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En faculté de médecine, on nous enseigne que la dernière image que beaucoup de personnes emportent avec elles est le visage du médecin urgentiste

J’essaie de ne jamais oublier ça quand je vois tous ces yeux terrifiés qui s'accrochent aux miens.

 

Dialogue du film Dragonfly, de Tom Shadyac

 

Mardi matin - hôpital St. Matthew's

Vous êtes en retard, docteur Galloway.

__ Ça va, ça va, laissez-moi le temps d'arriver, répondit Sam en terminant de boutonner sa blouse.

Janice Freeman, la responsable du service des urgences, était en train de répartir les différentes interventions du matin. Cette Afro-Américaine au physique imposant appréciait beaucoup Sam, qui le lui rendait bien.

—        Un bâton de dynamite a explosé à proximité de votre tête, docteur ? demanda-t-elle en faisant allusion à la coiffure ébouriffée du médecin.

—        J'ai eu une nuit agitée.

—        J'en suis heureuse pour vous.

—        Ce n'est pas ce à quoi vous pensez, se défendit Sam.

—        Oh ! Vous n'avez pas à vous justifier.

—        Bon, qu'est-ce que vous avez pour moi ?

—        J'ai à vous parler, Sam.

Alors que Janice s'apprêtait à lui révéler quelque chose, une femme portant un enfant dans ses bras fit irruption dans l'hôpital.

—        J'ai besoin d'un médecin, vite !

—        Je m'en occupe, dit Sam.

—        Je viens avec vous, proposa Janice.

—        Que s'est-il passé, madame ? demanda tallant l'enfant sur une civière.

—        C'est mon fils, Miles.

—        Quel âge a-t-il ?

—        Quatre ans. Il s'est fait piquer au cou par une guêpe lorsque je l'emmenais à l'école.

Une guêpe. En plein milieu de l'hiver ?

—        Vous êtes sûre que c'était une guêpe, madame ?

—        Je... je crois.

Putain, y a vraiment plus de saisons.

Sam découpa entièrement le pull-over de Miles pour examiner la prétendue piqûre. En effet, un gonflement très net lui déformait la base du cou. Merde.

—        Un œdème de Quincke ? S’enquit Janice.

—        Ouais.

—        Il faut faire vite, Sam, il ne respire plus 1

—        Je fais une trachéo.

En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, le médecin se pencha sur l'enfant et planta un cathéter dans sa trachée, juste en dessous de la pomme d'Adam. Il brancha ensuite le corps d'une seringue pour permettre à l'enfant de respirer.

—        Je ventile, dit Janice.

—        Faites 300 d'Adré et 400 de Solu-Médrol, demanda-t-il à une infirmière.

Puis, se tournant vers la mère de Miles.

                      Tout va bien, madame, votre fils est hors de danger.

Debout devant la machine à café, Sam dégustait son premier breuvage du matin.

Un sourire de satisfaction éclairait son visage. Voilà un début de journée tel qu'il les aimait : un bon diagnostic, une intervention précise et, hop, une vie de sauvée !

—        Ça vous excite de vous prendre pour Dieu, n'est-ce pas ? lança Janice en le rejoignant.

—        Ça vous excite de me poser des questions stupides ? répondit-il du tac au tac.

 

             Bien joué, en tout cas.

             J'vous offre un café ?

             Allez» soyons fou : un cappuccino !

             C’est vous qui avez laissé trente-six messages sur mon répondeur hier ?

—        trente-six mille plutôt.

—        qu'y avait-il de si urgent ? demanda-t-il en mettant quelques pièces dans l'appareil.

—        e n'est pas moi qui vais vous l'apprendre, Sam. Ce métier est une succession de grandes joies et de grandes peines...

—        Allez droit au but, dit-il, soudain inquiet.

—        C'est à propos d'Angela. Elle est morte, Sam. C'est arrivé hier matin.

—        C'est... c'est impossible. Son état était stable.

—        Personne n'a vraiment compris ce qui s'est passé. Peut-être une infection foudroyante. Quelque chose de très rare de toute façon.

Complètement anéanti, Sam quitta la salle de repos pour le couloir. Il appuya comme un fou sur le bouton de l'ascenseur. Il fallait absolument qu'il vérifie par lui-même.

