CHAPITRE XIII

Ils sentirent le champ de bataille avant même de l’apercevoir, L’Loxx stoppa sa motojet à l’ombre d’un rocher.

— C’est maintenant que ça devient coton, dit-il à Erk et Odie. Il y a environ un kilomètre de terrain à découvert avant nos positions. Il est toujours surveillé et l’ennemi y tire sur tout ce qui bouge. Nos droïdes ont construit toute une série de bunkers et de tranchées le long de la plaine. Une fois arrivés dans notre périmètre de défense, on sera à l’abri. Mais c’est la partie à découvert qui pose de sérieux problèmes. Je l’ai fait plusieurs fois. Il faut zigzaguer un maximum. Suivez-moi, je sais où passent nos lignes. Le mot de passe du jour est Veuve et Orphelin si on est séparé.

— Qu’est-ce que c’est que cette odeur ? grogna Erk en se pinçant le nez.

L’Loxx sourit faiblement au pilote.

— C’est vrai, j’oubliais que vous n’avez aucune expérience du combat rapproché.

C’était dit avec le dédain du soldat d’infanterie, celui-là même qui vivait, se battait et saignait dans la boue, envers celui qui dormait dans un lit et combattait dans ce qu’on appelait un « environnement propre ».

— Vous ne le savez pas encore, mais il y a des dizaines de milliers de soldats en bas. Tous rassemblés au même endroit.

Il regarda au loin et son visage perdit toute expression l’espace d’un instant.

— Par ailleurs, on n’a pas encore eu le temps d’enterrer tous nos morts.

Il secoua la tête et revint au présent.

— Voilà ce que nous allons faire. Je vais y aller en premier sur la motojet de Jamur. Ils vont me reconnaître comme un des leurs. Une fois que je serai à l’abri, vous rappliquerez sur la soixante-quatorze Z. On ne le voit pas d’ici, mais il y a une planque un peu plus loin qui couvre la totalité de la zone au cas où l’ennemi nous attaquerait par-derrière. Je leur dirai de ne pas vous tirer dessus. Quant aux autres, ils vont ouvrir le feu sur les batteries ennemies pour vous couvrir. Ça devrait les occuper suffisamment longtemps pour vous permettre de passer sains et saufs. Rappelez-vous du mot de passe parce qu’ils le vérifieront. Vous pourrez vous débrouiller avec cette motojet, Monsieur le Pilote ?

— Ouaip. Un de ces jours, je vous ficherai sur le siège arrière de mon vaisseau et je vous montrerai ce que c’est qu’un vrai rodéo, rétorqua Erk.

L’Loxx sourit.

— J’attends ça avec impatience, lieutenant. Une dernière chose. Nous nous sommes rendu compte que l’IA qui commandait les tirs ennemis ne réagissait qu’au mouvement. Si vous tombez ou que vous êtes blessés, ne bougez pas et personne ne vous prendra pour cible.

— Combien de temps doit-on rester immobile, si ça se produit ? demanda Odie.

— Jusqu’à ce qu’on vienne vous chercher. Prêts ?

L’armée de Slayke s’était enterrée le long du lit asséché de la rivière qui faisait face au plateau sur lequel était installé le Centre de Communication Intergalactique. Plusieurs places fortes connectées par des tranchées et des tunnels avaient été construites. Les restes de nombreux droïdes de guerre constellaient la zone, muette preuve de la violence des combats.

À cet instant précis, les lignes étaient relativement calmes. De temps en temps, des armes à haute énergie envoyaient leurs rayons de-ci, de-là, ou bien Slayke pilonnait les positions ennemies, mais en dehors de ça, tout paraissait immobile.

Au moment même où L’Loxx entama sa traversée, les lasers ennemis le prirent pour cible. Il lui fallut plus de trente secondes de zigzags frénétiques pour se mettre à l’abri dans une tranchée.

