Un simple mur sépare l’appartement de Madame de Sablé du monastère de Port-Royal de Paris. Aidant les religieuses dans leurs heures de détresse, elle obtient d’elles l’ouverture d’une porte donnant sur leur cloître. Madame de Sablé est aussi renommée dans Paris pour la saveur de son potage aux carottes que pour les soirées où La Rochefoucauld et Pascal croisent le fer de leurs pensées dans son salon. Elle ne perd de son brillant que devant la maladie : la plus bénigne lui fait craindre la mort. Elle passe la flamme d’une bougie sous le courrier reçu pour le purifier et, pour chasser les démons de l’air, fait brûler du bois de genièvre dans sa maison chaque fois qu’une religieuse meurt. La supérieure de Port-Royal l’avertit quotidiennement de la santé des sœurs. Au moindre rhume la porte reste fermée. En 1678 la mort ne fait qu’une bouchée de celle qui craignait tant de mourir. Le temps recueille la fleur des soirées de Madame de Sablé dans les livres des grands moralistes, mais ne garde rien du parfum des potages qui passait sous la porte close entre ce monde et l’autre.
Les bonds de l’écureuil égaré au carrefour de la Croix Menée étaient ceux de l’âme fuyant les écrasements du monde, loin de la forêt d’enfance.
Les Concertos brandebourgeois de Bach — une armée de tapissiers qui refont les papiers peints dans mon cerveau.
Avec J., lorsque nous parlons de la pluie, nous parlons bien de la même personne : dans sa maison de retraite J. ne maudit rien ni personne. La couleur violette de la moquette grumeleuse, devant sa chambre, l’émerveille comme un ciel étoilé chaque fois qu’elle la redécouvre. Elle a atteint cette zone où la vie n’est plus que le fait brut de vivre, source inépuisable de miracles.
Les nuages en aubes blanches se rendent aux offices de la lumière.
Rien ne ressemble plus à une bible ouverte sur un lutrin que la fougère dans son grand déploiement.
Les papillons qui bégaient, les abeilles chercheuses d’or et le vent qui comme un fou parle à tout le monde : mes maîtres sont devant moi, qui m’instruisent sans y penser.
Les petites lampes mauves des trèfles en fleur : béni soit celui qui les laisse allumées en plein jour. Il nous est si difficile de voir.
Ma mère avait une machine à coudre dont le mécanisme était mis en marche par une pédale et qui, travail accompli, rentrait en basculant à l’intérieur d’un meuble verni. Il y a la même machine cachée dans la musique de Bach. On peut entendre dans ses airs le cliquetis de l’aiguille sur l’étoffe du silence, tandis que les pieds de l’ange actionnent rythmiquement la pédale. Le travail des mères comme celui de Bach rafraîchit les tempes de Dieu et apaise le diable, ce pauvre enfant que tout panique.
Nous traversions la forêt attentive. Nos paroles s’épuisaient le long du chemin comme une monnaie si petite qu’on finit par l’oublier au fond d’une poche. La forêt s’est soudain mise à briller. Cette illumination était la signature du Dieu sur le contrat de l’air — l’assurance que rien de nos âmes enchantées ne glisserait jamais dans la mort négligente.