Chapitre 11

L’exercice du commandement militaire est un voyage, pas une destination. Sans cesse remis en question, il doit refaire ses preuves à chaque nouvel obstacle, qu’il soit le résultat d’événements extérieurs, des doutes éprouvés par les personnes commandées, des échecs ou des insuffisances du commandant lui-même.

Le pouvoir et l’influence politiques fonctionnent différemment. Une fois certains niveaux atteints, il n’est plus nécessaire de faire preuve de leadership ou de compétence. Une personne dotée d’un tel pouvoir a l’habitude que chacune de ses paroles soit prise en considération et chacune de ses lubies exécutée à la lettre. Et tous ceux qui cautionnent ce pouvoir savent courber l’échine devant lui.

Peu nombreux sont ceux qui ont le courage ou la folie d’y résister. Certains parviennent à tenir bon dans la tempête. La plupart voient néanmoins leur trajectoire de vie bifurquer une fois de plus et se détourner de l’objectif espéré. Mais ces détournements ne signifient pas toujours que la victime a échoué. Ni que le vainqueur a gagné.

 

 

Eli n’avait rien à faire ici. Il en avait conscience, Yularen en avait certainement conscience, et il était convaincu que toutes les personnes présentes dans la salle de bal en avaient conscience également.

Ça n’avait aucun sens. Il venait d’une planète trop isolée pour ces gens du Noyau. Il était trop bas dans la hiérarchie face à la horde d’amiraux et de généraux présents dans l’assemblée. Et il appartenait à un milieu bien trop modeste pour côtoyer l’élite de l’Empire.

Thrawn partageait les mêmes handicaps, bien entendu, auxquels venait s’ajouter son statut de non-humain dans une société qui, bien que tolérante dans l’ensemble, n’était pas particulièrement accueillante. Mais au moins y avait-il une raison pour que Yularen l’ait traîné ici et l’exhibe devant ces hommes et ces femmes de pouvoir. Si le Haut Commandement décidait de mettre à exécution sa menace de cour martiale, une base de civils avisés pourrait servir de contrepoids face aux amiraux offensés.

Il fallait que Thrawn soit là. La présence d’Eli, elle, n’était absolument pas nécessaire.

Malgré tout, même avec Thrawn, il ne pouvait s’empêcher de penser que le Chiss était moins considéré comme un officier injustement accusé que comme une bête de foire insolite.

— Intéressant, murmura Yularen.

Détournant les yeux de la robe aux couleurs chatoyantes et changeantes qui avait capté son attention, Eli vit que le colonel consultait son datapad.

— Colonel ?

— Un message du siège, expliqua Yularen. Il semblerait que la dernière intuition du lieutenant Thrawn ait été payante.

Eli regarda le Chiss.

— Quoi ? Ce que vous avez suggéré il y a deux jours, sur le fait que Cygni ait pu revenir sur ses pas ?

— Non, répondit Thrawn, sans quitter Yularen des yeux. Il s’est avéré que le colonel n’a pas pu rassembler assez de données sur cette question pour obtenir des résultats utiles. En fait, j’ai remarqué que la planète Kril’dor, une source renommée de gaz tibanna, était assez proche du Système d’Uba. Il m’est venu à l’idée que si Cygni avait pour seule intention de vendre les citernes, il y avait des chances qu’il conduise le Dromedar là-bas où un surplus de tibanna pouvait être aisément et discrètement déversé dans leurs propres canaux de distribution.

— Ce qui impliquait que les bénéficiaires prévus souhaitaient obtenir le tibanna tel quel, conclut Yularen. Dès lors, cela suggérait qu’il s’agissait soit de trafiquants d’armes soit d’individus déjà en possession de blasters et désireux de pouvoir s’en servir.

Eli grimaça.

— Des criminels ou des insurgés.

— Oui, confirma Thrawn. Nous avons dressé le portrait de plusieurs d’entre eux, à la recherche d’indices ou de signes probants.

— Tiens donc ? répondit Eli en fronçant les sourcils.

Il n’avait pas été mis au courant de ce travail de profilage criminel.

— À quel moment avez-vous fait tout cela ?

Thrawn inclina la tête.

— Vous dormez plus que moi.

Eli se sentit rougir.

— Désolé.

— Ne vous excusez pas, grogna Yularen. Et ne vous en faites pas, une carrière dans la Marine vous fera vite passer cette mauvaise habitude. Le fait est que si vous ajoutez ces derniers éléments suggérés par Thrawn au reste des informations, voici ce qui apparaît.

Il tendit le datapad à Thrawn. Eli s’approcha du Chiss et se pencha au-dessus de l’écran. Ce qui figurait sous leurs yeux était un rapport complet, mais au centre, Yularen avait surligné un seul mot.

Nightswan.

— Cela fait un an environ que nous entendons des rumeurs sur quelqu’un se faisant appeler Nightswan. Au départ, nous l’avons pris pour une sorte de consultant, ayant pour rôle de planifier des missions comme celle-ci pour divers groupes.

— Et maintenant ? demanda Thrawn en rendant le datapad.

— Maintenant, nous n’en sommes plus très sûrs, admit Yularen en parcourant le rapport des yeux. Certains analystes suggèrent qu’il aurait pu se rallier à une organisation unique. Ça ne me convainc qu’à moitié, personnellement.

Il s’humecta les lèvres et continua :

— Quoi qu’il en soit, nous allons le garder à l’œil. Au moins, connaissons-nous désormais l’un de ses pseudonymes.

Que l’intéressé n’utiliserait probablement plus jamais, estima Eli. Personne n’avait encore compris comment Cygni était parvenu à échapper aux barrages que l’amiral Wiskovis avait placés tout autour d’Uba, mais toujours est-il qu’il y était arrivé.

Peut-être que les interrogatoires des pirates survivants allaient leur fournir des indices ? Eli en doutait fortement.

— Bref, cette nouvelle m’est parvenue pendant que vous discutiez avec le dernier groupe de Sénateurs et je me suis dit que vous souhaiteriez être tenu au courant, continua Yularen.

— J’apprécie votre sollicitude, colonel, répondit Thrawn. Je vous remercie.

— Nul besoin de me remercier, c’est grâce à votre intuition que nous en sommes là.

Yularen s’apprêtait à ranger le datapad quand un élément attira son regard.

