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Centre médical de la Net Force
Quantico
La prothèse auditive était un truc vraiment minuscule, se dit Howard. En tout cas, pas impressionnant pour un sou.
Geneva Zuri la tenait dans la paume de sa main pour la lui montrer. « Je vous donnerai un mode d’emploi à étudier chez-vous, mais c’est tout simple. Si vous tirez cette petite trappe, vous verrez où s’insèrent les piles. »
Howard prit l’appareil et fit ce qu’elle lui disait. Au début, il crut qu’il allait lui échapper des mains tellement l’objet était petit, mais au bout d’un moment, il commença à s’y habituer.
Il fronça légèrement les sourcils en voyant la minuscule pile-bouton. Avec sa taille d’un demi-comprimé d’aspirine, il allait falloir des pincettes pour la mettre ou la retirer.
« Là, c’est pour le couper la nuit, dit Geneva. Vous n’avez qu’à ouvrir la trappe à piles. Il est recommandé de stocker l’appareil dans son boîtier, avec le paquet de dessiccateur. Le matin, vous le remettez après avoir refermé la trappe, et c’est parti. Essayez-le. C’est plus facile en tirant d’une main sur le lobe de l’oreille et en enfonçant l’appareil avec le pouce.
– À quoi sert le peut bouton, là au-dessus ?
– À changer de canaux. Mettez-le, que je vous montre. »
Howard était habitué aux boules Quies, aussi n’eut-il aucun problème à introduire la prothèse.
Il ne savait trop à quoi s’attendre mais il fut un tantinet désappointé : au début, il ne nota en effet aucun changement.
Il fronça les sourcils. Est-ce que quelqu’un lui parlait ? Il hocha la tête. Non, on chantait…
Il se tourna pour regarder et vit quelqu’un passer dehors devant la fenêtre. Il sourit.
Zuri se pencha et regarda dans son oreille. « Bien ajusté. Hochez la tête. »
Ce qu’il fit. L’appareil ne bougea pas.
« Il ne risquera pas de tomber accidentellement. En fait, il faudra insister un peu pour le retirer. Certaines personnes ont même des problèmes de ce côté. » Elle se redressa, froissa un papier et le bruit lui parut très fort. Elle le savait, là aussi : il s’en rendit compte à son sourire. « Vous vous attendiez à entendre une espèce de grondement quand vous l’avez mis, n’est-ce pas, comme le bruit du vent ou le souffle de parasites ? Ou peut-être un sifflement, comme avec une sono mal réglée ?
– Ouais, tout à fait. »
Elle sourit de nouveau. « L’appareil est-censé remettre la mauvaise oreille au niveau de la bonne. Ce ne sera pas parfait mais vous devriez avoir l’impression que vos deux oreilles entendent mieux. Vous aurez moins de mal aussi à localiser les sons. »
Il acquiesça.
« Ce bouton dont vous parliez tout à l’heure, poursuivit-elle. Essayez de le presser. »
Il obéit et entendit deux petits bips assourdis.
« Encore. »
Cette fois, il n’entendit qu’un seul bip.
« Un bip indique le mode normal, expliqua Zuri. C’est le mode par défaut quand vous allumez l’appareil le matin. Le second canal – activé avec les deux bips – est réservé aux environnements sonores, ceux avec un bruit de fond important. En mode deux bips, l’électronique amplifie les fréquences moyennes, celles qui correspondant à la parole, mais pas au bruit de votre disque d’ordinateur ou d’un moteur de voiture. Tout ce que vous avez à faire, c’est basculer d’un mode à l’autre au gré des circonstances. »
Elle se pencha et claqua des doigts près de sa bonne oreille. « Couvrez-la. »
Il obéit.
Elle claqua des doigts près de l’oreille appareillée. « Le bruit est à peu près identique ?
– Oui.
– Très bien. À présent, éjectez la prothèse. Ça aidera si vous passez par en dessous, avec le pouce, en faisant légèrement levier. »
Il retira l’appareil. Elle avait raison. Il fallait insister. Tant mieux. Il n’avait pas envie de voir ce coûteux joujou électronique tomber sur le trottoir et se faire écraser par quelqu’un…
« Voyons voir. »
Il lui tendit l’appareil.
« Tenez, voici un petit écouvillon pour ôter le cérumen du tube du haut-parleur. En inclinant l’appareil comme ceci, vers le bas. Et vous pouvez utiliser cette petite tige en plastique, là, pour nettoyer le passage d’air, c’est-ce trou-ci. Ne nettoyez rien d’autre, et toujours avec une petite brosse ou un chiffon doux. Pas de produit nettoyant, ni alcool, ni savon, ni eau. Évitez de prendre une douche ou n’allez pas nager avec, l’appareil ne doit pas être mouillé. Un chapeau pourrait vous protéger sous la pluie, une goutte ou deux ne feront pas de dégâts, mais si un déluge s’annonce, rangez-le dans cette petite pochette étanche, mettez le tout dans votre poche en attendant de vous retrouver au sec. »
Il acquiesça de nouveau.
