevoir une forme.
Oui, toi Seigneur, d’une matière informe
tu as fait le monde. Tu as fait de rien presque rien. Avec ce rien,
tu as fait de grandes choses que nous, les fils de l’humain, nous
admirons. Admirable le corps du ciel. Voûte entre l’eau et l’eau,
dès le deuxième jour après la création de la lumière, quand tu as
dit : voûte.
Et c’était fait.
Cette voûte tu l’as appelée ciel. Ciel de
cette terre et de cette mer que tu as faites le troisième jour en
donnant une forme visible à la matière informe que tu as faite
avant l’existence d’un jour. Mais tu avais déjà fait un ciel avant
l’existence d’un jour, ce ciel de ciel. Parce qu’au commencement,
tu as fait le ciel et la terre.
La terre que tu as faite était elle-même
matière informe. Invisible et inorganisée. Noir au-dessus de
l’abîme. Et de cette terre invisible et inorganisée, de cette
absence de forme, de ce presque rien, tu ferais toutes ces choses
qui constituent sans le constituer ce monde inconstant et dans lequel apparaît l’inconstance même qui rend
possible la perception et la mesure du temps, puisque l’inconstance
des choses fait le temps pendant que se succèdent les diverses
apparences faites de la matière de cette terre invisible.
9.
Pour cette raison, l’esprit, guide de ton
serviteur, quand il a rappelé que tu as fait au commencement le
ciel et la terre, n’a rien dit du temps et n’a pas parlé des
jours.
Oui, tu as fait au commencement le ciel de
ciel, une créature intellectuelle mais qui sans partager du tout
ton éternité, à toi trinité, participe néanmoins à ton éternité. En
refrénant sa propre inconstance sous la douceur heureuse de ta
contemplation, et en collant à toi sans faille depuis qu’il a été
fait, il échappe au cours et à la succession des temps.
Et cette absence de forme, terre invisible
et inorganisée, n’a pas non plus connu le décompte des jours. Où il
n’y a aucune apparence, aucun ordre, rien ne vient, rien ne passe.
Où il n’y a rien de tout ça, il n’y a ni jours qui passent ni durée
temporelle.
10.
Vérité. Lumière de mon cœur. Ne laisse pas
ma part obscure me parler. Je me suis dispersé là-bas. Je suis
obscur. Mais là, même là, je t’ai aimé à la folie. Je me suis perdu
et je me suis souvenu de toi. J’ai entendu ta voix derrière moi.
Reviens. J’ai mal entendu à cause du vacarme d’une impossible
paix.
Maintenant, regarde, je reviens vers ta
source. En feu. Le souffle coupé. Personne pour m’en empêcher. Je
vais la boire. Je vais en vivre.
Je ne suis pas ma vie. Je vis mal de moi.
J’ai été ma mort.
En toi je revis. Parle-moi. Explique-moi.
J’ai cru tes livres. Les violents mystères de leurs paroles.
11.
D’une voix forte, Seigneur, tu as déjà dit
à mon oreille intérieure que tu es éternel. Le seul à avoir
l’immortalité.
Tu ne changes ni de forme ni de mouvement.
Ta volonté ne varie pas en fonction du temps. Une volonté qui
change n’est pas immortelle. Sous ton regard, cette vérité est
claire pour moi. De plus en plus claire. Je t’en supplie, sous ta
protection, je veux rester sur cette évidence.
Et d’une voix forte, Seigneur, tu as dit
aussi à mon oreille intérieure : toutes les natures et toutes
les substances ne sont ce que tu es et pourtant elles sont.
Tu les as faites. Seul n’est pas de toi ce
qui n’est pas. Et le mouvement d’une volonté qui s’éloigne de toi,
qui es, vers ce qui est moins, est un mouvement criminel, une
faute. Or aucune faute ne te nuit et ne trouble l’ordre de ton
empire, haut ou bas. Sous ton regard, cette vérité est claire pour
moi. De plus en plus claire. Je t’en supplie, sous ta protection,
je veux rester sur cette évidence.
12.
Et d’une voix forte, tu as dit aussi à mon
oreille intérieure : cette créature ne partage pas non plus
ton éternité.
Tu es son seul plaisir. Elle s’abreuve à
toi, pureté ininterrompue, et jamais nulle part ne trahit la
moindre inconstance. Pour elle, tu es toujours présent. Elle tient
à toi de tout son amour. Pas de futur à attendre. Ni souvenir d’un
passé traversé. Aucun changement, aucune dispersion
temporelle.
Bonheur, si elle existe, collée à ton
bonheur.
Bonheur : tu es son hôte éternel, son
illumination.
Et je ne trouve rien d’autre qui
mériterait davantage selon moi l’appellation ciel de ciel du
Seigneur que ta maison qui contemple tes plaisirs sans céder à la
fuite vers un ailleurs.
Pure intelligence. Unité harmonieuse. Paix
stable des saints esprits, citoyens de ta cité dans les cieux
au-dessus de notre ciel.
13.
L’âme comprendra. L’âme qui aura fait son
lointain voyage. Elle a soif de toi. Elle mange ses larmes quand on
lui demande chaque jour : où est ton Dieu ? Elle te
demande et cherche une seule chose : habiter ta maison tous
les jours de sa vie.
Sa vie ? c’est toi.
Tes jours ? c’est ton éternité, tes
années sans fin. Tu es toujours le même.
Oui l’âme comprendra. L’âme en est
capable. Tu es éternel au-dessus de tous les temps. Elle, c’est ta
maison. Son voyage ne l’a pas éloignée de toi. Et même si elle ne
partage pas ton éternité, elle ne souffre
d’aucun changement temporel – indéfectiblement et irrémédiablement
collée à toi.
Sous ton regard, cette vérité est claire
pour moi. De plus en plus claire. Je t’en supplie, protège-moi, je
veux rester sur cette évidence.
14.
Les mutations de ces toutes petites choses
inférieures mettent en jeu je ne sais quoi d’informe. Mais à moins
d’un cœur vide, errant et perdu dans ses fantasmes, qui peut bien
me dire, une fois que toute forme serait détruite et passée, au
point que les choses changeraient et se transformeraient dans une
absence totale de formes, ce qui pourrait subsister des successions
temporelles ? C’est parfaitement impossible. Pas de
changement, pas de temps. Pas de changement, pas de formes.
15.
