CHAPITRE XII

 

 

Le pouls de Malko grimpa en flèche. Complètement réveillé, il confirma aussitôt :

- Tout à fait. Je suis un journaliste autrichien et je fais une enquête sur le meurtre de Zoran Djinjic. Les autorités de Belgrade accusent quelqu'un qui est proche de Milo-rad Lukovic d'en être l'instigateur. Je vous attendais à votre sortie de prison, mais vous êtes partie avec des amis. Pourrais-je vous voir maintenant ?

- Mon ami Milorad n'est pour rien dans cette histoire, répliqua aussitôt, avec une indignation mesurée, Tanja Petrovic. Moi-même, j'ai été arrêtée injustement.

- Je suppose que vous ignorez où se trouve Milorad Lukovic.

- Oui, il a sûrement quitté le pays.

- J'aimerais que vous me parliez de lui. Où puis-je vous rencontrer ?

- Je n'ai rien à vous dire...

- Je vous en prie, insista Malko, vous pouvez sûrement me fournir des explications, des arguments en faveur de l'innocence de cet homme. Il était avec vous la veille du drame, paraît-il.

- Il était souvent chez moi, lança-t-elle sèchement. Nous devions nous marier. Si vous y tenez, venez ce soir, vers six heures. J'habite Bogdana Ulitza, juste en face du Cervena Svesda Stadion. Il n'y a qu'une porte.

Trente secondes après avoir raccroché, Malko était sous sa douche. On passait à la vitesse supérieure.

Il n'avertit même pas Mark Simpson de sa visite et débarqua à l'ambassade américaine une demi-heure plus tard. Du coup, il dut attendre que le chef de station soit sorti d'une réunion avec ses homologues de la BIA pour s'entretenir avec lui. Il en était à son troisième café quand l'Américain pénétra enfin dans le bureau, visiblement de mauvaise humeur.

- Je viens de passer une heure avec Goran Bacovic, explosa-t-il. Ils sont vraiment nuls ! Ils ont relâché le propriétaire du pistolet avec lequel Bozidar Danilovic voulait vous abattre. Il a, paraît-il, agi de bonne foi en prêtant son arme de service à un copain voyou. Il n'y a qu'en Serbie qu’on voit cela. Quant à ses complices, ils courent toujours. Que se passe-t-il ?

- J'ai rendez-vous avec Tatiana Petrovic aujourd'hui, à six heures.

Mark Simpson se laissa tomber en face de Malko et se versa du café.

- La première bonne nouvelle de la journée !

- Ça dépend, fit Malko. Nous avons une décision à prendre. Ou bien je reste avec ma couverture de journaliste et cela ne mènera pas à grand-chose, ou je lui révèle ma véritable identité et je lui fais mon offre. Comme on a dit hier soir. Seulement, cela implique la mise en place du dispositif dont nous avons parlé.

- Je crois que la première solution ne vaut même pas la peine d'être tentée, dit Mark Simpson. La tentative d'assassinat contre vous prouve que votre couverture a volé en éclats. Vladimir Budala et ses amis savent qui vous êtes.

- Bien sûr, approuva Malko. La question est de savoir si Tanja Petrovic le sait aussi. Nous ignorons s'ils sont en contact.

- C'est plus que probable.

- Dans ce cas, le coup de fil de Tanja m'invitant à la rencontrer chez elle est un piège, conclut Malko. Cependant, je ne pense pas qu'elle s'attaque à moi dans sa propre demeure. Elle va monter une manip'. Et la proposition que je lui ferai risque de la déstabiliser. Forcément, elle voudra en rendre compte à son amant, Milorad Lukovic, d'une façon ou d'une autre.

- Richard Stanton est dans nos murs, dit le chef de station. Je l'appelle immédiatement.

* * *

Richard Stanton, avec son crâne rasé, sa stature imposante et sa peau d'ébène, ressemblait plus à un rappeur qu'à un envoyé spécial du State Department. Toujours tiré à quatre épingles - chemise et cravate roses sous un costume anthracite - , il était toujours extrêmement affable.

- M. Linge, que vous avez rencontré l'autre jour, expliqua Mark Simpson, est à Belgrade pour l'Agence afin d'essayer de localiser et de piéger le responsable de l'assassinat de Zoran Djinjic. Il a une idée qui réclame votre coopération.