— Attendez une minute, une nouvelle information vient de me parvenir. Les citernes de tibanna…

Il ne termina pas sa phrase.

— Un problème, colonel ? voulut savoir Thrawn.

— On peut dire ça, lieutenant, répliqua Yularen avant de prendre une grande inspiration. Manifestement, douze des vingt citernes que nous avons récupérées avec le Dromedar

Il tendit à nouveau le datapad à Thrawn.

— … étaient vides.

Eli sentit sa mâchoire se décrocher.

— Vides ? Mais c’est impossible, s’exclama-t-il. Elles étaient verrouillées dans un champ statique !

— Apparemment, notre cher Cygni aurait tout de même trouvé un moyen d’en extraire le gaz, gronda Yularen. En passant par l’arrière des citernes.

Eli tressaillit. La fameuse technique suggérée par Thrawn. Formidable.

— À travers la coque ?

— La coque n’a pas été touchée, répondit Yularen en secouant la tête. Ils vont devoir tout démanteler pour comprendre comment il a réussi son coup.

Les trois hommes se dévisagèrent silencieusement pendant quelque temps.

— Vous avez tout de même sauvé le vaisseau, finit par dire Yularen. Et avec lui, presque la moitié du tibanna ainsi que l’équipage du Dromedar. Et vous avez attrapé une grande partie des pirates.

— Compte tenu de la valeur qu’accorde le Haut Commandement au tibanna, ils considéreront sûrement que cette victoire n’est pas suffisante.

Le ton de sa voix était plutôt calme. Mais l’expression sur son visage fit frissonner Eli.

Certaines des légendes racontaient ce qui se passait lorsque des Chiss se faisaient battre ou duper. Ces récits se terminaient toujours mal.

— Eh bien, dans ce cas, ils feraient une grave erreur, rétorqua Yularen, l’air grave. Peu importe. Nous n’y sommes pas encore et, personnellement, j’ai toujours considéré qu’un devoir à moitié accompli avait bien plus de valeur qu’un devoir non accompli. Nous allons vous sortir de là. Et si la Marine décidait de vous renvoyer, conclut-il en souriant, le BSI serait enchanté de vous embaucher.

Il tapota sa tunique blanche et ajouta :

— Si je puis me permettre, le blanc vous irait comme un gant.

— Merci, colonel, répondit Thrawn. Mais mes compétences sont mieux adaptées aux vaisseaux et aux situations de guerre.

— Dans ce cas, faisons en sorte que vous restiez à ce poste, dit Yularen en regardant autour de lui. Ne serait-ce pas le Ministre de la Guerre, là-bas ? Pourquoi viser bas quand on peut viser le sommet ? Pour peu que la chance soit avec nous – et qu’il ait un peu bu –, nous parviendrons peut-être à lui faire renoncer totalement à cette cour martiale.

*

— Votre Excellence, s’il vous plaît…, balbutia Arihnda en reculant prudemment vers la porte, ses poumons tour à tour brûlants et glacés à cause de la poudre d’épice qu’elle avait involontairement inhalée.

Que se passait-il, bon sang ?

Quoi que ce soit, il n’y avait pas grand-chose qu’elle puisse faire. La porte était vraisemblablement verrouillée, les fenêtres incassables… Et puis, elle se trouvait au 5 000e étage de toute façon.

— C’est un malin, votre Sénateur Renking, dit Ghadi d’une voix calme, presque décontractée. Pensait-il vraiment qu’il allait pouvoir s’en tirer comme ça ?

Arihnda secoua la tête.

— Pardonnez-moi, Votre Excellence, mais je ne comprends absolument pas de quoi vous parlez.

— Je parle du fait d’insérer des données erronées dans l’ordinateur d’un haut fonctionnaire impérial, rétorqua Ghadi d’une voix basse et menaçante. Manifestement, Renking s’attendait à ce que je tombe sous votre charme, au point de télécharger la datacarte sans prendre la peine de l’inspecter au préalable.

Arihnda écarquilla les yeux.

— Attendez. Insérer des données erronées ? Quel genre de données erronées ?

— Alors, voilà ce que vous allez faire, continua le Moff sans prêter attention à sa question. Vous allez prendre la datacarte, expliqua-t-il en montrant mollement du doigt la carte qu’elle avait dans la main, et faire exactement ce que Renking vous a dit de faire avec. La déposer sur son bureau, la ranger dans un dossier, la cacher sous un tapis… peu importe ce qu’il vous a dit. Et vous ne lui parlerez jamais, j’ai bien dit jamais, de la substitution ni de cette conversation.

Ghadi haussa les sourcils et ajouta :

— Suivez mes instructions à la lettre et cette histoire appartiendra au passé. Tentez quoi que ce soit et je vous ferai arrêter pour détention de stupéfiants. C’est vous qui voyez.

Les poumons d’Arihnda commençaient à se dégager petit à petit. Mais, dans le même temps, une étrange clarté se mit à nimber la pièce, soulignant les couleurs et les textures avec de plus en plus de précision tandis qu’ombres et lumières pulsaient de manière intermittente.

— Qu’est-ce que ce truc est en train de me faire ? demanda-t-elle d’une voix qui lui semblait vibrer au rythme du clair-obscur.

— Pas grand-chose. Le produit a besoin d’être préparé pour libérer toute sa puissance. Bien entendu, le fait qu’il soit brut implique que vous serez identifiée comme trafiquante ou livreuse, et non pas comme simple utilisatrice. La sentence est bien plus sévère dans ce cas. J’attends votre décision.

Arihnda ferma les yeux. Même paupières closes, elle semblait capable de percevoir le nouveau rayonnement de la pièce.

— Comment puis-je être certaine que vous allez tenir parole ? demanda-t-elle en rouvrant les yeux.

— Pourquoi ne le ferais-je pas ? rétorqua Ghadi en haussant les épaules. Vous n’êtes qu’un tout petit poisson, qui ne mérite pas qu’on perde son temps et son énergie à l’éviscérer.

— Je vois. Qu’y avait-il sur la datacarte que je vous ai remise ?

Ghadi fronça les sourcils.

— Vous posez beaucoup de questions, mademoiselle Pryce, dit-il, l’air songeur. Essayez-vous de me convaincre que vous méritez d’être éviscérée ?

