Joseph, qui haïssait le mensonge, s’était mis à mentir. Mentir à Elias, le colporteur, son meilleur ami dont Nawal était l’épouse. Mentir à Adèle, sa femme, bientôt enceinte d’Annette.

Ils s’étaient aimés ; partout et à toute heure. Au pied de la source, sous l’olivier, entre les pins, sur la terrasse aux dalles brûlantes, dans le lit conjugal. Nawal se débrouillait pour prévenir Joseph, qui habitait le village voisin, dès qu’Elias partait en tournée.

Le temps leur était compté ; elle accourait, nue, sous sa robe. La soif de s’unir les taraudait. Ils se prenaient, se reprenaient, dans une jubilation extrême ; s’enivraient de caresses et de baisers.

— Guéris-moi de toi, Nawal ! suppliait-il.

Elle reprenait :

— Guéris-moi de toi !

Adèle gardait le silence. S’était-elle doutée de leur relation ? Il ne chercha pas à le savoir. Il évitait le regard de son épouse et fuyait la présence de son ami.

Plusieurs fois, ils avaient cherché à se quitter. Mais leur lien, si contraignant dans le plaisir comme dans la douleur, était impossible à trancher.

 

Adèle s’éteignit en donnant naissance à Annette.

Dévoré de remords, Joseph parvint à rompre avec Nawal. De son côté la jeune femme, respectueuse du souvenir de la morte, disparut.

Elle quitta le village, pour ne plus y reparaître. Les recherches d’Elias, son époux, furent vaines. Il se résigna à cette perte ; et mourut, dans la même année, écrasé par un camion au cours d’une de ses randonnées.

Durant une des nuits où Joseph trouvait refuge chez les prostituées, il monta dans une chambre avec l’une d’entre elles.

Brusquement la porte s’ouvrit, les lumières s’éteignirent. Une femme entra. D’un commun accord, elle remplaça la première.

L’acte d’amour prit soudain une autre saveur.

Dès qu’il reconnut Nawal, celle-ci s’éclipsa. Cette fois, à jamais.

 

Plus tard, Joseph devait apprendre que Nawal avait eu un enfant d’un marin, dont le navire avait passé un mois à quai. Elle s’était rangée à la suite de cette naissance.

De longues années après, elle aida son fils à s’établir ; elle pourvut au financement, contribua à l’organisation de son commerce de peinture. Elle s’occupait aussi des livraisons, conduisant elle-même le camion vers divers coins du pays.

 

Depuis la mort d’Adèle, Joseph se consacrait à sa fille. Annette avait hérité de la patience et de la candeur de sa mère ; il cherchait à la protéger de tous les périls ; surtout des hommes de son espèce dont le sang trop corsé, la nature trop impétueuse, l’auraient fait souffrir.

Lorsque Annette lui présenta Omar, il acquiesça aussitôt. D’un clin d’œil il avait jaugé le jeune homme. Celui-ci était à la fois robuste et doux ; rieur et tranquille. Il rendrait sa fille heureuse ; Joseph en était convaincu.