QUINZE
DANS LES MONTS NEURY
Capelo, debout près du trou, dit :
— Envoi d’éboueurs galactiques, service à la surface de la planète. Un tas de ferraille extraterrestre à recycler.
Rosalind Singh le regarda, amusée. Albemarle fit de même, d’un air dégoûté. Lyle Kaufman se contentait de contempler la scène, qui lui semblait empreinte d’une bizarrerie menaçante, sans qu’il puisse expliquer pourquoi.
L’excavatrice, reconfigurée par les techs pour son nouveau rôle, planait au-dessus du trou, dans la minuscule vallée de montagne. Occultant presque tout le ciel de cette étroite faille entre les escarpements de la montagne, la machine rapetissait les humains qui se tenaient dessous. Le puissant champ électromagnétique qui la maintenait là ne s’étendait pas dans le trou. On avait testé ce champ sur l’artefact pendant qu’il était encore à l’intérieur, sans observer d’effet, mais ce n’était pas une garantie contre ce qui pouvait se passer quand il serait à l’extérieur. Capelo ne voulait pas prendre de risques. L’artefact reposait dans un filet de câbles faits de monofilaments non soumis à la dislocation, assez fort pour tenir une petite lune à l’attache.
Capelo ordonna, dans son telcom :
— Bon… hissez-le.
L’excavatrice augmenta lentement sa traction et l’artefact s’éleva de sa sépulture pour la première fois depuis cinquante mille ans.
Lorsqu’il passa devant lui, Kaufman regarda ses parois, sa concavité, et finalement, son dessous. En montant, l’artefact répandit une grêle de roche et de terre, aussi tout le monde courut se mettre à l’abri dans les grottes omniprésentes. Quel que fût le matériau dont cet objet était fait, au moins ne fondait-il pas ; apparemment, même soumis à une grande chaleur. C’était un coup de chance. Ils seraient forcés de le nettoyer, bien entendu mais, du moins, un récurage laborieux, et peut-être dangereux, leur serait épargné.
L’excavatrice souleva l’artefact, non seulement du trou, mais aussi de la vallée. On avait beaucoup débattu pour trouver où le mettre, et fini par choisir la prairie de montagne la plus accessible, à environ cinq cents mètres de là. Les techs avaient aplani le site avec des nanos et des lasers, et construit un mince et solide anneau pour tenir l’artefact à un mètre du sol. Avec ses vingt-cinq mètres de diamètre, il ressemblait à un énorme globe terrestre antique, sorti de la bibliothèque d’un géant.
Voilà les dragons, pensa Kaufman. Deux techs grimpèrent dans le monte-charge afin de descendre dans le trou, au cas où l’artefact aurait laissé quelque chose d’intéressant derrière lui. Capelo lui avait dit que ce serait une longue opération, mais qu’il ne voulait rien laisser échapper.
Dès que la boule géante eut emporté sa grêle de terre et de roche loin de la vallée, les scientifiques sortirent en courant des grottes pour pénétrer dans celle, artificielle, qu’avaient creusée les nanos. Les techs avaient créé et éclairé un système totalement nouveau de tunnels menant à la prairie. La pente en était rude. Kaufman revint sur ses pas pour accompagner Rosalind Singh, qui n’aurait jamais admis que son âge la ralentissait, mais qui, malgré tout, le remerciait toujours de l’avoir attendue.
— Merci, Lyle. On a l’air bête, non ? Savez-vous ce que I.I. Rabi [[4]] dit des physiciens ?
— Non, mentit Kaufman.
Il avait beaucoup lu de choses sur les physiciens.
Rosalind était un peu essoufflée.
— Rabi dit que les physiciens sont les Peter Pan de la race humaine, ils ne mûrissent jamais.
— Deuxième tunnel à gauche et tout droit jusqu’à demain matin, répliqua Kaufman, et elle rit.
Ils émergèrent, vingt minutes plus tard, après tous les autres, à la lumière du soleil. Albemarle, Gruber et Kaufman s’étaient agglutinés autour et au-dessous de l’artefact posé sur son anneau géant. Ils étaient déjà en train de le nettoyer de la crasse qui restait, avec des brosses en soie de sanglier. Kaufman, aussi, s’était planté dessous, souhaitant comprendre ce qu’il regardait.
— Ne soyez pas si rude, Hal, dit Capelo d’un ton acide. Il ne va pas rouiller, vous savez.
