53
La Terre, le Chardon
Lanier avait repris ses marches dans la montagne. Du versant, il admirait, au-dessous de lui, les pâturages aux couleurs rousses de l’automne et les troupeaux de moutons renforcés en nombre. Malgré tout ce qui s’était passé, il s’estimait satisfait. Il ne pouvait pas sauver l’humanité de sa folie ni interrompre le cours de l’histoire.
La perte de son sentiment de responsabilité était pour lui une libération nécessaire. Il avait passé une grande partie de sa vie à aider les autres. Aujourd’hui, il devait se calmer et se préparer à franchir le pas suivant.
Malgré l’implant qui lui avait été imposé et le soulagement qu’il avait ressenti à se voir sauvé de la mort, il savait qu’il ne choisirait pas l’immortalité. Quand son moment viendrait – que ce soit dans dix ans ou dans cinquante ans –, il serait prêt.
Il était loin de croire que sa personne fût assez précieuse pour devoir s’imposer aux autres durant plus d’un siècle. Ce n’était pas par humilité ni parce qu’il était à bout de forces qu’il pensait cela. C’était simplement à cause de son éducation.
Il acceptait que Karen ait des idées différentes. Cela ne l’empêchait pas de se sentir plus proche d’elle qu’il ne l’avait été depuis des années. Et cela le rendait content.
Deux mois après la fin de sa convalescence, par une nuit particulièrement pure, ils allèrent se promener ensemble sous les étoiles. Le Chardon n’était pas visible.
— Je ne sais même plus si ce qui se passe là-haut, ou plutôt là-bas, a encore de l’importance pour moi, déclara Karen, baissant le doigt dans la direction probable du Chardon.
Lanier hocha la tête. Leur lanterne projetait, à plusieurs mètres devant eux, un cercle de lumière bleue sur le sentier.
— C’est là-bas que nous nous sommes connus, dit-il.
Ces paroles, une fois prononcées, lui semblèrent niaises et maladroites. C’étaient celles d’un jeune homme timide, elles ne convenaient pas à un vieillard. Mais Karen lui sourit.
— Nous avons connu de bons moments, Garry, durant des années, dit-elle. Mais l’important pour nous, maintenant, ajouta-t-elle, allant droit au but, comme à son habitude, est-ce le passé ou l’avenir ?
Il fut incapable de lui répondre. D’une certaine manière, on l’obligeait, en ce moment, à demeurer en vie. Cela signifiait qu’il voulait un avenir aussi court que possible. Mais d’un autre côté, il ne voulait pas mourir. Il désirait seulement l’égalité et la justice. Dans les circonstances présentes, l’immortalité lui semblait être une injustice. Et il était prêt à mourir pour défendre ses convictions.
— Ce qui est important, c’est nous deux, et maintenant, dit-il.
Karen accentua la pression de sa main contre la sienne.
— C’est vrai, dit-elle. Rien que nous deux.
Il savait qu’elle ne resterait pas éternellement à ses côtés. Dès que l’assignation à résidence serait levée – dans quelques mois au plus –, elle reprendrait ses activités, et la vie les séparerait peut-être de nouveau. Ce n’était pas ce qu’il voulait, mais il fallait avouer qu’ils ne formaient plus un couple très assorti. Il pouvait accepter l’idée de devenir vieux alors qu’elle en était incapable.
Il y avait cependant beaucoup de gens qu’il aurait aimé revoir, beaucoup de questions dont il aurait voulu connaître la réponse.
Qu’était-il advenu de Patricia ?
Avait-elle pu retourner chez elle ? Avait-elle trouvé la mort en essayant, ou vivait-elle maintenant dans quelque univers parallèle ?
Le Chardon orbitait autour de la Terre, depuis la Séparation, en cinq heures et cinquante minutes. Dans certaines régions du globe, l’étoile brillante du vaisseau-astéroïde était encore l’objet d’un culte malgré plusieurs décennies d’éducation et de reconstruction sociale. La membrane vitelline psychologique de l’humanité n’était pas facile à éliminer.
La nouvelle selon laquelle les sauveurs de la Terre allaient peut-être bientôt repartir (telle était la rumeur simplifiée qui courait) provoquait, selon les régions, la panique ou le soulagement. Ceux qui vénéraient le Chardon et ses occupants croyaient qu’ils s’en allaient écœurés des péchés de la Terre. Ils ne se trompaient pas, dans un certain sens. Mais si la Terre n’était pas capable de s’arracher à son passé, l’Hexamone ne l’était pas davantage.
