Prologue

Mai 2001

Gillian Wanamaker glissa amoureusement les doigts sur le tissu soyeux.

Cette robe, elle avait mis six mois à la trouver, il lui avait fallu pas moins de quatre voyages à Midland avant d’avoir enfin le coup de cœur pour cette splendeur bleu et argent. On aurait dit qu’elle avait été dessinée précisément pour un bal de promo. La jupe évasée tourbillonnait quand elle marchait, le haut lui accentuait la poitrine avant de descendre mouler ses hanches, juste assez pour laisser voir à l’intégralité de sa classe de terminale l’effet que pouvaient avoir quelques heures de culture physique hebdomadaires.

Tout le monde était persuadé qu’elle irait au bal de promo avec Jeffrey Campbell Maxwell III, le quarterback star des Lions… sauf elle. Son cœur regardait dans une autre direction.

Elle essaya d’imaginer la tête que ferait Austen lorsqu’il la verrait.

Parfois, il la regardait avec une sorte de voracité, et elle adorait ça. A dix-sept ans, elle avait l’habitude que les hommes se retournent sur elle, ou même qu’ils la sifflent quand elle portait son short ultracourt, ce qu’elle faisait parfois car elle aimait ces sifflets, même si sa mère ne trouvait pas ça convenable. Ici, à Tin Cup, à l’ouest du Texas, les filles n’étaient pas censées être en avance comme à Houston ou Dallas, mais la liesse de la fin d’année scolaire et la touffeur des nuits s’alliaient en une combinaison excitante. Elle avait toutefois un code de conduite très strict qu’elle n’avait jamais eu la tentation d’enfreindre.

Enfin, jusqu’à maintenant…

La liste des choses qu’elle voulait à tout prix était courte mais précise : un job d’été à la banque, prononcer le discours de fin d’études de sa classe, la tiare dorée au bal de promo, et ce garçon-là. Jusqu’où était-elle disposée à aller pour l’avoir ?

Une question immémoriale, qui hantait les femmes depuis la nuit des temps.

*  *  *

Gillian s’appuya sur les coudes, seins pointés vers le ciel, en une pose de page centrale de Playboy — même si elle se serait fait couper en morceaux plutôt que d’avouer qu’elle avait longuement étudié ces photos suggestives.

Quand la poussière tourbillonnait et que le ciel texan se parait de rose, comme ce soir, elle avait l’impression que tous ses rêves étaient à portée de main.

Cela faisait longtemps que le soleil s’était couché, et la lune brillait quand la silhouette d’Austen se profila sur le ciel encore sans étoiles.

Il avançait les épaules voûtées, mais, lorsqu’il l’aperçut, il accéléra le pas. Même s’il s’efforçait de la jouer cool, il était anxieux, devina-t-elle, le cœur en émoi.

Aucun garçon n’avait plus belle allure, aucun garçon ne lui coupait le souffle ainsi, aucun garçon ne faisait naître cette douleur exquise entre ses cuisses comme il le faisait. Pas même Jeffrey junior.

Il était grand et élancé, mais pas bâti en athlète comme les sportifs. Il y avait en lui quelque chose de différent. C’était le labeur acharné qui lui avait modelé les muscles et non pas l’effort sur un stade. Et s’il avait les mains rugueuses, c’était à force de travailler le métal et non de soulever des poids.

— Pourquoi as-tu été si long ? demanda-t-elle.

Mais la vraie question qu’elle lui posait silencieusement, c’était : « As-tu remarqué que je n’ai pas mis de soutien-gorge ? » Elle avait l’impression qu’une flèche clignotante au néon était braquée sur sa poitrine.

Austen la regarda, ses yeux atterrirent quelque part entre ses épaules et son ventre, et elle vit sa pomme d’Adam aller et venir nerveusement.

Bien.

— J’ai été retenu au garage.

— Je suis contente que tu sois là, répondit-elle, souriante, en lui tendant la main.

Il s’assit par terre près d’elle et allongea ses longues jambes devant lui.

Son T-shirt naguère blanc était maculé de saleté et de taches de graisse, mais il faisait partie de ces hommes qui restent sexy même en étant crasseux. Et au moins, pour ce soir, il était à elle.

