56

La Terre

Le ciel nocturne au-dessus de la Terre se remplit de nouveau de nappes diffuses de lumière, et les étoiles dansèrent. Karen poussa un cri à travers l’immensité noire constellée de perforations. Lanier était parti depuis sept heures, et elle n’avait même pas la possibilité d’appeler quelqu’un pour faire des recherches. La maison était privée d’électricité et de tout moyen de communication.

Elle allait et venait sur le sentier forestier, à la lumière de sa torche électrique, toute petite sous les feux d’artifice visibles à travers le dais du feuillage au-dessus de sa tête.

— Garry !

Elle avait une affreuse certitude, la conscience qu’une connexion lui manquait. Elle savait qu’elle ne le retrouverait pas vivant. Elle s’essuya les joues du dos de la main, et cligna des paupières pour chasser un frisson d’horreur.

De nouveau, elle braqua la torche sur le sentier, à l’endroit où les traces de pas s’arrêtaient. Comme s’il avait été emporté par la voie des airs. Elle avait essayé à trois reprises de dépasser cet endroit, mais n’avait pu découvrir la moindre trace ni le moindre indice. Les coulées de larmes sur ses joues prirent des reflets rouges tandis qu’elle levait la tête vers le ciel en grimaçant de frustration.

— Garry !

Les traces de pas devenaient confuses à cet endroit, comme s’il avait titubé à plusieurs reprises. En bordure du sentier, les fougères et les mousses épaisses empêchaient de voir toute trace au sol. Une souche perçait le feuillage. Karen avait dû passer devant elle une demi-douzaine de fois déjà, en l’éclairant avec sa torche. Mais pour la première fois, elle remarqua qu’un long lambeau d’écorce s’était détaché depuis peu. Écartant les fougères, elle vit qu’il y avait un creux de terrain, un peu plus loin, où la végétation avait été écrasée sur les bords.

Respirant très fort, le cœur battant, elle s’avança dans le creux en trébuchant et s’arrêta, trop effrayée pour continuer. Serrant les lèvres, elle se pencha pour ramasser une palme de fougère brisée. Puis elle se servit de ses deux mains pour écarter les rameaux épais.

Au-dessus de la voûte des arbres, une froide luminosité turquoise badigeonnait maintenant le ciel, plus claire que sa torche, s’insinuant dans tous les coins d’ombre et aplatissant tous les reliefs. Les contours de la masse qui gisait derrière les fougères ressortirent avec l’acuité d’un rêve.

— Garry ! gémit-elle, le visage déformé par la douleur.

Au bout d’un interminable moment où elle eut l’impression de tomber jusqu’au fond d’un long puits noir, elle lui toucha le cou à la recherche d’une pulsation, n’en trouva pas et braqua sa lumière sur le visage aux yeux à demi ouverts, sans réaction. Elle avait la chair de poule au contact de la peau froide, cette peau qui était celle de son mari, et sa respiration n’était plus qu’une succession inconsciente de petits cris, semblables à des piaillements d’oiseau, qui se perdaient dans le grand silence de la forêt. Elle ne pouvait pas appeler Christchurch. Toutes les communications étaient déréglées par l’activité du Chardon.

Il fallait qu’elle se débrouille toute seule.

Machinalement – elle n’avait fait cela qu’une fois, mais on lui avait donné une formation très complète –, elle ouvrit son couteau de poche et abaissa le col de la veste froissée, en faisant rouler le corps sur le côté pour dégager la nuque.

Éternité
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