Ceci considéré, dans la mesure où tu me
l’accordes, mon Dieu, où tu m’excites pour frapper à ta porte et où
tu m’ouvres si je frappe, je trouve bien deux choses que tu as
faites privées de temporalité. Et aucune des deux ne partage ton
éternité. Mais l’une est ainsi faite qu’elle jouit de façon
ininterrompue de ton éternité et de ta parfaite constance, pure
contemplation, sans interruption ni changement, et sans mouvement
tout en étant mobile. Et l’autre est informe au point de ne pouvoir
se transformer, mobile ou immobile, ce qui l’aurait soumise au
temps. Mais précisément, tu ne l’as pas laissée sans forme. Avant
même de faire le moindre jour, tu as fait au commencement le ciel
et la terre – les deux choses dont je viens de parler. La terre
était invisible et inorganisée. Noir au-dessus de l’abîme. Ces
paroles présentent cet état informe comme une chose acceptable pour
ceux qui seraient incapables d’imaginer qu’une absence absolue de
forme ne soit pourtant pas rien. État informe à l’origine de
l’autre ciel et de la terre visible et organisée, de la beauté des
eaux, et de toute la suite racontée de ce qui a constitué ce monde.
Œuvres des jours parce que le temps agit sur elles, les transforme
et les change régulièrement.
16.
Voilà où j’en suis, mon Dieu, quand
j’entends ces paroles de ton Écriture :
Au commencement Dieu fait le ciel et la
terre la terre est invisible et inorganisée noir au-dessus de
l’abîme
Et sans indiquer quel jour tu as fait
cela.
Voilà où j’en suis à propos du ciel de
ciel, ciel intellectuel que l’intelligence doit connaître
simultanément et non partiellement ni symboliquement ni comme dans
un miroir, mais totalement, comme une évidence, face à face. Ce
n’est pas quelque chose et puis une autre, mais comme on vient de
le dire, c’est un tout sans aucune succession de temps. La terre
invisible et inorganisée également, sans aucune succession de temps
qui supposerait qu’elle soit quelque chose et puis une autre. Pas
de forme, pas de changement.
Deux choses donc : l’une forme
primitive, l’autre entièrement informe. L’une est le ciel mais le
ciel de ciel, l’autre est la terre mais la terre invisible et
inorganisée. Je comprends de cette façon pour l’instant que ton
Écriture dise sans indiquer de jour : au commencement Dieu
fait le ciel et la terre. Indiquant aussitôt de quelle terre il
s’agit. Et en indiquant que la voûte est faite le deuxième jour, et
qu’elle est appelée ciel, on précise ainsi de quel ciel il a été
parlé plus haut sans mention de jour.
17.
Étonnante profondeur de tes
expressions.
Nous voyons qu’en surface elles plaisent
aux tout petits. Mais quelle étonnante profondeur, mon Dieu.
Étonnante profondeur. Terreur quand on s’y intéresse. Terreur
déférente et frisson d’amour. Je hais ses ennemis. Oh tue-les de
ton glaive à double tranchant. Plus d’ennemis. Oui j’aime qu’ils
meurent à eux-mêmes pour vivre à toi.
Mais en voilà d’autres. Non plus critiques
mais laudateurs du livre de la Genèse.
Non, disent-ils, ce n’est pas ce que
l’esprit de Dieu, qui a écrit ce livre par l’intermédiaire de Moïse
son serviteur, a voulu faire comprendre dans ces paroles. Il n’a
pas voulu faire comprendre ce que tu dis mais autre chose que nous
nous disons.
Notre Dieu à tous, je te prends pour
arbitre. Voici ma réponse.
18.
Est-ce que par hasard vous diriez qu’est
faux ce que la vérité d’une voix forte dit à mon oreille intérieure
sur l’éternité vraie du créateur ? Que jamais sa substance ne
varie dans le temps. Que sa volonté n’est pas extérieure à sa
substance. Il ne veut pas une chose et puis une autre. Mais il veut
une fois pour toutes et simultanément et toujours tout ce qu’il
veut. Et non encore et encore, ni maintenant une chose et
maintenant une autre. Ni vouloir après ce qu’il ne voulait pas
avant. Ou ne pas vouloir ce qu’il voulait avant. Volonté
inconstante. Or rien d’inconstant n’est éternel. Et notre Dieu est
éternel.
Et aussi cette chose que la vérité dit à
mon oreille intérieure : l’attente des choses à venir est
reconnaissance une fois qu’elles arrivent, et cette reconnaissance
même devient mémoire une fois qu’elles sont passées. Eh bien, cette
attention vouée à changer est inconstante. Or rien d’inconstant
n’est éternel. Et notre Dieu est éternel.
Je recueille et je compare ces vérités et
je découvre que mon Dieu, Dieu éternel, n’a pas eu besoin d’une
volonté nouvelle pour fonder la création et que ses connaissances
n’ont rien de passager.
19.
Alors qu’en dites-vous,
contradicteurs ? Est-ce que c’est faux ?
Non, répondent-ils.
Quoi d’autre ? Est-ce que par hasard
il serait faux que toute forme naturelle ou toute matière
susceptible de forme n’existe que par celui qui est supérieurement
bon parce qu’il est supérieur ?
Non, non, nous sommes d’accord,
disent-ils.
Quoi encore ? Allez-vous nier qu’il
existe une créature sublime attachée au Dieu véritable et
véritablement éternel par un amour si pur que, sans partager
l’éternité de Dieu, elle ne se détache pourtant jamais de lui dans
les variations et les successions temporelles, et ne s’enfuit pas
mais se repose dans la plus authentique contemplation de lui
seul ?
Car elle t’aime autant que tu lui
ordonnes, et c’est toi, Dieu, qui te montres à elle et qui lui
suffis. Elle ne dévie pas de toi. Pas même vers elle-même. C’est la
maison de Dieu, ni de terre ni de corps céleste mais spirituelle et
participant de ton éternité. Sans tache dans l’éternité. Tu l’as
fondée dans les siècles et dans les siècles des siècles.
Tu as posé un enseignement et il ne
passera pas. Mais elle ne partage pas ton éternité puisqu’elle
n’est pas sans commencement : elle a été faite.
20.
Nous ne trouvons pas de temps avant elle.
