Deux heures plus tard, Gillian était attablée en face d’Austen dans un restaurant mexicain.
L’atmosphère était sonore et vivante, la cuisine parfaite, mais la compagnie laissait à désirer — elle n’était pas bavarde.
— Quel est le planning pour demain ? s’enquit-elle avec un grand sourire.
Elle obtint en retour un regard sceptique d’Austen.
— Etant donné qu’on sera dimanche, ça n’a pas été facile, mais Peter Pendergast accepte de me voir un quart d’heure dans l’après-midi, et je veux retourner voir J.C. Elle a raison, on ne peut pas inverser l’échiquier. Il y aura bien plus à faire avant la conférence de presse de lundi, bien sûr…
A cet instant, son portable vibra.
Il baissa les yeux sur l’écran, ignora l’appel, et elle s’efforça de faire comme si ça n’avait pas d’importance.
— Et si rien ne marche ? demanda-t-elle en lui prenant la main afin de provoquer un sourire, n’importe quoi pour effacer son expression maussade.
Il resserra les doigts sur les siens.
Tout d’abord émue, elle vit ensuite la direction de son regard, la raison de sa tension.
Carolyn Carver était plantée près de leur table, visiblement furieuse.
— Tu devrais savoir qu’il vaut mieux ne pas zapper mes appels quand je suis dans la même pièce, dit-elle avant de décocher un bref sourire en direction de Gillian, comme si tout était oublié.
Gillian aurait préféré croire un serpent à sonnette. D’ailleurs, il y avait certaines similitudes.
— Carolyn Carver. Je ne pense pas que nous ayons été officiellement présentées au barbecue, reprit Carolyn en s’asseyant sur la banquette près d’elle. Vous savez, il ne faut pas croire un seul mot de ce qu’il dit.
— Gillian Wanamaker. Vous seriez surprise de son pouvoir de sincérité.
Carolyn leur offrit alors un rire à faire tourner les têtes, et Gillian comprit qu’elle tournait les têtes partout où elle allait.
— Que veux-tu, Carolyn ? demanda Austen d’un ton las.
— Absolument rien, sucre d’orge. Je voulais juste passer vous dire bonsoir, et te dire que Peter Pendergast de Pecos County ne veut pas te voir demain. On dirait que papa a appris que tu essayes de bousiller le vote de son budget, et tu sais comment il devient quand on lui met des bâtons dans les roues. Il m’a appelée pour savoir ce que tu fichais. Je t’épargne les hurlements et les bruits de verre brisé, mais j’ai réussi à le calmer : je lui ai conseillé d’appeler Big Ed. C’est ce qu’il a fait. Big Ed lui a dit que tu courais après les législateurs de Pecos County, alors il a appelé Peter et lui a dit que s’il jetait seulement un regard dans ta direction, il pourrait dire adieu à sa prison et aussi à quelques subventions fédérales. Et puis, juste histoire d’enfoncer le clou, il lui a dit aussi qu’il pourrait lancer les chiens sur sa commission environnementale. Le message est passé. Pas de rendez-vous pour toi demain, Austen. Désolée, Gillian.
— Pourquoi fais-tu ça ? demanda Austen.
— Mais je n’ai rien fait, mon canard ! C’est toi qui as mis la main dans le feu, ne joue pas les étonnés si tu te brûles. Il est une façon de faire les choses dans cet Etat, et ce n’est pas de piétiner tout le travail qu’ont fait les gens. Personne n’aime ça, Austen. Pas même moi.
Puis elle retourna son attention sur Gillian, une lueur triomphale dans le regard.
— Quant à vous, retournez donc dans le trou perdu d’où vous venez. Vous n’avez pas votre place ici. Ne vous imaginez pas que vous pouvez mener la danse avec vos godillots et votre robe en solde, ni espérer que les gens vont vous écouter. Peut-être qu’Austen le fera, puisqu’il sait si bien faire semblant d’être poli, mais il sera bien le seul.
Sur ce, Carolyn se leva et leur sourit, manifestement ravie d’elle-même.
— Passez une bonne soirée tous les deux. Ne vous inquiétez pas pour la note, je l’ai déjà réglée. C’était le moins que je puisse faire.
