Un coup de feu avait rompu le silence. Un son amorti, recouvert d’une autre nappe de silence. Un seul coup de feu. Quelques secondes d’inattention, et tout avait basculé.

Kalya avance dans ce silence durci, dans ce vide. Murs, portes, volets restent clos. Elle avance dans ce lieu de nulle part, semblable à d’autres et d’autres lieux d’où s’élève et se répand le malheur.

Rien qu’un terre-plein. Rien qu’un tronçon d’asphalte. Rien qu’un tueur, peut-être encore à l’affût. Un tueur sans cause ? Un zélateur interchangeable ? Rien ne bouge. Sauf cette robe blanche de Kalya, idéale pour faire un carton.

Une ligne médiane va de l’immeuble jusqu’au centre de la Place, un sillon mène de Sybil jusqu’à Myriam et Ammal, un axe conduit la vie. Un intervalle qui dure et dure. Une trêve, assaillie de questions, alourdie de souvenirs.

L’étroite main du temps enserre les vies, puis les déverse dans la même poussière. Pourquoi abréger cette étincelle entre deux gouffres, pourquoi devancer l’œuvre de mort ? Comment arracher ces racines qui séparent, divisent alors qu’elles devraient enrichir de leurs sèves le chant de tous ? Qu’est-ce qui compose la chair de l’homme, la texture de son âme, la densité de son cœur ? Sous tant de mots, d’actes, d’écailles, où respire la vie ?

 

* *
*

 

Kalya arrive. Kalya approche. Quelques secondes encore.

L’embusqué n’a plus tiré une seule balle. La jeune femme, au buste redressé, ne s’agite plus. Elle se calme, elle attend un secours proche. Peut-être que l’autre n’est que légèrement blessée ?

Les fenêtres s’ouvriront, l’ambulance arrivera. Tout n’est pas encore dit…