La première chose qui fut créée, c’est la sagesse. Mais ce n’est
pas bien sûr la sagesse qui t’appartient, notre Dieu, et dont tu es
le père, qui partage entièrement ton éternité, et égale, par
laquelle ont été créées toutes choses, et qui est ce commencement
où tu as fait le ciel et la terre. C’est évidemment la sagesse
créée, cette nature intellectuelle qui, par la contemplation de la
lumière, est lumière. On l’appelle elle aussi sagesse bien qu’elle
ait été créée. Il y a autant de différences entre la lumière qui
éclaire et celle qui est éclairée qu’entre la sagesse qui crée et
celle qui est créée. Comme entre la justice qui justifie et la
justice que produit la justification. Oui, on a dit de nous que
nous étions ta justice. Un de tes esclaves a dit : afin que
nous devenions justice de Dieu en lui. Donc, la première de toutes
les choses créées, c’est une certaine sagesse, esprit rationnel et
intellectuel de ta pure cité, notre mère, tout en haut, libre et
éternelle dans les cieux. Quels cieux ? Ceux qui te louent,
les cieux des cieux. Parce que c’est aussi cela le ciel de ciel du
Seigneur.
Bon, nous ne trouvons pas de temps avant
elle puisqu’elle précède même la création du temps, première de
toutes les choses créées. Pourtant, avant elle, il y a l’éternité
du créateur lui-même qui, en la faisant, lui attribua une origine,
non pas temporelle puisque le temps n’existait pas encore, mais
dans sa condition propre.
21.
Alors elle est bien de toi, notre Dieu.
D’un être entièrement autre et non de l’être même. Et si nous ne
trouvons pas de temps non seulement avant elle mais même en elle,
c’est qu’elle peut voir toujours ton visage et qu’elle ne s’en
éloigne nulle part. Elle ne change donc jamais. Mais il y a en elle
le changement lui-même qui pourrait la plonger dans le noir et la
glacer si le grand amour qui l’attache à toi ne la plongeait pas
dans l’ardente lumière d’un midi perpétuel.
Brillante maison de lumière. J’aime ton
élégance et le lieu où habite la gloire de mon Seigneur. Ton
bâtisseur et ton propriétaire.
Mon voyage est un soupir vers toi.
Et je demande à celui qui t’a faite de me
posséder en toi. Moi aussi il m’a fait.
Je suis perdu comme un agneau égaré. Mais
sur les épaules de mon berger, ton bâtisseur, j’espère revenir vers
toi.
22.
Que me répondez-vous ? C’est à vous,
contradicteurs, que je m’adressais, qui croyez pourtant que Moïse
est un fidèle serviteur de Dieu et que ses livres sont les oracles
du Souffle saint.
N’est-ce pas cette maison de Dieu qui sans
partager l’éternité de Dieu est pourtant éternelle dans les cieux à
sa manière, et dans laquelle vous cherchez sans les trouver les
variations du temps ? Au-delà de toute tension et des temps
passagers de la vie. Elle pour qui le bien c’est d’être toujours
attachée à Dieu.
Oui, c’est elle, répondent-ils.
Alors qu’est-ce qui est faux d’après vous
dans tout ce que mon cœur a crié à mon Dieu, en entendant
intérieurement la voix de sa louange ? Qu’une matière informe
existe là où il n’y a aucun ordre parce qu’aucune forme ? Mais
sans aucun ordre, il ne pouvait y avoir aucune variation
temporelle. Et pourtant ce presque rien, dans la mesure où il
n’était pas totalement rien, devait son existence de celui de qui
tout ce qui est doit son existence si c’est bien quelque
chose.
Oui, nous sommes aussi d’accord là-dessus,
disent-ils.
23.
Oui, je ne veux parler devant toi, mon
Dieu, qu’à ceux qui reconnaissent comme vrai ce que ta vérité dit à
mon intelligence. Les autres peuvent bien aboyer tant qu’ils
veulent. Ils se rendront sourds eux-mêmes. Je m’efforcerai de les
convaincre de se calmer et de trouver un chemin vers ta parole.
Mais s’ils ne veulent pas et me repoussent, je t’en supplie, mon
Dieu, ne reste pas muet avec moi. Parle à mon cœur vraiment. Tu es
le seul à parler comme ça. Je vais les abandonner dehors. Souffler
sur la poussière et jeter de la terre dans leurs yeux. Entrer dans
ma chambre. Chanter l’amour. Mon voyage c’est soupirer
d’impossibles soupirs. Me souvenir de Jérusalem ma mère. Tendre mon
cœur vers elle tout en haut. Jérusalem ma patrie. Jérusalem ma
mère. Et vers toi, au-dessus d’elle. Roi.
Éclaireur. Père. Tuteur. Mari. Purs délices intenses. Joie forte.
Tout sublimement bon. Tout en même temps. Unique sommet. Vrai bien.
Ne pas m’en éloigner. Pas tant que dans la paix de cette mère très
chérie où sont les prémices de mon souffle, l’origine de ces
certitudes, tu recueilles tout ce que je suis dans la dispersion et
le difforme, pour me redonner forme et fermeté pour toujours.
Mon Dieu, mon amour.
Voici ce que je dis à ceux pour qui toutes
ces choses sont vraies, qui respectent et placent comme nous au
sommet des autorités qu’il faut suivre ta sainte Écriture dont
l’auteur est saint Moïse, mais qui pourtant nous font quelques
critiques.
Notre Dieu, tu arbitreras entre mes aveux
et leurs contradictions.
24.
Tu as sans doute raison, disent-ils, mais
Moïse ne visait pas ces deux choses quand il a dit sous la
révélation du Souffle : au commencement Dieu fait le ciel et
la terre. Par le mot ciel, il n’entendait pas cette créature
spirituelle ou intellectuelle toujours en contemplation devant le
visage de Dieu. Ni par le mot terre, la matière informe.
Mais alors quoi ?
C’est nous qui disons ce que ce grand
homme a pensé, et dans les termes mêmes qu’il a employés.
C’est-à-dire ?
Par les mots ciel et terre, il a voulu
signifier le monde visible premier, en général et en bloc. Pour
détailler après, dans l’énumération des jours, presque point par
point, l’univers entier que le Souffle saint a voulu énoncer de
cette façon. Eh oui, il s’adressait à une jeune humanité, à un
peuple de chair, et il a préféré ne lui présenter que les œuvres de
Dieu visibles. Et ils admettent tout à fait que par la terre
invisible et inorganisée, l’abîme obscur (dont on montre par la
suite qu’il a donné tout l’univers visible et connu, créé et
disposé suivant chaque jour), il faut comprendre la matière
informe.
25.
Mais alors un autre pourrait dire que les
mots ciel et terre, qui nous servent souvent à nommer le monde, ont
d’abord servi à suggérer cette matière informe et confuse parce que
c’est à partir d’elle qu’a été fondé et parachevé ce monde visible,
avec le spectacle de toutes les natures.
