Extrait du Tome 3

Aphrodite, beauté fatale


Aphrodite se glissa sur son siège au cours d’héros-ologie de monsieur Cyclope juste au moment où la cloche-lyre tinta, indiquant le début d’une nouvelle journée à l’Académie du mont Olympe. Comme elle replaçait ses longs cheveux dorés entrelacés de rubans roses derrière ses oreilles délicates, elle avait conscience que chacun des jeunes dieux de la classe la regardait. Espérant que dans sa précipitation à se préparer ce matin-là, elle ne s’était pas mis par mégarde du rouge à lèvres sur les dents, elle releva le menton et sourit à l’un d’eux. Parce que c’était un centaure, et par conséquent mi-cheval, mi-homme, il se tenait à l’arrière de la classe, car bien entendu, avec quatre pattes, il était difficile de s’asseoir sur une chaise. Ébloui par l’attention que lui portait Aphrodite et par ses yeux bleus brillants, il rougit et détourna la tête.

Cependant, quelques-uns des jeunes dieux les plus audacieux continuaient à la fixer du regard. Ils ne cachaient pas leur adoration. Les ignorant, Aphrodite sortit son rouleau de texte d’héros-ologie de son pupitre. En tant que déesse de l’amour et de la beauté, elle s’était habituée à une telle admiration. En fait, elle la tenait pour acquise. Toute sa vie, les jeunes dieux l’avaient trouvée délicieusement magnifique. Il semblait qu’il leur suffisait de lui jeter un regard pour tomber désespérément amoureux d’elle. Ce n’était pas sa faute, bien entendu. C’était comme ça, tout simplement.

Aphrodite regarda Athéna de l’autre côté de l’allée, essayant d’attirer son attention. Toute la semaine, en classe, les discussions avaient porté sur les jeunes mortels. Elle voulait demander à Athéna si elle avait entendu les rumeurs fascinantes à propos de cette jeune fille vivant sur Terre qui pouvait courir aussi vélocement que le vent, plus vite que n’importe quel jeune homme ou même n’importe quel animal. Mais comme d’habitude, son amie avait le nez dans ses rouleaux de textes. Avant qu’Aphrodite puisse l’appeler, Méduse, qui était assise directement derrière Athéna, se pencha au-dessus de l’allée.

Lui tenant lieu de cheveux, des serpents verts sifflants se tortillaient sur sa tête. Leurs langues dardaient lorsque Méduse tapa sur l’épaule d’Aphrodite de l’un de ses longs ongles peints en vert.

— Tu étais presque en retard, dit-elle en faisant un rictus mauvais. Des problèmes, Bubulles ?

Méduse et ses deux horribles sœurs, Sthéno et Euryale, ne manquaient aucune occasion d’utiliser cet affreux surnom pour se moquer des origines d’Aphrodite, qui était née dans l’écume de mer.

— Pas vraiment, marmonna Aphrodite.

Elle n’allait tout de même pas admettre qu’elle s’était réveillée en retard. Cela ne donnerait qu’une occasion de plus à Méduse de se moquer d’elle ; probablement en faisant des blagues sur le fait qu’elle avait besoin de sommeil réparateur pour préserver sa beauté. Heureusement, avant que sa némésis aux serpents verts ne puisse ajouter un mot, monsieur Cyclope se leva après avoir fini de parler avec un étudiant. Comme son immense œil unique balayait la pièce, tout le monde se tut.

Aphrodite se demanda de quoi ils parleraient ce jour-là. La veille, leur professeur leur avait demandé dans quelle mesure les élèves croyaient que les dieux devaient apporter leur aide aux mortels qu’ils privilégiaient, et quel genre d’aide ils devaient leur apporter. Aphrodite, qui aimait aider les mortels qui tombaient amoureux, avait espéré pouvoir parler de ça, mais les jeunes dieux de la classe avaient immédiatement dirigé la discussion sur les armes et la guerre, sujets qui ne retenaient jamais bien longtemps son attention.

Ouvrant son sac, elle en sortit son rouleau de notes en papyrus rose et commença à dessiner des petits cœurs partout sur la couverture avec sa plume rouge préférée. Monsieur Cyclope se racla la gorge.

— Aujourd’hui, dit-il, je vous demande de réfléchir à la question suivante : les jeunes filles mortelles doivent-elles nécessairement se marier ?

Laissant tomber sa plume de surprise, Aphrodite se redressa sur sa chaise. Voilà une question intéressante ! Elle aurait bien voulu voir les jeunes dieux tentant d’aiguiller cette question sur une discussion sur les armes et la guerre, pensa-t-elle en levant la main bien haut.