—        Docteur Galloway, attendez ! Comme l'ascenseur ne venait pas, il se précipita dans l'escalier de service, sourd aux appels de Janice.

Il poussa la porte de la chambre. Le lit était fait, la pièce déjà vidée de tout effet personnel. Sam était effondré. Il avait tellement cru qu'il parviendrait à la sauver. Janice le rejoignit.

—        Elle a laissé ça pour vous, dit-elle en lui tendant un porte-documents.

Sam l'ouvrit avec émotion. Il n'y avait pas de mot Juste une liasse de dessins : des pastels, des gouaches, des collages à base de feuilles de carton et de sable. Toujours ces dessins énigmatiques, à la texture épaisse, qui lui rappelaient les toiles de sa femme. Toujours ces formes abstraites, aux couleurs de sang et de terre brûlée, qui s'entremêlaient dans des spirales tourmentées.

 

Cela avait-il ne signification ? en tant que pédiatre, il avait fréquemment retour au dessin pour aider les enfants à exprimer leurs angoisses et leurs émotions. Chez eux, ce mode d'expression était plus naturel que la parole. Sam proposait même à ses jeunes patients atteint de cancer ou de leucémie de représenter le combat entre leur maladie et leur système de défense même si cela n'était pas très académique, il s’était rendu compte que le résultat permettait souvent de pronostiquer l'évolution de la maladie de façon très précise.

Mais comment interpréter les dessins d'Angela ?

Alors que Janice l'invitait à sortir de la pièce pour reprendre son service, Sam se rappela brusquement la conversation de la veille avec Grâce Costello.

—        Est-ce que parfois vous vous posez la question, Janice ?

—        Quelle question ?

—        Vous ne vous demandez jamais où ils vont ?

—        Vous voulez dire, les patients qui nous quittent ?

—        Oui.

Janice Freeman poussa un long soupir.

—        Ils ne vont nulle part, Sam, ils sont morts.

 

*

 

Un sandwich dans une main, son téléphone portable dans l'autre, Sam faisait les cent pas sur la terrasse du toit de l'hôpital. C'était là que se posaient les hélicoptères lors des transferts urgents ou des livraisons d'organes. L'accès au toit était strictement réglementé et en aucun cas un médecin n'avait le droit d'y prendre sa pause déjeuné. Mais Sam adorait cet endroit, seul lieu où il pouvait fumer tranquillement. Il aimait trop cette liberté pour accepter d'être parqué en bas de l'immeuble avec les autres fumeurs irréductibles, livrés à la vindicte populaire comme s'ils étaient des suppôts de Satan. Les Etats-Unis était peut-être l’endroit du monde où il était le plus facile de se procurer des cigarettes. Le seul problème c’est qu’on ne pouvait plus les fumer.

Sam profita de sa pause pour téléphoner à l’avocat qui s’occupait de Juliette. La jeune femme était encore en garde à vue et l’avocat n’était pas très optimiste pour une libération dans les prochaines heures. Sam annonça que, quoi qu’il arrive, il paierait la caution dès que cela serait possible. Pour glaner quelques informations complémentaires, il contacta ensuite le consulat de France où il se présenta comme le fiancé de Juliette. On le renvoya de service en service et, après une attente interminable, on daigna enfin le mettre en ligne avec un fonctionnaire qui lui assura que le consulat avait « pris toutes les dispositions pour assurer la protection de Mlle Beaumont».

Lorsque Sam demanda quelles étaient ces dispositions, il se heurta à une solide langue de bois. Il s'indigna du traitement que subissait Juliette et déclara qu'il trouvait Admissible que la France - qui donnait si volontiers des leçons de démocratie - abandonne ainsi l'un de ses ressortissants. On lui signifia à demi-mot de ne pas faire de vagues. Tout le monde avait bien compris que cette histoire d'attentat ne tenait pas debout, mais après la brouille entre les deux pays à propos de l'Irak, Paris cherchait à se rapprocher de Washington et ne tenait pas à faire d'esclandre avec cet incident Sam s'enflamma :

—        Ouais, et ça ne vous gêne pas de gâcher la vie d'un de vos citoyens pour d'obscures raisons politiques !

