Épilogue

 

 

Jeudi 9 avril

 

LENNY PÉNÉTRA DANS LE COMMISSARIAT DE LA 87e RUE, supportant les habituels regards noirs et les sifflets avec le sourire.

Arrivé à destination, il déclara :

— Enlève ce stylo de ta bouche.

L’inspecteur Bernstein leva les yeux.

— Salut, Lenny.

— Prêt à aller voir Sara et Sam ?

— Je finis, j’en ai pour une seconde.

— Qu’est-ce que c’est ?

— De la paperasse. Je ne fais plus que ça.

— Tiens bon. Quelqu’un doit tracer la voie.

Max se mit à tripoter sa moustache qui avait repoussé.

— Je ne me suis jamais considéré comme un pionnier.

— Parfois, la grandeur vous tombe dessus.

— Plus personne ne m’adresse la parole, dit Max.

— Ah, la solitude du grand homme !

— C’est pas drôle, Len.

— Tu regrettes d’en avoir parlé ?

Max se remémora la conférence de presse sept mois plus tôt. Des journalistes des médias du monde entier étaient là pour couvrir l’arrestation du Poignardeur de gays et les révélations sur la supercherie du SRI. Ce jour-là, Max n’avait pas prévu de dire autre chose que l’habituel « Ç’a été un travail d’équipe », et puis…

Un reporter avait demandé :

— Qu’est-ce que ça vous fait d’être un héros, inspecteur ?

— Je suis seulement content que l’affaire soit résolue.

— Vous vous rendez compte que vous êtes devenu une idole ? Un modèle que les parents citent en exemple à leurs enfants ?

— J’en doute.

— Ne soyez pas si modeste, inspecteur. D’après vous, cette affaire montre-t-elle jusqu’où la communauté homosexuelle est prête à aller pour tromper le public américain ?

— Je ne comprends pas votre question.

— Pensez-vous qu’il s’agisse d’un complot mené par un groupe gay subversif pour obtenir plus d’argent pour le sida ?

— Le Dr Riker a agi seul, il n’y a aucun doute là-dessus, avait répondu Max. De plus, puisque je suis votre héros de la semaine, laissez-moi vous dire que moi-même…

Et il avait craché le morceau.

— Tu regrettes d’être sorti du placard ? demanda Lenny.

Max haussa les épaules.

— Je ne sais pas.

— Tu as fait beaucoup de bien à la cause.

— Ma carrière est dans un cul-de-sac.

Lenny sourit.

— À quelque chose malheur est bon. Prends ton mal en patience.

— Tu as d’autres clichés réconfortants dans ce genre-là ?

— Non. Mais n’oublie pas que, juridiquement, la police ne peut rien contre toi.

— Sauf me cantonner à la paperasserie. C’était à moi de m’occuper de ce tueur du carnaval, mais ils ont mis quelqu’un d’autre sur le coup. Je n’hérite que d’affaires de pédés sans intérêt, parce que, selon le capitaine, c’est mon domaine d’expertise.

— C’est un homophobe d’un autre siècle, dit Lenny. Tu veux qu’on monte le voir tous les deux dans son bureau pour que tu me le présentes ?

Max pouffa.

— Je préfère pas, non.

— Ne t’inquiète pas. Ils finiront par t’accepter. Fais-moi confiance. Le progrès prend du temps.

Max sortit le stylo de sa bouche.

— J’en doute.

— Salut, Tic !

Max se retourna vers Willie Monticelli. Il n’avait pas revu le brigadier depuis des semaines.

— Salut, Willie. Ça fait un bail.

Willie hésita.

— Qui c’est ? Votre petit ami ?

— Lenny, je te présente le brigadier Willie Monticelli. Willie, voici Lenny Werner.

— J’ai beaucoup entendu parler de vous, brigadier. Ricanements parmi les policiers qui se trouvaient autour.

— Ah ? Et qu’est-ce qui se dit ?

— Que vous êtes un bon flic, répondit Lenny.

Willie haussa les épaules.

— Je fais mon boulot.

— Que puis-je pour vous, Willie ?

Une voix dans un coin :

— Fais gaffe à ta réponse, Willie. Tu recevras peut-être plus que tu as demandé.

— La ferme, Owens ! répliqua Willie.

Max tira nerveusement sur sa chemise.

— Alors ?

— J’ai été désigné pour travailler avec vous sur l’affaire du tueur du carnaval. Apparemment, le maire n’est pas content des résultats d’Owens et de ses gars. Il veut qu’on s’y colle.