Un long silence suivit son départ.
Austen veillait à conserver un masque indéchiffrable. Quant à Gillian, c’était pour elle un autre obstacle à franchir.
— On devrait aller voir J.C. et lui expliquer ce que magouille le gouverneur. Elle le combattra, elle a les armes pour. Une fois qu’elle aura jeté quelques grenades dans sa direction, on sera de nouveau à égalité.
Austen lui lâcha la main, le regard non plus vide mais triste.
— Tu ne te fatigues jamais ? marmonna-t-il. Est-ce qu’il faut toujours que ce soit la guerre ?
— Tu n’aimes pas beaucoup te battre, n’est-ce pas ?
— Non.
Il plongea les yeux dans son verre, et elle se prit à rêver d’avoir été là pour lui il y a si longtemps. De s’en être mêlée, d’avoir trouvé un moyen de l’extraire de ce bourbier.
— Je suis désolée, Austen.
— Tu n’y es pour rien, répondit-il en relevant la tête et en lui souriant.
— On aurait pu faire quelque chose à l’époque. On aurait pu arrêter Frank.
— Aucune loi n’interdit de se soûler dans sa propre maison, aucune loi n’interdit de traiter sa femme comme une souillon, ni d’engueuler son fils et de cribler de balles ses propres terres.
— Pourquoi Tyler ne t’a-t-il pas emmené avec lui ?
— Il partait à l’université, à la faculté de médecine. Il n’avait pas besoin d’un enfant dans les pattes. Et puis, Frank n’était pas si mauvais. Et j’étais coriace.
— Et Tyler, comment faisait-il ?
— Il n’était pas souvent la maison, moi non plus d’ailleurs. Il passait son temps à la bibliothèque, je passais le mien au garage. L’évitement. C’était comme ça que les frères Hart s’en sortaient.
Elle agita nerveusement sa paille dans sa Margarita.
— Est-ce pour ça que tu es parti ? Pour éviter Frank, ou pour m’éviter, moi ?
— Pas toi, répondit Austen en lui immobilisant les doigts.
Elle le regarda bien en face, l’exhortant à lui faire confiance.
— Me le diras-tu ?
Les yeux sombres étaient nonchalants. Trop nonchalants.
— On s’est battus. Pas de quoi en faire un plat.
C’était déjà un grand pas en avant par rapport au passé. Dix ans plus tôt elle aurait insisté, car son orgueil et sa vanité voulaient en savoir plus, mais elle décida de laisser passer. Elle avait gagné en sagesse à présent. Et Austen avait souffert plus encore qu’elle ne pouvait l’imaginer. Il ne s’était jamais plaint, n’avait jamais demandé d’aide à personne, il avait tenté simplement de survivre.
Le cœur serré, elle se répéta qu’elle aurait dû deviner, l’aider.
— Tu sais quoi ? dit-il d’un ton plus guilleret. On n’a jamais dansé ensemble. Je t’avais promis de t’emmener au bal de promo. Allons danser.
Son cœur fit un petit bond de bonheur, parce qu’il faisait cela pour lui faire plaisir.
— Maintenant ? Tu es sûr ?
Il lui fit un clin d’œil comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
— Absolument. Je te le dois.
* * *
Le Capitole d’Austin était une copie conforme du Capitole de Washington, à ceci près qu’il avait été construit en granit rose. Bien sûr, elle y était déjà venue, mais jamais après la fermeture, et elle n’avait jamais eu l’occasion d’être seule dans la rotonde.
Elle tourna un œil méfiant vers l’entrée, où un vieux garde sommeillait paisiblement.
— Ça ne va déranger personne ?
Austen lui prit la main et l’entraîna dans l’escalier incurvé.
— Ne me brise pas le cœur en me disant que tu as peur !
Elle ne pouvait pas lui briser le cœur, mais cela lui fit plaisir de l’entendre.
— Je parie que tu ne sais pas danser, le taquina-t-elle. Je parie que c’est pour ça que tu es parti avant le bal.
Il lui fit un clin d’œil, lui tira la main, et elle dut courir dans l’escalier pour le suivre.
