L'INCENDIE DU THÉÂTRE DE NÎMES

Dans le Midi, c'est une habitude que de prendre le frais à la terrasse des cafés. Et à Nîmes, comme ailleurs, les consommateurs jouent aux cartes tranquillement, attablés devant le Café de la Comédie, attenant au théâtre. Ce 27 octobre 1952, vers 18 h 30, un agent de police cycliste fait sa ronde habituelle. Soudain, il voit une .lueur. C'est le théâtre qui brûle. Il se précipite alors vers le syndicat d'initiative pour alerter police-secours.

Quelques minutes plus tard, une foule silencieuse et horrifiée, difficilement contenue par le service d'ordre, garde les yeux levés vers le toit de la vieille bâtisse. Les flammes jaillissent à plus de cinquante mètres de hauteur au-dessus de ce qui fut une scène célèbre. Le ciel est constellé d'escarbilles incandescentes qui retombent sur la foule muette.

Le théâtre de Nîmes est un théâtre intérieurement revêtu de bois ; il est donc condamné. Cela n'empêche pas les artistes, rameutés en grande hâte, de faire la chaîne, effaçant de temps en temps une larme qui glisse dans le coin de l'œil, pour tenter de sauver les costumes qu'un pompier particulièrement courageux lance à travers une fenêtre.

Les pierres de la corniche commencent à tomber morceau par morceau. Le grand théâtre de Nîmes est en train de mourir devant la ville tout entière réunie, après une vie chargée de deux siècles. L'émotion qui étreint la foule est compréhensible ; elle est consciente qu'une partie de l'âme de la ville disparaît sous les flammes.

A première vue, il s'agit d'un accident stupide. Quoi qu'il en soit, la police décide d'ouvrir une enquête de routine.



Elle commence dès le lendemain, le 28 octobre, sous les ordres de l'inspecteur Beynet de la police judiciaire. Pendant ce temps, les habitants de Nîmes, consternés, viennent faire un dernier tour devant les ruines calcinées de leur théâtre. Ils lui rendent ainsi un dernier hommage sous l'éclat d'un soleil de plomb, indifférent au malheur qui vient d'atteindre le bon vieux théâtre de leur ville.

Les artistes et les membres du personnel se sont rassemblés par force d'habitude à l'entrée des artistes, devant les ruines où s'activent toujours les pompiers.

L'inspecteur Beynet a ainsi connaissance des premiers témoignages qui font ressortir la soudaineté du sinistre.

Maître Fichenet, chef d'orchestre, raconte :

« Nous étions dans nos appartements, ma femme et moi, en train de répéter. Soudain, nous avons entendu un crépitement insolite. " C'est la pluie ou la grêle? " demanda ma femme... Il me semblait que ce bruit inquiétant provenait de l'intérieur du théâtre. Par acquit de conscience, je me précipite au foyer de la danse. Là, je comprends qu'il se passe quelque chose d'anormal dans la salle même. J'ouvre donc la lourde porte métallique qui sépare le foyer de la scène. Une bouffée de chaleur me saute au visage. En même temps, j'aperçois une lueur fulgurante du côté des cintres (côté jardin). Déjà, le plafond de la scène n'est plus qu'un brasier. » Et il conclut : « Je n'ai que le temps de fermer précipitamment la porte et de donner l'alarme. »

Derrière la façade, étrangement préservée, il ne reste qu'un amoncellement de poutrelles tordues, de murs croûlants et de planchers calcinés où règne une fièvre intense. La police recueille d'autres témoignages.

Au magasin des accessoires, un sous-lieutenant de pompier et deux sapeurs sont en train de diriger leur lance sur des amas de poutres encore fumantes, lorsque soudain le sol s'effondre. Les trois hommes font une chute d'une dizaine de mètres. Six autres sapeurs ont déjà été hospitalisés, le capitaine des pompiers déclare alors :

« Certes, ce n'est pas cela qui remontera notre théâtre, mais s'il y a un responsable, j'aimerais qu'il soit connu. »

L'incendie a gravement perturbé le circuit électrique du quartier, et les employés de l'E.D.F. essaient d'y remédier. Ils essaient aussi de vérifier l'hypothèse émise par la presse, selon laquelle un court-circuit serait à l'origine de l'incendie.

