CHAPITRE XXIV

La bouche de Corran était aussi sèche qu’un désert. Bien que persuadé d’avoir raison, il avait prévu de tester sa théorie dès qu’il aurait trouvé la pierre parfaite pour l’expérience. Il l’avait finalement dénichée dans le foyer. Elle se logeait très bien dans sa main et avait une masse suffisante pour un bon lancer.

De plus, elle était assez sombre pour passer inaperçue dans la mine.

Corran avait peur. Pourtant, il ne parvenait pas à définir de quoi. Sa vie ne pouvait pas être pire. On le détenait dans la prison la plus sûre de l’Empire, et les personnes qui avaient entendu parler de Lusankya pensaient que ça n’était qu’une rumeur…

Corran vit d’autres prisonniers de son groupe l’observer. Il fut effrayé par leurs regards qui semblaient attendre quelque chose. J’ai peur de m’être trompé et de les décevoir, songea-t-il.

Seuls Jan et Urlor connaissaient ses intentions, mais d’autres prisonniers avaient été recrutés pour faire diversion et lui permettre d’agir. Ils se doutaient que Corran préparait quelque chose, mais rien ne leur permettait de dire quoi. En dépit de leur ignorance, ils étaient tous enthousiastes à l’idée de l’aider. Sa tentative de fuite avait ranimé en eux des espoirs depuis longtemps abandonnés. Corran avança la main vers la pierre.

Il faut que ça marche.

Il regarda Urlor qui fit signe à deux hommes équipés de petits marteaux. L’un d’eux frappa le sol, puis laissa tomber l’outil.

L’objet heurta un autre prisonnier qui hurla et courut en tous sens, jurant de tuer l’imbécile qui avait provoqué cet accident. Quelques travailleurs s’éloignèrent de la carrière et des deux hommes, les incitant à se battre.

Corran se retira avec eux, puis s’arrêta quand Urlor et d’autres prisonniers le cachèrent des gardes. Il regarda la pierre, l’embrassa et la lança en direction du plafond, trente mètres plus haut.

Allez, allez, cria-t-il intérieurement.

Sa théorie était simple. Si la prison était bien orientée la tête en bas, les générateurs de gravité se déclencheraient sous ses pieds pour maintenir le projectile en place. Mais plus celui-ci s’éloignerait d’eux, plus leur effet faiblirait. Si le plafond de la caverne était effectivement dirigé vers le cœur de la planète, la gravité naturelle prendrait alors le dessus, et la pierre resterait en l’air.

Les gardes commencèrent à frapper, et les prisonniers s’effondrèrent par vagues. Au-dessus de Corran, la pierre heurta une stalactite et poursuivit son ascension selon un autre angle. Corran la vit ralentir et perdre de la vitesse.

Tout autour de lui, des rayons bleus atteignaient les prisonniers de plein fouet. Deux hommes s’effondrèrent en hurlant. Puis ce fut le tour d’Urlor.

Mais la pierre tombait vers le haut !

Elle termina sa chute entre deux stalactites et s’arrêta là. Deux points brillèrent à sa surface, confirmant la théorie de Corran.

Il y a un moyen de s’échapper ! J’avais raison.

Un des rayons bleus l’atteignit. Une fois encore, chaque muscle de son corps se contracta et sembla prendre feu. Terrassé par la douleur, Corran s’écroula et roula sur le dos.

Le monde parut s’effondrer autour de lui, et il sentit qu’il allait perdre connaissance.

Evir Derricote travaillait avec les autres Impériaux au fond de la caverne. Il se retourna pour observer le désordre.

Affectant la nonchalance, il regarda la scène d’un air désintéressé. Puis il aperçut Corran Horn.

Le Rebelle l’avait agacé dès leur première rencontre, et il avait aggravé sa faute en se vantant de sa participation à la mission de Borleias. Lorsqu’il le vit reculer pour lancer un objet, Derricote faillit crier un avertissement au garde, mais quelque chose l’en empêcha. Il vit un petit missile s’élever vers le plafond et se perdre dans les ombres. Alors, il commença à se demander ce que mijotait Corran.

La pierre était assez grosse pour déloger une stalactite ou faire tomber un morceau de plafond. Aussi imprudent et ennuyeux que lui ait paru Corran d’abord, Derricote ne l’aurait jamais cru suicidaire. Même s’il parvenait à faire tomber un bout de plafond, celui-ci atterrirait sur lui et sur le tapis de prisonniers électrocutés.

Derricote vit Horn vaciller.

Ce jeune imbécile va être assommé par la pierre qu’il vient de lancer, se réjouit-il.

Il commença à se détourner, mais s’arrêta pour voir si sa prédiction se réalisait.

Ce ne fut pas le cas. La pierre resta collée au plafond.

Derricote se piquait d’être intelligent. Après tout, il avait créé le Krytos et il n’était pas responsable des espoirs irréalistes que Ysanne Isard avait investis en lui. Il avait fait de son mieux mais ça n’était encore pas suffisant pour elle.

Aussi s’était-il retrouvé dans sa prison personnelle, à la merci de ses lubies…

Des dizaines d’hypothèses pouvaient expliquer que la pierre ne retombe pas. La plus simple était qu’elle se soit logée entre deux stalactites. Pour cela, il aurait fallu une sacrée coïncidence, et Derricote doutait que les autres prisonniers aient joué un jeu dangereux pour permettre à Corran de s’amuser.

Derricote passa en revue les hypothèses et finit par retenir celle qui lui semblait la plus probable.

Cœur de Glace nous fait tenir la tête à l’envers, conclut-il. Tout idiot qui tente de s’échapper s’enfonce davantage dans la prison. Horn l’a découvert, il a testé sa théorie et a obtenu le résultat qu’il espérait. Évidemment, il s’en servira pour s’évader.

Derricote sourit. Il pourrait informer les gardes des intentions du Rebelle, mais ça ferait de lui un simple informateur. Ce serait lâche, et de toute façon, Isard ne le récompenserait pas. Elle voulait des actions ; elle attendait de lui qu’il se fasse pardonner son échec. Agir, c’était se montrer fort.

Horn va continuer à observer, songea Derricote. Lorsqu’il bougera, je serai prêt. Il sera l’instrument de ma réhabilitation, et je connaîtrai une nouvelle fois la gloire d’être au service de l’Empire.