Pour une minute, ce soir, elle retrouvait le vieil Austen qu’elle avait connu, l’Austen qu’elle avait aimé. Le garçon idéaliste qui vivait toujours dans l’homme.
En haut du grand escalier de marbre, il la fit tourbillonner à la manière de Fred Astaire et Ginger Rogers jusqu’à la faire rire, étourdie et hors d’haleine.
Quand il l’attira de nouveau près de lui, une main sur sa taille, elle perçut la vie en lui, la force, la grâce et la chaleur d’un homme très viril.
Il paraissait si heureux, si vivant, si plein d’amour, qu’elle s’interrogea sur ce qui provoquait ça.
— Où as-tu appris cela ? demanda-t-elle.
— La politique, Gillian. Il faut apprendre à danser.
Il n’y avait pas de musique, mais une mélodie jouait dans la tête et le cœur de Gillian, et ils virevoltaient tout autour de la rotonde, longeant les visages impassibles des gouverneurs et héros passés.
La mine menaçante de Sam Houston la fit sourire.
— Il ne nous approuve pas.
Austen s’immobilisa et l’embrassa langoureusement sous le portrait.
— Il est jaloux, dit-il.
— Jaloux du shérif d’un trou perdu et d’un politicard en toc ? répondit-elle en riant, parce que ce soir elle engrangeait des rêves.
— Il est jaloux parce que tu es le plus joli shérif de ce côté du Colorado.
— Joli compliment, mais balivernes quand même.
— Personne, jamais, n’a pu t’arriver à la cheville, Gillian. Personne ne le fait non plus maintenant, assura-t-il.
L’air se faisait rare dans la galerie, ou peut-être était-ce l’éclair sérieux dans le regard d’Austen ? Elle se sentait la tête légère. La sensation de ses mains sur sa taille était étourdissante, chaude, réconfortante.
Elle lutta pour retrouver son souffle.
— Ne me brise pas le cœur, Austen Hart, lui dit-elle d’une voix légère. C’est un avertissement.
Avant, elle avait survécu, ils n’étaient que des gosses, rien de plus. A présent, il allait altérer sa vie à jamais.
Ces paroles durent bloquer Austen, il lâcha sa taille et la laissa vide et démunie.
— Je ne mérite pas ton cœur, Gillian. Je ne l’ai jamais mérité. C’est pour ça que je suis parti.
— Que s’est-il passé, cette nuit-là ? osa-t-elle.
Il lui prit la main, ils s’assirent sur la plus haute marche, et il la regarda avec un regret poignant.
— Chaque fois que j’étais près de toi, je voulais plus. Plus de toi, plus de vie, plus de tout. A vivre avec mon père, on apprenait à tempérer ses attentes, à ne pas vouloir trop. Avec lui, la première règle de vie était de rester alerte, de rester fixé sur un but et, plus important que tout, de voler sous son radar. Tyler avait toujours su qu’il était destiné à de grandes et nobles choses. Il avait le but, et la force intérieure. Il pouvait s’abstraire de toutes ces cochonneries. Je crois que ça devait lui venir de notre mère. Mais mon ADN me venait de Frank. Je retrouvais son odieuse cupidité en moi. Il voulait toujours ce qu’il ne pouvait pas avoir. Très souvent, j’en ai été navré pour lui. Je ne voulais pas finir comme lui, un homme qui a des rêves immenses et aucun moyen de les obtenir. Alors, je me concentrais sur le seul fait de m’en sortir. Mais tu me donnais du mal, Gillian. Tu me donnais ces rêves, et tu les rendais si réels que je pouvais presque les goûter. Le soir du bal, j’avais loué un smoking et j’avais nettoyé la camionnette de Frank. Je voulais que cette nuit soit parfaite pour toi, et je pensais que je pouvais te l’offrir. Mais Frank a trouvé le smoking pendant mon absence. Quand je suis rentré à la maison après le travail au garage, il buvait — tu sais bien, c’est toujours l’heure de boire quelque part dans le monde. Je n’avais pas passé la porte qu’il commençait. Il a commencé à parler de toi, et tu connais la seule façon qu’il avait de parler des femmes. La conversation s’est envenimée, le smoking a été déchiré, et je ne tiens pas à te faire connaître les détails, mais l’histoire ne fait qu’empirer après ça. J’étais fou de rage. Si j’avais été plus malin, je l’aurais juste assommé pour le compte. Mais ça paraissait trop bon pour lui, je voulais sa mort. Je n’ai jamais voulu te raconter tout ça…
— Tu n’es pas obligé de me le raconter, murmura-t-elle.