— Houlà, houlàlà, murmura Odie en faisant rugir son moteur avant de s’élancer comme une fusée dans la pente.

Elle parcourut presque la moitié de la distance avant que l’ennemi n’ouvre le feu, momentanément surpris par la présence d’une de leurs motojets en plein no man’s land. Quelle que soit la chose, ou l’être, qui s’occupait du tir, il lui fallut manifestement beaucoup de temps avant de comprendre que l’engin ne pouvait être des leurs, dans la mesure où aucune motojet Séparatiste ne prendrait directement la direction des positions ennemies. Au même moment, l’artillerie de Slayke répondit aux tirs, considérablement réduits quand Odie se mit à l’abri.

Erk déglutit nerveusement. Les paumes de ses mains étaient moites sur les commandes de la motojet. Il avait rapidement appris à piloter l’engin pendant leur long voyage à travers le désert, mais on lui demandait maintenant une habileté technique qu’il n’était pas sûr de posséder. Une erreur qu’il ne ferait pas serait de débouler exactement du même endroit emprunté par Odie et L’Loxx. Tous les canons ennemis devaient être pointés sur cette zone, désormais. Précautionneusement, il fit glisser sa motojet une centaine de mètres plus bas. Cela impliquait qu’il devrait filer vers la tranchée amie en suivant un angle correct. Le terrain serait-il différent par rapport à la trajectoire des autres ? Ses zigzags désordonnés les perturberaient-ils ?

Il mit les gaz, sortit sur une dizaine de mètres et vira si violemment sur la gauche que ses dents manquèrent s’envoler. Pris par surprise, le canon ne lui tira pas dessus immédiatement, mais au bout de quelques secondes, nombre de rayons lacérèrent la terre autour de lui. Erk zigzagua comme un dément, gauche droite, gauche droite, droit devant sur quelques mètres ; arrêt d’une seconde ; de nouveau droit devant ; virages en épingle tous les deux mètres. Il pouvait sentir la chaleur des tirs ennemis alors que les canonniers le traquaient. Ils auraient pu ouvrir un mur de feu entre lui et les tranchées, mais ne le firent pas. Ils continuèrent à le suivre en tant que cible individuelle, centimètre après centimètre, comme s’il s’agissait d’un jeu.

Erk ne vit jamais la dépression dans le sol. Au moment où il l’abordait, un tir toucha le réservoir et la motojet explosa en une gerbe orange. Il eut à peine le temps de se jeter à terre à pleine vitesse, heurtant le sol avec suffisamment de violence pour perdre connaissance. Ces quelques secondes d’inconscience le sauvèrent, les tireurs ennemis confondant son immobilité avec la mort.

Erk se rendit compte que quelqu’un tentait de le remettre sur pied.

— Allez ! Allez !

C’était Odie. À moitié assommé, il agrippa la machine qu’elle pilotait et s’y accrocha de toutes ses forces. La motojet bondit à pleine vitesse, manquant de le faire retourner au sol. Odie tourna brutalement de gauche à droite, parfois si bas que les genoux d’Erk touchèrent le sol. En une seconde, ils furent à l’abri dans la tranchée. Odie coupa le contact et des mains jaillirent du bunker pour les aider à descendre.

— Beau travail ! cria le sergent L’Loxx. Monsieur le pilote, j’espère que vous êtes meilleur à bord de votre vaisseau qu’aux commandes d’une motojet ! Il va falloir qu’un médecin examine votre genou.

Erk hocha la tête d’un air hébété, toujours sonné par sa chute. Puis il se remit et demanda :

— Où est l’unité médicale ?

— À cinquante mètres d’ici, il y a un tunnel qui y va tout droit.

L’Loxx pointa une entrée sur la droite.

— Suivez le chemin, vous ne pouvez pas la rater.

Il se retourna vers un de ses soldats.

— Frak, montre-lui la route et attends-le là-bas. Si les toubibs ne peuvent pas s’en occuper de suite et qu’ils pensent que ça ira, ramène-le tout de suite. On le soignera plus tard.