Albemarle ignora sa remarque. Probablement ne l’avait-il pas entendu. Kaufman vit que son excitation scientifique l’absorbait totalement.
Kaufman étudia la courbure du métal encrassé… non, pas du métal, c’était un genre de fullerène. Autant qu’il puisse le dire, les protubérances que Capelo lui avait montrées au sommet de la sphère et sur les parois poursuivaient au-dessous leur défilé équatorial équidistant. Il y en avait sept en tout. Chacune était marquée par une grappe de points en relief : un point, deux, trois, cinq, sept, et, sans doute sous la terre qui restait encore, onze et treize. Des nombres premiers, sauf « un », bien que tout ce qu’avaient laissé les maîtres créateurs incluait « un » à côté des nombres premiers. À cause d’une approche totalement différente des mathématiques ? L’équipe du projet avait emboîté le pas aux créateurs disparus. Sur Monde, « un » était un nombre premier.
Rosalind entama, loin de l’artefact, les tests non-agressifs qu’ils avaient déjà accomplis une demi-douzaine de fois. Juste pour s’assurer que le déplacer n’y avait rien changé de décelable.
— Oh, mes aïeux ! s’exclama Capelo.
Il contemplait fixement l’endroit qu’il venait de nettoyer.
Kaufman le rejoignit aussitôt.
— Qu’est-ce qu’il y a, Tom ?
— Cette protubérance… Rosalind ! Venez voir ! Regardez ça !
Singh, Albemarle et Gruber firent cercle. Capelo la montra du doigt. Ils l’examinèrent, puis se regardèrent, les yeux hagards.
— Mein Gott, haleta Gruber.
— Quoi ? demanda Kaufman. (Mon Dieu, C’était humiliant d’être le seul non-scientifique.) Qu’est-ce que c’est ?
Rosalind eut pitié de lui.
— Regardez, Lyle, cette protubérance, là. Voyez-vous, il y a dessus deux petits creux profonds, à environ six centimètres l’un de l’autre avec, au fond, deux boutons. Nous pensons que cela déclenche ce que fait la protubérance, et qu’il faut appuyer en même temps sur ces deux boutons pour l’obtenir. C’était du moins le cas pour l’artefact plus grand de Syree Johnson, même si les dépressions se trouvaient sur les côtés opposés de la circonférence, et étaient bien plus grandes. Dans l’une d’elles, que nous avons déjà nettoyée, nous avons trouvé un fragment de roche coincé dans un creux qui appuyait sur le bouton. Rien n’est arrivé lorsque nous l’avons ôté. Mais cette protubérance-là, celle du nombre premier cinq, a deux boutons déjà enfoncés ! Regardez… ils sont à peine visibles !
— Comment ? Qu’est-ce qu’il a fait ?
— Nous n’avons aucun moyen de le dire, répondit Gruber. Peut-être est-ce resté ainsi depuis l’impact d’origine. Peut-être a-t-elle été créée ainsi. Comment le savoir ?
— Écoutez, dit Capelo. (Son regard était profond, concentré.) Voilà ce que nous avons. D’après le relevé topographique de la distribution de la roche radioactive, nous formulons l’hypothèse que le dispositif de la protubérance du nombre premier « un » est un déstabilisateur d’onde dirigée, et que différents événements sismiques ont dû le déclencher il y a des siècles. À partir des mêmes données, nous supposons que celui de la protubérance du nombre premier « trois » peut être un déstabilisateur d’effet d’onde sphérique, comme celui dont Syree Johnson a noté la présence sur son artefact, au réglage le plus bas. S’il en est ainsi, l’effet d’onde sphérique devrait suivre la loi du carré inverse. C’est tout ce que nous savons jusqu’ici. C’est juste de la spéculation.
— Je propose une autre hypothèse, dit pensivement Gruber.
Les autres se retournèrent pour le regarder, et soudain Kaufman pensa à quoi ils ressemblaient, vus du dessus, ou d’un peu plus loin. À un petit groupe de gens sérieux pontifiant à côté d’une sphère extraterrestre géante, dans une prairie extraterrestre.
— Si la protubérance du nombre premier « cinq » fonctionne, comme les deux boutons enfoncés le révèlent… ja !
— Venez-en au fait, dit Capelo.