La réouverture étant imminente et les miracles de Korzenowski s’accomplissant sans accrocs, la commission spéciale du Nexus s’employa activement à guérir certaines blessures parmi les plus graves dans les relations entre l’Hexamone et la Terre.
Il ne restait plus beaucoup de temps. L’effort fourni, au demeurant, n’était guère énorme. L’Hexamone était en liesse. L’hystérie n’était pas possible, ou du moins très improbable au sein des populations des corps en orbite ; mais il régnait une atmosphère de splendeur presque analogue aux effets d’une drogue. Ils étaient fiers de leur puissance et de leur habileté. Ils étaient heureux de travailler à résoudre des problèmes réputés sans solution. Et ils avaient le sentiment que la Terre en bénéficierait à long terme, que la Voie redonnerait à tous une prospérité durable.
Les mises en garde de Mirsky étaient virtuellement oubliées. Celui qu’on avait quelquefois nommé l’avatar avait-il disparu sans laisser de traces ? Si sa puissance était tellement immense, pourquoi n’avait-il pas bloqué le vote et forcé l’Hexamone à agir selon ses désirs ? Korzenowski lui-même accordait très peu d’intérêt à Mirsky. Il y avait trop à faire par ailleurs, trop de contraintes extérieures et intérieures, et les pulsions internes devenaient chaque jour plus fortes.
L’Ingénieur se tracta d’une extrémité du puits d’accès à l’autre, emprisonné dans sa robe rouge bouffante à la base comme un bébé qui aurait trop grandi.
Les silhouettes effilées des trois vaisseaux-faille transférés de l’Axe Thoreau deux jours auparavant et enfilés dans le puits central du Chardon flottaient dans leurs berceaux de traction légèrement luminescents comme de longs fuseaux noirs dressés sur un chemin qui ne lui était que trop familier.
C’étaient des vaisseaux de guerre lourdement armés, amenés là par précaution. Ils pourraient éventuellement servir à explorer la Voie.
Korzenowski baissa les yeux en direction de la large vallée cylindrique de la sixième chambre. Il éprouvait un sentiment qu’il n’était capable ni d’analyser ni de réprimer. Les fondations sur lesquelles ses partiels assemblés avaient été intégrés le coloraient maintenant de part en part. Il ne protestait pas. Quelque chose n’allait pas en lui, mais cela ne l’empêchait pas de faire son travail. Au contraire, cela le rendait encore plus brillant.
Depuis qu’il avait ses implants, Olmy n’avait plus jamais rêvé de la même façon. Mais sous la domination du Jarte, les choses avaient changé de manière encore plus radicale.
Le sommeil n’était plus du tout une nécessité pour un homomorphe assisté d’implants. Le brassage et le traitement des souvenirs et des différentes expériences de la journée, ainsi que la détente et la relaxation d’un esprit fatigué, avaient lieu durant les heures de veille. Ces activités étaient confiées à des substituts qui résidaient dans les implants. En pratique, l’effort conscient d’Olmy pouvait être soutenu de manière concentrée vingt-quatre heures sur vingt-quatre tandis que l’une de ses mentalités parallèles « dormait » et rêvait à sa place. Par la suite, cette mentalité pouvait filtrer et affiner en conséquence le contenu du subconscient d’Olmy.
Le processus avait été amélioré au cours des siècles.
Les rêves d’Olmy étaient généralement intenses, aussi réels qu’une expérience à l’état de veille. C’était comme s’il évoluait dans un autre univers, soumis à des règles différentes (et changeantes). Mais il n’y accédait que lorsqu’il le voulait. Ils accomplissaient leur office sans qu’il en soit nécessairement conscient. Tous les cinq ou six ans, le contenu de ces rêves était vidé ou comprimé dans son implant personnel pour être ensuite chargé dans sa mémoire personnelle externe, ou bien purement et simplement détruit. Olmy avait plutôt tendance à détruire ces données. Il n’aimait pas vivre ses propres rêves et ne les revoyait jamais, en fait, à moins d’avoir l’impression qu’il y trouverait peut-être la solution d’une difficulté personnelle pressante.