Pendant que le sergent donnait ses ordres au première classe Frak, Erk se remit sur pied. Il regarda la partie haute de la tranchée pour s’assurer qu’il était bien à l’abri des tirs ennemis. Il suivit Frak dans le tunnel.

Le regard inquiet d’Odie fixa Erk quelques instants, mais elle décida que tout se passerait bien et qu’une question était urgente :

— Il y aurait moyen de trouver un truc à manger ?

— C’est bien ce que tout le monde ici voudrait savoir, répondit L’Loxx. Tout ce que je peux vous offrir, c’est un endroit au calme.

Il la mena dans un petit bunker pourvu d’un matelas. Odie se fichait complètement de l’état de saleté du matelas qui avait sans doute accueilli nombre de soldats crasseux. Au moins, il n’était pas posé directement sur le sol. Elle s’endormit avant même de fermer les yeux.

Le sergent L’Loxx la réveilla une heure plus tard.

— Venez, dit-il. Le capitaine Slayke veut vous voir, vous et monsieur le pilote.

Odie s’assit et se frotta les yeux. Elle marmonna quelque chose. Le seul mot que L’Loxx comprit, c’était « Erk ».

— Il est de retour et on s’est occupé de lui. Allons-y, le capitaine vous attend.

 

Essentiellement composée de volontaires venus des quatre coins de la galaxie, l’armée de Slayke était un mélange polyglotte de différentes espèces. Dans la mesure du possible, Slayke avait veillé à ce que les membres d’une même espèce restent ensemble. Alors que le trio progressait le long de la tranchée, ils croisèrent une unité d’ingénieurs Gungans occupés à consolider un bunker souterrain. Un peu plus loin, une compagnie de Bothans prenait son quart. Partout, on trouvait les déchets inhérents à la guerre : droïdes combattants détruits, armes abandonnées, effets personnels et toutes sortes de boîtes vides qui jonchaient le sol. Des ingénieurs et des droïdes couraient en tout sens, ramassant les armes, travaillant à la reconstruction des murs endommagés ou récupérant tout ce qui pouvait l’être.

Le poste de commandement se trouvait dans un bunker profondément enterré. C’était un chaos organisé, des officiers et des soldats criant leurs rapports depuis l’extérieur, d’autres prenant leurs ordres, certains gérant les milliers de détails propres au maintien d’une armée en plein champ de bataille. Et au milieu de cet apparent désordre se tenait Zozridor Slayke.

Le sergent L’Loxx s’approcha du capitaine, attira son attention et salua.

— Rapport de reconnaissance, monsieur, annonça-t-il.

— Omin, je vois que vous vous en êtes tiré encore une fois.

Slayke hocha la tête en lui demandant de poursuivre, et L’Loxx fit son rapport, terminant par sa rencontre avec Odie et Erk et le retour au bercail.

Slayke leva une main.

— Bienvenue au sein de ma victorieuse petite armée. Vous savez s’il y a d’autres survivants parmi les hommes du général Khamar ?

— Non monsieur, répondit Erk. Ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas d’autres, c’est juste que nous n’avons vu personne.

Slayke secoua la tête.

— C’est dommage. On aurait eu bien besoin d’eux. Bon, comme vous êtes là, on fera avec. Vous êtes pilote de chasseur, lieutenant ? J’aurais bien aimé pour procurer un vaisseau, mais nous en manquons. Vous, soldat, vous êtes un éclaireur ? Ce sont mes yeux et mes oreilles. Ici, je dépends fortement de soldats comme Omin.

Odie fut surprise de voir que Slayke connaissait et appelait les soldats par leurs prénoms.

— L’ennemi cherche constamment à nous déborder et à nous attaquer par-derrière. C’est pour ça que les unités de reconnaissance sont si importantes à mes yeux. J’ai besoin de quelqu’un pour remplacer le caporal Nath. Jamur était un type bien, mais il est mort, désormais. Seriez-vous d’accord pour occuper son poste ?