— Alors, la protubérance du nombre « cinq » génère le champ de probabilité affectant le cerveau. En nous, lorsque nous étions dans le tunnel, peut-être chez tous les Mondiens, dans le mécanisme de la réalité partagée, s’il a été déclenché il y a cinquante mille ans, lors de l’impact d’origine. Peut-être ces phénomènes ne sont-ils que les effets secondaires de ce pour quoi la protubérance du nombre premier « cinq » a été conçue mais, en tout cas, c’est d’elle que cela provient.
— Quand Tas, l’artefact de Syree Johnson, a explosé, dit soudain Capelo, l’effet d’onde qui détruisit Nimitri aurait dû affecter Monde. Il ne l’a pas fait. C’est une donnée tangible, pas de la spéculation sur des événements cérébraux. Peut-être le réglage de la protubérance du nombre premier « cinq » a-t-il été conçu pour protéger toute la planète d’une version de l’onde déstabilisatrice à l’échelle planétaire.
— Oui, souffla Rosalind Singh, « oui ».
Son visage placide s’était soudain embrasé.
— Ja, dit Gruber. Cela collerait !
— Ce n’est qu’une conjecture, dit remarquer Albemarle. Où sont vos données ? Vous êtes le seul à toujours parler de données.
— Oh, nous les aurons, les données ! répliqua Capelo.
— Comment ? demanda Kaufman.
— Empiriquement. Nous déclencherons la chose.
C’était la réponse à laquelle s’attendait Kaufman, qu’il avait su inévitable, et qu’il craignait. C’était la seule option pratique : leur mission était d’étudier cette trouvaille en vue d’une possible utilisation militaire. Pour cela, la tester était essentiel. D’ailleurs, il n’existait aucun moyen de prédire ce que, dans ce cas, l’artefact ferait à ceux qui le testaient, aux autochtones, à la planète. D’autre part, il n’y avait là personne pour organiser une protestation contre ce que feraient les tests.
Tout à coup, Kaufman fut bien content qu’Ann Sikorski soit en sécurité, à bord du Shepard, à quarante-huit mille kilomètres de là, dans l’espace.
Mais un autre jour s’écoula avant qu’ils effectuent le premier test. Rosalind Singh voulait des analyses de l’artefact bien plus complètes que celles qu’elle avait pu faire pendant qu’il était encore enterré. D’autres pièces d’équipement devaient arriver de l’Alan B. Shepard par la navette. Kaufman profita de ce délai pour retourner au camp de base et revoir le flot constant de données qui provenait, à la fois, d’Ann Sikorski et de Marbet Grant. Pour différentes raisons, il choisit de ne contacter aucune d’elles directement, même si Ann essayait de le joindre depuis plusieurs heures.
Les enregistrements de Marbet Grant n’exigeaient aucune réponse, surtout parce qu’ils étaient incompréhensibles. Kaufman visionna ceux en temps réel, pris dans la cellule du prisonnier, en pratiquant des sondages au hasard. La main « gauche » du Faucheur était de nouveau détachée, les deux autres toujours menottées à la paroi matelassée, derrière lui. Marbet lui adressait des grimaces, des mouvements corporels variés, et lui parlait en langage des signes. En retour, le prisonnier faisait des grimaces et des mouvements corporels involontaires – du moins, Kaufman supposait qu’ils étaient involontaires. Sa main libre ne bougeait pas. Rien de tout cela n’avait de sens pour lui.
Ann avait aussi enregistré, en temps réel, les neuf Mondiens séquestrés dans leur cabine, à bord du vaisseau. Kaufman regarda la première heure, en sauta une autre pour regarder pendant un quart d’heure, et garda ce rythme jusqu’à ce qu’il arrive à la fin. Puis il accéda aux résumés enregistrés d’Ann, dont le visage devenait de plus en plus hagard. Pour finir, il fit passer les résultats des sims informatisées qu’elle lui avait envoyés, élaborés par la pseudo-IA perfectionnée du bord.