Mais M. Dauby, chef électricien du théâtre, qui loge sur place, n'est pas d'accord. Voici la version des faits qu'il donne à l'inspecteur Beynet : Il s'entretenait avec un machiniste, lorsqu'il entendit une déflagration. Il arriva sur scène pour constater que la frise supérieure de la scène était en feu sur toute sa longueur.

« Une déflagration ? Vous voulez dire une explosion ? ! Comment l'expliquez-vous ?

— L'explosion, c'était sans doute l'éclatement de la verrière supérieure. Et c'est normal, affirme M. Dauby, le vitrage est conçu de façon à se briser dès que la température intérieure devient excessive. La fumée d'un incendie est ainsi évacuée de manière à ne plus asphyxier les spectateurs, si le sinistre éclate en pleine représentation. »

Mais l'appel d'air ainsi provoqué, ce fut le commencement de la catastrophe. Quant aux causes de l'incendie, le chef électricien est formel :

« Il ne peut s'agir d'un court-circuit. Depuis la fin de la représentation des Pêcheurs de perles, c'est-à-dire depuis 1 heure du matin, le courant a été coupé partout... Sauf dans la loge du concierge, le bureau de la direction, mon propre appartement, lesquels, justement, ont été préservés... » M. Dauby ajoute : « Il aurait mieux valu, d'ailleurs, que le feu se déclare pendant que la scène était occupée, on s'en serait aperçu tout de suite, tandis que là, je suis intervenu trop tard... Il m'a été impossible de manœuvrer la manche d'incendie intérieure, tant la température était devenue insupportable. »

Selon le concierge du théâtre, le feu a bien pris, ironie du sort, cette partie des cintres qu'on appelle le « grill ». — Il a voulu se précipiter pour ouvrir les vannes du grand-secours, mais les flammes l'empêchèrent de l'atteindre. Comme tout était éteint dans le théâtre depuis la veille au soir, et que le lundi est jour de congé pour tout le personnel, il est impensable qu'un court-circuit soit à l'origine de l'incendie.

Mais si ce n'est pas un court-circuit, qu'est-ce que c'est ? C'est alors que la police reçoit une première lettre anonyme.

Cherchez, dit cette lettre, si l'incendie ne serait pas la vengeance d'un artiste.

C'est tout.

Malgré sa répugnance, la police tient toujours compte des lettres anonymes. Aussi, l'inspecteur Beynet rend-il visite à M. Francis Lenzi.

M. Lenzi, né à Alger, âgé de cinquante-huit ans, après une respectable carrière de ténor, a été nommé directeur de l'opéra en 1949. M. Lenzi est encore mal remis de ses émotions.

« Croyez-vous qu'un artiste de votre troupe pourrait avoir volontairement provoqué l'incendie ? demande l'inspecteur Beynet.

— C'est impensable, » répond M. Lenzi, mais non sans avoir hésité quelques secondes.

Le commissaire insiste :

« Avez-vous congédié quelqu'un récemment ?

— Oui. Un jeune choriste. Mais ça ne peut pas être lui !

— Pouvez-vous tout de même m'en parler. »

M. Lenzi raconte que quelques semaines auparavant, il était allé à Paris pour engager des choristes. Il a notamment ramené Joes Faes, fils adoptif d'une certaine Eva Basset, qui est d'ailleurs venue avec lui à Nîmes.

Tout de suite, M. Finet, metteur en scène, et M. Fichenet, chef d'orchestre, se sont acharnés sur ce garçon. Ils le trouvaient minable. Il est vrai que M. Lenzi lui a fait passer deux auditions et qu'elles ne furent pas brillantes. M. Aymé, le directeur financier, voulait donc qu'on le renvoie. Mais M. Lenzi, lui-même ancien ténor et qui connaît bien la misère de son monde, a expliqué que ce jeune homme était venu de Belgique avec sa mère, — et qu'il faudrait peut-être attendre la saison prochaine pour décider d'un renvoi, quitte à effectuer une coupure dans son salaire...