— C’est vrai ?

— Ecoutez, Tic, que les choses soient claires…

Willie remonta son pantalon par la ceinture.

— Je ne suis pas grand amateur de pédés. Mais j’ai vu toutes sortes de flics dans ma carrière, et pas toujours des reluisants… Vous, vous faites ce que vous voulez, je m’en branle. Tout ce qui m’intéresse, c’est de résoudre cette affaire, hein ?

Lenny adressa un sourire à Max.

— Tu vois, il y a des progrès.

— Courrier !

Le gardien lança une enveloppe par les barreaux.

— Tenez, docteur Maboul. Une lettre pour vous.

Le cœur d’Harvey se souleva quand il vit le cachet de Washington. Il déchira l’enveloppe.

 

Docteur Riker,

Les experts du NIH ont examiné les dossiers que vous m’avez envoyés. Si nous apprécions tous les efforts entrepris pour accélérer la découverte d’un vaccin contre le sida, je suis au regret de vous dire que nous ne vous considérons plus comme un scientifique honorable.

De plus, je ne peux que m’inscrire en faux contre les accusations absurdes et sans fondement que vous proférez dans le courrier que vous m’avez adressé. Je démens catégoriquement l’existence d’une quelconque « conspiration ». Cependant, il me semble que le gouvernement et le mouvement de lutte contre le sida n’auraient rien à gagner à ce que vous rendiez publiques ces allégations mensongères. Pour cette raison, je pense que nous pourrions parvenir à un accord satisfaisant pour tous les deux.

De mon côté, je ferai mon possible pour que vous receviez toutes les informations importantes sur les avancées de la recherche contre le sida au cours de votre incarcération.

De votre côté, vous vous engagerez à ne plus jamais faire mention de ces accusations absurdes et sans fondement. Les hommes dont vous parlez dans votre courrier et moi avons cessé toute relation. Ce qu’ils font ne me concerne pas.

Il est encourageant de voir que certains détenus sont désireux de faire bon usage de leur période d’incarcération tout en payant leur dette à l’égard de la société.

Très cordialement,

Dr Raymond Markey,

Sous-secrétaire à la Santé

 

Harvey replia soigneusement la lettre. En s’asseyant sur sa couchette, son regard fut attiré par la dernière page du New York Times, posé sur le sol de sa cellule. Il avait été tellement occupé à résoudre de nouvelles équations la veille qu’il en avait oublié le journal. Le grand titre lui sauta aux yeux.

 

DOUBLE VICTOIRE POUR SILVERMAN

RETOUR TRIOMPHAL À LA COMPÉTITION

ET PAPA LE MÊME JOUR

 

(New York)Pour la première fois de la saison, des notes de musique classique ont résonné dans les vestiaires des Knicks. Tous n’ont pu que s’en réjouir.

« Vous avez vu sa performance sur le terrain ? s’est exclamé son ami et partenaire Reece Porter, après la rencontre. On a récupéré un Michael au top de sa forme. »

Après une longue maladie, le vétéran et cocapitaine des Knicks, Michael Silverman, a fait un retour triomphal dans un Madison Square Garden plein à craquer, emmenant les Knicks jusqu’à une victoire de 123 à 107 contre les Chicago Bulls.

« Maintenant que les matchs de qualification commencent, on a vraiment besoin de lui, a affirmé le coach Richie Crenshaw. C’est un vrai coup de pouce pour l’équipe. »

« Personne ne croyait qu’il pourrait revenir, a ajouté Jérôme Holloway, pressenti pour être sacré meilleur espoir de l’année. Ce soir, il a magistralement prouvé le contraire. »

Mais ce n’est pas tout. Juste après la rencontre, Michael Silverman a appris que son épouse, la célèbre journaliste Sara Lowell, était entrée en salle d’accouchement. L’équipe des Knicks au grand complet a accompagné Silverman à la clinique.

« On a tous arpenté la salle d’attente comme un groupe de futurs papas nerveux », a ensuite plaisanté Porter.

À 11 h 8, fin du suspense. Un Silverman très ému est venu leur annoncer que Sara avait donné naissance à leur premier enfant, un solide petit garçon prénommé Sam, de trois kilos et deux cents grammes.

 

Harvey reposa le journal et sourit.

Quelle merveilleuse nouvelle.

Puis il se replongea dans ses papiers, pour essayer de comprendre pourquoi le récepteur de lymphocytes ne réagissait pas comme il l’avait prévu.

Peut-être que s’il changeait la composition…