Il lui jeta un regard lourd de sens, s’essuya les mains sur son jean et lui prit la bouche, vorace, exigeant.

Il n’embrassait pas comme les autres, pas comme Jeffrey junior, pas comme Roger, pas comme Sonny. Les baisers, elle n’avait jamais trouvé ça fabuleux jusqu’à la première fois où il avait posé ses lèvres sur les siennes.

Un feu d’artifice.

Quand ils reprirent finalement leur souffle, pendant qu’il promenait sa bouche brûlante sur son cou, elle entremêla leurs mains et s’amusa du contraste entre son vernis à ongles rose clair et la peau noire de suie d’Austen.

Ça ne la dérangeait pas. Elle aimait la façon qu’avaient ces grandes mains de la toucher, hésitantes, avec une révérence quasi mystique.

Désireuse de ne pas perdre plus de temps, elle l’attira sur elle et perçut la tension de ses muscles.

Un puma prêt à bondir.

Elle savait qu’elle jouait avec le feu, mais ce soir sa volonté était aux abonnés absents. Pour une fois, elle voulait planter les dents dans la pomme, mais pas avec n’importe quel homme. Avec lui, et seulement lui.

— J’ai pris ma décision, lui murmura-t-elle à l’oreille, en parsemant sa mâchoire de baisers.

— A propos de quoi ? murmura Austen en retour, en avançant la main et en la touchant avec la même nervosité, la même intensité. De ça ? ajouta-t-il en effleurant un mamelon du bout des doigts.

L’exquise sensation, l’explosion de chaleur lui coupèrent le souffle.

— Tu ne devrais pas faire ça, protesta-t-elle sans une once de sincérité, en poussant son sein dans sa main.

Elle était une travailleuse acharnée dans bien des domaines, y compris celui d’être une fille raisonnable, mais quand il était près d’elle, elle se sentait environnée d’éclairs comme dans un orage d’été. C’était surprenant, beau, dangereux, et elle adorait ça.

Alors il lui sourit, surprenant, beau, dangereux. Et il déboutonna sa chemise avec une agilité et une célérité prouvant qu’il savait s’y prendre.

Ça aussi, ça lui plaisait, cette assurance qu’il gardait en réserve.

Au collège, il avait toujours les épaules voûtées et les yeux fixés par-delà l’horizon. Elle le savait vif et intelligent, mais il ne demandait jamais à répondre aux questions posées. En gymnastique, il était rapide, plus agile que la plupart, mais il n’était membre d’aucune équipe. En fait, peu de gens le fréquentaient —  à l’exception des filles. Les filles lui donnaient tout ce qu’il voulait.

Des filles faciles, c’était comme ça que les décrivait sa mère. Mais avant même qu’on ait pu dire « Gillian est une fille facile », son corsage était grand ouvert, et Austen contemplait ses seins nus d’un regard émerveillé.

Devant une admiration aussi flagrante, il était difficile de se sentir gênée. Il n’était pas du genre à laisser voir ses besoins, et elle était ravie d’être celle qui provoquait son désir.

Sous la lune qui leur faisait de l’œil, elle regarda la faim lui creuser le visage.

Du bout des doigts, il fit délicatement le tour de ses aréoles rose clair.

Au début, elle présuma que cela faisait partie d’un rituel d’adoration, mais elle comprit bien vite la délicieuse vérité : ces infimes caresses prenaient lentement possession d’elle, elles lui mettaient la peau en feu. Une vague de plaisir enfla dans son ventre, prit de l’ampleur, et elle finit par percevoir son pouls entre ses cuisses.

— Emmène-moi au bal, le pressa-t-elle, au lieu d’énoncer l’invitation sophistiquée pourtant apprise par cœur.

Mais, en cet instant précis, elle n’avait plus en tête que ces petits cercles qu’il dessinait sur elle et la façon dont il se mordillait la lèvre.

Les doigts d’Austen s’immobilisèrent sur ses seins, possessifs.

— Bon sang, non ! Pas question d’aller à un stupide bal de promo. Même pas pour toi, Gillian.

