CHAPITRE ONZE
La seconde volée d’alarmes ne s’était pas arrêtée en trois jours et demi ; elles semblaient hurler plus fort que jamais. Quarra s’était habituée au mal de tête. La moitié de la population faisait bouillir de l’eau pour produire ces sifflements, et l’autre moitié fabriquait des appareils auditifs pour les sourds !
Mais c’étaient ces sifflements, les sifflements d’Uhrar. Là, à minuit, au milieu des sombres rues de la cité industrielle, elle était fière de constater qu’ils fonctionnaient comme prévu. Il y avait eu de nombreuses alarmes durant toutes ces années, mais il y avait toujours eu des interrogations concernant les tuyaux de verre. Allaient-ils résister lors d’une invasion ? La question venait d’avoir sa réponse.
Alanciar semblait avoir bien tenu le coup, de ce qu’elle avait vu. Elle et Edell avaient échappé au conflit en revenant sur leurs pas, mais les traces de combat étaient aisément visibles. Les aérostats Sith avaient été nombreux, soixante vaisseaux frappant une bande sauvage de territoire. Parmi les Six Griffres, les quatre les plus au nord avaient été contournées, limitant les combats au Bouclier Occidental – un nom qui était avant tout topographique. Les forteresses et les balistes dans les champs avaient détruit la plupart des envahisseurs Sith dans les airs. Les autres avaient été amenés au sol, où ils s’étaient retrouvés en sous nombre. Les transmetteurs de pensée rapportaient que plusieurs Sith étaient encore en liberté, et les tours signalétiques continuaient de clignoter follement. Que les fugitifs Sith soient réels ou non, ce n’était plus son problème. Elle devait rentrer chez elle. Elle avait joué de sa position pour louer un chariot à muntok et une équipe. Personne n’allait interférer avec un maître de district revenant chez lui. Edell avait voyagé au fond du chariot, hors de vue. Après trois jours et trois nuits de voyage, elle était arrivée juste après le coucher du soleil.
Faire le tour d’Uhrar ce soir-là la fit aller beaucoup mieux. Elle avait retrouvé ses enfants, endormis, au cœur du bouclier protecteur de la communauté – le premier endroit où elle avait regardé, et exactement là où ils étaient supposés être. Son équipe avait fait un travail formidable en regroupant tout le monde ; sa famille s’était en effet retrouvée là dès que les forces d’Edell avaient frappé, à peine une semaine plus tôt.
Le député maître avait presque semblé déçu de la voir. Son absence lui avait permis de se montrer. Elle ne pouvait pas se préoccuper de ça maintenant. Tout comme elle n’avait pas à chercher Brue ; avec ses enfants en sécurité et autant de munitions de verre à fabriquer, il avait dû être rappelé à l’usine pour un moment.
Elle sortit du bureau, observa les lumières clignotantes de la station, et expira profondément. Le chariot avec Edell à l’intérieur attendait dans l’ombre. Elle le trouva assis à l’arrière, mangeant la nourriture qu’elle avait dérobée.
— Votre famille est sauve, fit-il. Êtes-vous satisfaite ?
— Oui, répondit-elle.
— Menteuse. (Il jeta un os à l’extérieur.) Allons-y. Ce détour a peut-être été bon pour vous, mais il m’a coûté beaucoup. Partons pour Sus’mintri.
Elle grimpa dans le siège du conducteur et prit les rênes. Edell se glissa dans les ténèbres du chariot, son dos contre le sien, le visage dissimulé dans l’ombre.
Roulant sur le chemin pierreux, elle scruta les ténèbres. Tant que les attaques aériennes menaçaient, le black-out continuerait, sauf pour les stations signalétiques. Finalement, elle prit la parole.
— Que vouliez-vous dire lorsque vous avez dit que j’avais plus en commun avec les Sith que ce que je croyais ?
Après un instant de réflexion, Edell répondit.
— Je veux dire que vous êtes mue par un désir de vous impressionner – et que la faiblesse des autres vous désespère. Je ne plaisantais pas. Vous n’êtes jamais satisfaite. Je suppose que cela fait de vous un bon maître de guerre…
— Maître de district.