— Vous me demandez de faire à Renking ce qu’il a tenté de vous faire subir. À quoi bon éviter votre échafaud pour finir sur le sien ?

— Contentez-vous de faire votre travail et il ne saura jamais que c’était vous. Et puis vous n’avez pas tellement le choix, n’est-ce pas ?

Arihnda regarda la poudre que le Moff avait répandue sur sa tunique. La tache blanche lumineuse s’estompait au fur et à mesure que les particules s’imprégnaient dans le tissu, mais elle savait pertinemment qu’avec le matériel adéquat, elles resteraient détectables pendant plusieurs jours.

— Je ne crois pas, en effet.

— Alors, tâchez de ne pas l’oublier, gronda Ghadi.

Le Moff lui fit un sourire crispé, amer et diabolique, puis il ajouta :

— Bienvenue en politique, mademoiselle Pryce. Bienvenue au cœur de la vraie Coruscant.

*

Arihnda parvint à se faufiler hors de la salle de bal sans que Juahir ni Driller ne s’en aperçoivent. Elle prit un taxi aérien jusqu’au bureau de Renking et glissa la datacarte de Ghadi dans la fente du coffre-fort comme elle en avait reçu l’instruction. Elle appela ensuite un autre taxi aérien puis retourna à l’appartement de l’oncle de Driller. Passer ne serait-ce qu’une seconde de plus sur la Place du Noyau était bien la dernière chose qu’elle ait envie de faire, mais elle savait que prendre la fuite lui donnerait l’air coupable.

Par ailleurs, ses poumons et sa vision étaient encore gênés par les effets de l’épice et il y avait certainement d’autres indices visuels qui risquaient de la compromettre pour peu qu’elle croise une personne formée pour les repérer. Ce serait vraiment le comble de l’ironie que Ghadi tienne sa promesse de ne pas la dénoncer pour que le premier agent de sécurité venu le fasse à sa place.

Elle s’allongea sur le divan et passa les trois heures qui suivirent à attendre que les symptômes disparaissent tout en s’interrogeant sur ce que pouvait contenir la datacarte. Sur ce que cela risquait de faire. Sur ce qu’elle allait faire.

Elle n’en avait pas la moindre idée.

Il était plus de 2 heures du matin lorsque Juahir et Driller finirent par rentrer. Arihnda éluda les questions de son amie en prétextant qu’elle ne se sentait pas bien puis refusa toute aide de sa part. Comprenant qu’il était inutile d’insister, Juahir et Driller allèrent se coucher en se traînant jusqu’à leurs propres lits.

Ce ne fut qu’aux toutes premières lueurs de l’aurore qu’Arihnda finit par s’assoupir. Sa dernière pensée juste avant de s’endormir fut de se demander à quel moment la bombe finirait par exploser.

Elle n’eut pas longtemps à attendre.

*

Ce fut à 9 heures précises, à peine trois heures après s’être enfin endormie, qu’Arihnda prit connaissance de l’appel général sur son comlink. Arrivée au bureau de Renking, elle trouva la plupart des employés déjà rassemblés, chuchotant entre eux avec une excitation et une appréhension palpables. Renking les rejoignit quelques minutes plus tard, le regard froid, le visage sombre et les traits tendus.

— J’ai de mauvaises nouvelles, annonça-t-il sans préambule.

Il scrutait la foule en parlant, mais Arihnda remarqua que ses yeux ne s’arrêtaient jamais sur son visage.

— Des allégations portant sur des incohérences financières et institutionnelles provenant de mon bureau ont récemment émergé, poursuivit-il. Même si ces accusations sont absolument fausses, je dois néanmoins y répondre aussi rapidement que possible. Je vais donc retourner sur Lothal pour quelque temps et devrai sûrement faire plusieurs escales rapides dans d’autres mondes avant mon retour. Malheureusement, jusqu’à ce que la situation soit résolue, mes niveaux de financement seront drastiquement limités. Je n’ai donc d’autres choix que de fermer plusieurs de mes bureaux périphériques et de démettre de leurs fonctions les personnes qui y officiaient. Voici les bureaux concernés.

Il lut à voix haute une liste de sept bureaux sur son datapad. Et ce n’était pas une coïncidence, songea Arihnda, qu’il ait gardé Bash Quatre pour la fin.

— Merci d’être venus, conclut-il. Je présente mes excuses à tous ceux d’entre vous dont je dois me séparer, mais je suis convaincu que vous trouverez d’autres postes rapidement. Profitez du reste des festivités de la Semaine de l’Ascension. Mademoiselle Pryce, pouvez-vous attendre un instant ?

Arihnda resta adossée au mur le temps que tous les autres sortent. Renking se plongea dans la lecture de son datapad, ou du moins feignit de le faire jusqu’à ce qu’ils se retrouvent complètement seuls.

Alors, pour la première fois depuis son arrivée dans les locaux, il posa les yeux sur elle.

Arihnda s’attendait à déceler de la colère dans son regard. Elle n’y vit que de la glace. Elle s’attendait à ce qu’il crie ou pousse des jurons. Or sa voix, quand il commença enfin à parler, était douce et infiniment plus effrayante.

— J’espère que vous êtes fière de vous.

— Je n’ai pas eu le choix, répliqua Arihnda en maudissant intérieurement le tremblement de sa voix.

Elle s’était fait la promesse d’employer le même ton que lui, mais un Sénateur impérial fou de rage se révélait plus intimidant que ce qu’elle s’était imaginé.

— Il a dit qu’il me ferait arrêter !

— Et vous l’avez cru ? Vous pensiez vraiment avoir suffisamment d’importance pour qu’il perde son temps avec vous, ne serait-ce qu’en passant un coup de fil à la police ?

Il secoua la tête.

— Vous êtes vraiment sotte à ce point ? insista-t-il.

— Parlons un peu de vous, contra Arihnda.

En quoi était-ce de sa faute à elle ?

— Quoi que vous ayez voulu faire, vous avez dû très mal vous y prendre ! continua-t-elle. Si j’avais su ce qui se tramait, j’aurais au moins pu m’y préparer.

— Ben voyons. Une péquenaude en couche-culotte de Lothal, se préparer à affronter un Moff ! J’aurais adoré voir ça.