Alors qu'il continuait son flot de reproches à l'adresse des autorités françaises, la porte du toit s'ouvrit brusquement pour laisser place à Grâce Costello. Elle l'écouta vociférer un moment puis se dirigea vers le médecin, lui enleva son téléphone cellulaire des mains et mit fin à sa conversation.

—        Rendez-moi ça !

—        Calmez-vous, docteur Galloway, votre copine finira par être libérée.

             Décidemment, Il ne manquait plus que vous ! Si vous continuez de me suivre je vais être obligé ….

—        C'est vous qui m'avez proposé de venir !

Sam résista à l'envie d'allumer une nouvelle cigarette et respira profondément.

—        Alors, Grâce, ou quel que soit votre nom, qu'est que vous allez m'annoncer aujourd'hui : que c'est vous qui avez tué Kennedy ?

—        Vous avez repensé à notre discussion d'hier soir ?

—        J'ai d'autres préoccupations, si vous voulez savoir

—        Vous n'avez pas cru un mot de mon histoire d'émissaire, n'est-ce pas ?

A nouveau, Sam soupira. Grâce s'approcha un peu trop près du bord du toit et s'amusa à se faire peur en regardant en bas.

D'ici, le point de vue sur la ville était saisissant : les eaux de l'East River, éclairées par le soleil, brillaient de mille feux et le paysage frappait par sa diversité avec, d'un côté, la splendeur des gratte-ciel et de l'autre les friches industrielles à l'ouest du Queens.

—        Pas mal, n'est-ce pas ? dit-il en avançant vers Grâce. Remarquez, vous, au ciel, vous devez avoir l'habitude de tels panoramas...

—        Ah, ah, elle est bien bonne ! Vous n'avez jamais pensé à écrire des sketches ?

Avec agilité, elle grimpa en haut d'un escalier en fonte pour accéder à un étroit promontoire sur lequel on avait installé une sorte d'antenne. C'était un endroit dangereux et d'accès interdit, mais Sam vint la rejoindre, à la fois par défi et aussi pour la protéger s'il lui venait l'envie subite de sauter dans le vide. Depuis la mort de Federica, il voyait des suicidaires partout.

—        Vous avez l'air de méchante humeur, docteur. Ça ne va pas ?

—        Non, ça ne va pas : la femme que j'aime est en prison et je viens de perdre une jeune patiente à laquelle je tenais beaucoup.

Grace hocha doucement la tête.

             La petite Angela ?

             Comment savez-vous

             Je compatis à votre chagrin. Je sais que vous êtes un médecin compétent et plein de bonne volonté, mais il y a une chose qu’on a oublié de vous apprendre pendant vos études.

             Et quoi donc ?

             Qu'il est vain de lutter contre l’ordre des choses, dit-elle après avoir pris le temps de peser ses paroles.

Il la regarda durement.

             L’ordre des choses ça n'existe pas. II n'y a rien d’écrit à l'avance.

             Je ne vous dis pas qu'il faut être fataliste, soupira-elle mais qu'à un certain moment il faut savoir renoncer. ..

             Ne comptez pas sur moi : renoncer, c'est se soumettre.

Elle l'interrompit sèchement :

             Les gens doivent mourir un jour. C'est ainsi !

             Qu'est-ce que vous en savez ?

Il regarda à nouveau son visage qui était devenu plus dur.

             Parce que je suis déjà morte.

             Vous délirez !

Immédiatement, il regretta de s'être laissé emporter. Cette femme n'avait plus toute sa raison. Il fallait qu'il la considère comme une patiente.

—        Écoutez, vous êtes dans un hôpital. Pourquoi ne pas en profiter pour vous reposer quelque temps ?

—        Je ne suis pas fatiguée.

—        Je pourrais vous avoir une chambre en psychiatrie. -, Nous avons des spécialistes très compétents qui...

Ben, c'est ça, traitez-moi de cinglée tant que vous y êtes ! Ce n'est parce que je suis morte que je vais me laisser insulter !

—        Ouais, et dans un moment, vous allez me dire que des extraterrestres ont pris le contrôle de votre cerveau...—      C’est ça, foutez-vous de moi !

—        Comme ai vous ne l'aviez pas cherché !

À nouveau, Grâce soupira longuement.