Avec Slayke qui la regardait droit dans les yeux, ce fut très difficile pour Odie de ne pas répondre Oui monsieur ! en criant. Mais elle répondit :

— Si c’est possible, monsieur, je préférerais rester et combattre aux côtés du lieutenant Erk.

Elle déglutit et ne put s’empêcher de rougir.

— C’est un pilote, monsieur, il ne sait pas se battre à terre. Il a besoin de quelqu’un pour lui tenir la main.

Elle rougit encore plus quand elle réalisa comment on pouvait interpréter ses paroles.

Slayke haussa les sourcils, jeta un œil au sergent L’Loxx qui haussa les épaules, puis se tourna vers Erk.

— Heu… c’est-à-dire que c’est ma copilote, monsieur, enfin, en quelque sorte, dit Erk.

— Ah ? répondit Slayke, venez avec moi.

Il leur montra une carte holographique qui se trouvait derrière eux. On y voyait la représentation tridimensionnelle des positions des troupes de Slayke.

— Là, ce lit asséché est un no man’s land et il sépare nos armées. Nos lignes sont très proches les unes des autres.

Il sourit d’un air avide.

— J’ai fait en sorte de nous positionner ici pour que les vaisseaux en orbite ne puissent nous prendre pour cible sans détruire leurs droïdes. Ce qui veut dire que n’importe quel vaisseau qui rompt l’engagement avec les nôtres peur venir par ici pour voir ce qui s’y passe. Ils ont rapidement pigé et ont aussi rapproché leurs troupes pour que nos vaisseaux ne puissent pas non plus les bombarder depuis l’espace.

Il pointa du doigt une casemate fortifiée.

— Cette position est la plus avancée. On l’appelle Izable, et elle est là pour nous avertir du moindre mouvement ennemi, du moindre détail qui pourrait laisser penser qu’une attaque se prépare. Environ six cents mètres derrière Izable, il y a deux autres points, Eliey et Kaudine. Et nous, nous sommes là, la position principale.

À cinq cents mètres derrière nous, il y a la dernière place forte, Judlie. C’est par là que vous êtes entrés chez nous. Judlie nous couvre sur l’arrière. Ces cinq positions sont largement enterrées et possèdent un angle de tir de cent quatre-vingts degrés, parfaitement synchronisé avec les autres points. Si l’ennemi réussit à passer à travers nos lignes, n’importe quelle position peut lui tirer dessus. Là, là, là et là, vous avez les positions d’artillerie, elles aussi bien enterrées. Mais elles peuvent tirer quasiment jusque dans nos propres lignes. Si l’ennemi réussit à passer, on ne le loupera pas. Chaque casemate est reliée aux autres par une série de tunnels et de tranchées pour nous permettre d’y envoyer soldats et matériel. Cet endroit est une petit merveille de conception. Nous l’avons construite en seulement deux jours, et sous le feu ennemi. Tout ça grâce à nos ingénieurs et à nos droïdes ouvriers. Ce sont eux qui ont sauvé cette armée. De l’autre côté du lit asséché, vous avez les positions ennemies. Ils occupent cette grande plaine. La mesa, ici, est celle où le Centre de Communication Intergalactique est construit. C’était l’objectif principal de l’ennemi, et je suis persuadé que les forces qui y sont massées sont considérables. Je suis également persuadé qu’en tant que membre de l’armée du général Khamar, vous connaissez bien cet endroit. Leur commandant, qui que ce soit, est un malin. Il a essayé par six fois de nous déborder, mais nous l’avons repoussé à chaque fois. On a eu des pertes, mais ses droïdes sont tombés par milliers. Il a pris deux fois Izable, mais nous l’avons repris aussitôt. Maintenant, il se contente de tester nos lignes à la recherche d’une faille. Et il creuse des tunnels. Oui, il y en a un en cours en ce moment même, à environ cent mètres de profondeur, dirigé tout droit vers Izable. Quand il l’atteindra, il y entassera des tonnes d’explosifs et la fera sauter jusqu’en orbite. Alors nous creusons nous aussi, droit vers eux, pour les anéantir avant qu’ils aient le temps d’agir. Savoir qui verra l’autre le premier est intéressant, n’est-ce pas ?