Ces paroles suffirent à réveiller son esprit embrumé.

Des paroles de rejet, diraient certains. Elle, elle les prenait pour un défi à relever. Au risque d’en prendre plein la figure.

Orgueil et prudence bataillèrent ferme dans sa tête, mais la prudence partait d’ores et déjà perdante.

— Allez, viens avec moi, l’exhorta-t-elle en posant une main sur lui.

Un instant, ses doigts se contractèrent sur sa peau, ses yeux s’assombrirent de ces secrets qu’elle voulait connaître.

— Pas question, Gillian. Allons à Austin. Trouvons-nous un motel. Pour tout le week-end. Peut-être plus longtemps. Peut-être pour toujours.

Il avait dit cela sans la regarder, les yeux fixés sur la rangée de prosopis du jardin, sans plus apprécier la nudité de sa poitrine ni le côté génial de son plan.

Si elle n’avait pas consacré tant de temps et d’efforts à ce plan, elle aurait probablement été plus raisonnable.

— Austin ? Que veux-tu que j’aille faire à Austin ? protesta-t-elle. Je veux être ici. Chez moi. A mon bal de promo. Ce sera tellement amusant de voir leurs têtes à tous quand on y arrivera !

— Je peux déjà t’en parler, de la tête qu’ils feront, repartit Austen avec colère en s’éloignant d’elle. Les gars te lorgneront en bavant, et les filles feront comme si elles s’en fichaient.

Toujours sans la regarder, il arracha un brin d’herbe, le porta à ses lèvres et souffla dessus, comme s’il se moquait de ce que pensaient les gens.

Mais elle n’était pas dupe. Tout le monde s’en préoccupait, même si certains refusaient de le montrer.

— Tu crois que les filles ne seront pas jalouses de moi ? lui demanda-t-elle. Comme si tu n’avais jamais remarqué l’attroupement devant chez Zeke, quand tu travailles torse nu !

— Peut-être, marmonna-t-il en rougissant.

Ravie de sa réaction, elle se rapprocha un peu, jusqu’à percevoir les muscles durs de son bras contre son sein gauche, jusqu’à ce que la chaleur de son corps l’électrise.

Elle aimait ce contact. Elle avait besoin de ce contact.

— Viens avec moi au bal.

Il ne fit pas un geste, ne dit pas un mot.

Elle maugréa en silence, puis, peu encline à l’hésitation, fit glisser lentement sa chemise de ses épaules et la laissa choir sur le sol, jetant toute prudence aux orties.

Devant sa poitrine dénudée, les yeux d’Austen reprirent leur éclat avide et dangereux.

— Tu essayes de m’acheter ? l’interrogea-t-il, la voix mal assurée.

A cet instant, un éclair d’orage zébra le ciel d’été, aveuglant Gillian. Et, magique, la brise se leva, emportant plus loin encore sa prudence.

— Est-ce que ça marche ? répondit-elle en souriant, pas très assurée non plus.

Doucement, presque gentiment, il la fit s’allonger et lui prit la bouche en un long baiser vorace, accompagné d’un balancement de hanches tout à fait explicite.

Il pesait lourd sur elle, elle sentait contre son ventre son sexe tendu, palpitant et plein de sperme faiseur de bébés… Puis, avant qu’elle puisse réfléchir davantage aux conséquences, ses mains entrèrent en contact avec ses mamelons.

Elles n’étaient plus ni gentilles ni douces. Ce fut douloureux, de la plus belle sorte de douleur : le désir. Puis il referma la bouche sur un sein et l’aspira fort. Terriblement fort.

Elle n’était pas une allumeuse, elle imposa silence à ses gémissements et misa tout sur un coup de poker.

— Viens…

— Là ? demanda-t-il.

Déjà il cherchait la fermeture de son short, et il y avait dans son regard un péché capital qui la mit en ébullition.

Mais une vie entière d’avertissements lui résonnait aux oreilles, et elle n’était pas de ces filles qui oublient tout pour le frisson et qui tombent enceintes avant de s’en rendre compte.

Elle recouvrit sa main de la sienne, pas en une invite cette fois.

— Viens avec moi pour le bal, précisa-t-elle avec effort.