Aujourd’hui, cependant, les choses étaient différentes. La mentalité jarte occupait tout l’espace disponible de ses implants, y compris son implant personnel. Même lorsque c’était lui qui dominait, Olmy avait toujours dû réaffecter les processus inconscients dans les centres naturels de sa mentalité primordiale.
Il avait le choix entre le sommeil et le rêve naturels d’une part et, d’autre part, le filtrage de ses expériences de rêve éveillé. Avant d’être dominé par le Jarte, il choisissait généralement la deuxième option. Rêver éveillé n’était pas pour lui un problème. Son esprit était suffisamment discipliné pour ne pas se laisser distraire.
À présent, cependant, le Jarte contrôlait et manipulait non seulement ses implants, mais également ses processus mentaux primaires, conscients et subconscients, tels qu’ils se déroulaient dans son cerveau organique. Sa personnalité primaire consciente était souvent, de manière abrupte et sans le moindre avertissement, dérivée vers le monde onirique. C’était un royaume rempli de monstres. Le subconscient et tous les circuits et programmes chargés de gérer les réactions automatiques étaient dans un état lamentable. Olmy pouvait demeurer extérieurement et consciemment calme, mais son moi fondamental était dans un état de terreur panique et impuissante.
Souvent, lorsque le Jarte ne requérait pas son attention immédiate, Olmy était forcé d’errer à travers le monde onirique, tel un personnage sorti tout droit d’un mauvais biochrone.
Obligé d’affronter ses rêves directement, il y trouvait des signes de déficience caractérielle qui sapaient encore davantage son moral déjà au plus bas. (Pourquoi n’avait-il pas traité ces déficiences au talsit des dizaines d’années et même des siècles auparavant ? Il n’aurait peut-être pas pris, s’il avait été tout à fait rationnel, la désastreuse décision d’absorber le Jarte.) Dans ses rêves, il se heurtait sans cesse à des impulsions suicidaires contre lesquelles il lui fallait lutter. Elles le harcelaient comme des insectes féroces qui menaçaient de lui dévorer les membres ou la tête.
Quelquefois, il lui fallait tout son courage et toute sa volonté pour survivre jusqu’à ce que le Jarte permette à son esprit conscient d’accéder au monde extérieur.
Le moment vint où il se demanda si le Jarte ne le torturait pas délibérément, pour exercer sur lui une sorte de vengeance, en le noyant dans son propre esprit comme il avait été lui-même noyé, par les humains, dans ses pensées, jusqu’au moment où il avait sombré dans une stase intemporelle.
Il ne disposait cependant d’aucun indice, d’aucune preuve lui permettant d’affirmer que le Jarte fût capable de se montrer cruel ou vindicatif. Il avait simplement besoin de balayer l’esprit entier d’Olmy à la recherche des informations qu’il voulait ou bien pour apprendre à se faire passer pour un humain.
Même lorsque sa personnalité était au premier plan et apparemment aux commandes de son corps, Olmy ne pouvait rien faire de soudain ou de prémédité qui ne fût entièrement autorisé par le Jarte.
Jusqu’à présent, ce dernier n’avait déclenché aucun des algorithmes pièges prévus pour les entraîner tous les deux dans la mort. Olmy lui-même ignorait totalement leurs emplacements. Son partiel avait réussi à se détruire juste avant la défaite d’Olmy – c’était jusqu’à présent la seule erreur du Jarte –, et le partiel avait été le seul à connaître la nature et l’implantation du dispositif.
S’étant assuré que sa domination était bien établie, le Jarte avait commencé à donner à Olmy un peu plus d’autonomie. Il agissait plutôt comme un cavalier lâchant la bride à sa monture que comme quelqu’un qui tirait les fils d’une marionnette. Pour la première fois, il formula une demande à la manière d’un souhait au lieu de lui imposer sa volonté.
Il faudrait que nous parlions à Korzenowski. Arrangez-vous pour que nous soyons là le jour de la réouverture.
— Ils feront d’abord une jonction expérimentale, expliqua Olmy. Il serait plus sage d’attendre la réouverture définitive, et même d’éviter totalement de nous montrer en public d’ici là.
Le Jarte médita cette réponse.
Nous sommes tous les deux en « sursis », n’est-ce pas, mon cher expéditeur ? Nous avons intérêt à agir vite. Le risque d’être découvert est plus faible que celui de déclencher un de vos charmants pièges. Une fois cette jonction expérimentale établie, Korzenowski s’apercevra peut-être qu’il n’est pas si facile de l’annuler.