- Ce sera avec plaisir, accepta aussitôt Richard Stanton. / am pissed off ! Les Serbes m'enfument. Ils prétendent ne pas savoir où se trouve Mladic, or nous savons, par les moyens techniques, qu'il est à Belgrade. En réalité, le gouvernement n'a que très peu de pouvoir, surtout dans l'armée.

- Vous n'êtes pas le seul, fit suavement Malko. Depuis que je suis à Belgrade, au moins deux personnes ont été assassinées pour avoir voulu nous aider. Les Services coopèrent du bout des doigts. Aussi, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes.

- Quel est votre plan ? Je connais mal cette affaire.

Malko le lui expliqua. Tout en l'écoutant, Richard Stan-

ton faisait tourner entre ses doigts un magnifique Zippo, tout aussi noir que lui, incrusté du portrait de Martin Luther King. Lorsque Malko eut terminé, l'homme du State Department résuma d'une voix posée la proposition :

- Je devrais donc recevoir cette personne et lui confirmer - es qualités - que nous serions prêts à envisager une certaine indulgence envers ce Milorad Lukovic s'il nous révélait où se cachent Radovan Karadzic et Ratko Mladic.

- Exactement, à une nuance près, corrigea Malko, pas «une certaine indulgence», l'abandon des poursuites contre lui et une nouvelle identité. Parce que l'homme qui livrera ces deux criminels à La Haye aura intérêt à se sauver loin, très loin.

- C'est impossible, soupira le diplomate. Si Caria Del Ponti apprend cela, elle me vire instantanément. Il me faudrait un ordre écrit de mon secrétaire d'État, le général Colin Powell.

Malko se hâta de préciser :

- Il y a autant de chances de voir Milorad Lukovic livrer ces deux-là que d'atteindre la lune avec un lance-pierres.

Mais la seule chance de le faire sortir de son trou, c'est de lui offrir quelque chose, au moins en apparence. Mais si, par hasard, il vous livrait Karadzic et Mladic, je crois que Carla Del Ponti vous embrasserait sur la bouche...

Perspective qui ne sembla pas enthousiasmer Richard Stanton. Il secoua la tête et conclut :

- Je voudrais bien vous aider, mais vous me demandez une chose impossible.

- O.K., dit Malko, supposons que vous ayez un ordre écrit, seriez-vous prêt à jouer le jeu ?

Le visage du Noir s'éclaira.

- Of course

- Parfait, approuva Malko. Je vais voir si je peux obtenir ce feu vert. Stay around.

Dès que Richard Stanton fut sorti, Malko regarda sa Crosswind.

- Il est dix heures et demie, dit-il. Quatre heures et demie du matin à Washington. Franck Capistrano se lève tôt, mais il ne pourra sûrement pas voir le Président avant neuf ou dix heures. C'est-à-dire, au pire, quatre heures de l'après-midi pour nous. C'est jouable. Je reviens à midi et demi.

- La salle du chiffre est à votre disposition, conclut Mark Simpson, visiblement impressionné par les relations de Malko à la Maison-Blanche.

* * *

Vladimir Budala avait effectué plusieurs ruptures de filature avant de prendre la route de Novi Sad. Laissant sa voiture ostensiblement garée devant l'hôtel Yougoslavia, il avait emprunté une Lada rougeâtre, beaucoup plus discrète. Il parcourut une vingtaine de kilomètres avant de bifurquer dans un bois, sur un sentier défoncé. Parvenu devant une barrière à la peinture écaillée, il stoppa, sauta par-dessus et s'avança vers une maison qui semblait abandonnée.

Pourtant, alors qu'il était encore à plusieurs mètres, la porte s'ouvrit sur un jeune homme torse nu, hirsute, les traits tirés. Luka Simic. Vladimir Budala se glissa à l'intérieur, l'autre referma aussitôt.

- Les autres sont là? demanda Budala d'une voix égale.

- Oui.

Jovan Peraj et Uros Buma étaient vautrés devant un écran où défilait un film X. Vladimir Budala coupa le son et les toisa, méprisant.

- Petits cons ! Vous avez tout foiré. Vous êtes des minables.

Luka Simic intervint :

- Jebiga! Bozidar est mort. C'est lui qui a foiré. Eux n'étaient pas là.

Vladimir Budala le regarda avec froideur.