Mais MM. Aymé et Finet ne veulent rien savoir. M. Lenzi a donc annoncé le renvoi de son fils à Eva Basset. Puis, il a promis à celle-ci de l'engager, dès la saison prochaine, s'il en a la possibilité !

Un lundi vers 18 heures, c'était le jour de relâche en même temps que celui du comptable. M. Lenzi remit à Eva Basset le peu d'argent qui revenait à son fils, avec une petite gratification. Puis la jeune femme demanda à aller prendre les affaires de son fils car le train pour Paris partait le soir même à 21 h 30. Le garçon de courses du théâtre accompagna Mme Basset aux loges. M. Lenzi les a vu descendre tous deux. Depuis, aucune nouvelle !

Une enquête rapide auprès des autres artistes permet à l'inspecteur Beynet de se faire rapidement une opinion sur le jeune Joes Faes.

Joes, petit blondinet de vingt ans, élevé dans les jupons de sa mère adoptive,en dehors des leçons de chant qu'elle lui donne, s'amuse à découper des soldats en papier qu'il colle sur du carton.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Joes n'était pas particulièrement doué ; son ambition ? Devenir un ténor du genre de Luis Mariano ! Son air favori, c'est La Belle de Cadix qu'il massacre sans vergogne et sans se soucier des voisins.

L'inspecteur décide néanmoins de se rendre à l'hôtel où le jeune homme résidait avant son départ.

Il est très surpris de le trouver encore là. Ce n'est pas un jeune homme, tout au plus un garçonnet filiforme, sans consistance. Et le commissaire songe à abandonner cette piste. En effet, s'il était l'incendiaire, il est probable qu'il aurait pris le train dès son acte criminel accompli.

Le garçon affirme à peu près le témoignage de M. Lenzi, mais nie formellement avoir mis le feu au théâtre. Il paraît sincère.

« Pourquoi n'êtes-vous pas parti à 21 h 30 ?

— Ma mère a remis notre départ. »

Le commissaire n'insiste pas. La mère, Eva Basset, étant absente, il pense revenir la voir un peu plus tard.

Mais, de retour à la police judiciaire, boulevard Jean-Jaurès, deux événements importants vont, coup sur coup, déclencher l'arrestation d'un coupable inattendu.

Le premier c'est une lettre anonyme parmi tant d'autres, et toutes plus farfelues les unes que les autres, qui déclare sans détail superflu :

L'incendiaire du théâtre est Eva Basset. Ni plus ni moins.

La lettre adressée à l'inspecteur est arrivée le matin même. L'inspecteur hésite. Eva Basset ne peut être coupable puisque M. Lenzi l'a vue quitter le théâtre en compagnie du garçon de course « Louis ». Il décide de convoquer ce dernier pour l'interroger.

Il y a là, hormis l'inspecteur Beynet, assis derrière son bureau, le capitaine des pompiers, debout près de la fenêtre, le représentant des compagnies d'assurances, vêtu de noir (malgré la chaleur) et enfin un policier belge qui vient d'arriver et qui transpire à grosses gouttes. Pourquoi un policier belge ? Parce que Joes Faes et Eva Basset sont belges. Or, la police de ce pays eut à s'occuper d'eux. Alors on a préféré envoyé un policier plutôt qu'un rapport sec et sans doute incomplet. Le Belge est invité à prendre d'abord la parole.

Il explique que l'amour du théâtre lyrique est vivace à Liège. Quiconque possède un petit brin de voix ne rêve plus que d'entrer à l'Opéra de Paris, ou à tout le moins à la Monnaie de Bruxelles.

C'est le cas en 1906, pour une jeune fille, la petite Eva Basset, qui vocalise à longueur de journée. Mais elle est très peu douée physiquement et vocalement. Elle obtient pourtant, au Théâtre royal de Liège, en 1930, un petit bout de rôle. Tout émue, elle foule pour la première fois les planches. C'est le plus beau jour de sa vie.