Tout cela lui prit la plus grande partie de la journée. Lorsqu’il eut terminé, Kaufman sortit. Le soleil était en train de se coucher. Il marcha jusqu’au bord de la clôture, gardée par une patrouille et, à ce moment, le crépuscule était tombé. Trois lunes brillaient, et l’une d’elles, la plus petite, la plus proche – il avait oublié son nom – se déplaçait si vite qu’elle semblait rétrograder dans le ciel. Il n’y avait pas de nuages. L’air portait la vive senteur faiblement sucrée typique de Monde ; peut-être provenait-elle de cette surabondance de fleurs. Kaufman pensa aux magnifiques jardins des Voratur, si bien entretenus. À cette maisonnée bien dirigée, où chacun se trouvait à sa place, où personne n’était misérable ou exploité. Au plaisir des Mondiens lors de leurs rituels totalement partagés, où le prêtre et le riche marchand dansaient à côté du jardinier et de la domestique qui nettoyait les pots de chambre. La réalité partagée.
Kaufman demeura très longtemps, le regard perdu dans l’obscurité odorante.
Lorsqu’il revint à la prairie, où les scientifiques et les techs avaient campé toute la nuit, il les trouva prêts pour le premier test. Il avait failli le rater.
— Pourquoi êtes-vous si en avance sur l’horaire prévu ? Et pourquoi ne m’a-t-on pas averti ?
— Nous avons tenté de vous appeler par telcom ; vous étiez dans les tunnels, répliqua Rosalind Singh. C’est une décision que nous avons prise rapidement, Lyle, à cause de la perte d’une sonde orbitale. Un météore l’a arrachée à son orbite. Aussi nous avons dû en recalibrer une autre, et elle sera en position bien plus tôt.
— Je vois.
Pourquoi avaient-ils besoin d’une sonde orbitale ?
— Enfilez cette combinaison-s, dit-elle, et il s’exécuta.
Au moins, il comprenait le premier test prévu. Les cartes des radiations et les sims informatisées avaient montré, ou semblaient montrer, que le réglage du nombre premier « un » était un déstabilisateur d’onde dirigée, opérant hors de la zone d’un « œil du typhon », situé directement sous l’artefact. L’équipe du projet avait enregistré les relevés détaillés des radiations d’une paroi de l’escarpement, de l’autre côté de la prairie, au-delà de « l’œil ». Puis, ils firent tourner l’artefact afin que le réglage du nombre premier « un » soit en ligne directe avec cette paroi. On activa les robots pour qu’ils appuient simultanément sur les deux boutons de réglage du nombre premier « un », avec la force nécessaire pour obtenir une réaction.
— Et si la paroi de l’escarpement était trop loin pour que le faisceau l’atteigne ? demanda Kaufman.
Capelo lui jeta un regard plein d’impatience. Dans sa combinaison-s, il faisait penser à un insecte sautillant.
— Nous viserons des cibles plus proches, ce que nous ferions n’importe comment pour vérifier l’apanage de la loi du carré inverse.
— Bien sûr.
Rosalind ajouta gentiment :
— L’élévation et la courbure de l’horizon feront que si le faisceau peut pénétrer profondément et agit à très longue portée, il traversera l’escarpement et se perdra dans l’espace. Rien d’autre sur Monde ne sera affecté.
— Je vois.
— De plus… le timing a été déterminé avec une grande précision, alors si le faisceau voyage à la vitesse de la lumière, s’il traverse l’escarpement, et s’il a une très longue portée, il frappera une sonde orbitale. La sonde renverra des mesures de la radiation. Mais nous ne nous attendons pas à ce que cela arrive, car nous pensons que le faisceau dirigé a une courte portée effective.
— Bon, dit Capelo. Trois, deux, un… zéro !
Kaufman ne vit rien : aucune flèche de lumière sortant de l’artefact, pas d’explosion soudaine sur la paroi de l’escarpement. Mais les détecteurs et les écrans disposés devant les scientifiques devinrent comme fous.
— On l’a eu ! s’écria Albemarle. Bon Dieu, on l’a eu ce fils de pute !
Capelo ne lança même pas un sarcasme. Les quatre scientifiques se mirent aussitôt à parler entre eux d’un air excité ; c’était en grande partie du baragouin pour Kaufman. Capelo résolvait des équations sur son pad. Rosalind lançait des ordres à son équipement, repassait les tests qu’elle avait faits la veille. Kaufman attendait patiemment.
Cette fois, ce fut Gruber qui se souvint de sa présence.
— Lyle, c’est bien un déstabilisateur de faisceau dirigé, comme nous le pensions. Un étroit rayon conique qui obéit à la loi du carré inverse. La roche proche est carbonisée. Les détecteurs de la paroi de l’escarpement montrent qu’il est arrivé jusque-là, mais affaibli, bien qu’il n’ait pas perdu son effet en traversant la première couche de roche. À un mètre de profondeur, il n’y a plus rien du tout, et il en est de même sur la sonde orbitale.
