11 : Les petites lumières bleues (suite)
Nils tendit l'oreille : le murmure caractéristique, annonciateur d'une station principale, flottait enfin dans l'air.
Sans mot dire, ils accélérèrent tous deux le pas. Nils devait se tordre les jambes pour éviter de peser trop lourdement sur la plante de ses pieds. Lou jetait des regards ennuyés sur les corps couchés, de plus en plus nombreux. Elle rabattait sans cesse ses cheveux d'un mouvement sec et nerveux de la tête.
La lueur vert cru se mêla d'éclats intermittents, rouges et bleus.
Trois ou quatre personnes étaient assises près de l'entrée du dortoir. Nils se tourna vers Lou :
- Vous entrez ? Je vais jusqu'au distributeur pendant ce temps-là. Je vous attends.
- Oui, on ne sait jamais.
Elle haussa les épaules, franchit le seuil, écrasée de lumière rouge clignotante, puis disparut.
Nils passa devant la trappe aux morts, où personne n'attendait, atteignit le distributeur de tabac Löh. Peu de monde, dans cette station. Quel silence ! À l'idée de fumer, Nils eut un haut-le-coeur. Ses tempes bourdonnaient. Il se posta devant l'oeil de verre, pressa trois fois de suite sur le déclic vert sombre.
Un cri strident le fit sursauter.
Lou, débouchant du dortoir, courait vers lui. Elle le tira par la manche. Il n'eut que le temps de s'emparer des rations de tabac.
- Venez, chuchota Lou à bout de souffle. Venez. J'en ai trouvé une. Il n'y a pas un instant à perdre.
- Mais quoi ?
Elle ne répondit pas, lui enjoignit de se taire en posant un index sur ses lèvres.
Ils pénétrèrent dans le dortoir. Le coeur de Nils battait à tout rompre. Ses joues étaient brûlantes, ses doigts durs comme des tiges métalliques. Lou lui jeta un bref regard complice.
Depuis qu'il avait quitté Andrée, il n'était pas entré dans une cellule. Il n'avait pourtant oublié ni les dimensions, ni l'agencement, ni l'harmonie des couleurs, ni la douceur de la température ambiante. Combien de fois avait-il espéré s'étendre sur une bonne literie, tout en sachant, l'entrée du dortoir à peine franchie, qu'il ne trouverait rien ? Au dernier moment quelque chose lui rappelait toujours qu'il aspirait bien sûr au repos mais que le but ne se trouvait pas là, derrière ces portes. Le but était à même le couloir, vers l'avant, en direction du petit point sombre. Il souhaita un instant qu'Andrée réapparaisse et lui fasse réciter ces mots plus forts que la peur dès qu'ils parviennent à la nommer.
La peur, la nouveauté. Nils s'immobilisa, embrassa du regard les deux rangées parallèles de petites lampes bleues. Toutes, lui sembla-t-il étaient allumées. Mais il n'eut guère le temps de parfaire son observation. Lou l'entraînait en avant.
- Venez ! Allez ! Dépêchez-vous !
Multitude de petites lampes bleues. Multitude de portes, toutes semblables.
Lou s'arrêta, pointa son index :
- Là : regardez !
Au-dessus de l'avant-dernière porte de la rangée de droite, la lampe était éteinte.
- Ce n'est pas possible, voyons. Avez-vous au moins essayé de l'ouvrir ?
- Non, j'ai couru vous chercher aussitôt.
- Mais si...
Il tendit une main vers la poignée métallique, hésita quelques instants, puis sa main retomba le long de son corps.
Lou l'avait regardé faire d'une mine désolée.
- Mais s'il y a quelqu'un à l'intérieur ? fit-il, comme pour s'excuser, sachant que la question n'avait aucun sens.
Lou fixait sans ciller la lampe éteinte, maxillaires contractés. Sur son front perlaient des gouttes de sueur. Nils eut envie de boire quelques gorgées de cette eau limpide et fraîche coulant des robinets.
Des bruits de pas résonnèrent du côté de l'entrée.
Il suffisait de tirer sur la poignée. Si la porte s'ouvrait, la cellule était inoccupée.
Et l'on se relevait, et l'on marchait, et ensuite, fourbu, l'on dormait.
Le sang vicié retournait au coeur puis, purifié, était rejeté vers les organes.
Affolé, Nils songea qu'une fois entré il ne verrait plus l'écran jaune.
Un homme corpulent, joues graisseuses et lèvres épaisses, s'arrêta à leur niveau.
- Vous entrez, ou pas ? Faudrait vous décider. Vous avez vu, c'est éteint.
Il bâilla, puis ajouta :
- J'ai sommeil.
Lou lui jeta un regard dédaigneux.
- Vous nous prenez pour qui ? Bien sûr, qu'on entre !
D'un geste ferme, elle tira sur la poignée.