Ce qui n’était pas exactement une négation de l’autre invitation, mais pas un engagement non plus. Du moins, pas tout de suite.

Furieux, Austen se laissa rouler loin d’elle et se prit le visage à deux mains.

— Bon sang, Gillian, tu ne connais vraiment rien aux hommes ! Tu veux ma mort, ou quoi ?

Il était visiblement dans un état lamentable, furibond… Et mignon à tomber ! Il lui donnait la sensation d’être sauvage et libre, et autant elle savait que ce n’était pas malin, autant elle aimait cela.

Gênée, mal à l’aise parce que c’était tout nouveau pour elle, elle se mit à rire bêtement, incapable de se retenir.

Peu après, il se mit à rire aussi, et Dieu merci sa colère s’apaisa.

Mission accomplie !

Une fois qu’elle se sentit mieux, plus maîtresse d’elle-même, elle remit sa chemise, et elle remarqua qu’il avait lui aussi l’air soulagé. Soulagé et bien plus coopératif, ce qui était un plus, dans la mesure où elle n’était pas encore prête à renoncer à son objectif initial.

— Tu vas m’emmener au bal de promo ? On est grands maintenant, après ça on sera assez mûrs pour avoir des comptes en banque et des boulots miteux.

En gros, la belle vie était sur le point de s’achever pour elle et de commencer pour lui. Peut-être que tout ne serait pas rose pour Austen Hart après la remise de son diplôme, mais ce serait toujours mieux que la vie avec son père. Elle savait qu’Austen était capable de bien mieux que travailler sur des voitures, et ce soir, alors que leurs dernières minutes de pré-diplôme s’égrenaient, elle voulait en savoir plus sur ses projets.

— Que vas-tu faire après le mois de mai ?

Il soutint son regard, et elle déchiffra dans ses yeux bien plus que la mécanique automobile. Elle y vit de l’ambition, de la détermination, et elle fut heureuse de constater que le père Hart n’avait pas tout anéanti en lui.

— Je vais aller à Austin, et je vais me construire la Mustang la plus rapide du monde.

Une telle réponse la fit sourire.

— C’est sûr que tu seras bien mieux là-bas.

Mais alors qu’elle souriait toujours, il n’en fit rien, et la réalité s’imposa lentement à elle.

Austen partait. Il partait pour de bon, et bientôt !

Elle n’aurait pas dû être surprise, elle aurait même dû s’y attendre. Mais ce fut pourtant le cas.

— Oh.

Il se rapprocha, tendit la main et repoussa les cheveux retombés sur ses yeux.

— Viens avec moi, Gillian. Sérieux. On pourrait quitter ce trou perdu où il n’y a rien de plus excitant que la soirée « deux steaks frites pour le prix d’un ».

Elle avait l’impression qu’une pierre s’était logée dans son ventre. La même que quand elle obtenait un B plus à un examen, ou quand elle ratait son saut à une compétition d’athlétisme.

— Ravie d’apprendre à quel niveau je me situe dans tes priorités…

— Ça n’a rien à voir avec toi, Gillian.

Elle se remémora alors, un peu tard, combien leurs univers étaient différents.

Ses soirées chez lui, Austen Hart ne les passait pas agréablement à regarder un film ou à préparer des gâteaux pour une vente de charité. Non. Tout le monde connaissait la bicoque au milieu de la friche, ses murs à la peinture grise écaillée, sa cour jonchée de canettes de bière vides et son chêne plus percé de trous de balles qu’un gruyère. Certaines nuits, des voix furieuses portaient loin par-dessus les herbes folles. Des mots de colère avinée hurlés par la racaille qui vivait là. Autrefois, il y avait deux garçons dans cette maison, mais l’aîné avait disparu. La rumeur disait qu’il était enterré derrière la baraque, ou incarcéré au pénitencier d’Etat, mais personne n’en savait rien au juste. Et personne n’obtenait de réponse directe ni du fils ni du père. Elle en avait le cœur gros quand elle pensait à ce frère oublié. L’enfer, c’était censé arriver après la mort, pas avant. Pourtant, Austen ne s’était jamais plaint, il n’en avait jamais parlé, il n’avait jamais laissé voir que cela comptait malgré tout.