« Je veux que vous le portiez quarante-huit heures. Vaquez normalement à vos occupations et revenez me voir ensuite. On peut le régler si un son vous paraît trop intense, trop agressif ou au contraire pas assez fort. Ça ne prend que quelques minutes. Il me suffit de le raccorder à mon ordinateur et de programmer les modifications. »
Elle lui restitua la prothèse et il la réintroduisit dans son oreille.
« Vous aurez à changer la pile à peu près une fois par semaine, reprit-elle. Je vais vous donner un paquet de rechange, et un petit étui pour en avoir toujours deux sur vous. Évitez de faire tomber l’appareil par terre ou dans le lavabo. Comme je vous l’ai déjà dit, la garantie contre le bris ou le vol est de deux ans. De toute façon, d’ici là, nous aurons sans doute un nouveau modèle à vous proposer.
– Tout ça me paraît assez simple.
– Ce n’est pas de la physique nucléaire. Il suffit d’être capable de se fourrer un doigt dans l’oreille. » Elle marqua un temps. « Êtes-vous parieur, général ? »
Il arqua un sourcil.
« Je vous parie dix dollars que personne en dehors de votre épouse ne remarquera que vous êtes appareillé si vous ne leur dites pas – et cinq de plus qu’elle ne remarquera même rien.
– Vous devez être rudement sûre de vous. »
Elle opina. « Comme je vous l’ai dit, l’appareil est invisible de devant ou de derrière. La seule position permettant de le repérer, c’est directement sur le côté, et encore, la plupart des gens ne regardent pas vos oreilles. »
Il lui sourit. « Est-ce que vous pariez ainsi avec tous vos patients ? »
Elle acquiesça. « Tous ceux qui ont ce modèle. En fait, je parie en général vingt dollars, pas dix, mais vous êtes un cas plus difficile. Les gens les plus susceptibles de remarquer quelque chose, ce sont les flics, les agents fédéraux, tous ceux qui ont l’habitude de vous identifier machinalement ; or, c’est exactement le genre de personnes avec qui vous travaillez.
– Super.
– Malgré tout, c’est toujours mieux que d’avoir droit à des "Hé, mon gars, c’est quoi, ce truc ? " à tout bout de champ, n’est-ce pas ? »
Il ressentit une petite blessure d’amour-propre. « Ouais, enfin, pour vous, c’est facile à dire. »
Elle redevint soudain très sérieuse. Elle le regarda en silence, sans sourire. Après quelques instants, elle acquiesça doucement et tourna la tête pour lui montrer son oreille droite. Puis elle la tourna de l’autre côté pour lui montrer la gauche.
Elle était appareillée des deux côtés.
« L’une des raisons qui m’ont fait choisir cette voie, c’est un méchant virus attrapé quand j’étais petite. Il a provoqué une fièvre élevée qui a détruit une bonne partie des connexions dans mes deux oreilles. Je porte des appareils depuis l’âge de onze ans.
– Je suis désolé, madame Zuri.
– Ne le soyez pas. Je ne le suis pas. Plus, en tout cas. Ces appareils marchent vraiment bien, général. »
Howard soupira. Elle avait raison. Un petit bout de plastique avec une puce et des circuits électroniques, c’était à coup sûr le meilleur choix, aucun doute là-dessus.
Il se leva et elle lui serra la main. « Merci.
– De rien. Je vous revois dans deux jours. »
Howard acquiesça et se dirigea vers la porte. Il sifflotait en sortant.
Planque d’Ames
Au sud-est d’Odessa, Texas
Ames était seul au milieu d’une plaine sèche et poussiéreuse. Autour de lui, rien qu’un désert désolé.
De l’endroit où il se trouvait, on ne distinguait pas le moindre signe de civilisation. Aucune route, aucun véhicule. Rien que les traces de pneus laissées par son chauffeur, et déjà elles s’effaçaient sur le sable.
Un vent torride essayait de le décoiffer de son chapeau. Le soleil d’été jouait sur le sol à peu près nu. Des boules d’amarante, la seule forme de vie visible alentour, rebondissaient lentement sur le sable cuit par le soleil.
Si l’on n’était pas prévenu, on pouvait s’imaginer qu’un homme seul au milieu de ce désert risquait d’avoir des problèmes.
Ames sourit, il éprouvait, oui, comme un sentiment de supériorité. Il avait un secret.
Tout le monde parle du Mont Cheyenne, près de Colorado Springs. Le PC militaire à l’épreuve des bombes était déjà dépassé avant même que sa construction soit achevée. L’excavation venait d’être faite et les massives portes blindées pas encore installées que les Soviétiques avaient déjà ciblé le complexe. La rumeur courait qu’il y avait suffisamment de mégatonnes braquées sur celui-ci pour que, en cas de déclenchement des hostilités, l’ensemble ait été transformé en cratère radioactif.
Le mieux, c’est que le gouvernement l’avait su dès le début, et pourtant, ils avaient continué et achevé la construction malgré tout.
La guerre froide avait produit plus d’un « site sécurisé » de ce type. Certains auraient sans doute survécu à un engagement nucléaire, pour la raison toute simple que ceux-là étaient vraiment secrets. Ceux que connaissaient les Soviétiques, comme le Mont Cheyenne, auraient été détruits, bien sûr.