La machinerie de la sixième chambre avait été vérifiée, réparée ou remplacée partout où c’était nécessaire. Dix mille humains corporels, quelque soixante-dix mille partiels ainsi que d’innombrables robots et serviteurs mécaniques s’étaient affairés de leur mieux à cela, durant les dernières semaines, sous la direction de Korzenowski. L’essai final allait avoir lieu prochainement.
L’Ingénieur passa les quelques heures précédant la jonction dans son observatoire sphérique collé comme un cocon à la paroi du puits central. Il était physiquement et mentalement au bord de l’épuisement complet. Même en se divisant en une douzaine de partiels, il lui était impossible d’alléger le fardeau qu’il portait. C’était un fardeau familier, qui le stimulait par certains côtés, mais qui lui laissait un goût amer.
À une époque, les gardiens des portes de la Voie se reposaient sur leur savoir-faire psychologique. Le manteau de cérémonie drapé sur les devoirs d’un gardien servait à rappeler à tous qu’un esprit flou ou embrumé ne pouvait se servir correctement d’une clavicule… et cependant, malgré le tourbillon qui agitait ses pensées, Korzenowski s’apprêtait à se servir de la sixième chambre – et même du Chardon tout entier – comme d’une clavicule géante qui devait lui ouvrir quelque chose d’analogue à une porte immense.
Il se recroquevilla encore davantage dans son costume rouge, couché à l’intérieur d’un champ de repos fait d’un réseau de lignes cylindrique. Les paupières closes, il exhala un petit nuage de talsit, le dernier talsit authentique que l’on pût trouver, à sa connaissance, dans tout l’Hexamone terrestre. La séance ne durerait pas assez longtemps pour éclaircir totalement ses pensées, mais ce serait toujours ça. Le nuage se répandit dans tout le champ de repos, et il prit une longue inspiration, laissant s’imprégner ses poumons, son épiderme, pour se purifier, s’apaiser et retrouver tous ses esprits.
— Ser Korzenowski !
Il ouvrit les yeux. À travers la brume de talsit qui commençait à se dissiper, il distingua un homme qui flottait à proximité dans la sphère. Celle-ci était verrouillée. Personne ne pouvait y entrer sans que le moniteur avertisse Korzenowski. Il se redressa, chassant de la main les dernières volutes.
C’était Olmy. Mais il avait un aspect qui donnait le frisson à l’Ingénieur. Ses yeux étaient hagards. Il était sale et il sentait mauvais comme un homomorphe qui se néglige. Il émanait aussi de lui une odeur de peur. Korzenowski fronça le nez.
— Je vous aurais invité à entrer, dit-il. Ce n’était pas la peine de vous introduire ici comme un voleur.
— Personne ne sait que je suis venu.
— Pourquoi vous cacher ?
Olmy haussa les épaules. Korzenowski remarqua qu’il ne portait pas de picteur.
— Nous sommes amis depuis très longtemps. Nous sommes même plus que des amis.
L’Ingénieur s’étira et s’appuya contre un champ de traction de faible intensité. Cette soudaine gêne entre eux l’étonnait. Ils avaient toujours été à l’aise ensemble.
— Vous avez toujours fait confiance à mon jugement… et la réciproque est vraie, naturellement, dit Olmy.
Cette conversation prenait une tournure que Korzenowski aimait de moins en moins. Olmy semblait déchiré, presque en lambeaux.
— Oui, répondit-il.
— Je voudrais vous présenter une requête inhabituelle. Quelque chose que l’Hexamone n’approuverait certainement pas. Je ne puis vous exposer la totalité de mes raisons pour le moment. Mais je pense que vous allez vous heurter à de grosses difficultés lorsque vous ferez cette tentative de raccordement avec la Voie.
— Mon cher ami, sachez que je m’attends à des difficultés.
— Pas de cette taille. J’ai fait de nombreuses recherches. J’ai rassemblé tous les renseignements dont nous disposons sur les Jartes. Je pense avoir trouvé un moyen de prévenir de graves complications lors de la réouverture. Cela pourra même vous aider pour vos essais. Je vous demande seulement de lancer un message dans la Voie lorsque vous établirez la jonction expérimentale.
— Un message destiné aux Jartes ?