- C'est toi le chef. Tu es responsable.

Luka Simic baissa la tête. Médusés, les deux autres se recroquevillaient. Timidement, Jovan demanda :

- Vous avez fait gaffe en venant ici ?

Budala le foudroya du regard et Jovan rentra sous terre. Il s'assit sur le bord du canapé et annonça :

- Je vais vous donner une chance de vous rattraper. Ce sera la dernière. Si vous loupez, vous merderez toute votre vie. Vous avez envie d'essayer?

- Bien sûr, dit aussitôt Luka Simic, après avoir consulté du regard les deux autres.

Vladimir Budala entrouvrit sa veste, ce qui leur permit d'apercevoir les crosses des deux pistolets - des Sig accrochés dessous. Malgré tout, ils étaient impressionnés. Eux étaient trop jeunes pour avoir connu la vraie guerre, quand on se massacrait joyeusement en Bosnie et en Croatie. Même pour le Kosovo, ils s'étaient contentés de regarder.

- D'abord, commença Budala, il va falloir voler deux voitures. Ensuite, vous entraîner. Ici, dans les bois, c'est facile.

- C'est pour quand ?

- Je ne sais pas encore. Soyez prêts au plus vite.

Il leur expliqua le principe et les détails de l'opération. C'était autre chose que d'abattre un homme désarmé dans la foule. Une sorte de baccalauréat du crime.

Lorsqu'il remonta dans sa voiture, Vladimir Budala était soulagé. Il avait rempli la part du contrat qui lui incombait. Désormais, c'était à Tanja Petrovic de jouer.

* * *

On étouffait à la terrasse du Vuk, mais Malko ne sentait pas la chaleur. Jadranka Rackov, maquillée comme une voiture volée, très sexy dans une robe de mousseline à fleurs, le dévorait des yeux, après s'être goinfrée de poivrons. Elle l'avait appelé alors qu'il sortait de l'ambassade américaine, lui proposant de déjeuner. Elle repartait le soir même. Malko avait accepté, n'ayant rien à faire jusqu'à son coup de fil à Frank Capistrano. Peut-être aussi apprendrait-il quelque chose sur Tanja Petrovic. Pour fêter dignement son départ, il avait commandé une bouteille de Taittinger Comtes de Champagne Blanc de Blancs qui était déjà bien entamée. Jadranka le buvait comme de l'eau.

- Tu vas pouvoir baiser Tanja, dit-elle. Elle t'a appelé ?

- Oui, je la vois ce soir à six heures, chez elle. Jadranka eut un sourire en coin.

- Elle ne perd pas de temps... À moins qu'elle ne t'attire pour te couper les couilles.

Elle regardait Malko par en dessous, avec une expression incroyablement provocante. Soudain, Malko eut très envie d'elle.

- Viens, dit-il. Je veux te dire au revoir.

Par miracle, elle avait trouvé une place pour sa Lancia un peu plus bas. À peine fut-il dans la voiture qu'il releva sa robe de mousseline et, prenant l'élastique de sa culotte, la lui arracha littéralement. Jadranka faillit provoquer un accident en la faisant glisser le long de ses jambes. Émoustillée, elle demanda :

- Qu'est-ce que tu as ?

Il ne pouvait pas lui dire qu'il avait failli mourir la veille et qu'il avait tué un homme, ce qui provoquait toujours chez lui une flambée d'envie de vivre.

- J'ai envie de toi, fit-il simplement.

À peine eurent-ils franchi la porte de sa chambre qu'il la poussa dans la salle de bains, la collant contre la plaque de marbre du lavabo, comme la fois précédente. Sa fougue était communicative et Jadranka se mit à se frotter à lui comme une folle. Il s'écarta pour se libérer et Jadranka, baissant les yeux, murmura :

- J'aime voir ta queue. Tu bandes bien.

Elle commençait à le caresser. Il la repoussa un peu pour l'asseoir sur le marbre et, d'un seul coup, l'embrocha jusqu'à la garde, lui relevant les jambes à la verticale. Jadranka, les reins cassés par le lavabo, les robinets lui meurtrissant le dos, semblait beaucoup apprécier cet assaut primitif. Malko se servait d'elle comme il l'avait décidé dans sa tête, au restaurant. Cette belle femelle pantelante, encore vêtue à l'exception de sa culotte, était un fantasme très excitant. Il la prit ainsi lentement, parfaitement maître de lui, puis se retira brusquement. Jadranka poussa un petit cri déçu et ses pieds reprirent contact avec le sol.

