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Le Spotlight Inn était juste derrière le Whata Burger. L’hôtel était assez loin de la ville pour qu’on ne repère aucune voiture dans le parking, et assez proche pour que ceux qui n’étaient pas suffisamment malins pour garer leur voiture derrière l’hôtel soient remarqués par le chauffeur UPS, excellent ami du réceptionniste de la Tin Cup Gazette, qui faisait aussi office de diacre le dimanche à l’église baptiste.

Lorsque Gillian s’arrêta face à l’hôtel, le soleil disparaissait à l’horizon, teintant le ciel de rouge. La chaleur encore étouffante montait par vagues du ciment et donnait à tout un aspect brumeux et irréel.

Dans les films, quand tout se met à chatoyer, cela signale un flash-back, mais quand l’été frappait Tin Cup tout chatoyait en permanence, signe d’une ville qui n’était pas disposée à renoncer au passé mais tâchant simultanément d’empoigner l’avenir.

Ce dilemme, elle le comprenait très bien. A dire la vérité, elle n’avait pas réellement envie de voir Austen, se dit-elle en faisant le tour de la bâtisse à la recherche de coquilles d’œufs, de traces d’œufs sur la route ou d’autres indications que quelqu’un œuvrait à salir sa ville. Si elle avait envie de le voir, c’était plutôt pour pouvoir tirer un trait définitif sur lui.

Elle passa dix minutes caniculaires à chercher des preuves, mais tout ce qu’elle obtint ce fut des cheveux frisés par la sueur, des bottes poussiéreuses et l’assurance que quelque chose était pourri au royaume de Tin Cup, et que cela n’avait rien à voir avec de mystérieuses projections d’œufs.

De mauvaise humeur, elle décida d’en rejeter la faute sur Austen Hart, parce que, s’il n’était pas revenu, personne ne lui aurait joué ce sale tour.

Peut-être que le mythe était plus grand que la réalité ? songea-t-elle avec optimisme en se dirigeant vers l’entrée du motel. S’il y avait un soupçon de justice en ce bas monde, Austen avait aujourd’hui du ventre et beaucoup moins de cheveux sur la tête.

Un camion passa en rugissant sur la route et klaxonna. Elle lui rendit son salut avant de remonter ses lunettes de soleil sur ses cheveux.

Au minimum, il aurait pu lui laisser un mot d’explication. Un autre mémento qu’elle aurait pu enterrer au fond de son placard…

C’étaient ces sortes de rappels qui l’empêchaient de l’oublier. Les soirées trop courtes à regarder ensemble les étoiles sur le pont Peterson. La façon qu’il avait d’enrouler ses cheveux autour de son doigt et de l’attirer à lui pour l’embrasser. Même Jeff, le si parfait Jeff, ne pouvait l’affecter comme l’avait fait un simple adolescent.

Elle frotta furieusement ses bras pour en faire disparaître la chair de poule. Elle était trop sensée pour se comporter encore comme une idiote.

Avant d’affronter Dolores, elle vérifia deux fois son reflet dans les portes vitrées, s’assura que ses cheveux étaient en place, que son mascara était toujours splendide, que Gillian Wanamaker était toujours la femme la mieux faite sur trois comtés à la ronde.

Une fois satisfaite, elle tira la porte et entra, nonchalante.

— Didi ! Mais regarde-toi, susurra-t-elle de sa voix la plus amicale. J’adore ce que tu as fait à tes cheveux. Quoi de neuf ?

Dolores Hancock avait vingt-sept ans comme elle, un mari, deux enfants, et elle présidait aux destinées du Spotlight depuis la mort de son grand-oncle Hadley, huit ans auparavant. Elle avait les cheveux d’un noir luisant joliment coordonnés à des yeux noirs hostiles, particulièrement beaux quand elle y ajoutait un peu d’eye-liner.

Au contraire de Gillian qui savait déterminer si le sourire qu’on lui offrait était sincère ou non, Dolores fondait dès qu’on lui faisait un compliment. Ses yeux perdirent un peu de leur dureté.

— C’est gentil de l’avoir remarqué. Je me suis fait faire un balayage hier, mais Bobby n’a rien dit.