Il eut un sourire féroce.

— Quelles sont nos chances ? demanda Erk.

— Avant qu’on attaque, j’ai envoyé un message sur Coruscant demandant de l’aide. Peut-être qu’elle arrivera à temps. Peut-être pas. Pour l’instant, nous ne pouvons compter que sur nous, mais on a vraiment chamboulé l’emploi du temps de ce type.

Il désigna les positions ennemies sur la carte.

— À mon avis, il attend lui aussi des renforts. Celui qui nous fait face en ce moment a été envoyé pour sécuriser le centre, pas pour attaquer. Les renforts devraient donc être importants. Si jamais ils arrivent avant les nôtres…

Il haussa les épaules.

— Quels sont vos projets, en attendant ? demanda Odie.

— Nos projets ? Je vais les mordre aussi fort que possible.

Les officiers autour d’eux éclatèrent de rire.

— Quant à vous, eh bien on a toujours besoin de renfort à Izable. Qu’en pensez-vous ?

— Oui monsieur.

— Sergent L’Loxx, donnez-leur à manger, de l’équipement et amenez-les à Izable. Ils dépendront du lieutenant D’Nore. Bonne chance.

Il leur serra la main.

 

La nourriture qu’on leur donna se composait de rations de combat conçues pour se métaboliser le mieux possible, et non pour satisfaire des caprices culinaires. Quand ils eurent fini de manger, L’Loxx leur donna à chacun un baudrier d’équipement.

— C’est la ceinture-harnais standard d’infanterie, mais on y a ajouté quelques bricoles en plus qui seront utiles sur le terrain. Faites un inventaire complet dès que vous en aurez le temps. Ça peut vous sauver la vie.

Le lieutenant D’Nore était un Bothan fatigué qui luttait pour maintenir son unité opérationnelle à cent pour cent, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C’était lui qui avait dirigé l’attaque récente qui avait permis de reprendre Izable aux droïdes de guerre. Depuis, les rares moments où il avaient pu dormir n’avaient pas duré plus de quelques minutes.

— Je ne vais pas les laisser reprendre Izable, déclara-t-il à ses deux nouveaux combattants. Vous serez affectés au poste avancé qui couvre le secteur cinq.

Il ne prit pas la peine de leur montrer où diable se trouvait le « secteur cinq » et s’éloigna d’eux pour entendre un rapport venu du secteur trois. Il leur cria par-dessus son épaule :

— On parlera plus tard. J’avais trois personnes là-bas, mais elles ont été blessées et évacuées. Quoi qu’il arrive, ne tirez pas à moins d’être attaqués. Je ne veux pas que l’ennemi sache qu’on occupe encore ce point.

Sur ce, il disparut dans une tranchée.

Un sergent qui passait par là leur lança :

— Venez, vous deux. Je vais vous conduire là-bas. Assurez-vous de ne jamais sortir la tête de la tranchée, ou vous serez abattus à coup sûr.

Largement courbés, tous deux le suivirent dans la direction opposée à celle prise par le lieutenant. Après quelques virages et détours, la tranchée aboutit sur une embrasure fortifiée.

— Secteur cinq, annonça le sergent.

Des traces de sang et des morceaux de vêtements indiquaient l’endroit où les médecins avaient soigné les soldats blessés.

— Je n’ai jamais vu une arme comme ça, dit Erk en contemplant le laser-mitrailleur E, sans même parler de savoir comment ça marche.

