CHAPITRE VII

Mais ils n’étaient pas seuls – pas vraiment.

— C’est comme pour ces idiots procéduriers, déclara Zozridor Slayke à l’un de ses officiers, le Sénat a toujours été mauvais dans la répartition des forces. Il laisse une place de grande importance stratégique comme ça, avec une seule garnison pour la protéger. Qu’est-ce que vous croyez que vont faire les Séparatistes ? Rester assis, bien sagement ?

— Les forces de la République sont dispatchées à peu près partout, monsieur, répliqua l’officier en haussant les épaules. Est-ce que nous y allons, maintenant ?

Il sourit à son supérieur et s’avança doucement. C’était le moment qu’il attendait depuis longtemps.

Zozridor Slayke lui rendit son sourire.

— Et on leur fait la plus grande surprise de leur vie ? Tu parles ! Rassemblez mon état-major.

L’atmosphère était tendue dans le carré du Plooriod Bodkin : c’était toujours le cas avant une bataille, mais on n’y décelait aucune nervosité. Les officiers rassemblés devant les cartes recouvertes d’indications étaient excités par le futur combat, comme une meute de chiens de guerre Cyborréens retenus par une laisse.

Zozridor Slayke, lui, était détendu, comme toujours. Dépassant d’une bonne tête ses officiers, un mélange d’humains et de créatures variées, on l’identifiait comme leader au premier coup d’œil. Ça n’était pas que sa longue tunique sans ornements avec un haut col – l’uniforme standard au sein de son armée –, mais aussi l’attitude déférente que lui témoignaient les autres officiers. Slayke dégageait l’impression de confiance propre à ceux qui se savent responsables et qui agissent avec détermination. Ses hommes, du plus humble soldat au plus haut gradé, le savaient également.

— C’est vraiment encombré, par ici.

Slayke désigna la carte holographique des couloirs spatiaux autour de Praesitlyn et Sluis Van. Ce commentaire entraîna quelques rires parmi les officiers.

— Ils sont quatre fois plus nombreux que nous.

Il fit cette remarque d’un ton égal, comme s’il parlait du temps.

— Bon. Maintenant qu’on est là, quelqu’un a un plan ?

Il regarda autour de lui.

— M-mais monsieur ! Nous pensions que vous en aviez un, s’exclama un homme à côté de lui en prenant un air horrifié.

Sur ce, tout le monde éclata de rire. Ils savaient bien que Zozridor Slayke avait clairement un plan. Et ils le connaissaient suffisamment bien pour en deviner l’essence même : l’attaque, l’attaque, l’attaque.

Slayke les laissa s’amuser avant de lever la main pour réclamer le silence.

— Voyons voir… Le dernier rapport annonce cent vingt-six vaisseaux en orbite autour de Sluis Van, c’est bien ça ?

Il fit un signe de tête à son chef des renseignements qui le lui confirma.

— C’est mauvais, reprit-il, les Sluissis seront bien trop occupés à défendre leur planète. Mais la flotte Séparatiste y est également bloquée, ce qui joue en notre faveur, car ces vaisseaux ne nous attaqueront pas. L’état-major ennemi a divisé ses forces. C’est aussi une bonne nouvelle. Et de plus, les Séparatistes ignorent que nous sommes là… Pas encore. C’est, de loin, la meilleure nouvelle.

La façon dont Slayke insista sur le pas encore fit naître quelques rires supplémentaires parmi les officiers.

Il pointa son doigt sur l’écran qui montrait le secteur de Sluis.

— Il y a environ deux cents vaisseaux en orbite autour de Praesitlyn, dont de nombreux croiseurs. Ça, c’est mauvais.

Il se gratta pensivement la barbe, puis se passa l’index sous le nez avant de saisir son lobe d’oreille, comme s’il ne savait plus quoi dire. Il fit encore un signe de tête à son chef des renseignements.

— Vos drônes de reconnaissance évoquent une très grande armée de droïdes, postée au sol.

— Oui, monsieur. Il semble qu’ils aient vaincu la garnison de défense et qu’ils se soient également emparés du Centre de Communication Intergalactique. Compte tenu du nombre de vaisseaux de transport, j’estime leur nombre à environ un million de droïdes. Ils sont bien décidés à rester, monsieur.