— Alors, en tant qu’arme, il a une portée très limitée.
Visiblement, Gruber avait oublié que le faisceau était considéré comme une arme. Il était pris par la pure découverte.
— Ja, ja, une portée limitée. Et il n’agit pas instantanément. Vous pouvez constater sur les écrans – vous voyez ? – que la radiation n’est pas émise immédiatement. Il y a un décalage temporel, et un accroissement, puis une retombée plus rapide.
Kaufman ne tirait rien de tel du fouillis de données qui s’affichait devant lui. Il réfléchit soigneusement à cette information. Gruber alla se replonger dans le chaos ergoteur des scientifiques.
Rosalind Singh fut plus facile à distraire de ses données ; elle et ses techs se tenaient devant des affichages encore plus incompréhensibles. Elle leva les yeux lorsque Kaufman s’approcha.
— S’est-il produit un changement dans ce que vous êtes en train de mesurer, quant au résultat du test ? demanda-t-il.
— Aucun. (Elle le regarda d’un air sagace.) Est-ce que l’un de ces foutus bougres vous a dit ce que je mesurais ? »
Ce langage, qui lui était inhabituel, fît sourire Kaufman. Rosalind était aussi excitée que les autres.
— Non.
— Alors, voilà. Nous savons que l’intérieur de l’artefact est en grande partie creux. Mais il y a là des structures non identifiables en suspension, on ne sait comment, d’une manière extrêmement complexe, mais partielle, sans qu’elles aient de lien direct entre elles. Ces structures semblent stables. Et dépourvues de masse, ce qui paraît impossible.
— Les analyses mathématiques décrivent ces éléments en suspension comme un… une sorte de toile complexe. Chaque courbe se replie plusieurs fois sur elle-même, pour former un genre de fractale multidimensionnelle. La panne de l’ordinateur suggère la présence d’un attracteur étrange… Vous savez ce que c’est, Lyle ?
— Non.
— Une région dans laquelle toutes les trajectoires suffisamment proches convergent vers une même limite, mais dans laquelle les points arbitrairement proches deviennent, avec le temps, exponentiellement séparés. (Rosalind semblait s’apercevoir que cela n’aidait guère Kaufman, mais elle poursuivit son explication.) La dimension d’Hausdorff de la fractale que cela suggère est d’un virgule deux. La galaxie emplit l’univers dans les mêmes proportions.
— Qu’est-ce que cela indique ?
— Nous n’en avons pas la moindre idée.
— Aucune ?
— Aucune. C’est une science si différente de la nôtre que nous sommes dans le noir absolu. Comme Darwin l’a dit, nous ressemblons à des chiens qui s’interrogent sur l’esprit de Newton. Tout ce que je peux vous dire, c’est que les mesures que j’ai prises aujourd’hui après le test sont les mêmes que celles d’hier, et que toutes correspondent à celles que Syree Johnson a effectuées sur le premier artefact. Mises à l’échelle, bien sûr.
— Pensez-vous que déplacer l’artefact dans l’espace modifiera ces mesures ?
— Le premier artefact a été trouvé dans l’espace. Les autochtones croyaient que c’était une lune.
Ce qui n’était pas une réponse plus précise que les autres.
L’équipe passa le reste de la journée à confirmer ses données sur le dispositif du nombre premier « un ». Capelo dit à Kaufman qu’ils ne seraient pas prêts à tester le réglage du nombre premier « deux » avant le lendemain, et qu’ils ne commenceraient pas sans lui. Kaufman n’avait guère confiance dans les promesses de Capelo ; le physicien ressemblait de plus en plus à une sauterelle, mince et brune, bondissant sous l’effet d’impulsions non-humaines. Dans le feu de la science, Capelo était tout à fait capable d’oublier que Kaufman existait.
Celui-ci l’enviait indubitablement.
Rosalind Singh l’assura aussi qu’ils ne testeraient pas le réglage du nombre premier « deux » sans lui. Rosalind, il la croyait. Aussi Kaufman repartit de nouveau vers le camp de base. Ann lui ramènerait les neuf Mondiens cet après-midi et il voulait être là lorsque la navette atterrirait.