Il tendit la main vers elle.

— La clé de votre airspeeder, ordonna-t-il.

Arihnda la lui donna, s’efforçant de garder ses lèvres scellées pour faire barrage à la repartie qui lui brûlait la langue.

— J’imagine que vous allez reprendre aussi mon appartement, dit-elle à la place. Je vais commencer à faire mes cartons.

— Il a déjà été vidé. Vos affaires vous attendront demain à la réception.

Il pinça les lèvres puis ajouta :

— Nous aurions pu accomplir de belles choses ensemble, Arihnda. Je suis déçu de ne pas avoir pu compter sur vous.

— Et moi, je suis déçue de ne pas avoir pu vous faire confiance.

— Me faire confiance ? répéta-t-il en gloussant avec dédain. Ne soyez pas naïve. La confiance n’a pas sa place en politique. Elle ne l’a jamais eue et ne l’aura jamais. Maintenant, sortez d’ici. Je suis sûr que vous serez très heureuse de retourner chez vous, sur Lothal.

*

Arihnda fut surprise de découvrir que Juahir et Driller l’attendaient devant le bureau.

— Est-ce que tout va bien ? demanda son amie d’un air inquiet. J’ai reçu un appel de la propriétaire me disant qu’un groupe d’Ugnaughts était venu dans ton appartement pour faire tes bagages et je me suis dit que tu devais être ici.

— Je viens de me faire renvoyer, annonça Arihnda.

De nouveaux tremblements étaient en train de s’immiscer dans sa voix. Elle les refoula sans pitié.

— Et qui dit plus de travail, dit plus d’appartement, précisa-t-elle.

— Aïe, grimaça Juahir en la regardant attentivement. Est-ce que cela a quelque chose à voir avec ta disparition d’hier soir ?

— Oui, mais je ne veux pas en parler.

D’un regard circulaire, Arihnda embrassa le paysage urbain qui s’étalait autour d’eux, les immeubles majestueux et le flot incessant des airspeeders. La première fois qu’elle avait découvert ce panorama, elle l’avait trouvé exotique et grisant. Puis il lui était devenu familier et ordinaire.

Et maintenant, il était menaçant. Des millions d’humains et d’aliens étaient entassés là, à se disputer les mêmes emplois et les mêmes appartements.

Et Arihnda était devenue l’une d’entre eux.

— D’accord, dit brusquement Juahir. Bon, tu peux rester chez moi pour l’instant. On sera un peu serrées, mais on va se débrouiller. Côté boulot… eh bien, tu connais la clientèle de Topple donc j’imagine que ça ne te tente pas une seconde. Mais les droïdes serveurs tombent tout le temps en panne, donc Walt est toujours à la recherche de main-d’œuvre.

— Oui, murmura Arihnda.

Les mots de Renking résonnaient dans sa tête comme une accusation.

Peut-être était-ce la clé pour survivre sur Coruscant : ne jamais avoir à compter sur personne.

Si c’était la condition pour s’en sortir, Arihnda pouvait y arriver.

— Sinon, tu peux aussi rester chez moi les deux prochains mois, proposa Driller. Tu serais plus au cœur des choses et à proximité des postes les plus prisés. Même s’ils seront sûrement difficiles à décrocher.

— Sûrement, répondit Arihnda.

Elle prit une grande inspiration. Elle allait y arriver.

— Merci pour vos propositions, dit-elle. Si c’est possible pour toi, Driller, j’aurais besoin de rester avec toi et Juahir jusqu’à la fin de la Semaine de l’Ascension. Mais après ça, je ne serai plus dans vos pattes.

Juahir et Driller échangèrent un regard.

— Très bien, dit son amie d’un ton hésitant. Tu es sûre que tu ne veux pas venir t’installer chez moi ?

— Oui, dit Arihnda. Merci.

— Et il n’y a vraiment rien d’autre qu’on puisse faire pour toi ? insista Driller. Rien dont tu aurais besoin ?

— Juste une chose, répondit Arihnda en sortant son datapad.

Lui au moins était à elle, pas à Renking.

— Il me faudrait l’adresse du bureau d’aide aux citoyens le plus proche.

*

— … et c’est pourquoi ce comité a pris la décision d’innocenter le lieutenant Thrawn de toutes les charges retenues contre lui.

Eli prit une grande inspiration. L’affaire était close. Le comité de la cour martiale avait pris en compte tous les détails de l’incident du Dromedar, n’avait pas manqué de souligner la mesquinerie du commandant Rossi et avait rendu la décision qu’il fallait.

La réhabilitation était totale. Et pourtant, Eli éprouvait des sentiments mitigés en sortant de la salle avec Thrawn. Il s’était lui-même retrouvé dans une position délicate cette fois-ci, mais en tant qu’officier subordonné, sa carrière n’avait jamais été autant en danger que celle du Chiss. Si Thrawn avait été condamné et renvoyé de la Marine, Eli aurait-il pu reprendre le cours de sa carrière en tant que commissaire de bord ?

Et dans ce cas, aurait-il été satisfait ou déçu ?

Il regarda d’un air renfrogné les murs gris et lisses qui les entouraient. Il n’avait pas demandé à tenir ce rôle qu’on lui avait imposé, et il était certain qu’il ne l’avait pas désiré. Comme il le suspectait depuis longtemps, sa position d’assistant de Thrawn nuisait à son propre avancement, et au cours des deux années précédentes, nombreuses avaient été les occasions où il aurait tout donné pour se libérer de son devoir envers le Chiss.

Mais il y avait aussi tous ces autres moments. Comme lorsque Thrawn faisait des rapprochements ou remarquait de petits détails qui permettaient de prendre un contrebandier ou un escroc en flagrant délit. Ou lorsque le Chiss suggérait une manœuvre tactique qui transformait une défaite assurée en victoire inattendue. Ou encore lorsque Thrawn parvenait, comme cela avait été le cas avec Cygni et ses pirates, à conserver tout du long deux longueurs d’avance sur ses ennemis.

Ou du moins, presque tout du long. Le coup du tibanna volatilisé continuait de le contrarier. Et cela contrariait Thrawn encore davantage, il le voyait bien.