— Très bien. Ils sont plus nombreux et c’est très mauvais, mais ce ne sont que des droïdes. Et ça, c’est plutôt bon signe.

Encore d’autres rires.

— Monsieur, ils ont réussi à bloquer toutes les communications sur Praesitlyn, dit l’officier réseau.

Slayke hocha la tête.

— Nous devons supposer, continua l’officier, que la République ignore encore ce qui s’est passé. Je ne sais pas comment ils s’y sont pris, ce doit être une technologie récente. Cette fichue fédération du commerce a englouti des millions de crédits dans la recherche et le développement, donc ça n’a rien d’improbable. Mais au moins, nos communications à nous n’en sont pas affectées. Jusqu’à ce qu’on aille sur Praesitlyn.

Ces idiots du Sénat, murmura Slayke pour lui-même, ils vont réussir à la perdre, cette guerre.

Il s’appuya des deux mains sur les bords de l’écran et se concentra sur les vaisseaux ennemis qui étaient en orbite autour de Praesitlyn. Des petits points blancs tellement nombreux qu’on les aurait pris pour un nuage d’astéroïdes évoluant tout autour de la planète.

— Nous sommes la seule armée à pouvoir intervenir, dit-il. Vous connaissez tous l’importance stratégique de Praesitlyn pour la République, pour nos planètes natales, nos amis, nos familles.

Il fit une pause et dit doucement :

— Voilà comment nous allons faire.

La flotte de Slayke était bien maigre si on la comparait à celle qu’elle n’allait pas tarder à attaquer. Elle comprenait des chasseurs furtifs, des destroyers et des frégates légères de classe Phénix. Ses vaisseaux principaux étaient des croiseurs légers de type Carrack, des corvettes corelliennes, des bombardiers et des chasseurs d’assaut. Bien que son infanterie ne soit grosse que de cinquante mille hommes, elle était parfaitement entraînée, très motivée et largement équipée de nombreux véhicules blindés, speeders et autres barges d’appui. Le grand avantage de cette armée provenait du fait que toutes ses catégories fonctionnaient en parfaite symbiose, infanterie, tanks, artillerie, appui aérien, ils étaient tous capables d’opérer selon un plan de bataille souple et flexible. De plus, Slayke faisait entièrement confiance à ses officiers lorsqu’il s’agissait de prendre les bonnes décisions au bon moment.

Quelqu’un de raisonnable avait considéré sans doute que c’était de la folie pure que d’attaquer avec une armée aussi réduite, mais Zozridor Slayke n’était pas raisonnable.

Il se tourna vers ses officiers et leva le doigt.

— Nous frapperons ici.

Il abattit son poing sur la table. Un coup violent.

— Nous concentrerons nos forces sur l’un des secteurs de leur cordon, nous les attaquerons avec tout ce que nous avons sous la main et nous nous frayerons un passage pour permettre à nos troupes de débarquer. Ça ne sera pas une partie de plaisir pour nos vaisseaux en orbite, mais nous compterons sur vous pour semer le chaos au sein de leur flotte. Dès que nous aurons atterri, nous saisirons l’ennemi par le cou et nous ne le lâcherons plus. De cette façon, leur flotte ne prendra pas le risque de nous attaquer pour ne pas détruire leurs propres forces. Notre première attaque bénéficiera d’un effet de surprise total, et il va leur falloir du temps pour retrouver leurs marques. Nous en profiterons pour passer.

Il s’interrompit un moment.

— Nous allons construire un pont pour le brûler immédiatement après. Ce sera vaincre ou mourir.

Ils le savaient tous. Une fois débarquée, l’armée de Slayke ne pourrait espérer le moindre renfort si les choses tournaient mal. L’échec n’était tout simplement pas permis. Mais Slayke n’était pas un crétin trop sûr de lui.

— J’ai envoyé un message sur Coruscant, continua-t-il, pour demander du renfort.

Il haussa les épaules.

— Peut-être qu’ils nous enverront un ou deux Jedi.

Les autres rirent de nouveau. Tous savaient à quel point Slayke méprisait les Jedi.

— Il faut voir les choses du bon côté, monsieur, dit un officier qui se tenait au fond de la salle, au moins nous n’aurons pas à partager la victoire avec eux.