- Tu veux que je te suce ? demanda-t-elle avidement.

- Non, dit Malko. Tourne-toi.

Elle obéit. Aussitôt, il se plaça derrière elle, écarta ses jambes avec son genou, plaça son sexe sur l'entrée de ses reins et poussa de toutes ses forces. L'anneau du sphincter résista à peine. Il regarda son membre s'enfoncer dans les reins de Jadranka, éprouvant un plaisir aigu, fulgurant, unique. Ensuite, il la prit par les hanches et pressa encore, gagnant quelques centimètres. Il eut l'impression d'une résistance et Jadranka gémit.

- Oh, tu me fais jouir ! Tu m'encules bien !

Malko était déchaîné devant cette croupe magnifique et consentante. Il continuait, avec lenteur, méthodiquement, se retirant puis s'enfonçant jusqu'à arracher à Jadranka des gémissements ravis. Cela dura très longtemps. Us étaient tous les deux en nage. Jadranka n'arrêtait pas marmonner en serbe. Il lui empoigna les seins à travers la mousseline, les maltraita, tordit leur pointe, arrachant des cris encore plus aigus à sa partenaire. Maintenant, il coulissait aussi facilement dans ses reins que dans son sexe.

Il se retira alors, la prit par la nuque et dit simplement :

- Je veux jouir dans ta bouche.

Jadranka n'hésita qu'un dixième de seconde, tombant à genoux et l'enfonçant au fond de son gosier. En quelques secondes, elle lui arracha sa semence, tant il était excité. Il s'entendit hurler de plaisir, puis la voix mourante de Jadranka lança :

- J'ai dû jouir dix fois...

Son sexe était encore dur et il aurait bien prolongé cette récréation sexuelle. Hélas, il fallait passer aux affaires sérieuses.

* * *

Richard Stanton entra dans le bureau de Mark Simpson où se trouvait déjà Malko.

- J'ai reçu un message de mon administration, annonça-t-il, visiblement stupéfait. Le chiffreur vient tout juste de me le communiquer. Je suis autorisé à faire ce que vous m'avez demandé hier à une condition de secret absolu. Comment avez-vous fait?

Malko ne put réprimer un sourire. Une fois de plus, Frank Capistrano s'était montré d'une efficacité redoutable. Malko l'avait joint quatre-vingt-dix minutes plus tôt, en arrivant à l'ambassade. Le Spécial Advisor était déjà arrivé à son bureau de la Maison-Blanche. Malko l'avait convaincu en cinq minutes. «Je vous rappelle dans une heure», avait dit Frank Capistrano. Quarante-cinq minutes plus tard, il lui annonçait : «Tout est O.K., j'ai parlé à Colin Powell. Sur instruction du Président. Good luck. »

- Peu importe, dit Malko à Richard Stanton, laissez-moi vous briefer. Vous allez être contacté par une certaine Tanja Petrovic, qui est la maîtresse de Milorad Lukovic, le fugitif. Il faudra simplement lui confirmer que si Lukovic nous permet de capturer Karadzic et Mladic, il ne sera exercé aucune poursuite contre lui et qu'on lui fournira une nouvelle identité. En plus, il touchera la récompense de cinq millions de dollars promise par le gouvernement américain pour l'arrestation de Radovan Karadzic.

- J'ai compris, affirma le diplomate.

- Il est indispensable que vous sembliez convaincu, insista Malko. Nous n'avons pas affaire à des enfants de chœur. Et je risque ma vie dans cette opération.

* * *

La porte de l'immeuble s'entrouvrit et Malko ne distingua d'abord dans la pénombre qu'une silhouette floue. Sans le parfum, il aurait pu croire qu'il s'agissait d'un homme.

- Gospodine Malko ? demanda une voix musicale.

- Da.

L'entrée s'éclaira et Malko découvrit des murs tapissés de papier doré et la femme qu'il avait vue à la sortie de la prison centrale. Cette fois, elle portait un fourreau noir, descendant jusqu'aux chevilles. Moulant comme un gant. Le regard était irrésistiblement attiré par sa magnifique poitrine, pourtant pudiquement dissimulée sous la robe ras du cou. Malko ne put s'empêcher de lui baiser la main et Tanja Petrovic sembla assez surprise.