Longtemps, si longtemps, elle avait voulu savoir. Mais pas maintenant. Austen n’avait pas besoin de souffrir plus.
— Ne crois-tu pas que tu le mérites ? demanda-t-il. Ne crois-tu pas que tu devrais me connaître ?
Elle ne répondit rien. Elle le connaissait mieux qu’il ne se connaissait lui-même.
— J’ai pris son fusil, sa Winchester chérie. J’ai tiré. Je l’ai manqué. La balle s’est plantée dans le mur derrière lui…
Il lâcha sa main, comme si ce contact lui était insupportable.
— Au début, j’ai pensé qu’il avait peur, et c’était enivrant de le voir avoir peur de moi pour une fois, mais ensuite il s’est mis à rire, et j’ai fait ce que je fais toujours : je me suis enfui. J’ai volé le pick-up, je suis allé au garage, et j’ai pris six cents dollars dans le coffre — j’avais la combinaison parce que Zeke me faisait confiance —, et je suis parti à Austin cette nuit-là.
Il la regarda.
Il s’attendait à ce qu’elle le juge mal, mais comment pourrait-elle jamais le faire ? Elle l’aurait fait naguère, mais à présent, sous son regard hanté, son cœur se brisa.
— Je ne peux pas être avec toi, Gillian. Quand je suis avec toi, quand je te touche, c’est tellement le bazar dans ma tête. Je te regarde, et je rêve de tellement de choses que ça fait mal. Je ne peux pas avoir ces choses. Je ne peux pas être ces choses.
« Si, tu peux », eut-elle envie d’argumenter. Elle-même avait toujours ignoré l’évidence, alors qui des deux était le plus grand transgresseur ?
— Je t’aime, dit-elle tout bas, en entendant les mots se répercuter dans la vaste salle vide.
— Je le sais, murmura Austen.
Il y avait sur son visage une acceptation paisible qui lui donna envie de hurler.
— Reviendras-tu à Tin Cup avec moi ?
— Non, dit-il en se massant la nuque comme une vieille douleur s’y attardait. J’ai pris assez de coups sur la tête pour que les choses finissent par rentrer dans l’ordre. J’ai un travail ici, il faut bien que quelqu’un mette Jack Haywood au pas, et le budget du gouverneur a des ennuis. Ils ont besoin de moi ici.
— Et si, moi, j’ai besoin de toi ? Et si chaque fois que je regarde un homme, je ne vois que toi ? Et si je veux avoir les vestiges pitoyables de ton cœur ?
Il sourit et, du pouce près de ses lèvres, la força à sourire alors qu’elle n’avait aucune raison de le faire.
— Tu t’exprimes de plus en plus comme un politicien, chérie. Ils devraient t’élire maire de la ville. Je parie qu’ils le feront un jour.
Elle se fichait de devenir maire. Elle se fichait de sa ville. Elle se fichait de la voie ferrée. Tout se résumait à ceci : son amour pour cet homme.
— Es-tu en train de fuir encore une fois ?
— Je ne fuis pas, souffla Austen. Je suis chez moi. Je reste où je suis.
Il y avait de la résignation dans sa voix.
Mais pas chez elle. Elle était la troisième génération des Wanamaker de San Antonio, et abandonner n’appartenait pas à son vocabulaire. Elle voulait sa nuit pour l’aimer, pour être dans ses bras. Elle avait besoin de lui, et il avait besoin d’elle.
— Il y a dix ans, tu m’as fait une promesse, Austen. Une nuit au bal. Une nuit à nous, ensemble. Je veux ma nuit. S’il te plaît.
Il parut sur le point de refuser, mais au point où ils en étaient, même une montagne aurait accepté de se déplacer pour elle.