—        Bon, on ne va pas y arriver, constata-t-elle en tant debout Vous parlez trop et vous n'écoutez pas.

Sur ces paroles, elle sortit le revolver qu'elle dans son holster et le pointa vers le médecin.

—        Tant pis, c’est vous qui l’aurez cherché.

 

*

 

Le bureau de Sam consistait en une pièce sobre donnant sur le fleuve. Sur la table de travail, un ordinateur portable métallisé voisinait avec un cadre vide, une casquette des Yankees et une balle de base-ball vintage ornée d'un autographe. Quelques dessins d'enfants étaient épinglés sur un panneau de liège fixé sur le mur en face de la porte.

Grâce avait pris place sur le siège principal tandis que Sam, toujours sous la menace de l'arme, était assis sur l'une des chaises qui lui faisaient face.

—        Maintenant vous allez m'écouter sérieusement, en m'épargnant vos remarques et vos sarcasmes, compris ?

—        OK, répondit Sam, partagé entre la curiosité et la peur.

—        D'abord, tout ce que je vous ai dit hier soir est vrai : j'ai bien été tuée il y a dix ans et, pour une raison que je ne m'explique pas, j'ai été renvoyée ici pour accomplir une tâche.

Sam se mordit la langue pour ne pas répliquer.

—        Vous ne me croyez toujours pas ?

—        Comment le pourrais-je ?

—        Qu'est-ce que vous proposez alors ?

—        Je pense que vous n'avez pas été tuée. Je pense que vous avez simulé votre mort Je pense que la police vous a fourni une nouvelle identité pour vous protéger.

—        Et de qui, s'il vous plaît ?

—        e ne sais pas : de la mafia, d’un groupe de criminel qui vous menaçait…

Elle leva les yeux au ciel.

             Si vous imaginez que ça marche comme ça.

Elle quitta son fauteuil pour faire les cent pas à travers la pièce à la recherche d'une idée pour convaincre le médecin. Soudain, elle désigna l'article de journal relatant sa mort qui traînait sur le bureau.

—        d’après cet article, à quel âge suis-je morte ?

—        trente-huit ans, répondit Sam après avoir vérifié.

—        Sur cette photo, vous pensez que c'est moi ?

—        Vous ou quelqu'un qui vous ressemble. Peut-être votre sœur.

—        Je n'ai pas de sœur, vous pourrez le constater sur mon dossier.

Elle se rapprocha de lui. Tous ses mouvements reflétaient une grâce naturelle.

Est-ce que vous vous y connaissez un peu ?

—        En quoi ?

—        En femmes.

—        Son arme à la main, elle s'appuya nonchalamment sur le bureau et se pencha vers lui. A ce moment, il émanait d'elle une sensualité ardente. Sam comprit qu'elle en jouait et fit des efforts pour ne pas se laisser déstabiliser.

—        Vous me donnez quel âge ?

—        Je ne sais pas.

—        Allez !

—        Entre trente et quarante.

—        Merci pour le trente. En fait, j'ai exactement le même physique qu'au moment de ma mort. Un peu comme si, pour moi, le temps s'était arrêté pendant dix ans. Vous ne trouvez pas ça étrange ?

Sam ne répondit rien. Grâce continua :

—        Pourtant, quel âge suis-je censée avoir ?

—        Presque cinquante ans.

—        A votre avis, est-ce que j'ai cinquante ans ?

 

Aujourd’hui, avec la chirurgie plastique, passer de cinquante ans à moins, ce n’est pas ce qui pourrait poser problème.

Elle se rapprocha encore et écarta ses cheveux pour montrer la base de son cou.

—        Vous voyez les traces d'une opération ?

—        Non, admit Sam.

—        Merci pour votre franchise, répondit-elle, visiblement satisfaite d'avoir marqué un point.

—        En tout cas, ça ne valide pas pour autant votre discours d'hier soir : cette idée comme quoi le déroulement de la vie de chaque être serait écrit quelque part dans une sorte de...

Avec ses doigts, Sam dessina des guillemets dans l'air.

—        ... « livre du destin ».

—        Vous caricaturez, mais il y a de ça, reconnut Grâce.

—        Absurde et désespérant : qui croit encore à la prédestination aujourd'hui ?