Mais alors un autre encore pourrait dire
que ciel et terre conviennent tout à fait pour désigner la nature
visible et invisible, et que c’est l’ensemble de la création faite
par Dieu dans la sagesse (c’est-à-dire au commencement) qui est
compris dans ces deux termes.
Mais toutes les choses n’ont pas été
faites à partir de la substance même de Dieu mais à partir de rien.
Elles ne sont pas l’être même comme Dieu. Et toutes ces choses sont
susceptibles de changement qu’elles soient permanentes comme
l’éternelle maison de Dieu ou inconstantes comme l’esprit et le
corps humains. Terre invisible et inorganisée, noir sur l’abîme,
servent alors à désigner et à nommer la matière commune de toutes
les choses visibles et invisibles, matière encore informe mais
certainement capable de recevoir une forme, et dont seraient faits
le ciel et la terre, créature invisible et créature visible
pourvues de formes. À condition de distinguer entre la terre
invisible et inorganisée qui désigne la matière des corps avant
d’être qualifiés par des formes, et le noir au-dessus de l’abîme
qui désigne la matière du Souffle avant que son quasi-fluide
illimité soit contenu et qu’elle-même soit illuminée par la
sagesse.
26.
On pourrait encore dire, si on voulait,
que les mots ciel et terre, dans « au commencement Dieu fait
le ciel et la terre », ne désignent pas les natures invisibles
et visibles déjà parfaites et formées. Mais ils désignent la
naissance encore informe des choses, cette matière susceptible de
prendre forme et d’être créée dans laquelle existent
potentiellement, sans distinction de formes et de qualités, ces
créatures qui, une fois réparties selon leurs ordres respectifs,
s’appellent ciel et terre, l’une spirituelle, l’autre
corporelle.
27.
J’écoute et je prends en considération
toutes ces hypothèses. Je ne veux pas me disputer sur les mots. Ça
ne sert à rien et c’est catastrophique pour ceux qui nous écoutent.
Au contraire, pour l’éducation, la loi est belle quand son recours
est légitime. Son but, c’est d’aimer d’un cœur ouvert, avec une
bonne conscience et une confiance qui ne soit pas feinte. Pour
notre maître, toute la loi et les prophètes dépendent de deux
recommandations. Je les reconnais avec passion, mon Dieu, lumière
de mes yeux dans la nuit. Je ne peux donc pas être gêné par des
interprétations différentes de ces paroles, à
partir du moment où elles sont vraies. Je dis même que je ne suis
pas gêné par une interprétation différente de la mienne de ce qu’a
voulu dire le scribe à l’origine. Tous les lecteurs cherchent comme
nous à poursuivre et à comprendre ce que ce scribe a voulu dire. Et
comme nous croyons qu’il dit la vérité, nous ne pouvons imaginer
qu’il ait voulu dire quelque chose que nous pensons ou savons être
faux. Donc, du moment que nous cherchons chacun à interpréter les
saintes Écritures selon l’intention de leur scribe, quel mal y
a-t-il à les interpréter dans un sens qui pour toi, lumière de
toutes les intelligences vraies, est vrai, même si ce n’était pas
le sens que leur donnait celui qu’on lit ? Mais son sens à lui
aussi était vrai, même si ce n’est pas le même que le nôtre.
28.
Tu as fait le ciel et la terre. C’est
vrai, Seigneur.
Au commencent, il y a ta sagesse avec
laquelle tu as tout fait. C’est vrai.
Le monde visible est constitué de deux
grandes parties, le ciel et la terre. Elles résument à elles seules
l’ensemble de tout ce qui est fait et créé dans la nature. C’est
aussi vrai.
Toute mutation de quelque chose nous
suggère une part informe susceptible de prendre une forme ou de se
transformer et de se modifier. C’est vrai.
Pas un des temps ne peut avoir de prise
sur ce qui est attaché à la forme immuable au point de ne connaître
aucune mutation en dépit de sa nature changeante. C’est vrai.
L’informe, le presque rien, ne peut subir
les variations du temps. C’est vrai.
Un certain tour de langage peut nous faire
désigner quelque chose par le nom de la chose qu’on en fait. On a
pu comme cela appeler ciel et terre la matière sans forme dont sont
faits le ciel et la terre. C’est vrai.
De toutes les choses ayant une forme, la
terre et l’abîme sont les plus proches de l’informe. C’est
vrai.
À l’origine de tout, tu as non seulement
fait ce qui est créé avec une forme mais aussi ce qui est
susceptible de création et de forme. C’est vrai.
Tout ce qui vient de l’informe et qui
prend forme est informe avant d’être formé.
On choisit une vérité parmi toutes ces
vérités dont ne peuvent douter ceux qui sont capables grâce à toi
de les reconnaître, à l’aide de leur œil intérieur, et qui croient
inébranlablement que Moïse ton serviteur a parlé avec le souffle de
la vérité.
Parmi toutes ces vérités, quand on
dit : Dieu fait le ciel et la terre, dans sa parole qui
partage son éternité, il y en a une pour expliquer que Dieu a fait
une créature intelligente ou spirituelle et une créature sensible
ou physique.
Quand on dit : Dieu fait le ciel et
la terre, dans sa parole qui partage son éternité, une autre vérité
est de dire que Dieu a fait toute la masse de ce monde physique
avec tout ce qu’il contient de visible et que l’on peut connaître
dans la nature.
Quand on dit : Dieu fait le ciel et
la terre, dans sa parole qui partage son éternité, une autre vérité
est de dire que Dieu a fait la matière informe à partir de la
créature spirituelle et physique.
Quand on dit : Dieu fait le ciel et
la terre, dans sa parole qui partage son éternité, une autre vérité
explique que Dieu a fait la matière informe à partir de la créature
physique dans laquelle le ciel et la terre étaient encore
confondus, que nous voyons maintenant distincts et formés dans la
masse du monde.
Quand on dit : Dieu fait le ciel et
la terre, dans sa parole qui partage son éternité, une autre vérité
est de dire que Dieu a entrepris son action et son œuvre en faisant
la matière informe, avec de façon confuse le ciel et la terre qui
ont pris forme en elle et sont maintenant visibles, en relief, avec
ce qu’ils contiennent.
30.
Même chose pour l’interprétation des mots
suivants.
Quand on dit : Or la terre est
invisible et inorganisée, et noir au-dessus de l’abîme, cela peut
vouloir dire que cette chose physique que Dieu a faite était la
matière encore informe, sans ordre, sans lumière, des êtres
physiques.