Dans le fond, qu’est-ce qu’Eli voulait vraiment ? Un parcours paisible où ses talents et ses compétences seraient exploités au maximum de leur potentiel et qui le conduirait au sommet de son domaine de prédilection ? Ou un parcours où il se sentait presque toujours comme un poisson hors de l’eau, mais où il pouvait observer un véritable génie en action ?

Il ne cessait de ruminer cette question depuis la Royale Impériale. Et n’avait toujours pas trouvé de réponse.

— Votre famille continue d’exercer le transport maritime privé, n’est-ce pas ? demanda Thrawn en l’arrachant à ses réflexions.

— Oui, lieutenant, confirma Eli en esquissant une grimace.

S’il se posait encore des questions sur le bien-fondé de son rôle d’assistant de Thrawn, ses parents, quant à eux, avaient exprimé très clairement ce qu’ils pensaient de la stagnation de sa carrière. La situation était devenue si tendue qu’Eli redoutait désormais chacune de leurs lettres et chacun de leurs appels.

— Je suppose qu’un tel métier implique de bien s’y connaître sur le plan de l’offre et de la demande ?

— Le transport en lui-même ne l’exige pas. Mais ils font aussi beaucoup d’achats, où de telles connaissances sont clairement utiles. Pourquoi, vous avez besoin de quelque chose en particulier ?

Thrawn resta silencieux le temps de faire quelques pas.

— Le doonium, répondit-il enfin. Cygni a remarqué que mon droïde buzz appartenait aux premiers modèles et connaissait manifestement sa valeur. Cela a forcément un rapport avec le doonium qu’il contient.

Eli haussa les épaules.

— Ce n’est pas surprenant. Le prix du doonium a explosé depuis que la Marine a entamé une nouvelle vague de constructions navales.

— C’est ce que l’on raconte, concéda Thrawn. Mais je me pose des questions. Est-ce que vous savez combien de vaisseaux sont construits et quelle quantité de doonium cela représente ?

— Je ne peux pas vous répondre de tête, mais je pourrais certainement me renseigner, répondit Eli en fronçant les sourcils. Vous pensez que la Marine se crée des réserves de doonium ?

— C’est une option. L’autre option est plus… intrigante.

— Et cette option serait… ?

— Un autre projet, répondit Thrawn, l’air pensif. Quelque chose de grande envergure et qui n’a pas été annoncé.

— L’armée a parfois des projets officieux en cours. Mais je ne sais pas comment nous pourrions en déterminer l’envergure. J’imagine que la première chose à faire serait de vérifier les archives publiques du Sénat et du ministère des Finances.

— À moins que ce projet ne leur ait été dissimulé.

— Ce qui appuierait la thèse de quelque chose d’encore plus petit. Que le projet soit secret ou non, l’argent doit bien venir de quelque part. Outre le coût du matériel, il ne faut pas oublier celui de l’ingénierie, des ouvriers et du transport des ressources. Plus c’est gros, plus c’est difficile à cacher.

— Mais pas impossible ?

— Mes parents m’ont toujours dit que rien n’était impossible. Si vous le souhaitez, je peux faire des recherches.

— Je vous en serais très reconnaissant. Merci.

Thrawn indiqua une porte au loin et ajouta :

— On m’a dit que nos nouvelles affectations nous attendraient ici.

— Ah, dit Eli.

C’était rapide. Manifestement, le Haut Commandement savait par avance le verdict qu’allait rendre le comité. Au moins, Thrawn et lui n’allaient pas rester assis les bras croisés dans l’incertitude.

Cependant, ce n’était pas forcément une bonne nouvelle. D’après ce qu’Eli avait entendu, il n’y avait rien de tel que les cours martiales pour anéantir une carrière. Même lorsque l’officier était acquitté, l’habitude consistait à ne lui donner que des missions au sol ou en orbite pendant quelques années. Compte tenu de l’attitude de la Marine vis-à-vis des non-humains – et compte tenu du fait que Thrawn avait irrité l’amiral Wiskovis et le commandant Rossi en n’obtenant qu’une demi-victoire –, Eli doutait également qu’on leur ait réservé la mission au sol la plus agréable ni la plus prestigieuse qui soit.

Et là où serait envoyé Thrawn, Eli devrait-il le suivre ?

— Aspirant Eli Vanto ? s’éleva une voix derrière eux.

— Oui, madame, confirma Eli en se retournant.

La femme qui avançait à grands pas vers eux avait la cinquantaine et portait un tailleur sobre, mais d’apparence onéreuse, agrémenté d’une capeline. Elle avait l’air décontractée et possédait la peau lisse d’une personne qui était très rarement – si ce n’est jamais – sortie en plein air.

— Puis-je vous parler, je vous prie ?

Eli regarda Thrawn.

— Vous pouvez vous entretenir avec elle. Je m’occupe d’aller chercher nos ordres et je reviens.

Il adressa un bref regard à la nouvelle venue puis se dirigea vers la porte qu’il avait indiquée. La porte coulissa et Thrawn disparut à l’intérieur de la pièce.

— « Vous pouvez vous entretenir avec elle » ? répéta la femme. Je ne savais pas que les aspirants avaient besoin de la permission de leur supérieur pour parler à d’autres personnes.

— C’est juste sa façon de parler, expliqua Eli en sentant ses joues lui brûler.

Cela faisait longtemps que Thrawn maîtrisait parfaitement le basic, mais sa capacité à formuler ses commentaires de manière polie ou diplomate restait parfois affreusement limitée.

— Vous êtes… ? demanda Eli.

— Je m’appelle Culper. Je suis une assistante du Moff Ghadi.

Elle haussa les sourcils.

— Vous savez qui est le Moff Ghadi, je suppose ?

— Bien sûr, répondit Eli.

Il avait certes déjà entendu parler de Ghadi. Il s’agissait, si ses souvenirs étaient bons, du Moff à qui était confié l’important Secteur de Tangenine, dans le Noyau. Mais hormis cette information, les détails sur sa vie et sa situation demeuraient assez vagues dans son esprit.

— Bien, dit vivement Culper. Son Excellence a suivi cette affaire avec un certain intérêt. Il en approuve le dénouement, mais s’avoue quelque peu déçu que votre rôle n’ait pas été pleinement reconnu dans le succès du lieutenant.

