CHAPITRE XXXVII

Iella tombait de fatigue, mais un taux d’adrénaline élevé la maintenait en état d’alerte. Dirigeant sans effort l’airspeeder blindé parmi les canyons et les abysses de Coruscant, elle s’approcha du bâtiment de la Cour de Justice. Nawara Ven et Kirtan Loor étaient assis à l’arrière. L’avocat continuait de poser des questions auxquelles l’agent impérial répondait avec dédain.

Revoir Loor avait fait un choc à Iella. Elle l’avait reconnu instantanément, mais pas sans difficulté. Il avait toujours été maigre et cadavérique, une allure à laquelle s’ajoutaient désormais un teint grisâtre et des traits creux.

Mais son air aussi suffisant était resté le même.

Iella savait que si Corran les avait accompagnés, Loor se serait littéralement décomposé. Le pilote disparu était doué pour faire craquer les suspects. Il repérait leur point faible et augmentait la pression jusqu’à les faire parler.

Loor s’était refusé à leur faire une confession complète. Il avait produit une datacarte sur laquelle, prétendait-il, il avait codé le dossier des agents impériaux infiltrés dans la Nouvelle République. Il avait également assuré qu’il révélerait bientôt l’identité du traître de l’Escadron Rogue. Ensuite, à condition que les détails de l’arrangement soient respectés, il fournirait la clé de décodage.

— Bien, avait dit Iella, mais ne pouvez-vous pas nous livrer le meurtrier de Corran ?

— Je vous livrerai le traître qui l’a aidé, avait-il répondu. Dans tous les cas, le véritable meurtrier de Corran est Ysanne Isard. Pour l’avoir, vous devrez vous débrouiller sans moi.

La jeune femme contrôla le scanner de son appareil et vérifia qu’ils n’étaient pas suivis.

— Nous arrivons dans le parking, annonça-t-elle. Nous descendrons directement dans la Cour de Justice.

L’airspeeder emprunta le tunnel et ralentit. Au fond, un hologramme signalait en plusieurs langues que le parking était complet. L’appareil arriva au niveau d’une barrière. Iella pressa un bouton sur sa console et entra son code de sécurité. La barrière se leva.

— Nous y sommes, déclara la jeune femme.

— Devoir me couvrir vous ennuie-t-il ? demanda Loor.

— Pas plus que la première fois où vous m’avez posé cette question.

Elle gara l’airspeeder à une vingtaine de mètres de l’ascenseur.

— Et vous, ça ne vous gêne pas de dépendre de moi ? ajouta-t-elle.

— Pas le moins du monde, ma chère. Vous avez une certaine propension à la loyauté. Votre travail est de me déposer à la Cour et de me regarder m’éloigner, me dépouillant de mes crimes comme un Trandoshan de sa peau.

— Me rappeler que vous avez laissé fuir l’assassin du père de Corran n’est pas le bon moyen pour vous attirer ma sympathie.

— Je suppose que non. (L’agent soupira nonchalamment.) Mais vous voulez le meurtrier de Corran plus que ma mort, non ?

— En effet…

Iella ouvrit sa porte, sauta du véhicule et inspecta les alentours.

— Vous pouvez sortir, tout est calme…, annonça-t-elle.

Pendant que les deux hommes sortaient de l’appareil, elle dégaina son blaster et vérifia la réserve d’énergie.

Pleine charge, très bien.

— Allons-y. Nous arrivons à l’ascenseur, nous entrons le code, puis nous nous rendons dans le bureau du procureur, expliqua-t-elle. Simple, rapide, et personne ne sera blessé.

Loor releva sa capuche.

— Après vous, suggéra-t-il.

La jeune femme se dirigea vers l’ascenseur. Elle tenait son blaster des deux mains, le canon dirigé vers le plafond, et surveillait en permanence les alentours. Face à elle, quoique dépourvu d’arme, Nawara semblait tout aussi vigilant. Loor se tenait entre eux, l’air confiant et amusé par la nervosité d’Iella.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent à dix mètres de distance. L’agent impérial sentit son pouls s’accélérer. À la peur se mêlait un sentiment de triomphe. Il réalisait que Ysanne Isard le craignait assez pour vouloir le tuer. Elle l’avait toujours méprisé ; désormais, elle verrait à quel point il était puissant.