— Bien dit ! Avant qu’ils viennent mettre leur nez dans nos affaires, on aura le temps de s’amuser avec ces petits soldats de plomb. Bon, qu’en pensez-vous ?

— Hourraaaaa ! crièrent les officiers à l’unisson en frappant le sol de leurs bottes.

— Vous prendrez vos ordres avant de retourner à bord de vos vaisseaux respectifs, annonça Slayke.

Il n’avait pas encore dit repos.

C’était le moment qu’attendait Zozridor Slayke depuis longtemps. Il avait tout risqué, quitte à devenir un hors-la-loi, pour être ici avec son armée au bon moment. Il se voyait lui-même comme un pivot de l’Histoire.

Slayke se redressa de toute sa hauteur. Il s’adressa à ses officiers une dernière fois. Ces soldats avaient été recrutés dans toute la galaxie et ils avaient obtenu leurs grades et leurs postes de commandement grâce à leur dévotion, leur fiabilité et leurs compétences.

— Rappelez-vous qui vous êtes ! cria-t-il.

Le dernier mot résonna dans la salle de commandement.

— Ce que vous allez entreprendre n’a rien à voir avec la célébrité ou l’ambition ; vous n’allez pas combattre par nécessité, comme des esclaves ! Vous allez vous battre par devoir envers notre peuple.

Slayke fit une pause. Le carré était parfaitement silencieux. Il y avait des larmes dans les yeux de certains. Slayke prit sa respiration. Quand il parla de nouveau, ce fut d’une voix forte qui sonna haut et clair.

— Les Fils et les Filles de la Liberté s’attendent à ce que chacun fasse son devoir !

 

Odie et Erk ne s’étaient pas beaucoup éloignés des grottes avant que le sol et le ciel ne s’emplissent de nouveau des fureurs de la guerre. Mais un peu plus loin, cette fois.

— Le général Khamar doit être en train de contre-attaquer, annonça Odie en retirant son casque.

Erk ôta la couverture de survie dont il se servait pour s’emmitoufler le visage et se protéger du sable. Il scruta le ciel.

— Je ne crois pas. Regarde !

Il désigna le nord, juste au-dessus de l’horizon, là où de brillants doigts de feu semblaient jaillir du vide. Tout là-bas, le ciel s’embrasa en millions de flashes brillants, suivis quelques secondes plus tard par un grondement sourd. L’un des piliers de flammes éclata en myriades de traînées lumineuses.

— Des vaisseaux qui atterrissent ! cria Erk. L’un d’eux vient d’être touché. Les renforts ! Coruscant a envoyé des renforts !

Il se serra impulsivement contre Odie et l’embrassa sur la joue.

Odie en fut tellement surprise – et heureuse – qu’elle ne sut comment réagir. Aussi lâcha-t-elle rapidement :

— Le sergent Maganinny dit toujours que les vrais éclaireurs vont toujours là où ils entendent des coups de feu. On y va ?

— Pousse cet engin au maximum et allons-y !

Mais quand Odie actionna la manette des gaz, le moteur gémit faiblement.

— Plus de batterie ?

Erk espéra ne pas paraître aussi inquiet qu’il l’était vraiment. Il descendit de la motojet pour qu’Odie puisse atteindre le compartiment des batteries, à l’arrière.

— Non, répondit-elle d’un air soucieux. Ces trucs ne tombent habituellement pas en panne.

— Là, regarde, là.

Erk désigna un petit trou sur la protection extérieure et le toucha du doigt.

— On t’a tiré dessus. Regarde les bords, c’est brûlé.

— Je… J’ai effectivement eu des mots avec des moto-jets ennemies, dit-elle en effleurant l’impact.

Elle grimaça et regarda ailleurs. Le compartiment était plein de poussière et les batteries étaient collées entre elles par du sable vitrifié par la chaleur. Alors qu’ils regardaient à l’intérieur du compartiment, l’une des batteries fit un petit pop et de la fumée en sortit.

— Terminé, dit-elle. On est des piétons, désormais.

Elle fit un pas en arrière, regarda sa motojet pendant quelques instants et se mit à pleurer.

— Hey ! dit Erk, tout va bien, on s’en sortira.

— Ce n’est pas ça.