* * *
Gillian était magnifique dans le clair de lune qui inondait la chambre d’hôtel. Il la regarda se dévêtir d’un œil affamé, pressé de la toucher.
Il savait qu’il allait le faire. Tout son corps lui faisait mal à cette pensée. Mais cette fois, la dernière, il allait le faire bien.
Fini le fantasme, fini le jeu. Pour la première fois, il pouvait voir la réalité de ce qu’elle était. Le léger semis de taches de rousseur sur son cou, le grain de beauté sur son épaule droite, le petit écartement entre ses incisives. Il pouvait voir la force dans les muscles de ses jambes, la délicatesse juxtaposée à la courbe têtue de sa mâchoire. Surtout, il pouvait voir la clarté de son regard.
Elle enleva son soutien-gorge, et il sentit sa bouche s’assécher, sa langue devenir si épaisse qu’il ne put parler.
Enfin, elle approcha sans bruit et posa une main sur sa joue.
— J’y ai souvent pensé, dit-elle d’une voix chargée d’émotion. Je voulais voir ton visage quand tu me regarderais. Tes yeux sont des poèmes, un chant. Quand tu me regardais, c’était comme si personne ne m’avait jamais regardée avant. Je voulais être cette personne que tu voyais, cette image de quelqu’un de bien meilleur que je ne suis.
Il sourit. Toutefois, il n’osa pas encore la toucher. Il lui rendit la pareille et se déshabilla pour elle, ravi de voir la passion sur ses traits.
Il voulait lui faire plaisir. Ce soir, il le ferait.
Doucement, il l’attira sur le lit. Leurs souffles se mêlèrent, leurs lèvres se cherchèrent.
Jamais il n’avait embrassé une femme ainsi, avec une telle passion. Sa bouche contre la sienne, son corps contre sa chaleur, il pouvait presque oublier. Son cœur rêvait avec ferveur d’oublier tout le mal qu’il lui avait fait, tout ce en quoi il lui avait manqué de respect. Il aurait tant aimé pouvoir tout recommencer ! Mais la vie n’était pas comme ça.
« Je t’aime », pensa-t-il, en une promesse muette de faire mieux, d’être meilleur, d’être l’homme qu’elle pensait qu’il était.
Lentement, il s’inséra en elle, et le plaisir commença. Elle resserra les bras sur lui, et il lui reprit la bouche.
« Je t’aime. »
Il rêvait de rester ainsi à jamais. Il la voulait, il voulait tout d’elle, sa blonde perfection, la femme pure et à la fois pas si pure qui l’incendiait.
Encore et encore il se poussa en elle, il écouta ses mots d’amour dans son oreille. Des mots doux, des mots crus. Les mots de Gillian Wanamaker, la femme extraordinaire qu’il aimait.
Il la fit rouler sous lui et rendit hommage aux pointes de ses seins. Il s’émerveilla de la petite cicatrice sur sa hanche, de la perfection de ses défauts. Chacun, il le consacra dans les infimes vestiges pitoyables de son cœur.
Désireux de plus encore, il glissa le long de son corps, là où ses secrets l’appelaient. Il les goûta entre ses cuisses, la fit gémir sous ses caresses.
Il se souviendrait à jamais de ses gémissements. Pas comme d’un fantasme classé X, pas comme de la jeune fille de sa jeunesse, mais comme ses cris de volupté à elle. Maintenant.
Désireux de lui montrer ce que les mots ne pouvaient dire, il accentua sa caresse, usa de sa langue encore et encore pour lui donner du plaisir, se régalant de ses petits halètements. Elle ondulait follement des hanches, et quand ses muscles se contractèrent, quand l’orgasme l’emporta, il releva la tête pour la regarder, elle, la femme qu’il aimait.
Elle s’écroula contre l’oreiller, l’attira à elle, contre les battements frénétiques de son cœur. Ses yeux aveugles de plaisir ne le voyaient pas. Ce soir, il était son fantasme à elle.
Il lui serra fort la tête contre son épaule en cette seconde où elle pouvait véritablement être à lui.