Elle se fait photographier en « Mireille », assise sur un tronc d'arbre, commande des cartes de visite portant simplement : « Eva Basset, artiste lyrique » et devient la femme de Henri Faes, jeune premier comique au Théâtre royal,de Liège.

C'est à cette époque qu'une sœur d'Eva, alors célibataire, a l'imprudence d'avoir un enfant. Le bébé est d'abord élevé par la grand-mère, puis pour permettre un riche mariage à la mère de l'enfant et faire plaisir à sa femme, Henri Faes adopte le gamin qui portera désormais le nom de : Henri Joes Faes.


En 1934 et 1935, Eva Basset atteint le sommet de sa carrière en jouant des rôles de duègnes en second. C'est ensuite, insensiblement, par petites étapes, l'écroulement d'un beau rêve.

Pour vivre, les cachets du Théâtre royal devenant insuffisants, Eva Basset et son mari font de la « baraque », c'est-à-dire du théâtre ambulant. Là, au moins, Eva a la possibilité de jouer des rôles dépassant ses moyens.

Un grand malheur compromet définitivement sa faible réussite : elle devient asthmatique, ce qui est une catastrophe pour une chanteuse. Son unique joie est son petit Joes qu'elle gâte plus qu'une mère ; le bambin, plutôt malingre, grandit dans cette ambiance de comédiens perpétuellement en tournée.

En 1942, Henri Faes et Eva Basset divorcent pour incompatibilité d'humeur et elle reste seule avec son Joes, espérant que plus tard il deviendra un grand artiste.

A ce point du récit du policier belge, l'inspecteur Beynet et le capitaine des pompiers deviennent très attentifs. Pour eux le portrait de la femme qui se dessine est très compatible avec celui d'un incendiaire. Dépit ou vengeance? L'inspecteur envoie immédiatement deux policiers chercher Eva Basset à son hôtel.

Mais le représentant des compagnies d'assurance pour qui la culpabilité d'Eva Basset mettrait fin à tout espoir de recours, rappelle qu'elle ne peut pas être l'incendiaire, puisqu'elle a quitté le théâtre en compagnie d'un garçon de course.

Le policier belge demande l'autorisation de faire tomber la veste. Il s'éponge le front avec son mouchoir, compulse ses notes, poursuit son rapport.

Devant la détresse croissante d'Eva Basset et son amour du métier, la direction du Théâtre royal l'engage comme souffleuse. Elle retrouve ainsi l'ambiance des coulisses et de la scène. Hélas, blottie dans le trou du souffleur, la poussière lui brûle la gorge, et provoque chez elle des crises d'asthme intolérables.

Après deux représentations seulement, elle rentre désespérée dans son modeste logement pour se consacrer uniquement à l'avenir de Joes.

En attendant la gloire qui doit couronner plus tard le talent de son fils adoptif, elle se fait embaucher comme manœuvre à la Fabrique nationale d'armes de Liège où elle fait également entrer Joes.

Tous deux doivent bientôt quitter la Fabrique nationale : Eva pour son asthme, Joes pour incapacité notoire. Les allocations de chômage et de maladie sont désormais leurs seules ressources.

Toute la journée, entre deux quintes de toux, Eva apprend à chanter à Joes. De temps en temps, elle « fait de la baraque » avec une tournée de province. Au mois de septembre 1952, elle joue encore dans La Porteuse de pain. Seulement, comme elle est inscrite au chômage, cela se sait et elle se voit réclamer la somme de 7500 francs belges... Voilà ce qui motive une enquête de la police belge.

C'est le coup de grâce : il faut trouver d'urgence quelque chose, quitter Liège. Elle emprunte 2000 francs belges à sa sœur, la mère de Joes, et part pour Paris.

Le rapport de la police belge s'arrête là. Eva Basset est-elle une incendiaire possible ?