Quand on dit : Or la terre est
invisible et inorganisée, et noir au-dessus sur l’abîme, une autre
vérité est de dire que tout ce qui a été appelé ciel et terre était
la matière encore informe et obscure dont
seraient faits le ciel physique et la terre physique, avec tout ce
qu’ils offrent à la perception physique de nos sens.
Quand on dit : Or la terre est
invisible et inorganisée et noir, au-dessus de l’abîme, une autre
vérité revient à dire que tout ce qui a été appelé ciel et terre
était la matière informe et obscure dont seraient faits le ciel
intelligible, appelé ailleurs ciel de ciel ; et la terre,
toute la nature physique, y compris notre ciel physique, matière
dont serait faite toute créature visible et invisible.
Quand on dit : Or la terre est
invisible et inorganisée, et noir au-dessus de l’abîme, une autre
vérité revient à dire que ce n’est pas cette chose informe que les
Écritures appellent ciel et terre, mais l’informe lui-même qui
existait déjà ; et les Écritures l’ont nommé terre invisible
et inorganisée et abîme obscur. Dieu en a fait, comme les Écritures
l’ont dit plus haut, le ciel et la terre, la créature spirituelle
et physique.
Quand on dit : Or la terre est
invisible et inorganisée, et noir au-dessus de l’abîme, une autre
vérité est d’expliquer qu’il y avait déjà une matière informe dont
Dieu a fait, les Écritures l’ont dit plus haut, le ciel et la
terre, toute la masse physique du monde, répartie en deux, en haut
et en bas, avec toutes leurs créatures familières et connues.
31.
On serait tenté d’objecter aux deux
dernières opinions que vouloir que cette matière informe soit
appelée ciel et terre signifie qu’il y avait quelque chose que Dieu
n’avait pas fait et dont il aurait fait le ciel et la terre. Car
les écritures ne racontent pas que Dieu a fait cette matière, à
moins de comprendre que les mots ciel et terre, ou terre
uniquement, servent à la désigner, quand il est dit : au
commencement Dieu fait le ciel et la terre. Et ce qui suit :
la terre est invisible et inorganisée, si c’est là la matière
informe que les Écritures veulent désigner, nous ne pouvons
comprendre une autre matière que celle que Dieu a faite, selon ce
qui est écrit : il fait le ciel et la terre.
À cette objection, les défenseurs de ces
deux dernières opinions exposées, répondront qu’ils ne nient pas
que cette matière informe ait été faite par Dieu, Dieu par qui tout
est très bon. Oui, dire que ce qui est créé et formé est
supérieurement bon, c’est reconnaître que la potentialité de
création et de forme est un état moins bon, même s’il reste bon. Pourtant, les écritures ne précisent pas
que Dieu a fait cette matière informe. Mais comme beaucoup d’autres
choses qu’elles ne précisent pas : les chérubins, les
séraphins, ou les choses que distingue l’envoyé : trônes,
seigneuries, autorités, pouvoirs 5, et dont il paraît
évident que Dieu les a faites.
Et si la parole « il fait le ciel et
la terre » englobe tout, que dire alors des eaux au-dessus
desquelles s’élève le souffle de Dieu ? Les sous-entendre dans
l’appellation terre revient à exclure la matière informe du nom
terre devant le spectacle de la beauté des eaux. Sinon pourquoi
serait-il écrit que la voûte appelée ciel a été faite à partir de
cette même informité ? Or il est bien écrit que les eaux ont
été faites. Elles ne sont plus ni informes ni invisibles : on
peut admirer la beauté du spectacle des flots. Ou bien les eaux
sont devenues belles quand Dieu a dit : « Rassemblement
des eaux sous la voûte », et qu’elles ont pris leur forme de
ce rassemblement. Mais que dire pour les eaux au-dessus de la
voûte ? Informes, elles n’auraient pas mérité d’occuper une
place si éminente. Et l’Écriture ne donne pas la parole à l’origine
de leur forme.
Il y a donc des choses dont la Genèse ne
dit pas que Dieu les a faites. Et pourtant Dieu les a faites. Une
foi sérieuse et une intelligence sûre n’en doutent pas. Aucune
doctrine sérieuse n’oserait dire que ces eaux partagent l’éternité
de Dieu simplement parce que nous les trouvons mentionnées dans la
Genèse sans que l’on dise explicitement qu’elles ont été faites.
Sinon quand les Écritures parlent de terre invisible et inorganisée
et de noir obscur, pourquoi refuser de comprendre, selon
l’enseignement de la vérité, que cette matière informe a été faite
par Dieu à partir de rien ? Et c’est pourquoi elle ne partage
pas avec lui son éternité, même si ce récit a omis de dire le
moment où elle a été faite.
32.
J’écoute tout ça. Je l’examine avec mes
faibles moyens que je t’avoue, mon Dieu, et que tu connais.
Un exemple. Je vois deux sortes de
désaccords possibles quand des gens dignes de foi nous transmettent
par signes un message. Le désaccord peut porter
soit sur la vérité même de l’objet du message, soit sur l’intention
du messager. À propos de la création, nous pouvons chercher à
savoir ce qui est vrai et nous pouvons aussi chercher à comprendre
ce que Moïse, accrédité au service de ta foi, a voulu faire
comprendre par ces mots, au lecteur ou à l’auditeur. Dans le
premier cas, je rejette tous ceux qui confondent leurs erreurs avec
un savoir, dans le deuxième, je rejette tous ceux qui pensent que
Moïse a dit des erreurs.
Je veux, Seigneur, m’unir en toi, partager
ma joie avec ceux qui se nourrissent de ta vérité dans ton immense
amour. Pour accéder ensemble aux paroles de ton livre. Chercher ce
que tu as voulu dire à travers ce que ton serviteur a voulu dire,
par le calame dont tu t’es servi pour dispenser tes paroles.
33.
Mais parmi tant de vérités possibles,
selon les différentes interprétations de ces paroles, qui d’entre
nous pourrait se prévaloir d’avoir découvert l’intention exacte de
Moïse, le sens qu’il a voulu donner à ce récit, et se prévaloir de
détenir la vérité, quelle que soit l’intention de
Moïse ?
Moi, mon Dieu, moi ton esclave, je t’ai
offert le sacrifice de mes aveux dans ces pages. J’ai supplié ton
amour de m’acquitter de mon vœu envers toi.
Regarde avec quelle confiance je dis que
tu as tout créé dans ta parole immuable, le visible et
l’invisible.
