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Flashback.

 

Sur la couche garnie de peaux de bêtes, le visage de Jiiij la magicienne avait pris une expression où se lisait une terreur superstitieuse. Un rayon de lune, issu de l’extérieur du temple, éclairait le masque aux yeux clos, perdu dans la masse mouvante de l’épaisse toison rousse.

Jiiij dormait, perdue au fond des âges barbares où des déités féroces tourmentaient les humains. Et il y avait les hordes de guerriers féroces qui, venus à travers les steppes hantées des contrées-où-le-soleil-se-lève, déferlaient sur Sviar, le Pays de l’Ambre.

Sous les paupières closes de Jiiij des images se précisaient. Floues tout d’abord, elles devenaient de plus en plus nettes. C’était les images du rêve et les rêves étaient le royaume des dieux du Valhöll.

L’étendue des ténèbres, dans l’esprit engourdi de Jiiij, se peupla soudain. Des formes qui fuyaient, effrayées sans doute par les hurlements du loup gardien de la porte ouest du Valhöll et dont on apercevait le flamboiement des prunelles, l’éclair des dents découvertes.

Puis, au-dessus de la cité d’Ásgard à la silhouette massive, garnie de tours pointues comme des crocs, se dressèrent les ombres menaçantes de trois déesses. Hlökk-la-Vociférante. Göl-la-Hurleuse, Skogul-la-Furie. Les Walkiries avides de sang et de carnage, servantes d’Odin-le-fourbe, Odin-le-violent, capable de toutes les horreurs, régnant sur le royaume d’Ásgard qu’il avait usurpé. Un vol d’aigles, aux becs dégoulinant de sang, chargés de lambeaux de chair humaine, l’accompagnait.

Sur la couche, le corps endormi de Jiiij s’agitait sous l’effet de la terreur. Sa tête, basculée de gauche à droite, changeait les mèches de sa chevelure en autant de langues de feu. De la gorge contractée de la magicienne, des râles montaient, sciant le silence nocturne.

Tour à tour, les trois Walkyries parlèrent.

— Fenrir exige un sacrifice, fit Hlökk. Il l’ordonne…

— Fenrir exige la mort d’une vierge, dit Göl. Il l’ordonne…

— Fenrir exige qu’on apaise la colère du Serpent du Monde, lança Skogul. Il l’ordonne…

Hlökk, Göl et Skogul disparurent, pour laisser place à l’image d’une très jeune femme, à la longue chevelure d’un noir bleuté lui tombant en mèches épaisses et roides sur les épaules. Dans ses grands yeux verts, une intense expression d’épouvante se lisait. Une corde noire lui entourait le cou, se serrait… se serrait… toujours plus fort…

Une idée vint dans le subconscient de la magicienne. « Le sacrifice à Fenrir !… Fenrir… Fenrir… »

Les yeux verts s’étaient éteints. Les traits de la victime s’estompèrent. Puis il n’y eut plus que la grande surface noire de la nuit.