Odie secoua la tête.

— C’est ma… C’est ma motojet.

— Oh, soupira Erk en s’insultant intérieurement, bien sûr, j’aurai dû m’en douter.

Il soupira encore.

— Une éclaireuse et sa motojet. Un pilote et son vaisseau.

Il haussa les épaules.

— Allez viens, soldat, nous sommes veufs tous les deux, maintenant.

Odie sourit entre ses larmes.

— C’est idiot, je sais, mais tu sais, entre cette motojet et moi…

Elle eut un geste de dépit.

— À quelle distance crois-tu qu’on est du centre ?

— Peut-être à soixante-quinze, cent kilomètres ?

— Tu penses qu’on peut y arriver à pied ?

Odie secoua la gourde.

— Si nous économisons l’eau.

Ils avaient tous les deux bu avec avidité avant de quitter les grottes, essayant de remplir leur corps au maximum avant d’affronter la longue journée qui les attendait. Mais ils avaient prévu de faire la route en motojet. Pas à pied.

— Tu sais s’il y a des points d’eau, en chemin ?

— On regardera, répondit-elle en secouant la tête.

Elle ouvrit le petit coffre pour en sortir ce dont ils auraient besoin pendant leur marche.

— On a vraiment du bol, pas vrai ? dit Erk avec ironie.

— Bon, eh bien j’espère que tes sandalettes tiendront le coup.

Odie désigna ses propres bottes d’éclaireuse, une paire solide et robuste, capable de résister aux pires conditions que peuvent rencontrer les bataillons de reconnaissance. Celles de Erk étaient en revanche beaucoup plus légères.

— Avec moi comme copilote, c’est comme si on était déjà arrivé, répliqua Erk en s’inclinant pour la laisser passer.

 

— Nous sommes quoi ? couina Tonith en bondissant sur ses pieds et en renversant du thé sur sa robe de cérémonie quand son chef d’état-major lui annonça qu’ils étaient attaqués. Par qui ? Je veux tout savoir ! cracha-t-il en se reprenant.

— Apparemment, monsieur, nous avons été suivis par une petite flotte. Ils n’ont pas pu venir de Coruscant ou de Sluis Van, et ils doivent nécessairement être peu nombreux pour qu’on ne les ait pas détectés avant.

Tonith interrompit Karaksk d’un geste impatient.

— Il suffit.

Son esprit travaillait déjà. Il avait horreur des surprises, mais il fallait bien faire avec. Au moment même où le Bothan commençait son rapport, Tonith sut que le pire était à venir. Il n’en restait pas moins calme.

— Monsieur ! souffla Karaksk, je crois que vous auriez dû rester avec la flotte ; les vaisseaux sont totalement désorganisés.

Alors qu’il prononçait ces mots, il les regretta aussitôt et se prépara mentalement aux hurlements qui ne manqueraient pas de suivre.

Tonith leva une main.

— Non. L’histoire s’écrira ici, pas en orbite.

Il fit une pause et Karaksk soupira de soulagement en constatant que l’amiral ne lui tenait pas rigueur de sa remarque.

— Très bien, enchaîna Tonith, comme s’il se parlait à lui-même, ils sont bien moins nombreux et ils sont derrière nous. Voilà ce qu’ils vont faire : tenter de s’approcher au maximum pour que nos vaisseaux en orbite ne les bombardent pas. Il leur faut une sacrée dose de courage pour tenter un truc pareil.

Il agita ses doigts boudinés au nez du Bothan.

— Mais la frontière entre le courage et la stupidité est bien mince. Voyons comment nous allons pouvoir inverser la tendance. Commencez par fortifier immédiatement vos positions. Nous allons les laisser nous attaquer autant qu’ils le voudront. Quand ils seront lessivés, nous contre-attaquerons.

Précautionneusement, Tonith récupéra sa tasse de thé. Il vida les quelques gouttes qui y restaient à même le sol et se remplit méthodiquement une nouvelle tasse. La rumeur du combat était proche. Il sourit, découvrant ses dents tachées.

— Ah, enfin un challenge, dit-il en sirotant son thé. Très intéressant. Vraiment très intéressant.

Le seul facteur dont Zozridor Slayke n’avait pas tenu compte était Pors Tonith.