Son propre cœur battait la chamade, son propre sexe était dur et érigé. Quand elle passa les mains entre eux pour lui donner du plaisir, il ne fut pas loin de l’arrêter, de la prévenir.
Mais ses doigts agiles étaient magiques. Elle se glissa hors de son étreinte, l’enfourcha, et se laissa descendre sur son sexe douloureux. Tel un rêve, elle repoussa ses cheveux, le visage tendu d’amour et de désir. Elle lui sourit, et il fut le seul homme vivant à voir ce sourire.
— J’ai rêvé de cela, murmura-t-elle. J’ai rêvé de toi en moi. J’ai rêvé que tu me regardais, que tu me touchais.
Elle lui prit les mains, les posa sur ses seins, et il s’accrocha à elle comme un homme à l’agonie. Elle se pencha, embrassa sa bouche, et la sensation de son corps lui fut un cadeau qu’il ne pourrait jamais oublier, une dette qu’il ne pourrait jamais rembourser.
« Je t’aime. »
Il l’embrassa ainsi qu’elle le méritait, avec tout ce qu’il subsistait de son cœur, il lui fit l’amour comme un homme amoureux.
« Je t’aime. »
Alors que les ombres de la pièce s’appesantissaient, il la fit rouler sous lui, en sécurité.
Plus vite, il se mut en elle et la regarda tressauter sous ses assauts. Elle planta les doigts dans son dos, dans ses fesses, et il se mut encore plus vite, plus fort, au rythme de l’accélération de ses halètements. Encore et encore il la prit, se faisant des souvenirs à chérir à jamais. A la fin, elle le regarda, les yeux si clairs, si honnêtes, et il perçut en lui une brisure.
— Je t’aime, s’entendit-il murmurer quand il se répandit en elle.
* * *
En se rendant compte qu’Austen était parti avant son réveil, Gillian eut envie de pleurer.
Mais le soleil l’éblouit, et l’aube n’aimait pas les jérémiades. Aujourd’hui était juste un autre jour. Un autre dimanche paisible. Le monde ne s’était pas retourné, on attendait d’elle qu’elle rentre à la maison, qu’elle fasse son travail, qu’elle salue joyeusement les citoyens de Tin Cup et qu’elle continue.
Elle le ferait, bien sûr, parce qu’elle était une femme pragmatique. Ses parents avaient besoin d’elle — ça, ça ne changerait jamais. Elle allait devoir trouver un emploi pour Brad, des fonds supplémentaires pour le lycée. Et après la naissance elle emmènerait Mindy courir quelques kilomètres le long de la rivière dès qu’elle en aurait l’occasion.
Son esprit bourdonnait de projets et de choses à faire, car c’était plus facile ainsi. Plus facile de se jeter dans les vies des autres plutôt que penser à la solitude de la sienne…
Non !
Avec une énergie qu’elle ignorait posséder, elle sauta du lit, se doucha, se vêtit et fit le tour de la chambre afin de ne rien oublier.
Ce fut alors qu’elle remarqua la petite couronne de fleurs tressées posée sur le couvercle de sa valise.
Aucun petit mot n’accompagnait la couronne, parce que ce n’était pas le genre d’Austen. Il l’aimait, elle l’aimait, mais leur amour n’allait rien réparer dans le monde.
Sa mère aurait critiqué l’imperfection des nœuds, mais elle la saisit et se la posa sur la tête, là où elle savait qu’elle devait être. Elle regarda le reflet d’une femme solitaire dans le miroir, et une larme solitaire glissa le long de sa joue.
Finalement, elle enveloppa sa couronne dans des mouchoirs en papier et la mit dans sa valise.
Quand le téléphone de l’hôtel sonna, elle survola littéralement la pièce pour répondre.
Mais ce n’était que la réception.
— Madame, une voiture attend pour vous ramener chez vous.
Nul besoin de demander qui avait commandé la voiture et payé la course.
Une fois dehors, quand elle aperçut l’immense limousine noire allongée, elle pensa à celle que louaient les gosses pour aller à leur bal de promo.
Austen avait pensé à tout.
Quatre heures durant, elle resta assise sur la banquette arrière, seule, l’esprit soigneusement vide, les yeux remarquablement secs, le laissant derrière elle.