Mais est-ce que je peux dire avec la même
confiance que c’était bien l’intention de Moïse, et pas une autre,
quand il a écrit : « Au commencement Dieu fait le ciel et
la terre » ? Je suis sûr de moi pour ce qui concerne ta
propre vérité, mais c’est différent concernant ce que Moïse avait
en tête, ce qu’il a pensé en écrivant. En disant au commencement,
il a très bien pu penser au début même de l’action. Et pour ciel et
terre, dans ce cas, il a pu comprendre non pas une nature
spirituelle ou physique déjà formée et achevée, mais encore
inchoative et informe. Je vois bien que toutes ces propositions ont
pu être énoncées avec justesse, mais à laquelle Moïse a-t-il pensé
en écrivant ces mots ? Je ne le vois pas aussi bien. Et
pourtant, en prononçant ces mots, quel que soit le sens que ce si
grand homme avait à l’esprit, même un autre sens que je n’aurais
pas évoqué, c’est la vérité qu’il a vue et exprimée comme il faut.
Aucun doute.
Qu’on ne me tourmente plus.
Ce qu’a pensé Moïse, me dit-on, ce n’est
pas toi qui le dis mais c’est moi.
On pourrait me demander comment je peux
savoir que Moïse a pensé ce que je lui fais dire, je répondrais
sans doute plus calmement, je donnerais la réponse que je viens de
faire, en la développant un peu si le ton se durcissait. Mais me
dire, non, ce qu’il a pensé n’est pas ce que tu dis mais ce que moi
je dis, sans même reconnaître que nous disons en fait tous les deux
la vérité… Ô vie des pauvres, ô mon Dieu, cœur sans contradiction,
fais alors pleuvoir en moi une douceur telle que je puisse
supporter ces gens-là avec patience. Ils ne disent pas ça parce
qu’ils sont devins ou parce qu’ils auraient lu ses pensées dans le
cœur de ton serviteur, mais uniquement par orgueil. Ils ne
connaissent pas la pensée de Moïse. Ils aiment la leur, et non
parce qu’elle est vraie mais parce que c’est la leur. Sinon ils
pourraient en aimer une autre par amour de la vérité comme moi
j’aime ce qu’ils disent quand c’est vrai, non parce que cela vient
d’eux mais uniquement parce que c’est vrai. Mais s’ils aiment ce
qu’ils disent parce que c’est vrai, alors c’est à moi autant qu’à
eux puisque c’est le bien commun de tous ceux qui aiment la vérité.
Et s’ils prétendent que la pensée de Moïse n’est pas ce que je dis
mais ce qu’ils disent, je m’oppose, je n’aime pas ça. Même si c’est
vrai, leur prétention ne repose sur rien de scientifique, c’est une
audace due à leur arrogance et non à une vision qu’ils auraient
eue.
Oui, Seigneur, tes jugements sont
redoutables. Ta vérité n’est pas plus à moi qu’à d’autres mais à
nous tous. Tu nous appelles publiquement à la partager et tu nous
fais cet avertissement terrible de ne pas se l’approprier à titre
privé si on ne veut pas précisément en être privé. Quiconque
revendique pour lui-même ce que tu proposes à la jouissance de
tous, et veut accaparer pour lui ce qui appartient à tous, s’exclut
de la communauté, passant ainsi de la vérité au mensonge. Car celui
qui ment ne parle que de lui.
Fais attention, excellent juge, Dieu,
vérité même. Fais attention à ma réponse à ce contradicteur. Fais
attention. Je réponds devant toi, devant mes frères qui font
légitimement recours à la loi pour faire aboutir l’amour. Fais
attention, et vois ma réponse, s’il te plaît. Une réponse
fraternelle et pacifique.
Si nous reconnaissons tous les deux, lui
dis-je, à la fois que ce que tu dis est vrai, et que ce que je dis
est vrai, d’où nous vient cette certitude ? Je ne la trouve
pas en toi et tu ne la trouves pas en moi. Mais nous l’avons
trouvée ensemble dans quelque chose de supérieur à nos
intelligences : l’immuable vérité. On ne met pas en doute la
lumière de notre Seigneur notre Dieu, et pourquoi mettre en doute
la pensée de notre prochain ? Elle ne se voit pas comme se
voit l’immuable vérité. Imaginons. Moïse en personne nous apparaît
et nous dit : voilà ce que je pense. Nous ne voyons rien de
plus mais nous y croyons. Ne prenons donc pas le parti de l’un
contre l’autre, au-delà de ce qui est écrit. Aimons le Seigneur
notre Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre
esprit, et notre prochain comme nous-mêmes. C’est en vertu de ces
deux commandements de l’amour que Moïse a pensé tout ce qu’il a
pensé dans ces livres. Ne pas y croire revient à faire mentir le
Seigneur en prêtant à son serviteur, notre semblable, un sentiment
différent de celui de l’enseignement qu’il a reçu. Oui, ce serait
idiot, devant l’abondance des affirmations parfaitement véridiques
que l’on peut tirer de ces paroles, d’affirmer avec témérité
laquelle correspond à la pensée de Moïse, et de saper par de
regrettables disputes cet amour même, unique raison de tout ce
qu’il a dit et que nous nous efforçons d’interpréter.
36.
Mon Dieu, tu élèves mon abaissement, tu
reposes mon travail, tu entends mes aveux, tu pardonnes mes
fautes.
Tu me donnes l’ordre d’aimer mon prochain
comme moi-même, et je ne peux croire que tu aies moins donné à
Moïse, ton fidèle serviteur, que ce que j’aurais souhaité et désiré
pour moi-même, si j’étais né à son époque, et que tu m’avais confié
sa mission : révéler avec mon cœur et ma langue ces écritures,
encore utiles si longtemps après à tous les
peuples, et dont l’autorité écraserait dans l’univers entier les
paroles de toutes les fausses et prétentieuses doctrines. Oui, si
j’avais été Moïse, j’aurais voulu – nous sommes tous issus de la
même masse, et qu’est-ce que l’homme si tu ne te souviens pas de
lui ? – si donc j’avais été qui il a été, et si tu m’avais
attelé au travail d’écrire la Genèse, j’aurais voulu recevoir la
même faculté d’expression, cette même façon de tisser les mots, qui
permet aux lecteurs encore incapables de comprendre comment Dieu
crée de ne pas être dépassés, et aux lecteurs déjà, eux, en mesure
de comprendre, de pouvoir découvrir que la vérité à laquelle ils
sont arrivés est implicitement présente dans les quelques paroles
de ton serviteur. Et que si un autre y reconnaît encore une autre
pensée, dans la lumière de la vérité, elle ne manque pas non plus à
l’intelligence des mêmes paroles.