— J’ai appris à utiliser tout type d’arme au sol, lui répondit Odie. Je m’occuperai du canon, et toi tu surveilleras l’écran du générateur.

Elle se tourna vers le sergent.

— Quand serons-nous relevés ?

— Quand on vous relèvera, et je n’ai pas la moindre idée de quand ça sera.

Il leur tendit à chacun une ration supplémentaire.

— Faites-les durer, c’est tout ce qui nous reste. Dormez à tour de rôle. L’un de vous doit surveiller sans arrêt l’écran tactique. Faites un point radio toutes les trente minutes. N’en oubliez aucun. Ne tirez que lorsque vous avez une cible. Vous n’êtes pas là pour stopper un assaut, mais pour nous avertir d’une attaque et les ralentir. Quand ils seront tout près, ce sera le moment d’abandonner la position et de revenir vous mettre à l’abri dans la tranchée principale le plus vite possible. C’est à vous de voir quand vous devez vous tirer, mais ne tardez pas trop. Votre code de communication est Espoir Cinq. Le poste de commande est Izzy Six. Synchronisez vos montres. Il est seize heures quinze. Faites un check à seize heures quarante-cinq.

Sur ce, il repartit dans la tranchée.

Malgré toute sa motivation, Odie ne s’était pas vraiment entraînée intensément au maniement du laser-mitrailleur E, et il lui fallut plusieurs minutes pour se refamiliariser avec l’engin. Quand elle se sentit suffisamment sûre d’elle, elle en expliqua les bases à Erk.

— Normalement, ce laser est connecté aux autres via un réseau interne, dit-elle, ce qui veut dire qu’en cas d’attaque, les autres lasers nous couvriront automatiquement. Et vice versa.

Elle vérifia rapidement la connexion réseau.

— Bon. Ça marche. Tout a l’air correctement branché et alimenté, on n’aura pas à s’en charger nous-mêmes. Ça prend en général une quinzaine de minutes.

— Quels sont les effets de ce truc ? demanda Erk en désignant le laser-mitrailleur.

Il se débarrassa de son équipement et le déposa dans un coin.

— Tu ferais mieux de le garder, Erk, lui dit-elle. On ne sait jamais quand on peut en avoir besoin.

— Ouais, j’y ai jeté un œil. Des produits de beauté, essentiellement… Et pour la plupart, je ne sais même pas à quoi ils servent. Qu’est-ce qu’il y a dans les poches, là ?

— Des trucs utiles. Je n’ai pas encore eu le temps d’en faire l’inventaire, mais…

— Je veux que tu m’apprennes à utiliser ce laser, Odie. Je n’ai pas besoin de toutes ces saletés sur moi. Ça ne fera que me gêner. Dis-moi seulement s’il y a des choses dont je peux avoir besoin, ok ?

— Ok. Bon, ce laser, tu vois, est une arme très efficace. Sa portée utile n’est que de deux cents mètres, mais elle peut atteindre un demi-kilomètre. Avec le champ de tir croisé, je ne crois pas qu’aucun droïde puisse passer. Ton boulot, c’est de surveiller l’alimentation sur l’écran et de t’assurer que le canon ne devient pas trop chaud. Si on me descend, appuie sur le bouton auto du générateur. Ça évitera les surcharges, mais ça va aussi faire baisser la cadence de tir. Je vais t’apprendre tout ce qu’il y a à savoir et on prendra nos quarts juste après.

— Comment tu sais tous ces trucs ?

— Les éclaireurs font aussi partie de l’infanterie, répondit Odie. J’ai été entraînée à utiliser toutes sortes d’armes, même si je n’ai pas de fusil laser sur moi.