Olmy hocha affirmativement la tête.
— Quelle sorte de message ?
— Je ne peux pas vous le dire.
Korzenowski fit la grimace.
— La confiance a ses limites, Olmy.
— C’est nécessaire. Cela épargnera peut-être à tous une guerre horrible.
— Qu’avez-vous appris qui puisse nous sauver tous ?
Olmy secoua la tête d’un air navré.
— Il m’est impossible d’accéder à une demande aussi inhabituelle si vous ne m’en dites pas plus.
— Vous ai-je jamais demandé quelque service que ce soit jusqu’ici ?
— Non.
— Au risque de vous paraître insistant et barbare, Konrad, je vous rappelle que vous me devez une faveur.
— Très barbare, en effet, lui dit Korzenowski.
Un instant, il avait failli donner l’alarme à la sécurité. Mais l’impulsion passa, non sans ajouter à la gêne qu’il éprouvait.
— Vous devez me faire confiance, murmura Olmy. C’est d’une extrême gravité, et je ne peux malheureusement rien vous révéler.
Korzenowski dévisagea l’homme qui l’avait fait ressusciter.
— Vous jouissez d’énormes privilèges dans notre communauté, dit-il. Mais il est exact que vous n’en avez jamais abusé, de même que vous ne m’avez jamais demandé de faveur. Sous quelle forme se présente ce message ?
Olmy lui tendit un bloc-mémoire.
— Tout est enregistré là, dit-il, dans un code que comprennent les Jartes.
— Un message adressé directement aux Jartes ? fit Korzenowski, incapable de concevoir qu’Olmy pût trahir l’Hexamone, mais cependant choqué par cette idée. Un avertissement ?
— Disons plutôt une ouverture de paix.
— Vous prétendez jouer au diplomate avec les pires ennemis que nous ayons jamais eu à affronter ? Est-ce que le Président ou les responsables de la défense de l’Hexamone sont au courant de cette affaire ?
Olmy secoua la tête, refusant visiblement d’en dire plus.
— Juste une question, reprit Korzenowski. Est-ce que ce message pourrait compromettre la réouverture ?
— Je sais que les serments sont démodés, eux aussi, mais je vous jure solennellement que la réouverture ne sera absolument pas affectée. Au contraire, ses chances de réussite seront plus grandes.
Korzenowski se saisit du bloc-mémoire, en se demandant par quel moyen rapide il pourrait percer le secret de son contenu. Mais connaissant Olmy comme il le connaissait, il savait qu’il n’avait probablement pas la moindre chance de réussir.
— Je transmettrai ce message, lors de la jonction expérimentale, à une seule condition, dit-il. C’est que vous m’expliquiez à quel jeu vous jouez. Que vous est-il arrivé exactement ?
Olmy se contenta de hocher la tête.
— Où pourrai-je vous contacter ? demanda l’Ingénieur.
— J’assisterai à l’ouverture de la jonction expérimentale. Farren Siliom m’y a invité.
— Les observateurs néo-Geshels nous surveillent de près. Je préfère ne pas lui demander audience pour le moment.
— Les temps sont durs pour tout le monde, déclara Olmy.
Korzenowski glissa le bloc dans sa poche. Olmy lui tendit la main et ils se dirent au revoir. Olmy sortit furtivement de la sphère.
Est-ce qu’il transmettra le message ? demanda le Jarte alors qu’ils quittaient le puits central.
— Oui, répondit Olmy. Allez au diable, ou à ce qui en tient lieu pour vous.
La voix intérieure du Jarte semblait teintée de chagrin lorsqu’il répondit :
Nous sommes comme des frères, et pourtant la confiance ne règne pas entre nous.
— C’est le moins qu’on puisse dire, fit Olmy.
Je n’arrive pas à vous convaincre de l’urgence de ma mission.
— Je ne sais pas si vous y parviendrez.
Lorsque les vôtres rouvriront la Voie, j’ignore ce qu’ils trouveront de l’autre côté, mais il y a de fortes chances pour que ce ne soit pas très agréable.
— Ils se sont préparés.
Votre réaction passionnelle est très curieuse. Je ne peux faire aucun mal à votre espèce. Vous êtes porteur d’un message du commandement descendant. C’est là la seule teneur du message que doit transmettre votre ami. Que vous n’êtes pas des ennemis, que vous ne devez pas être considérés comme tels.