— Je suis désolée, dit-elle.

Une excuse qui allait bien au-delà des paroles irréfléchies qu’elle venait de prononcer. Si seulement elle pouvait faire quelque chose pour améliorer sa situation…

Il lui toucha le front, la joue, il lui prit le menton et l’obligea à rencontrer son regard intense.

Il avait de si beaux yeux ! Des yeux vif-argent, dont l’expression pouvait changer plus vite qu’il ne fallait de temps pour le dire. Le brun et l’or s’y mêlaient et quand, en certaines rares occasions comme celle-ci, il vous regardait avec toute la puissance de son âme, il était impossible de ne pas tomber amoureuse.

— Viens avec moi, dit-il en effleurant ses lèvres des siennes.

Il n’attendit pas sa réponse mais continua de l’embrasser, mettant dans ce baiser tout son art, lui qui n’essayait jamais de faire quelque chose vraiment à fond et qui avait échoué plus que la plupart.

Elle sentit les larmes lui piquer les yeux, parce qu’un baiser tel que celui-ci n’était pas censé durer une vie entière. C’était censé durer jusqu’à la minute suivante, l’heure suivante, peut-être le jour suivant, pas plus. Un baiser tel que celui-ci signifiait adieu.

Adieu.

Ils ne feraient pas l’amour, il n’y aurait pas de roi et de reine du bal de promo, il n’y aurait plus d’Austen Hart dans sa vie. Plus du tout.

La douleur qu’elle en éprouva la surprit. Avant ce soir, elle avait été tellement sûre de lui, de ses plans, de ses rêves, si sûre d’elle-même !

Elle essuya son visage couvert de larmes.

— Reste avec moi, l’implora-t-elle. J’ai dit à Mindy que tu serais mon cavalier…

Austen releva la tête, et elle put voir disparaître sous ses yeux le garçon qu’elle avait aimé. Il n’existait plus. C’était un homme qui était là.

Lentement, il secoua la tête.

— Qu’est-ce que ça peut bien faire, Gillian ?

Les yeux braqués sur sa chemise ouverte, il avait le regard brûlant de colère et… d’autre chose.

Peut-être ses rêves n’étaient-ils pas encore morts, après tout ?

Il faisait lourd ce soir, et elle était consciente d’avoir la peau moite. Les pensées sombres qui tourbillonnaient dans sa tête auraient dû l’effrayer, mais au contraire elles ne faisaient que l’exciter.

Quelle importance, à présent ? Austen était le seul qu’elle voulait. Elle voulait qu’il soit son premier.

Nerveuse, elle repoussa ses cheveux.

— S’il te plaît, reste. Au moins jusqu’au b…

— Bordel, Gillian !

Ces mots sonnèrent angoissés, battus, et elle sut qu’elle avait obtenu ce qu’elle voulait.

Elle ferait en sorte qu’il ne le regrette pas.

— Est-ce un oui ? lui demanda-t-elle, déjà prise d’excitation.

— C’est un oui.

Sur ce, elle se jeta sur lui de façon éhontée.

Maintenant, ils avaient une semaine. Une grande semaine de sept jours qui devrait durer une vie. Elle ne voulut plus attendre. Plus maintenant. La virginité, c’était pour les imbéciles qui s’imaginaient qu’il y aurait toujours un lendemain.

— Je t’aime, murmura-t-elle.

Austen se figea, la surprise peinte sur le visage.

— Tu n’as pas à dire ça.

— Je sais, mais c’est la vérité, et puis je veux faire ça bien.

— Faire quoi bien ?

Elle écarta grands les bras, désignant les champs, la nuit, la lune.

— Ma première fois.

— Je croyais que Jeffrey et toi…

Elle secoua la tête.

— Roger ?

Un nouveau non de la tête.

— Sonny ?

Encore une fois, elle fit non de la tête.

Elle avait pensé que cela ferait plaisir à Austen, mais il ne paraissait pas ravi du tout. Pourtant, la lueur coquine dans les yeux s’atténua et devint quelque chose de plus respectueux, de plus honorable. Sa bouche parfaite s’incurva en un sourire à vous arrêter le cœur, et elle comprit que sa première fois serait exactement ce qu’elle avait voulu qu’elle soit.