— Les hommes se fichent de nos coiffures comme de la vaisselle, repartit Gillian en se détendant un peu. Tout ce qu’ils veulent, c’est un câlin et une bière fraîche le dimanche. Difficile de les tenir responsables de ce qui n’est pas dans leurs gènes.

— Ça, c’est bien vrai, acquiesça Dolores.

Mais ensuite, elle lui décocha un sourire un tout petit peu trop mielleux.

« Bien vu, Joelle… » Cette fille allait la détester sa vie durant.

Abandonnant son rameau d’olivier, Gillian s’accouda au comptoir de réception, une épaule plus basse que l’autre. Cette posture, elle l’avait vue dans d’innombrables westerns, et elle l’adoptait quand elle avait envie de paraître plus coriace.

— Parle-moi donc de ces gosses. J’ai jeté un coup d’œil aux alentours, mais je n’ai vu ni gamins, ni coquilles d’œufs, ni salissures sur des voitures ou la chaussée.

— J’ai tout nettoyé, répondit Dolores très vite — trop vite.

— Vraiment ? Et aucun des conducteurs en colère n’a voulu m’attendre ?

— Resterais-tu dans le coin si tu n’avais rien à y faire ? repartit Dolores en désignant du menton l’étendue de l’autoroute et le panneau signalétique tagué de peinture grise depuis la nuit des temps.

— Un point pour toi. As-tu pu apercevoir les gamins ?

— Non. J’avais le soleil dans les yeux. Je pense qu’ils portaient des T-shirts, des jeans et des casquettes de l’université du Texas.

Autrement dit, comme quatre-vingt-dix-neuf pour cent de la population juvénile de l’Etat.

— On dirait qu’on se retrouve avec une énigme sur les bras, marmonna Gillian, peu désireuse de traiter Dolores de menteuse, ce qui n’arrangerait en rien leur belle amitié.

Dolores tourna les yeux vers la porte avec une mine gourmande.

— Oh ! là, là…, dit-elle tout bas.

Gillian se figea, sa chair de poule de retour. Elle fit glisser ses lunettes de soleil sur son nez et s’obligea à s’éloigner du havre de sécurité que représentait la réception.

— Je reviendrai te voir au sujet de ces garnements.

Elle s’en fut vers la porte, le visage inexpressif, faisant semblant d’ignorer l’homme qui venait d’entrer.

Encore trois pas, et elle l’aurait dépassé.

Deux.

Un.

Au moins la porte était-elle face à elle. Elle la poussa d’une main peu assurée. Personne ne remarqua son imperceptible tremblement… A part lui.

Une main ferme vint au secours de la sienne : une peau bronzée, de longs doigts minces, des ongles remarquablement propres.

— Merci, dit-elle, le regard braqué devant elle, ignorant la bouffée fugace d’eau de toilette onéreuse.

— Tu n’aurais pas dû couper tes cheveux, répondit une voix basse destinée à ses seules oreilles.

Instantanément, cette voix rauque fit renaître en elle des sensations depuis longtemps oubliées, un éclair d’orage d’été qu’elle croyait définitivement enterré.

Elle ne prit pas la peine de répondre, elle n’était même pas sûre de le pouvoir. Son cœur battait trop fort, trop bruyamment. Tête droite, elle avança résolument vers sa voiture de shérif et, quatre vies plus tard, elle retrouva enfin son self-control.

Elle démarra et enfonça brutalement l’accélérateur, fuyant le Spotlight Inn, Dolores et l’homme qui était devenu pour elle un infini et brûlant bourbier de tentation.

Elle était plus forte que cela. Si les gens de cette ville voulaient de la distraction, ils n’avaient qu’à regarder la télé.

*  *  *

Cela faisait dix ans qu’Austen rêvait de Gillian Wanamaker. Pour lui, sa bouche était toujours généreuse et parfaitement teintée de rose nacré. Ses cheveux retombaient toujours en rouleaux soyeux sur ses épaules. Tout en elle était toujours d’une perfection à mettre l’eau à la bouche.

Malheureusement pour lui, il n’avait jamais été du genre perfectionniste. « Assez bon » lui avait la plupart du temps suffi, et parfois « pas l’ombre d’une chance » semblait tout ce qu’il pouvait espérer. Ce qui n’empêchait pas de rêver.