37.
Une source, qui n’occupe qu’un tout petit
espace à l’origine, est pourtant plus abondante, et distribue son
eau à de plus vastes espaces que n’importe lequel de ces ruisseaux
qu’elle engendre et qui traversent tant de régions. C’est
comparable au récit de celui qui répand ta parole, utile aux
nombreux interprètes postérieurs. Quelques petits discours, à
l’origine, font jaillir des flots de vérité limpide. Chacun en tire
à son profit la vérité qu’il est capable d’y trouver, ceci ou cela,
et la développe en de longues circonlocutions. Il y en a, lisant ou
entendant ces paroles, qui se représentent Dieu comme un homme ou
comme une sorte de masse aux pouvoirs énormes, qui aurait
brutalement décidé de faire hors de lui, comme à distance, le ciel
et la terre. Deux corps immenses, en haut et en bas, qui
contiendraient tout. Dieu dit quelque chose, entendent-ils, et
c’est fait. Ils s’imaginent des paroles avec un commencement et une
fin, qui passent une fois prononcées dans le temps. Et qui, une
fois passées, cèdent aussitôt la place à ce qui a reçu l’ordre
d’exister. C’est une façon familière de penser, propre à la chair.
Ce sont encore de tout petits êtres primaires. Leur faiblesse
engendre cette façon très fruste de parler, comme des enfants sur
le sein de leur mère, et permet malgré tout de construire une foi
salutaire. D’autres retiennent que c’est Dieu qui a fait toute la
diversité de l’étonnant spectacle qu’ils
perçoivent. Mais si l’un d’entre eux rejette ces paroles de
pacotille et par prétention folle s’élance hors du nid nourricier,
hélas il tombera, le pauvre.
Seigneur Dieu aie pitié. Ce petit oiseau
sans plumes ne doit pas être piétiné sur le chemin par les
passants. Envoie ton ange pour le remettre dans son nid, pour y
vivre jusqu’à ce qu’il sache voler.
38.
Pour d’autres encore, ces paroles ne sont
plus un nid mais un verger opaque. Ils voient des fruits cachés.
Ils volettent avec joie. Gazouillent en épiant. Picorent. Oui, ils
voient, à la lecture ou à l’écoute de tes paroles, Dieu éternel,
que ton séjour permanent est au-dessus de tous les temps passés et
à venir. Pourtant, pas une créature temporelle que tu n’aies faite.
Ta volonté, c’est-à-dire toi, sans jamais changer et sans avoir à
recourir à une volonté nouvelle qui n’existait pas avant, a tout
fait. Et non sur ta ressemblance, forme de tout, mais sur une
dissemblance informe tirée du néant, et qui prendrait forme par ta
ressemblance, en revenant en toi, l’Un, selon la capacité fixée à
chaque chose selon son espèce. Toutes les très bonnes choses
seraient faites soit placées autour de toi soit à des distances
proportionnelles, beautés variables dans l’espace et le temps.
C’est ce qu’ils voient et ils s’en réjouissent dans la lumière de
ta vérité, autant qu’il leur est possible ici-bas.
39.
Un autre s’arrêtera sur ce qui a été
dit : « Au commencement Dieu fait… » Pour lui, la
sagesse, c’est le commencement parce qu’elle aussi nous parle. Ou
un autre encore s’arrêtera sur ces mêmes paroles et comprendra le
commencement comme le début de la création des choses. Pour lui,
« au commencent il fait » signifie « d’abord il
fait ». Et parmi ceux qui comprennent qu’au commencement,
c’est dans la sagesse que tu fais le ciel et la terre, certains
croient que sous le nom même de ciel et terre, on désigne la
matière qui sert à créer le ciel et la terre. Ou pour un autre, ce
sera les natures déjà formées et distinctes. Un autre encore verra
sous le nom de ciel une première nature spirituelle et formée, et
une seconde sous le nom de terre, informe et physique.
Et parmi ceux pour qui les noms de ciel et
de terre désignent une matière encore informe à partir de laquelle
le ciel et la terre prendront forme, tous ne comprennent pas la
même chose. Pour certains, c’est le point de départ de la
perfection de la créature intelligente et de la créature physique,
pour d’autres ce n’est que l’origine de cette masse sensible
physique qui contient dans son immensité les natures visibles et
perceptibles.
Et ceux qui croient que ciel et terre
désignent dans ce passage les créatures déjà distinctes et classées
ne comprennent pas non plus la même chose. Certains y voient la
créature invisible et la créature visible, d’autres uniquement la
créature visible dans laquelle nos yeux contemplent le ciel
lumineux et la terre obscure avec tout ce qu’il y a en eux.
40.
Mais si « au commencement il
fait » revient à dire « d’abord il fait », c’est se
priver de tout autre moyen d’interpréter correctement ciel et terre
autrement que comme la matière du ciel et de la terre, la matière
de la création universelle, intelligible et physique. Car s’il
s’agit d’un univers déjà formé, on peut justement se demander ce
que Dieu a fait après, si Dieu a fait cela d’abord. Mais après cet
univers, on ne trouvera plus rien. On aura alors le déplaisir de
s’entendre dire : pourquoi ce d’abord si après il n’y a
rien ? Mais dire : d’abord la nature informe, après la
nature formée, n’est pas absurde, à condition de pouvoir distinguer
quatre sortes de priorités : l’éternité, le temps, le choix,
l’origine. L’éternité : Dieu prime sur tout ; le
temps : la fleur vient avant le fruit ; le choix, on
préfère le fruit à la fleur ; l’origine, le son est à
l’origine du chant. De ces quatre ordres de priorités, que je viens
d’évoquer, le premier et le dernier sont très difficiles à
comprendre, les deux autres très faciles.
Oui Seigneur, c’est une vision rare et
ardue : comprendre que ton éternité fabrique, sans changement,
du changement – ce qui explique qu’elle soit première. Et quel
esprit suffisamment aiguisé peut reconnaître sans trop de
difficultés en quoi le son est à l’origine du chant ? Le chant
est fait de formes sonores. Ce qui est peut ne pas avoir de formes
mais ce qui n’est pas ne peut avoir de formes. Il y a priorité de
la matière sur la forme, pas une priorité du faire, elle est plutôt
passive, ni même une antériorité dans le temps.