« On l'a vu quitter le théâtre avec un garçon de course », rappelle le représentant des compagnies d'assurance avec insistance.

Alors, on décide d'entendre le garçon de course qui vient d'arriver.

« Mais pas du tout, pas du tout, dit celui-ci, j'ai accompagné Mme Basset jusqu'à sa loge. Pendant qu'elle ramassait les affaires de son fils, on m'a appelé pour aller chercher le courrier. Quand je suis revenu, Mme Basset n'était plus là, j'ai cru qu'elle avait quitté le théâtre. »

A ce moment, le téléphone sonne sur le bureau de l'inspecteur Beynet. Ce sont les policiers qui appellent de l'hôtel où ils sont venus chercher Eva Basset, qui est toujours absente.

« Le gosse est-il là ? Alors, ramenez-le. »

L'inspecteur a tout juste le temps de raccrocher, qu'on lui annonce qu'une femme demande à le voir :

« Qui est-ce ?

— Eva Basset. »




Pâle, les mains légèrement tremblantes, mais affichant un calme hautain, Eva Basset jette un regard sur les hommes rassemblés. Puis, avant même qu'ils aient le temps de se retirer, elle déclare :

« C'est moi qui ai mis le feu au théâtre de Nîmes! »

Et elle raconte comment elle est arrivée avec son fils adoptif toute pleine d'un dernier espoir. Comment, le soir de la première de La Juive, perdue parmi les spectateurs du poulailler, elle essayait de distinguer son protégé dans l'essaim des acteurs gesticulant, minuscules, en bas sur la scène. Joes ignorait sa présence. Ce fut la seule soirée d'Eva au théâtre. Le dimanche soir, après la troisième représentation, Joes rentre la tête basse : on voulait le licencier pour « insuffisance ».

« C'est à ce moment-là que vous avez conçu votre projet criminel? demande l'inspecteur Beynet.

— Non, mais j'ai vivement protesté auprès de M. Lenzi. J'ai fait remarquer qu'il était abusif de nous faire venir de Belgique, mon beau-fils et moi, pour nous laisser sans travail. Le directeur m'a finalement fait savoir qu'une répétition aurait lieu le lendemain à 11 heures, que mon beau-fils et trois autres choristes, également congédiés, auraient une chance de se " repêcher ".

— L'audition eut-elle lieu? »

La voix d'Eva Basset prend un accent mi-dramatique, mi-vindicatif :

« Oui. Si on peut appeler ça une audition. Les trois autres choristes ont été retenus. Quant à mon beau-fils, M. Lenzi lui a dit seulement qu'il me recevrait dans son bureau vers 18 heures.

— Avez-vous répondu à cette convocation?

— Oui. » Mais elle ne se faisait pas d'illusion. Elle ne savait même pas comment payer l'hôtel. Comme c'était l'écroulement de dix ans d'espoir, la fin de toutes ses ambitions, désespérée, elle est allée boire dans un café.

« J'ai dû boire un peu trop, dit-elle. Je pleurais et je racontais ce qui nous était arrivé. Autour de moi, les gens me disaient qu'il ne fallait pas que je me laisse avoir. Je ne sais vraiment pas ce qui m'est passé par la tête. Je suis repassée à l'hôtel, j'ai mis dans ma valise une bouteille d'alcool et des vieux chiffons. Je suis allée au théâtre vers 18 heures pour m'entendre dire que mon fils ne pouvait pas figurer dans la chorale du théâtre et qu'il me restait à passer à la caisse pour toucher les huit jours de salaire qui nous étaient dûs.

« J'ai demandé que l'on me permette de prendre la valise car je désirais m'en aller immédiatement. Le garçon de courses du théâtre m'accompagna jusqu'à la loge. Comme je descendais l'escalier des artistes, le garçon fut appelé par quelqu'un du personnel. Il s'excusa et prit congé. Je m'emparais alors de ma valise, et, après avoir traversé l'escalier des danseuses, j'entrais sur la scène...