— Ceci s’explique facilement. C’est le lieutenant Thrawn qui a découvert que Cygni était une taupe, qui a établi un plan d’action pour le capturer et qui a ensuite exécuté ce plan avec talent et efficacité.

— Mais il était loin d’être seul, souligna Culper. Vous et les autres membres d’équipage du Corbeau de Sang avez joué un rôle essentiel pour atteindre cet objectif.

— Ce qui a été précisé à maintes reprises, lui rappela Eli. Surtout par le lieutenant Thrawn lui-même qui, me semble-t-il, a insisté pour que nous soyons tous décorés.

— Mais pas promus.

— Ce n’est pas aux officiers subalternes d’apprendre aux officiers supérieurs à faire leur travail. Je fais entièrement confiance au Haut Commandement et à la Marine Impériale pour faire ce qui lui semble juste et approprié.

Culper esquissa un sourire.

— Ah oui. Juste et approprié. Deux mots grandiloquents, mais vides de sens. Personne n’obtient ce qu’il mérite dans cet univers, aspirant Vanto. Personne ne devrait encore moins se contenter de ce que quelqu’un d’autre estime juste et approprié. Non, chacun doit être attentif aux opportunités qui se présentent et savoir les saisir au vol.

Elle leva la main et la serra vigoureusement pour former un poing.

— Y aurait-il quelque part une opportunité qui m’aurait échappé ?

— En effet, acquiesça Culper. Son Excellence le Moff Ghadi dispose de nombreux contacts et associés au sein de l’Empire. L’un d’entre eux, Gouverneur dans un système prestigieux de la Bordure Intérieure, recherche un attaché militaire adjoint. Un seul mot de la part de Son Excellence et le poste est à vous.

Elle esquissa un nouveau sourire et ajouta :

— Et il y a de fortes chances pour que vous soyez promu lieutenant en chemin, puis capitaine, peu de temps après.

— Intéressant, dit Eli. Malheureusement, je suis tenu de servir encore trois ans la Marine avant de pouvoir ne serait-ce que considérer une telle offre.

— Aucun problème, lui assura Culper. Dans le système en question, le bureau de l’attaché est une extension de la Marine Impériale. Vous serviriez votre engagement envers l’Empire tout en vous faisant une place dans la hiérarchie locale.

— Voilà qui est encore mieux, commenta Eli. J’apprécie votre proposition, mais je ne suis pas prêt à travailler derrière un bureau.

— Nous sommes loin d’un travail de bureau, rétorqua Culper en esquissant une moue pouvant exprimer l’amusement ou le mépris.

Visiblement, Eli s’y connaissait encore moins bien dans ces domaines qu’il ne le pensait.

— Vous assureriez la liaison avec la Marine Impériale, certes, poursuivit-elle, mais vous seriez aussi officier dans les forces de défense de la flotte du système. Et avant même de vous en apercevoir, vous obtiendriez votre propre commandement. À bord d’un patrouilleur pour commencer, puis d’une frégate et enfin d’un croiseur.

— C’est intrigant, concéda Eli.

— J’ose espérer que vous trouvez cela plus qu’intrigant, dit Culper, le front plissé. Vous me paraissez étonnamment hésitant, aspirant. J’imagine que vous réalisez que de nombreux officiers supérieurs de la Marine sauteraient sur une occasion pareille. Que Son Excellence propose un poste comme celui-ci à un officier subalterne est totalement inédit.

— Je veux bien vous croire, acquiesça Eli. Ce qui nous conduit à une question évidente : pourquoi moi ?

Culper haussa les épaules.

— On pourrait aussi se demander : pourquoi pas vous ? Vous avez fait vos preuves dans une situation inhabituelle ; vous vous êtes fait un nom…

Elle s’interrompit et jeta un coup d’œil vers la porte que Thrawn venait de franchir avant d’ajouter :

— Et ce n’est pas comme si la Marine se préoccupait de votre avenir…

Détournant les yeux, Eli sentit une boule se former dans son ventre. Culper avait raison sur ce point. Thrawn allait être affecté à une mission administrative, et il était probable que son assistant l’accompagne dans cette chute spectaculaire.

Ou alors Eli pouvait accepter l’offre du Moff Ghadi et commander son propre vaisseau.

Il n’avait jamais envisagé cette possibilité pour son avenir. Il avait suivi la filière de l’approvisionnement à l’Académie et le mieux qu’il pouvait espérer dans cette voie était de se voir confier le poste de premier commissaire de bord sur un Destroyer Stellaire ou peut-être le commandement d’un grand entrepôt au sol.

Mais cette carrière lui était passée sous le nez depuis longtemps. Aujourd’hui, il était l’assistant d’un officier… et s’il y avait bien une voie qui ne menait nulle part, c’était celle-ci. Il pourrait finir capitaine, peut-être même lieutenant-colonel, mais il serait toujours dans l’ombre d’un commandant, d’un amiral ou d’un grand amiral.

Ou alors, il pouvait devenir commandant de son propre vaisseau.

C’était une occasion unique. Il serait fou de la refuser.

Mais parviendrait-il à assumer une telle responsabilité ? Serait-il capable de commander un vaisseau entier, même aussi petit qu’un patrouilleur ? Il ne disposait ni de l’entraînement ni de l’expérience nécessaires. Et puis il manquait totalement de leadership et de charisme.

Mais tout de même… Commandant de son propre vaisseau…

— Je suppose que ce n’est pas le lieu qui pose problème, intervint Culper face à l’hésitation d’Eli. Pour être très honnête, une mission dans la Bordure Intérieure est déjà une offre plus que généreuse.

Les pensées d’Eli se figèrent.

— Que voulez-vous dire par « plus que généreuse » ?

Les lèvres de Culper se plissèrent un bref instant.

— Je veux dire que pour une personne originaire comme vous l’êtes de l’Espace Sauvage, la Bordure Intérieure constitue une avancée spectaculaire.

— Je vois, fit Eli en sentant la colère le titiller.

S’il avait maintes fois été témoin du complexe de supériorité et du mépris des cadets du Noyau à l’Académie Royale Impériale, il ne se serait jamais imaginé entendre les mêmes préjugés dans la bouche d’un haut fonctionnaire du gouvernement.

— Dites-moi, madame Culper, pourquoi ai-je été désigné pour un tel honneur ?

— Parce que Son Excellence considère que vous méritez une promotion.