Il n’y a pas de matière sonore informe qui précéderait le chant, et
que nous aurions à ajuster et à façonner pour former un chant comme
on travaille le bois pour fabriquer un coffret ou l’argent pour un
vase. Dans ces exemples, la matière a une antériorité sur les
objets qu’on fabrique à partir d’elle. Ce n’est pas le cas du
chant. Chanter c’est entendre le son du chant, mais aucune sonorité
informe n’a précédé la formation du chant. Le son émis passe
inévitablement, et on ne peut rien en faire. Le chant n’est rien
d’autre que son propre son, lequel constitue sa matière propre.
Matière qui pour être chant est forme sonore. Comme je l’ai dit, la
matière sonore a priorité sur la forme chantée. Ce n’est pas un
rapport de cause à effet, le son n’est pas l’artisan du chant. Le
son émis par le corps est au service de l’âme du chanteur pour être
chant. Ce n’est pas un choix non plus, le son n’est pas meilleur
que le chant. Le chant n’est qu’un son, un beau son. Le son est
bien à l’origine du chant. Ce n’est pas le chant qui forme le son
mais le son qui forme le chant. Par cet exemple, on comprendra, si
possible, que la matière des choses a été faite d’abord, et appelée
ciel et terre, parce que le ciel et la terre ont été faits à partir
d’elle. Mais elle n’a pas été faite d’abord dans le temps. Ce sont
les formes des choses qui donnent naissance au temps. Or cette
matière était informe et n’est apparue que dans et avec le temps.
Mais on ne peut en faire aucun récit sans lui reconnaître une sorte
de priorité temporelle, alors qu’elle est tout en bas (les formes
étant meilleures que l’informe), et qu’elle est précédée par
l’éternité du créateur pour que de rien quelque chose soit
fait.
41.
C’est à la vérité elle-même d’accorder ces
différentes propositions vraies. Que notre Dieu ait pitié de nous
et nous aurons légitimement recours à la loi, dans un seul
but : le commandement du pur amour.
Et l’objet de mes aveux n’est pas
d’apprendre aux autres quelle est la pensée de Moïse, ton illustre
serviteur. Si je ne t’avoue rien là-dessus, c’est que je n’en sais
rien. Je sais seulement qu’il s’agit de propositions vraies, à
l’exception de celles uniquement inspirées par la chair. Et j’en ai
dit tout ce que j’en pensais.
Les tout petits de bonne espérance ne
doivent pas être terrifiés par les paroles de ton Livre :
profonde humilité, riche parcimonie. Et nous tous qui, je le
reconnais, voyons et disons la vérité de ces paroles, nous devons
nous aimer les uns les autres. Et t’aimer toi tout autant, notre
Dieu, source de la vérité si nous sommes assoiffés d’elle et non de
notre vanité. Et ton serviteur, qui a partagé cette Écriture,
rempli de ton souffle, nous devons l’honorer. Et croire qu’en
écrivant ces choses sous ta révélation, il a été attentif à ce
qu’il y avait en elle de meilleur comme vérité éclairante, comme
fruits utiles.
42.
Quelqu’un me dit qu’il sait ce que Moïse a
voulu dire, un autre prétend la même chose, j’arbitre en disant
qu’il est sans doute plus respectueux de penser que les deux
propositions sont vraies. Et même chose si quelqu’un d’autre voit
dans ces paroles un troisième sens vrai, un quatrième, et d’autres
encore : pourquoi ne pas croire que Moïse les a tous vus,
puisque c’est par son intermédiaire que le Dieu unique a adapté la
littérature sacrée à nos sensibilités multiples pour qu’elles y
voient différentes choses vraies.
Moi-même, je l’affirme sans peur et du
fond du cœur, si j’avais à écrire quelque chose de si important,
j’écrirais pour que mes paroles fassent écho à tout ce que chacun
pourrait y trouver de vrai, plutôt que de privilégier une
interprétation unique de la vérité, dont l’évidence exclurait
toutes les autres, pourtant sans erreur susceptible de me
choquer.
Non je ne veux pas, mon Dieu, être
inconséquent au point de croire qu’un si grand homme n’ait pas reçu
la même chose de toi. Moïse a parfaitement éprouvé et pensé en
écrivant ces paroles tout ce que nous pouvons y trouver de vrai, et
tout ce que nous ne pouvons pas, ou pas encore, y trouver mais
qu’on peut y trouver pourtant.
43.
Enfin, Seigneur, tu es Dieu et non chair
et sang. Même si un homme ne peut tout voir, il est sûr que rien de
ce que tu devais révéler dans ces paroles aux futurs lecteurs n’a
pu échapper à ton souffle qui est bon et qui me conduira sur la
terre du droit. Même si celui par qui elles ont été dites n’a pensé qu’à un seul des multiples sens
vrais. Et dans ce cas, ce sens auquel il a pensé doit dominer tous
les autres.
Mais à nous, Seigneur, montre-nous ce sens
ou un autre tout aussi vrai, comme tu voudras. Et en nous faisant
découvrir le même sens qu’à ton serviteur ou un autre, toujours à
propos des mêmes paroles, tu nous conduis dans les pâturages, et
nous ne sommes plus le jouet de l’erreur.
Oui, Seigneur mon Dieu. Tant de choses sur
si peu de mots. Oui, nous avons écrit tant de choses. À ce rythme,
quelles forces, quel temps suffiront pour l’ensemble de tes
livres ?
Laisse-moi limiter mes aveux et ne retenir
qu’un seul sens. Le sens vrai, sûr et bon, que tu m’auras inspiré.
Indépendamment du nombre possible d’occurrences. Mes aveux sont
fidèles quand je dis ce que ton intermédiaire a pensé, de façon
parfaite et juste. Je dois m’y efforcer. Et si je n’y arrive pas,
alors je dirai ce que ta vérité a voulu que je dise à propos des
paroles de Moïse, comme elle lui a dit, à lui aussi, ce qu’elle a
voulu.
1. Lettre aux Romains 8,
31.
↵
2. Matthieu 7, 7 et suiv.
↵
3. Psaumes 115, 16. Nous avons voulu
préserver la part énigmatique de l’expression du psalmiste, en
latin ici traduite par caelum caeli (littéralement le ciel
du ciel), et traduire « le ciel de ciel », pour signifier
ce « super ciel ». Dans la traduction de l’hébreu des
psaumes, M. Sevin et O. Cadiot ont traduit : « le ciel le
ciel ».
↵
4. Toutes les citations bibliques de
ce chapitre sont extraites de Genèse 1.
↵
5. Lettre aux Colossiens 1,
16.
↵