« Je sortis de ma valise la bouteille d'alcool à brûler, j'en projetai le contenu sur les décors, côté jardin, et aussitôt j'ai mis le feu. Une grande flamme s'éleva, montant jusqu'au cintre.

— La progression du feu fut-elle rapide?

— Je n'eus que le temps de m'enfuir précipitamment. A cent mètres du théâtre, j'entendis des gens crier : " Au feu ". En me retournant, je vis effectivement des flammes et d'énormes volutes de fumée.

— Qu'avez-vous fait de la bouteille vide ?

— Je l'avais emportée dans ma valise. Mais j'ai été prise de panique et je l'ai jetée sur le sol, où elle s'est fracassée. » (Les débris de la bouteille seront effectivement retrouvés au lieu indiqué par l'incendiaire.)

Eva Basset rentre alors dans son hôtel où elle voit les petites danseuses du théâtre qui pleurent : elles ne vont plus avoir de travail!

Elle ne prend pas le train, passe une nuit sans dormir et attend 8 heures du matin l'ouverture de l'église Saint-Paul pour se confesser. Le prêtre lui conseille de tout avouer. Mais elle n'en a pas le courage. Elle ne sait pas comment s'y prendre.

Aussi, rentrée chez elle, elle écrit à la police la première lettre anonyme, celle qui indique seulement le mobile du crime. Le lendemain, dans une seconde lettre, elle révèle au commissaire le nom de la criminelle. Et comme les policiers tardent à venir, elle décide de se constituer prisonnière, croisant sans le savoir, les deux inspecteurs qui viennent l'arrêter et qui ne ramèneront que Joes.

« Vouliez-vous mettre le feu au théâtre?

— Je voulais faire peur... Jamais, je n'aurai imaginé que l'incendie prendrait de telles proportions. »

Inculpée « d'incendie volontaire dans un lieu habité ». C'est la Cour d'assises, elle risque la peine de mort!

En sortant pour aller à la prison, elle rencontre son fils adoptif dans les couloirs de la P.J. Elle lui dit :

« C'est pour ton honneur, mon chéri, que j'ai fait cela. »

Mais Joes, à qui le destin n'accorde décidément que des rôles lamentables, se détourne d'elle et réplique:

« Tais-toi, lui dit-il, tu as brisé ma carrière! »

L'ex-mari, Henri Faes, qui fait de la « baraque » près de Bruxelles et qui n'a pas revu depuis dix ans son fils adoptif Joes, ne veut pas qu'on lui rappelle son passé. Il dit simplement :

« C'est une drôle d'idée d'aller mettre le feu à un théâtre... Je n'admets pas ça. »

Pendant ce temps, Eva Basset est en prison préventive. Elle se fait aimer de tous, par son humilité. Le dimanche, le prêtre qui l'a confessée à Saint-Paul, la fait chanter à la messe. Elle n'a pas un sou, même pas une cigarette. Personne ne vient la voir. Personne ne s'occupe d'elle. Même pas son fils adoptif.

Quand vient le procès, le 10 juillet 1953, Eva Basset n'a toujours pas d'avocat. C'est un ami de Francis Lenzi qui se proposera gratuitement. Il prétendra, comme système de défense de l'accusée, que celle-ci fut autrefois la maîtresse de Francis Lenzi. Le directeur du théâtre très sincèrement peiné de la situation de la malheureuse, ne protestera pas.

Mais MM. Aymé, Finet et Fichenet, lui en voudront à mort de ne pas charger davantage Eva Basset et de se déclarer convaincu qu'elle n'avait pas l'intention d'incendier réellement le théâtre.

Eva Basset est condamnée à sept ans de prison. Elle sera relâchée plus tôt pour bonne conduite. Elle deviendra, paraît-il, infirmière dans un asile de débiles mentaux.

Ridiculisé par ce procès, sa carrière brisée, Francis Lenzi devra quitter Nîmes pour entrer comme employé de bureau aux Établissements Diener, 125 boulevard Haussmann à Paris.

Joes, au moment du procès, était manutentionnaire à Nîmes. Mérite-t-il que nous cherchions à en savoir plus?

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