« Pas l’ombre d’une chance », se dit-il en cessant de fixer la porte vitrée.

Aujourd’hui cependant, Gillian lui avait paru différente. Plus dure en bien des manières, et pas seulement à cause du revolver qu’elle portait à la ceinture.

Bon sang, c’était une carrière à laquelle il ne se serait jamais attendu, songea-t-il au souvenir de son badge étoilé.

Shérif !

Certains hommes pouvaient trouver sexy de se faire arrêter par une femme. Lui, il avait surtout un respect salutaire pour le pouvoir d’une arme à feu. Il avait été trop souvent du mauvais côté de la barrière pour en être émoustillé. Mais avec Gillian…

La réceptionniste s’éclaircit la gorge, et il se plaqua automatiquement un sourire sur les lèvres.

En général, ça ne le dérangeait pas d’être le point de mire. Ces derniers temps, il recherchait même cela. Le feu des projecteurs, l’homme du jour…

Mais pas dans cette ville. Ici, tout le monde vivait et mourait pour sa famille, et il avait toujours voulu ça, lui aussi. Une famille, des relations, de la stabilité.

Les Hart aussi auraient pu être une famille, mais, Dieu sait comment, ça avait mal tourné. Son frère aîné était parti dès qu’il avait pu. Leur mère avait disparu —  non, elle les avait abandonnés. Il avait une sœur dont il n’avait appris l’existence que récemment et dont il ne pensait pas grand-chose.

Quand Tyler avait obtenu une bourse universitaire à Houston — à trois cents très longs kilomètres d’ici —, tous les yeux de Tin Cup s’étaient braqués sur lui, Austen. Ils s’attendaient à ce qu’il suive les traces de son père, qu’il explose en violents accès de colère, qu’il se fourre quelques dollars volés dans la poche ou qu’il hurle des obscénités à toute femme passant par là, comme le faisait Frank Hart.

Il n’avait jamais aimé les regards braqués sur lui, les jugements que portaient ces regards. Il n’avait pas l’intelligence de Tyler, sa capacité à tout évacuer. Alors, il avait fait ce qu’il pouvait. Quand ça ne marchait pas, il commettait un délit mineur, juste de quoi défrayer la chronique à Tin Cup, où les gens aimaient accorder foi au pire en ce qui concernait la famille Hart. Une fois cette ville quittée pour de bon, les choses s’étaient un peu éclaircies, et finalement il s’était fait un nom presque respectable dans la capitale de l’Etat.

La réceptionniste s’appelait Dolores Trucmuche, c’était une fille avec qui il avait flirté au collège.

Toutes les filles avaient flirté avec lui à un moment ou un autre, c’était un rite de passage : envoyer des boules de papier sur le principal, tricher à un examen de maths et flirter avec Austen Hart. La plupart des adolescents n’auraient rien trouvé à redire à ce dernier point et auraient même encouragé cela. Lui-même l’avait activement encouragé, mais ça l’avait également dérangé. Un Hart était forcément un noctambule, qui pouvait appeler à 2 heures du matin dans la nuit du samedi, tout le monde savait ça — sauf Gillian Wanamaker, qui pensait avoir le pouvoir de tout changer.

— Quand repars-tu ? lui demanda Dolores en désignant de la tête son petit sac de voyage, l’œil encore un peu séducteur.

— Demain.

A 9 h 30 précises. Dès que les papiers seraient signés. Après cela, il disparaîtrait une fois encore de cette ville.

Il caressa du doigt les marguerites fraîches dans le vase sur le comptoir, juste parce qu’il le pouvait. Juste parce qu’il n’y avait maintenant plus personne pour le regarder en coin et pour le suivre à la trace dans les magasins.

— C’est Gillian Wanamaker que tu as croisée en entrant.

— Non, sans blague ? s’écria-t-il en glissant ses lunettes de soleil dans la poche de son costume. Elle a changé.

— Pas tant que ça. Elle croit toujours gouverner cette ville.

Il dissimula un sourire.

Telle qu’il connaissait Gillian, c’était probablement le cas.

— Je vais récupérer mes affaires et te laisser tranquille, dit-il à Dolores.

Il lui adressa un signe de tête poli, prit sa clé, ramassa son sac et s’en fut vers l’intimité de sa chambre.