— Un bon leader. Vous voyez ce qui doit être fait, et vous souhaitez que ce soit fait. Vous considérez le manque d’ambition comme un manque de respect, non seulement envers soi, mais envers les autres. Et envers vous.
Elle ne répondit pas.
— Ce mari que vous avez – je peux presque voir son visage lorsque vous y pensez. Il n’est rien. Il ne l’a jamais été, et n’a jamais voulu être plus, plus que ce qu’il est. Il vous ralentit. Je pense que c’est ce qui vous a attiré vers cette sentinelle, ce Jogan. Mais bien qu’il puisse avoir davantage à offrir que votre mari, il n’est que passager, lui aussi. (Le Haut Seigneur but une gorgée de sa bouteille.) Je l’ai observé, vous savez, pendant qu’il était mon prisonnier. Il a beau avoir un uniforme, mais c’est un observateur, pas un acteur. Vous pourriez l’avoir, oui, mais il vous lasserait vite.
Quarra fixait les ténèbres.
— Il y a plus que ça en lui.
— Peut-être, mais il y a tellement plus en vous. Vous le surpasseriez, et il vous ralentirait, comme l’uvak sur mes aérostats. Et vous devriez le laisser partir.
— Ouais, j’ai bien vu ce que vous faisiez avec les vôtres, fit-elle en se rappelant le corps massif qui s’était écrasé sur Jogan. Oubliez ça. Je ne ferai pas de choix tel que celui-là.
— C’est une bonne nouvelle, fit Edell. Parce que de la même façon que pour les aérostats, plus vous devenez gros, plus vous pouvez en porter. Le pouvoir n’est pas une affaire de choix. Le pouvoir, c’est être capable de décider de ne pas choisir du tout. Vous pouvez avoir votre mari et votre petite famille – et votre amant dans la tour. Et vous pouvez accroître votre autorité, et être obéie.
Quarra cligna des yeux.
— Comment, en vous rendant service ?
— Oui, répondit-il. Mais aussi en vous rendant service. Vous pourriez être une Sith, Quarra. Vous devez simplement y croire. Vous ne serez jamais une vraie Sith tant que vous porterez les chaînes de quelqu’un d’autre – mais couper ces liens serait la première étape.
— Je serais prudent si j’étais vous, fit-elle. Vous et vos vaisseaux avez une belle façon d’exploser.
Il bâilla et s’étendit à l’arrière du chariot. Quarra se retourna vers Uhrar et pensa à l’autre chose qu’elle venait de faire. Une chose dont elle ne lui avait pas parlé.
Elle avait envoyé le message comme une question vague, mais parfaitement compréhensible au vu de la récente attaque. Que dois-je faire si un Seigneur Sith tombait entre mes mains ?
Le signal de réponse vint presque immédiatement de Sus’mintri. Amenez-le nous. Nous savons quoi faire.
Cela n’aurait pas pu être plus clair – ou plus autoritaire. Le code d’identification officiel du Cabinet de Guerre était lié au message. Elle supposa que le message faisait désormais le tour des maîtres de district. Elle se demanda ce qu’il signifiait. Ils désiraient sûrement rassembler les survivants Sith. Mais les amener à la capitale ? Peut-être les appendices secrets des Chroniques parlaient d’un moyen d’emprisonner éternellement les Sith.
Peut-être les voulaient-ils pour les exécuter et les disséquer.
Elle se retourna vers Edell, qui dormait. Elle avait juste assez de temps pour l’emmener au Hall Vaal pour ce qu’il désirait y faire et retourner avec lui à la Crique de Meori pour sauver Jogan. Mais si elle l’attirait dans un piège, elle pourrait quand même sauver Jogan – et elle pourrait bénéficier de l’appui de toute la force militaire d’Alanciar dans sa tentative. Elle pourrait sauver Jogan – et être un héros également, après avoir fait plus que son travail.
Vous avez raison, Seigneur Sith. Je peux tout avoir.