Il en restait toutefois une poignée qui avait été construit avec grand soin et dans le plus grand secret. En général – mais pas toujours -, sous l’apparence d’une mine ou d’une usine. On ne faisait aucune publicité sur leur localisation et, avec beaucoup de prudence et aussi beaucoup de chance, leur existence était demeurée secrète. Certains auraient sans doute survécu à une conflagration.
Ames en connaissait trois. L’un était situé dans la banlieue de Washington, réservé aux sénateurs et aux membres du Congrès. Il y en avait un autre dans le Mississippi, et Ames savait que celui-ci serait toujours sûr. Aucun être sensé n’irait gâcher des missiles sur la forêt de Holly Springs dans le nord de l’État. Sauf à avoir la certitude qu’il s’y trouvait une cible valant cette peine, or ce n’était sans doute pas le cas. Cinquante ans et quelques après sa construction, la plupart des gens du coin ignoraient jusqu’à l’existence de cet abri anti-atomique.
Le troisième et dernier site était situé au centre du Texas.
À quelques kilomètres au sud-ouest d’Odessa, le troisième avait été destiné à abriter près de deux cents personnes. Ames supposait que ses hôtes auraient dû être de grands pontes du pétrole qui avaient contribué de manière significative au financement des campagnes de certains hommes politiques.
L’abri avait des stocks d’eau, de vivres, de médicaments, de carburant pour les moteurs diesel qui l’équipaient, et il était doté de générateurs électriques pour faire fonctionner la lumière, la climatisation, la réfrigération, le filtrage de l’air et l’évacuation des eaux usées. Il était capable d’assurer la subsistance de deux cents personnes pour une durée de six mois. Moins il y avait de monde à l’intérieur, bien sûr, plus longue serait la durée de survie.
Construit au milieu des années cinquante, l’abri était doté d’une bibliothèque de bonne taille. Il avait également des dizaines de postes de radio et de petits téléviseurs noir et blanc, tous à tubes, et dont la plupart marchaient encore parfaitement. Et c’était une vraie mine de disques vinyle, albums 33 tours et 45 tours qui n’avaient jamais été passés et devaient sans doute valoir des milliers de dollars pour des collectionneurs.
Les entrepreneurs avaient creusé une décharge souterraine à quatre cents mètres du complexe. De petits tracteurs électriques analogues à des voiturettes de golf pouvaient y conduire les remorques d’ordures en passant par un tunnel de béton creusé neuf mètres sous le sol.
La construction et l’approvisionnement de l’abri avaient coûté des millions de dollars et il n’avait jamais servi. La guerre froide avait pris fin. La menace d’un hiver nucléaire n’avait jamais complètement disparu, bien sûr, mais elle avait été grandement réduite. Et la planque souterraine était devenue un grand éléphant blanc.
Alors, Ames l’avait achetée. Une véritable affaire, à six millions et quelques, chacun des signataires étant persuadé d’avoir entubé l’autre. Ames en sourit. Il avait dépensé presque autant rien qu’à compléter et renouveler les stocks.
Ceux-ci avaient compris une vaste quantité de conserves, dont la plupart étaient encore utilisables, même après plus de cinq décennies. Il avait ajouté des réfrigérateurs et des congélateurs remplis de viande et de denrées de haute qualité. Si jamais il devait séjourner ici pour une période prolongée, il manquerait seulement de fruits et de légumes frais. Mais avec la lyophilisation, il pouvait toutefois conserver presque éternellement toutes sortes d’aliments peut-être pas aussi bons que s’ils étaient frais, mais meilleurs toutefois qu’en conserve.
Ames avait également installé une cuisinière à gaz de qualité professionnelle, alimentée par un réservoir de quatre mille litres de propane. Il avait en outre planqué une ou deux paraboles satellite et installé toute une batterie d’appareils électroniques dernier cri, téléviseurs, ordinateurs, capteurs et matériels de communication. Ces travaux achevés, sa petite planque était parfaite. Sûre. Isolée. Secrète.
Même en connaissant sa présence, il était presque impossible de s’y rendre sans se faire repérer, que ce soit par la voie des airs ou par voie de terre. Par-dessus le marché, le système de sécurité comprenait à la fois un radar et des détecteurs acoustiques, et Ames avait entouré le complexe d’une batterie de mines acoustiques non létales.
Il était à peu près certain que personne ne viendrait fouiner de ce côté, mais au cas où, il ne se faisait pas de souci : la place était inexpugnable. Avec ses parois en béton armé renforcé d’un mètre quatre-vingts d’épaisseur, c’était une véritable forteresse. Et pour couronner le tout, elle reposait sous huit à neuf mètres de sol compact.
Sûre mais aussi confortable. Comme tout le reste dans son existence.
Il contempla de nouveau les alentours, très content de lui, puis se dirigea vers l’accès secret à l’escalier. Il faisait beaucoup trop chaud pour s’attarder ici, surtout quand il faisait bien meilleur à l’intérieur.