— C’est ce que vous m’avez dit. Mais quelle est la vraie raison ?

Culper pinça à nouveau les lèvres.

— Si vous ne souhaitez pas profiter de cette opportunité…

— C’est à cause de Thrawn, n’est-ce pas ? la coupa Eli, comprenant soudain de quoi il retournait. Le Moff Ghadi se soucie peu de ma réussite. Ce qui lui importe, c’est que Thrawn échoue !

— Son Excellence ne s’intéresse pas au sort d’un simple lieutenant !

Eli regarda la porte devant lui, soudain frappé par un éclair de lucidité.

— Sauf qu’il n’est plus lieutenant, c’est ça ? Il a été promu au grade de capitaine !

Les lèvres de Culper tressaillirent. Légèrement, mais assez pour qu’Eli comprenne qu’il avait vu juste.

— D’accord, dit-elle, sa voix douce plongeant dans les graves. Oui, il a été promu, et oui, nous sommes quelques-uns à ne pas voir d’un très bon œil tout l’intérêt que suscite ce non-humain. Ses décisions ont coûté des centaines de milliers de crédits à l’Empire à cause du gaz tibanna perdu.

— Il en a sauvé la moitié.

— Quarante pour cent, rectifia Culper sur un ton glacial. Et ce grâce à l’amiral Wiskovis, pas à lui. Votre ami non humain n’avait qu’une chose en tête : montrer à quel point il était malin.

— Il a également sauvé l’équipage du vaisseau.

— Parmi lesquels figuraient trois non-humains.

Eli sentit des picotements lui parcourir la peau.

— Quelle différence cela fait ?

— Vous ne comprenez donc pas ? La priorité de l’Empire était de récupérer le gaz tibanna. C’était ça qui avait de la valeur. C’était sur ça qu’un bon officier impérial aurait dû concentrer ses efforts. Mais au lieu de cela, il a risqué votre vie et celle d’autres membres d’équipage du Corbeau de Sang pour sauver des non-humains. À votre avis, que fera-t-il la prochaine fois qu’il faudra prendre une décision comme celle-ci ?

— Je vois, répondit Eli.

C’était donc de cela qu’il s’agissait. Il n’avait pas été repéré pour son talent ni pour son potentiel à tenir un poste prestigieux. Il n’était rien de plus qu’un outil dont Ghadi et ses amis espéraient se servir pour évincer ce non-humain, non issu de l’élite, qui menaçait leur petit monde confortable.

— J’apprécie votre honnêteté, madame Culper. Veuillez remercier Son Excellence le Moff Ghadi pour sa proposition. Mais je suis très bien là où je suis.

— Alors vous n’êtes qu’un idiot ! lâcha Culper d’un ton acerbe. Tôt ou tard, il finira par mordre la poussière. Malgré votre aide pour arrondir les angles en politique, il tombera de son piédestal. Il a eu de la chance, cette fois. Mais la chance ne dure jamais. Et à l’heure de la chute, il entraînera tous ses proches avec lui.

— Le Moff Ghadi y veillera personnellement ?

Culper sourit.

— Passez une bonne journée, aspirant.

Elle allait faire demi-tour, mais se ravisa.

— Oh, et à votre place, j’essaierais de m’habituer à ce grade. Il risque de vous coller à la peau encore longtemps.

Elle tourna les talons en faisant tourbillonner sa capeline et repartit à grands pas vers la sortie. Eli la regarda s’éloigner et sentit des émotions contradictoires refaire surface à mesure que se dissipait son écœurement.

Mais si ses sentiments restaient partagés, sa trajectoire se dessinait à présent très clairement. Qu’il le veuille ou non, sa carrière était liée à celle de Thrawn.

— Vous êtes contrarié.

La voix du Chiss provenait de derrière lui.

— Non, ça va, grogna Eli.

Était-ce trop demandé que les gens arrêtent de l’agresser par-derrière ?

— Avez-vous reçu vos ordres ? demanda-t-il à Thrawn.

— Oui. Qu’est-ce qu’elle voulait ?

— Elle m’a proposé un travail, répondit succinctement Eli. En quoi consiste votre nouvelle affectation ?

Thrawn baissa les yeux vers le datapad qu’il avait dans la main.

— Commandant en second à bord du Sphex d’Orage. D’après ce que je lis là, c’est un croiseur léger de classe Arquitens en patrouille dans la Bordure Médiane.

— Et vous avez été promu capitaine ?

Thrawn inclina la tête sur le côté et ses yeux rougeoyants se plissèrent légèrement.

— Comment le savez-vous ?

— Un pur coup de chance. J’imagine que vous avez récupéré mon affectation au passage ?

— Oui, répondit Thrawn en lui tendant une datacarte. Sur le Sphex d’Orage également, en tant qu’assistant.

— Et pas de promotion.

— Non. Mes excuses, aspirant. J’ai pourtant plaidé votre cause pour que vous obteniez non seulement une promotion, mais aussi une station de combat.

— Chose pour laquelle je ne suis pas vraiment formé. C’est à l’approvisionnement que je devrais être envoyé.

Thrawn resta silencieux un instant.

— Ce poste qui vous a été proposé, était-ce mieux que la mission confiée par la Marine ?

Eli releva les yeux, juste à temps pour voir Culper quitter la pièce. Commandant de son propre vaisseau…

— Non. Pas vraiment.

*

Arihnda dut s’y reprendre à quatre fois avant de trouver l’endroit qu’elle cherchait.

Mais ces efforts en valaient la peine.

Elle n’avait jamais vu de toute sa vie un bureau d’aide aux citoyens manquer aussi cruellement de personnel. Seuls quatre des douze bureaux étaient occupés, deux d’entre eux par des humains, et les deux autres par un Rodien et un Duros. La lumière qui s’échappait de la porte du bureau du superviseur semblait indiquer qu’il y avait au moins une autre personne présente.

Le manque d’effectifs était très certainement dû aux festivités de la Semaine de l’Ascension. Par déduction, les membres du personnel présents devaient être ceux qui n’avaient pas pu prendre de jours de congé, ce qui signifiait probablement qu’il s’agissait des nouveaux ou des moins compétents.