— Oui, Aphrodite ? demanda monsieur Cyclope.

— Personnellement, je ne voudrais voir aucune jeune fille rester célibataire, dit-elle. Chacune devrait avoir la chance de devenir amoureuse.

— Mais si la jeune fille préfère demeurer seule ? demanda Athéna. Si elle avait d’autres intérêts dans la vie, comme voyager par le monde ou devenir une érudite de premier ordre ou… ou inventer des choses ?

Aphrodite lui sourit. Pauvre Athéna. Elle n’avait jamais vraiment eu de petit ami. Qu’elle attende seulement d’avoir son premier béguin. Elle changerait alors d’idée.

— Si la jeune fille se sent comme ça, c’est peut-être qu’elle n’a pas encore trouvé le bon jeune homme, répondit-elle avec délicatesse.

— Mais tous les jeunes hommes ne se marient pas nécessairement, fit remarquer Athéna. Pourquoi les jeunes filles devraient-elles le faire ?

Poséidon agita son trident dans les airs. Comme d’habitude, de l’eau dégouttait de son trident et de lui-même, et une petite flaque d’eau se forma sous sa chaise.

— C’est parce que de nombreux jeunes hommes préfèrent la vie de soldat, déclara-t-il.

— C’est exact ! s’exclama un autre jeune dieu. La guerre bat le mariage à tout coup.

— Ah, vraiment ? dit Aphrodite en levant les yeux au ciel. Et lequel des deux contribue davantage à la survie de la race humaine, d’après toi ?

— Excellent point de vue, dit monsieur Cyclope en lui faisant un grand sourire.

Au même moment, le haut-parleur de l’école émit des sons.

— Attention, jeunes dieux et jeunes déesses ! tonna le directeur Zeus d’une voix assourdissante.

Tout le monde, y compris monsieur Cyclope, se couvrit automatiquement les oreilles.

— Une réunion spéciale sur la sécurité en char commencera dans 10 minutes, annonça Zeus. Veuillez vous rendre à l’auditorium.

Semblant plutôt ennuyé, monsieur Cyclope marmonna quelque chose au sujet des interruptions pendant les heures de cours.

— D’accord, tout le monde, dit-il cependant avec un grand soupir. Veuillez vous mettre en rang près de la porte.

En temps normal, Aphrodite aurait bien accueilli cette occasion de sortir de la classe, mais pas ce jour-là. Pas lorsque le sujet de discussion était si intéressant. En outre, les consignes de sécurité en char se répétaient chaque année, et c’était d’un ennui mortel. Qui d’entre eux ne savait pas qu’amorcer un tournant à toute vitesse pouvait faire basculer le char ? C’était l’évidence même. Ou qu’il ne fallait jamais se diriger directement vers le Soleil ?

Après la réunion, que Zeus avait animée en faisant une vraie démonstration de course de chars pour faire changement, ce fut le temps du déjeuner. Aphrodite mourait de faim. Faisant la queue devant le comptoir de la cafétéria avec Athéna et ses deux autres meilleures amies, Artémis, aux cheveux foncés, et Perséphone, à la peau claire, elle sentit son estomac commencer à gargouiller comme un volcan sur le point d’entrer en éruption.

Ses amies se mirent à rire.

— On dirait bien que quelqu’un ici a très faim, dit Artémis.

— Oui, très, dit Aphrodite en rougissant.

Elle avait parlé à voix basse, mais à voir la réaction suscitée, elle aurait aussi bien pu avoir crié. Une douzaine de jeunes dieux qui faisaient la queue devant elle se retournèrent au son de sa voix, tous désireux de capter son attention.

— Tu peux prendre ma place, Aphrodite ! cria Poséidon à 10 places devant elle.

Il fit un pas dans sa direction, faisant dégouter son trident sur les pieds chaussés de sandales d’un autre jeune dieu.

Arès, qui, selon Aphrodite, était le jeune dieu le plus séduisant de toute l’école, fit un rictus.

— Fais attention où tu fais dégouter ton trident, face de poisson !

Des gouttelettes d’eau volèrent dans tous les sens lorsqu’il secoua un pied puis l’autre. Poséidon fit un rictus à son tour, sa bouche s’ouvrant et se refermant quelques fois de suite comme celle d’un poisson.

L’ignorant, Arès se tourna vers Aphrodite.

— Prends ma place, dit-il avec un sourire charmant. J’insiste.

Aphrodite hésita. Arès pouvait parfois agir un peu en brute, mais elle devait admettre qu’il y avait quelque chose à son sujet qu’elle trouvait… disons… plutôt irrésistible.