- Entrez, proposa-t-elle.

Elle le mena à un salon très kitsch, avec un canapé en cuir rouge en forme de bouche, un bar en miroir, des photos d'elle et une table basse faite d'une dalle de verre posée sur la statue de laiton grandeur nature d'une femme à quatre pattes, cambrée comme pour se faire prendre. Tanja Petrovic s'assit en face de lui et croisa ses longues jambes. Les bruits de la circulation ne parvenaient pas jusque-là et le silence était celui d'un caveau funéraire. C'était la première fois que Malko voyait de si près la maîtresse de Milorad Lukovic. Elle était vraiment très belle avec sa bouche charnue, sa cascade de cheveux blonds et ses yeux à l'expression sauvage.

- Merci de m'avoir reçu, dit-il.

Tanja Petrovic jeta un coup d'oeil sur sa Breitling Callistino incrustée d'émeraudes et dit froidement :

- Je n'ai pas beaucoup de temps. Je ne parle jamais aux journalistes ! Si vous n'aviez pas été un ami de Jadranka...

Il eut envie de lui dire que son « amitié » avec Jadranka était purement sexuelle, mais se contenta de sourire. C'était le moment de se jeter à l'eau.

- Je ne suis pas vraiment journaliste, corrigea-t-il, mais je tenais à vous rencontrer.

Les traits de Tanja Petrovic se figèrent, son regard s'assombrit et elle se pencha en avant comme pour le mordre.

- Que voulez-vous dire ? Qui êtes-vous ?

- Je travaille avec le gouvernement américain, annonça Malko, et je suis à Belgrade pour transmettre une proposition à votre ami, Milorad Lukovic.

- Une proposition, demanda Tanja Petrovic d'une voix blanche. Quelle proposition ?

Le silence minéral de cette maison vide rendait leur dialogue encore plus tendu. Elle ne lui avait même pas offert à boire.

- Il semble que votre ami ait transmis une proposition au Tribunal de La Haye, continua Malko, demandant l'impunité pour lui en échange de deux personnes particulièrement recherchées qu'il serait à même de livrer. Cette offre nous intéresse et je suis mandaté pour en discuter avec vous.

Le regard que lui lança la maîtresse de Milorad Lukovic avait l'intensité d'un laser. Avec le mépris en plus.

- Vous travaillez avec ces gens-là ! fit-elle. Nous, les Serbes, ne reconnaissons aucune légitimité à ce tribunal.

Ce sont eux les criminels. «Legija» n'a jamais transmis cette proposition, c'est une invention de cette hyène de Caria Del Ponti pour le déshonorer.

Ses traits étaient déformés par la fureur. Malko ne baissa pas les yeux.

- Je vous crois volontiers, fit-il. Voilà un point éclairci.

- Dans ce cas, je n'ai plus rien à vous dire ! s'écria Tanja Petrovic. Les gens comme vous me dégoûtent.

Elle se leva et Malko en fit autant. Mordant sa lèvre inférieure, la jeune femme sembla brutalement frappée de stupeur. Elle avait beau avoir été briefée, c'était plus fort qu'elle. Certaines choses la mettaient hors d'elle.

Malko profita de son silence pour enchaîner :

- Je suis venu vous dire que c'est nous qui vous faisons cette proposition intéressante pour Milorad Lukovic. En dehors du meurtre de Zoran Djinjic, qu'il n'a pas commis lui-même, il y a un lourd dossier à La Haye contre lui. Il faut être lucide : le reste du monde le considère comme un criminel.

- Criminel vous-même ! cracha Tanja Petrovic.

De nouveau, elle sentit qu'elle ne se contrôlait plus. Sa main plongea entre deux coussins et ressortit, tenant un gros pistolet automatique noir, déplacé entre ses doigts. Elle braqua l'arme sur Malko et, à la façon dont elle la tenait, il vit qu'elle avait l'habitude de s'en servir.

- Je vais vous faire exploser la tête ! dit-elle. Au nom de tous les Serbes.

D y eut un clic métallique : elle venait de relever le chien de l'arme. Malko se figea. Une lueur de folie brillait dans son regard et il la sentit capable de tout.