Naturellement, comme les citoyens ordinaires n’avaient pas non plus la possibilité de prendre une semaine entière de congés, la file d’attente était aussi longue que d’habitude. Plus longue, en réalité, puisque seul un tiers du personnel était présent pour s’occuper de leurs problèmes.

Arihnda sourit intérieurement. Parfait.

Tandis qu’elle faisait la queue, elle eut tout le temps nécessaire pour évaluer les employés. Son attention se porta finalement sur l’un des humains, une femme trapue dont le visage et l’expression corporelle indiquaient clairement qu’elle n’avait pas envie d’être là. Arihnda se replaça habilement dans la file d’attente pour s’assurer que le bureau de la ronchonne soit bien celui devant lequel elle irait s’asseoir.

— Bienvenue à l’Aide aux Citoyens de l’avenue Proam, scanda la femme d’une voix plus mécanique que celle de certains droïdes avec lesquels Arihnda avait travaillé. Je m’appelle Nariba. En quoi puis-je vous être utile ?

— Je m’appelle Arihnda. Je viens de perdre mon emploi et j’ai besoin d’en trouver un nouveau. Idéalement, quelque chose d’intéressant et d’amusant. Oh, et j’ai aussi besoin d’un appartement.

— C’est tout ? grogna Nariba, les yeux rivés sur son ordinateur. Références ? Diplômes ? Expériences professionnelles ? Allez, dépêchez-vous, je n’ai pas que ça à faire.

— Je travaillais pour un Sénateur, indiqua fièrement Arihnda. Mais depuis, la seule chose qu’on m’a proposé, c’est un boulot de serveuse.

— Et vous l’avez refusé ? grommela Nariba. Pas malin. Vous ne trouverez rien de mieux par ici.

— Mais je travaillais pour un Sénateur !

— Hé, ma belle, regardez autour de vous, lâcha Nariba qui commençait à perdre patience. La moitié des gens de la Place du Noyau ont travaillé pour un Sénateur. Vous avez déjà eu de la chance de ne pas avoir à travailler sous un Sénateur, si vous voyez ce que je veux dire, ajouta-t-elle en la regardant de plus près. Mais peut-être que je me trompe. Vous êtes tout à fait le genre de certains d’entre eux.

— Est-ce que vous insinuez que mon Sénateur agirait de façon immorale ? demanda Arihnda, sans manquer d’apprécier l’ironie de sa question.

— Hein ? Vous débarquez d’un transport en provenance de Rimma ou quoi ? demanda Nariba, les lèvres tordues dans un sourire condescendant. Mais oui, c’est ça ! Vous avez travaillé votre accent à ce que je vois. Il reste encore un peu de boulot.

— Je vais poursuivre mes efforts, promit Arihnda. Mais pour mon emploi et mon appartement… ?

Nariba leva les yeux au ciel.

— Mais oui, pourquoi pas ? Il y a encore des gens qui croient aux miracles. Donnez-moi votre numéro d’unité comm et je vous mettrai sur la liste.

Arihnda s’exécuta. Après avoir remercié Nariba, elle se leva et fit signe à la personne suivante de la file.

Puis elle se dirigea tout droit vers le bureau du superviseur.

Une sonnette se trouvait à côté de la porte. Arihnda appuya dessus et attendit un moment. Elle appuya à nouveau, puis encore une fois. Ce ne fut qu’à la quatrième tentative que la porte s’ouvrit en coulissant.

La pièce était plus petite qu’Arihnda l’avait imaginé ; le bureau de taille moyenne et les étagères remplies de datacartes occupaient la grande majorité de l’espace. Derrière le bureau était assis un homme d’une cinquantaine d’années, l’air affairé.

— Qui êtes-vous et qu’est-ce que vous me voulez ? demanda-t-il en grognant.

— Je m’appelle Arihnda Pryce, répondit-elle en entrant dans la pièce et en jetant un coup d’œil au nom inscrit sur la plaque posée sur le bureau.

Alistar Sinclar.

— Vous avez un problème, monsieur Sinclar, et j’ai la solution.

Sinclar cligna des yeux.

— Je vous demande pardon ?

— Je viens de parler avec Nariba. L’employée du bureau trois. Elle n’est pas très professionnelle. Elle est malpolie et injurieuse ; et le pire de tout, c’est qu’elle ne sert à rien. Entre vous et moi, il faudrait la renvoyer.

— Ben voyons ! Je doute que vous soyez bien placée pour vous permettre ce genre de jugement.

— Certes, mais vous oui. C’est là qu’intervient la solution promise : embauchez-moi à sa place.

Sinclar haussa les sourcils.

— Vos compétences ?

— J’ai travaillé pendant les deux dernières années au bureau d’aide du Sénateur Renking de Bash Quatre. Et j’étais très compétente.

Sinclar s’humecta les lèvres.

— On est un peu coupé du monde quand on travaille pour un Sénateur…

— J’ai dû gérer des propriétaires et des locataires mécontents, des employeurs réticents et des demandeurs d’emploi paniqués. Mais aussi des présidents de syndicats, des prétendants à la présidence de syndicats, des mineurs en grève, des briseurs de grève, des hommes et des femmes fous de rage qui voulaient saccager mon bureau, des criminels de bas étage, des criminels de haut vol et toute une palette de politiciens allant des arrivistes purs et durs jusqu’aux fossiles indéboulonnables.

Elle s’arrêta pour reprendre son souffle. À en croire l’expression sur le visage de Sinclar, il n’avait probablement jamais entendu personne déclamer une liste aussi longue.

— Vraiment ? dit-il sans conviction.

— Oui, vraiment. Mais ne vous contentez pas de me croire sur parole.

D’un signe de la tête, elle indiqua la salle principale.

— Vous avez huit bureaux vides, là-bas. Laissez-moi travailler gratuitement le reste de la Semaine de l’Ascension. Après cela, vous pourrez décider laquelle de nous deux vous souhaitez garder.

Sinclair sourit.

— Vous êtes sacrément effrontée, vous !

— Oui, reconnut Arihnda. Mais il paraît que ce n’est plus de l’effronterie quand ça fonctionne.

— Remarque intéressante.

Sinclair se leva et lui tendit la main au-dessus de son bureau.

— Soyez la bienvenue, mademoiselle Pryce. Prenez le bureau numéro huit. Voyons voir si vous êtes aussi douée que vous le prétendez.