— Pas de problème, lança-t-elle dans son dos. La journée a été calme. Tu devrais profiter de ta soirée et aller boire une bière chez Smitty’s. Il y a plein de gens qui aimeraient te revoir.

Le rire de Dolores le surprit, il se força à ralentir le pas, à reprendre une démarche nonchalante.

— Peut-être, mentit-il.

Quelques minutes plus tard, il avait enlevé ses bottes et pris une douche afin de se débarrasser de la poussière de la route.

La chambre était propre, jaune, avec un lit « king size », une télévision accrochée au mur et une profusion de prospectus vantant les vertus de Tin Cup, Texas. Il les feuilleta avant de remettre les brochures en place.

Depuis dix ans qu’il était parti, ils avaient construit une nouvelle banque, une bibliothèque, quatre églises et un stade. Quel exploit ! Or ce qui avait été le plus dur à Tin Cup était bien cette sorte de permanence des choses. Mais puisqu’il n’en avait rien à faire, il n’avait pas à s’en faire.

L’âme décidément pas au tourisme, il s’étendit sur le grand lit et ferma les yeux.

Ce fut au beau milieu de ce farniente que son portable sonna.

— Allô chéri ! Je te manque déjà ?

Carolyn Carver était la fille aînée du gouverneur et avait en tant que telle une haute opinion de sa propre importance. Et comme lui-même était lobbyiste, son opinion n’était pas si différente que cela.

La connexion était épouvantable, aussi alla-t-il se planter devant la fenêtre, où ils purent s’entendre un peu mieux.

— J’arrive à l’instant. Je crois que je vais me mettre les orteils en éventail et regarder les vaches par la fenêtre.

Le Texas occidental n’était pas une terre pour les âmes sensibles. Il était chaud, brutal et plat, des étendues de broussaille à l’infini parsemées de derricks dont les têtes métalliques se nourrissaient de la terre.

— Quand rentres-tu ? voulut savoir Carolyn.

Ils sortaient occasionnellement ensemble depuis presque un an. Il gérait cette relation avec prudence. Il n’avait aucune intention de s’engager vis-à-vis d’elle, et elle le savait. Mais il n’avait pas non plus l’intention de se la mettre à dos.

— Shelby peut faire du deux cent quarante si on la pousse, mais je préfère y aller mollo. Tu connais ces flics de province et leurs limitations de vitesse.

— Tu n’as qu’à leur dire que c’est une urgence d’Etat. Que Carolyn Carver veut s’envoyer en l’air.

Il rit, parce que c’était ce qu’elle attendait de lui.

— Garde ça en tête, et je serai de retour avant même que tu t’en aperçoives.

— Maggie Patterson a cherché à te joindre au téléphone. Elle espérait te parler avant ton départ. T’a-t-elle appelé sur le portable ?

— Non.

— De toute façon, tu ne pourrais rien faire de là où tu es.

— Que voulait-elle ?

— Un des gamins du programme postscolaire a été arrêté. Tu es chargé d’essayer de le faire sortir et de lui mettre des coups de pied dans le train. Je te jure, si son mari n’était pas ton patron…

Il se rembrunit.

Effectivement, il ne pouvait pas faire grand-chose d’ici, mais peut-être…

— Je vais l’appeler. Voir ce qu’elle a sur les bras.

— Un grand coup sur la tête de la part d’une bande de bras cassés qui savent faire démarrer une voiture sans les clés, c’est ça qu’elle va avoir si elle ne se méfie pas.

Carolyn s’esclaffa, car dans son monde on était incapable de démarrer une voiture sans les clés. Au contraire de lui.

— Ton père est intransigeant en matière de criminalité, répondit-il sans broncher. Ça fera bien sur ses affiches de campagne.

— Il y a un nouvel orchestre à l’Antone ce soir. Jack Haywood ne veut pas y aller seul.

— Jack est un type correct, mais ne le laisse pas te faire payer le dîner. Ce garçon n’a aucune classe.

Elle rit encore, et il alla vers le lit en écoutant la réception se dégrader de seconde en seconde.

— Ecoute, Carolyn, je n’entends plus rien ou presque. Je ferais mieux de raccrocher. A demain, lui dit-il avant de couper la communication.

Et de respirer.