L’embrasure avait été profondément creusée dans le rocher et leur assurait une relative sécurité, aussi bien sur les côtés qu’au plafond. L’observation directe n’était possible que via des ouvertures étroites tracées dans la pierre. Erk jeta un œil à travers une meurtrière. Malgré la lumière déclinante, il distingua clairement le sol torturé entre le secteur cinq et le lit asséché, constellé de débris de droïdes. Il se demanda ce qui avait bien pu arriver aux gars qui tenaient la position quand elle avait été prise. Pour la première fois, il ressentit comme un sentiment de désespoir. Comment pouvait-on espérer survivre dans cette place forte ?

— Il va falloir qu’on dorme avec nos casques, remarqua-t-il. On va avoir besoin des visées infrarouges dès qu’il fera nuit.

— C’est vrai. Le laser a un système infrarouge d’acquisition de cibles. Je vais te montrer comment ça marche avant qu’il fasse trop sombre.

La nuit passa calmement. Les autres premières lignes subirent quelques escarmouches, d’où des tirs sporadiques. À chaque fois, le réseau com bourdonna de rapports et d’ordres et Odie et Erk furent rapidement opérationnels. Mais dès que tout fut calme, tous deux dormirent à tour de rôle. Ils divisèrent la nuit en quarts de deux heures. Odie avait suffisamment appris à Erk l’usage du laser pour qu’il puisse ouvrir le feu sur tout ce qui bougerait dans leur secteur. Même à travers ses lunettes à visée nocturne, les yeux d’Erk lui jouaient de sales tours. Chaque motte de terre semblait bouger s’il les regardait suffisamment longtemps. Il dut se frotter les yeux régulièrement et secouer la tête pour s’éclaircir les idées. Il lutta pour rester éveillé. En tant que pilote de chasseur, il savait parfaitement combien la moindre seconde d’inattention pouvait être fatale, mais il n’était pas en train de piloter. Il était assis dans un trou boueux qui sentait le sang et l’urine, la faim au ventre, en grave manque de sommeil et perclus de douleurs sur chaque partie de son corps. Son genou, notamment, le lançait violemment.

Il soupira, se secoua les os et cligna les yeux plusieurs fois de suite. Le ciel s’éclaircirait d’ici quelques minutes, puis ce serait l’aube. En temps normal, il adorait le petit matin, quand le reste du monde était encore endormi et que tout était calme, propre, apaisé. Il frissonna. Dans ce coin de Praesitlyn, les nuits étaient glaciales et les journée brûlantes. Il regarda Odie. Elle s’était endormie de suite après s’être couchée. Il sourit. Elle aurait pu être dehors, avec les autres éclaireurs, à faire ce qu’elle savait faire, à piloter librement sa motojet dans l’air chaud du désert. Mais elle avait choisi de rester avec lui, et voilà qu’elle était dans ce trou, avec une minuscule paroi rocheuse qui la séparait de l’armée ennemie. Quand tout ce bordel serait terminé…

Le cœur d’Erk manqua un battement. Quelque chose avait bougé ! Les paumes de ses mains devinrent instantanément moites. Il toucha Odie du pied et elle se réveilla immédiatement.

— Il y a quelque chose dehors, murmura-t-il.

Il était parfaitement réveillé, comme si chaque fibre de son corps avait réagi à la poussée d’adrénaline. Il fut tout étonné de s’entendre ricaner d’excitation.

— Venez, venez, murmura-t-il en faisant la mise au point sur l’optique de l’arme, impatient que les choses sérieuses commencent enfin.

Il pouvait voir comme en plein jour à travers la lentille.

Puis, ce fut comme si l’intégralité de son champ de vision se soulevait et se jetait sur lui.

— Izzy Six, Izzy Six, Espoir Cinq. Les voilà ! dit-il rapidement.

Erk ouvrit le feu sur la masse grouillante des droïdes. Il avait conscience de la présence d’Odie à ses côtés, surveillant l’écran du générateur alors que le laser rugissait.

Une petite voix à l’intérieur de son casque lui demanda :

— Espoir Cinq, ici Izzy Six. Combien sont-ils ? Je répète, combien sont-ils ? Terminé.

— Des milliers ! hurla Erk, des milliers !