CHAPITRE VI

Corran Horn se laissa porter par la joie de se retrouver dans le cockpit d’un chasseur. Peu lui importait d’ignorer la provenance de ce vaisseau et il ne s’inquiéta pas de piloter un intercepteur Tie. Voler lui paraissait aussi essentiel que manger, boire ou respirer.

— Némesis Un, répondez.

Corran mit un moment à réaliser que cet appel s’adressait à lui.

— Némesis Un, j’écoute, répondit-il enfin, jetant un regard à son scanner.

— Nous avons deux Mirettes dans un angle de 239 degrés, à dix kilomètres environ. Ils sont hostiles. Vous pouvez les attaquer et les abattre.

— Bien reçu. Je suis en route.

Il prit la direction indiquée. Il ne reconnaissait aucune des constellations environnantes, mais il ne s’en inquiéta pas. Sa mission était de détruire l’ennemi, et ça ne nécessitait pas de savoir où il se trouvait.

Il avait déjà abattu bon nombre de chasseurs Tie et ceux-ci ne feraient jamais que deux de plus. Pourtant, il ne parvenait pas à se remémorer ses actions précédentes, et cette amnésie le perturbait. Du pouce, il bascula les quatre lasers de l’Intercepteur en mode jumelé et prit de l’altitude.

Virant à tribord, il se retrouva face aux Mirettes. Il pressa un bouton, et un rayon laser partit vers le premier. Le vaisseau explosa ; ses débris forcèrent le pilote du second à dévier sa route. Il entra dans la ligne de mire de Corran.

La Mirette oscilla de droite à gauche pour tenter de le semer, mais en vain. Sans remords et plein de mépris, Horn arma le quadruple faisceau et tira. Les rayons fusionnèrent en une nanoseconde et atteignirent le cockpit de l’appareil, qui explosa à son tour.

Corran se laissa quelques instants griser par sa victoire, puis il réalisa que ces deux pilotes étaient si inexpérimentés qu’il ne les avait pas combattus, mais simplement abattus.

— Némesis Un, deux vaisseaux hostiles à 132 degrés, distants de cinq kilomètres. Attaquez et exterminez-les, ordonna de nouveau la voix.

— À vos ordres.

Il accéléra pour les approcher rapidement. Les deux vaisseaux étaient hideux. Chasseurs hybrides, ils se composaient de pièces hétéroclites. Les contrebandiers et les pirates utilisaient souvent ce type d’appareil. Le premier était un Tie X : les ailes hexagonales d’un chasseur Tie sur le corps d’une aile X. L’autre combinait le cockpit d’un Tie avec la nacelle-moteur d’une aile Y. Cet hybride était rare, car il associait le défaut de protection d’un Tie à la lourdeur d’une aile Y. On avait coutume de nommer ce type d’Affreux aile Tie ou encore aile Die.

Corran dépassa le Tie X et, par une série de manœuvres, parvint à semer l’aile Tie. Il plongea en vrille tandis que pilote du Tie X redressait. Il le regarda s’éloigner, vira et fit feu sur son arrière, sans succès. Dans le cockpit, il vit une petite unité R5 pivoter et le repérer. Armant ses lasers, Corran mitrailla l’Affreux. L’explosion projeta un nuage de débris de transpacier et de duraplast.

Redressant de nouveau, il entreprit de viser l’aile Die. Il appuya sur la détente. Les rayons laser verts jaillirent, mais l’Affreux esquiva et passa derrière lui. Corran s’apprêtait à se retourner lorsqu’un faisceau de rayons laser rouges lui barra la route. Il prit un nouveau virage, à bâbord cette fois, et chercha sur son scanner qui lui avait tiré dessus. L’instrument signalait deux ailes X.

— Némesis Un, nous avons repéré deux vaisseaux ennemis. C’était une embuscade ; éliminez-les.

Qui pourrait me tendre un piège ? s’interrogea Corran. Il coupa les gaz et fit quelques embardées qui décrochèrent les ailes X de son sillage tout en le rapprochant de l’aile Die. Sans réfléchir, il tira dans le cockpit de l’Affreux, puis s’éloigna.

La bataille lui paraissait étrange. Grâce à son viseur, il put examiner les ailes X. Elles avaient des boucliers, ce qui les rendait moins vulnérables que son propre appareil. Leurs pilotes semblaient déterminés à opérer ensemble. Ils volaient en formation serrée, ce qui obligeait Corran à combattre un adversaire double.

Les deux chasseurs foncèrent droit sur lui. Il manœuvra de façon à passer derrière eux. Les ailes X le suivirent. Il tenta de les semer. Alors, elles se séparèrent : l’une arriva derrière lui tandis que l’autre s’éloignait.

C’était une erreur ; Corran le savait et il entendait bien en tirer parti. Il ralentit et zigzagua de façon à brouiller les ondes qui pouvaient le faire repérer.

Mais l’aile X qui le suivait jusque-là se trouvait maintenant en face de lui. L’intercepteur accéléra et s’approcha de l’appareil ennemi.

Je te tiens, juste parce que ton pilote a commis une erreur, songea Horn.

Il allait tirer quand il aperçut un écusson bleu sur l’appareil. C’était un insigne rebelle, représentant une douzaine d’ailes X au décollage. Corran savait qu’il y aurait dû y avoir une légende dessous.

L’Escadron Rogue ! réalisa-t-il.

À cet instant, ses doigts lâchèrent la détente sans qu’il comprenne pourquoi. Son estomac se noua. Il savait que ce n’était pas de la peur. Quelque chose clochait, mais quoi ?

Alors une lueur emplit le cockpit. Une voix de femme s’adressa à lui.

— Vous avez échoué, Némesis Un. Vous êtes un faible. (Ses mots étaient durs et pleins de colère, clairement voués à le blesser.) Si cela avait été autre chose qu’une simulation, vos atomes seraient dispersés dans l’espace et le monde entier se rirait de vous. Vous êtes pathétique. J’attendais mieux de votre part, Némesis Un. Vous disiez être un bon pilote, non ?

Bien qu’il ne se rappelât aucune déclaration de ce genre, Corran confirma.

— Oui, et je le suis.

— Vous n’êtes rien si je ne vous le dis pas. Et pour l’instant, je vous dis que vous n’êtes rien, si ce n’est un raté.

Dans la lumière, il distingua la silhouette d’une femme grande et élancée qui lui fit craindre davantage que des mots. Pourtant, il voulait désespérément lui plaire.

— Vous avez échoué à mes yeux et aux vôtres, continua-t-elle.

— S’il vous plaît ! pria Corran.

Mais la silhouette ne montra pas si elle avait ou non entendu.

— Peut-être vous donnerai-je une autre chance.

— Oui, oui, implora-t-il.

— Si vous échouez encore une fois…

— Je n’échouerai pas.

— Il vaudrait mieux pour vous, car votre prochain échec sera le dernier, Némesis Un. Décevez-moi encore, et le reste de votre vie ne sera plus qu’un enfer : la disgrâce, l’agonie et enfin, la mort.