Une fois encore, il se laissa choir sur le lit.

Mais les rideaux à moitié tirés lui offraient un point de vue sur l’extérieur, lui laissant voir exactement quel néant faisait perler la sueur sur son cou.

Il s’en fut à la fenêtre, repoussa les voilages et regarda dehors. Il fit rouler ses épaules endolories par la route, ralentit son rythme cardiaque et s’imprégna du calme ambiant.

Pourquoi se laissait-il avoir par le fantôme de Frank Hart ? Pourquoi laissait-il cette ville lui rentrer dans la peau ?

Parce qu’il était un imbécile, voilà ce qu’il était.

Il attrapa son portable et appela Maggie, pour apprendre que L.T., un des gamins du programme, était parti faire un rodéo dans une voiture volée.

Le programme faisait la fierté et la joie de Maggie, mais les activités criminelles mettaient toujours un frein à la collecte de fonds, aussi fit-il ce qu’il faisait toujours : il lui promit d’essayer d’arranger ce bazar. Ensuite, il appela le capitaine Juarez, de la police d’Austin. Après lui avoir promis que L.T. assisterait un week-end à l’entraînement des Jeunes Marines et avoir conforté l’accord grâce à quelques places pour le match d’ouverture des Longhorns, il put rappeler Maggie et l’assurer que L.T. était sorti d’affaire.

Un délinquant de plus dans les rues.

Selon son avis d’expert, on pouvait faire tout ce qu’on voulait, un cochon restait un cochon, et un jour ou l’autre ledit cochon finirait à la broche.

Peu de temps après, il entendit un coup discret frappé à sa porte.

Il n’y avait pas de service en chambre au Spotlight, et il fit une prière pour que ce ne soient pas les flics.

A moins que ce soit Gillian ?

« Pas l’ombre d’une chance, ouvre donc cette porte. »

C’était Dolores avec toujours ce sourire coquin, à ceci près qu’il paraissait navré à présent.

— Je sais que je ne devrais pas être ici, mais Gillian a téléphoné pour vérifier quelque chose. J’ai bien vu que c’était un prétexte, parce que cette fille n’a pas une once de subtilité en elle. Au cours de la conversation, elle a laissé échapper qu’elle allait au Smitty’s —  enfin, elle ne l’a pas dit vraiment, et j’ai failli ne pas te le dire…

Elle s’interrompit pour prendre une grande et nécessaire inspiration.

— … Mais j’ai décidé de le faire parce que, même si je n’ai pas à mettre le nez là-dedans, si elle y va vraiment et que toi tu n’y allais pas, et que tout le monde pensait pis que pendre de toi à cause de ça, je me sentirais toujours coupable.

Il la regarda sans réagir, tenté de feindre la maladie, peut-être le virus Ebola.

Bien sûr, elle le manipulait comme une marionnette, mais il avait quand même envie d’y aller. Il voulait revoir Gillian.

— Je vais y réfléchir.

Il y réfléchit pendant sept longues minutes et demie avant de prendre sa décision. Puis il enfila des vêtements plus agréables, se lava les mains, cira ses bottes et laissa la sécurité de sa chambre derrière lui.

Dolores était toujours à la réception, le nez dans le dernier numéro de People, et il passa devant elle comme un homme qui n’a aucun but particulier et aucune femme à voir.

— Tu sais quoi ? J’ai changé d’avis. Le Smitty’s, c’est ça ? Je m’en souviens. C’est toujours derrière Texaco ?

— Il n’a pas bougé. C’est toujours Landry qui est au bar, et elle s’énerve toujours si on ne rit pas à ses blagues. Ben se charge de chasser les clients qui ne savent pas apprécier la distraction à sa juste valeur. Enfin, la distraction…

— Merci pour le tuyau. Je vais faire attention. Il y a beaucoup de monde là-bas, le jeudi ?

— Toute la ville, lui promit-elle.

Il n’était pas sorti qu’il l’entendit décrocher le téléphone et faire un numéro.

D’ici moins de dix minutes, toute la ville saurait exactement où il se trouvait. Y compris Gillian. Et il soupçonnait fort qu’il allait finir à la broche d’une manière ou d’une autre. Certaines choses ne changeaient jamais.

Pourtant, il sortit dans la nuit calme.