— En ce cas, on devrait le faire bien. Pas dans l’herbe. Il est hors de question que tu vives une telle expérience avec des puces dans des endroits où elles n’ont rien à faire.

Des puces ?

Alertée, elle fouilla les hautes herbes des yeux, repensant très sérieusement sa décision. La grossesse, elle y avait souvent songé. Les puces, c’était une tout autre histoire. Le seul fait d’y penser lui provoquait des démangeaisons.

— Il nous faut un lit immense et solide, poursuivit Austen. Et de l’intimité. Pas de gamins, pas de parents, un endroit où personne ne nous dérangera. Et il faudra autre chose à boire que de la bière, peut-être du champagne. Et tu mérites un seau entier de fleurs. Des roses.

Elle s’épanouit.

De tous les garçons qu’elle connaissait, Austen était le premier à comprendre les secrets de son cœur. Elle ne l’avait encore jamais vu comme cela, plein d’idées d’avenir, les yeux étincelant d’excitation. Et c’était la perspective de l’aimer, elle, qui avait provoqué ce changement ! L’amour était vraiment une chose extraordinaire, miraculeuse. Austen pouvait déplacer des montagnes, atteindre les étoiles. Comme elle le pensait, il serait un amant de premier ordre.

Après tout, son plan promettait d’être bien plus amusant qu’un truc vite fait dans l’herbe et les puces.

— Tu veux qu’on attende la nuit du bal ?

Il hocha la tête et lui reboutonna posément sa chemise.

— Oui.

— Alors, on va attendre, dit-elle, un peu déçue, un peu soulagée.

Cela décidé, il sortit une vieille montre gousset de sa poche de jean et la consulta.

— Il faut que je rentre, dit-il.

— On se voit au lycée demain ?

— Bien sûr, répondit-il en l’embrassant d’abord sur le nez, puis sur la bouche.

Puis il ressortit la montre de sa poche.

— Tiens, dit-il en la lui tendant, la mine solennelle.

— Pourquoi me la donnes-tu ? s’étonna-t-elle, alertée par le ton de sa voix. Tu vas rester, non ?

— Une semaine, dit-il en riant. Je te la donne pour que tu puisses compter les heures. Je ne peux pas te donner grand-chose d’autre, ajouta-t-il en la lui pressant dans la main. Prends-la.

Touchée par le geste, elle caressa le métal usé, le verre rayé et leva vers lui un visage rayonnant.

— Pour de vrai ?

— Bien sûr. Sois sage.

— Ne le suis-je pas tout le temps ? repartit-elle, pas aussi ravie de cela qu’elle l’aurait dû. Tu vas louer un smoking ?

— Evidemment, répondit-il sans ciller.

— Tu seras beau, en smoking. Presque aussi beau que tu le seras sans le smoking, le taquina-t-elle.

— Tu as vraiment l’esprit mal tourné ! la taquina-t-il en retour.

Si normal. Si content. Si parfait.

— Merci de l’avoir remarqué.

Alors qu’il reprenait la direction des collines, elle serra la montre contre son cœur et se laissa retomber dans l’herbe, sans plus se soucier des puces pour l’instant.

Encore cinq jours, et ils feraient l’amour.

Elle tenait à ce que cette nuit particulière soit aussi spéciale pour lui qu’elle allait l’être pour elle. Un peu de dentelle, un décolleté pigeonnant… Peut-être qu’elle devrait acheter de la lingerie sexy ?

Sexy, mais pas vulgaire. Du blanc, ou du crème, ça irait bien avec sa teinte de peau.

Elle tira sur sa chemise et vérifia.

Plus confiante, elle remercia le ciel de lui avoir donné de jolis seins galbés et une paire de fesses qui ne portait aucune trace de capitons.

Les besoins biologiques masculins étaient un moteur puissant. Peut-être que, après, elle pourrait pousser Austen à changer d’avis et à rester ?

Le bal de promo. Cinq jours avant le paradis…