Iella s’approcha de la cabine. Quelque chose bougea à l’intérieur de l’ascenseur. Un homme en surgit et se précipita vers le trio, un blaster dans chaque main.

— Meurs, Derricote, meurs ! cria-t-il.

Un faisceau d’énergie jaillit. Un des rayons toucha Nawara à la hanche et le souleva de terre. Avant que le Twi’lek soit retombé, le second rayon atteignit Loor à la poitrine.

Il s’écroula à son tour.

Iella vit sa vie défiler devant ses yeux. Quand des rayons commencèrent à fuser vers elle, elle appuya sur la détente de son blaster, arrêtant l’assassin à un pas ou deux de l’ascenseur. Blessé à l’abdomen, l’homme lâcha ses armes et tomba à genoux.

Iella avança et flanqua un coup de pied dans les blasters pour les éloigner de leur propriétaire.

Celui-ci poussa un faible gémissement ; la jeune femme eut l’impression que le monde s’écroulait autour d’elle.

Avant qu’elle puisse voir son visage, le son de sa voix et ses épaules osseuses lui indiquèrent qui il était. La raison l’emporta un instant sur l’émotion, lui fournissant les preuves dont elle avait besoin pour confirmer son jugement. Mais elle se retira aussitôt, laissant place à une vague de désespoir.

Iella s’agenouilla près du blessé puis écarta doucement quelques mèches de cheveux de son visage.

— Pourquoi, Diric, pourquoi ? gémit-elle.

— Lusankya, souffla son époux.

La gorge d’Iella se serra au point de gêner sa respiration.

— Non, ça n’est pas possible.

— Isard m’a brisé. Elle a fait de moi son instrument. Elle m’avait placé dans le laboratoire de Derricote pour le surveiller, et elle m’a envoyé le tuer avant qu’il ne puisse la trahir. Je n’avais pas le choix. Mais ça n’était pas lui.

— Non, c’était Kirtan Loor.

Diric esquissa un sourire.

— Tant mieux. Je ne l’ai jamais aimé, toussa-t-il.

Il leva la main sur le visage de son épouse, mais ne l’atteignit jamais.

— Je meurs, murmura-t-il.

— Non ! (Iella tira un comlink de sa poche.) Je vais appeler des droïds médicaux.

— Non, Iella. Isard a fait de moi son objet. Je ne pourrais pas vivre dans la suspicion, comme une marionnette. Ça rendrait mon existence trop… ennuyeuse.

— Diric, nous pouvons t’aider.

— C’est fini. Je t’aime, et elle voulait que je te tue. Je ne pouvais pas résister. L’ouverture des portes de l’ascenseur devait être reliée à une bombe. J’ai fait ce que j’ai pu pour que tu m’empêches de me trahir moi-même en te tuant. Merci de m’avoir libéré.

D’une main, Iella tenta d’effacer la douleur qui se lisait sur le visage du mourant.

Elle réalisa qu’il s’était éteint. La gorge nouée, les yeux embués de larmes, elle l’embrassa une dernière fois.

Loor gisait par terre et ne sentait plus rien. Il savait que ça n’était pas bon signe. L’idée qu’il était en train de mourir s’imposa à lui et le révolta. Mais la sensation se dissipa, emportant son dernier souffle de vie.

À cet instant, l’agent impérial réalisa qu’il avait toute sa vie combattu sans succès son refus d’admettre la réalité.

Il leva les yeux vers le plafond, à la recherche de quelque vérité cosmique. Mais la seule qu’il trouva l’acheva.

Isard n’a pas envoyé un assassin pour me tuer, réalisa-t-il. Elle l’a envoyé pour tuer Derricote. Je meurs à sa place, payant pour ses crimes. Y a-t-il quelque chose de pire ?

Pour une raison indéfinie, l’image de Corran lui vint à l’esprit.

Horn disait qu’il n’existe rien de pire que de mourir seul, songea-t-il.

Il fit de son mieux pour chasser cette idée. Alors que la pénombre l’enveloppait, il admit pour une fois que son ennemi juré avait raison.