—        Sauf votre respect, ça fait près de vingt siècles que les religions débattent de la question, alors je vous vois mal régler ce problème en un après-midi.

Elle retourna s'asseoir sur le fauteuil.

—        Soyons sérieux deux minutes, docteur. Je comprends très bien qu'il est plus confortable de penser que nous maîtrisons les événements de notre vie. La plupart du temps d'ailleurs nous arrivons à nous le faire croire. Mais il y a aussi des choses auxquelles on ne peut rien changer. En ce qui concerne Juliette, elle devait mourir dans cet accident. J'en suis désolée, mais chacun doit suivre le seul chemin qui lui est destiné.

—        Des conneries bouddhistes maintenant !

—        Ça n'a rien à voir avec le bouddhisme et, que ça vous plaise ou non, je ramènerai Juliette avec moi.

—        Et, si ce n'est pas indiscret, par quel moyen de transport comptez-vous rejoindre votre « au-delà » ? En soucoupe volante ?

             À vrai dire, ce ne sont pas les moyens qui manquent. Nous utiliserons tous les deux le même canal.

Elle ouvrit l’ordinateur portable, se connecta à l’Internet, tapota quelque chose sur le clavier, puis tourna l’écran du Powerbook vers le médecin.

Sur le site web d'un quotidien d’information : le New York Post Un bandeau d'alerte partie supérieure de l'écran :

 

Terrible accident de téléphérique

 

À 12 h 30 ce matin, l'une des cabines du téléphérique de Roosevelt Island a sombré dans le fleuve avec au moins deux personnes à son bord.

 

Sam ne comprenait pas. Il avait écouté le flash d'information à la cafétéria une heure plus tôt et, à sa connaissance, il n'était rien arrivé au téléphérique de New York. Décidément, cette femme était dingue : elle allait jusqu'à fabriquer une fausse « une » de journal pour accréditer ses théories fumeuses.

—        Cet accident aura lieu samedi prochain, expliqua Grâce. Et Juliette et moi serons toutes les deux dans la cabine lorsqu'elle se détachera.

Pris par cet étrange scénario, Sam fut à deux doigts de répliquer : «Je ne vous laisserai pas faire » mais il se maîtrisa et posa une autre question.

—        Pourquoi, au juste, me racontez-vous tout ça ?

Grâce le regarda intensément et Sam comprit alors que ce qu'elle s'apprêtait à lui demander était le véritable objet de sa visite.

—        Je vous raconte tout ça parce que je veux que vous m'aidiez.

 

*

 

Grace déclara gravement :

—        L'accident doit avoir lieu dans quatre jours à 12 h 30 précises. Juliette a confiance en vous. Débrouillez-vous pour la faire monter dans la cabine mais ne partez pas avec elle.        

—        Si vous croyez que je vais coopérer...

—        Je crains que vous n'ayez pas vraiment le choix

—        Vous me menacez ?

—        C'est une façon de voir les choses.

Sam abattit ses deux poings sur le bureau.

—        Non seulement vous êtes détraquée, mais en plus vous êtes dangereuse !

Grâce hocha la tête.

—        Je vois que vous ne comprenez toujours pas. Rien ne m'empêcherait de tuer Juliette plus tôt. C'est par compassion que j'ai décidé de vous laisser un délai, parce que je sais combien cela est difficile pour vous...

Elle lui montra son arme.

—        ... mais si vous ne m'aidez pas, soyez certain que je n'attendrai pas samedi pour éliminer votre dulcinée et vous n'aurez même pas l'occasion de la revoir vivante.

—        C'est ce qu'on va voir.

Il se leva brusquement et se jeta sur elle comme un enragé. D'un bond en arrière elle parvint à l'éviter sans trop de problème. Dans sa carrière, elle en avait déjà maîtrisé de plus coriaces mais, gagnée par une sorte de lassitude, elle le laissa lui saisir le bras et la désarmer.

—        On dirait que les rôles sont inversés, jubila-t-il en agitant le pistolet.

Tout en la gardant à distance, il décrocha son téléphone :

             Allô, la sécurité ? Ici le docteur Galloway, je suis dans mon bureau, venez vite ! Une femme s'est introduite dans le bâtiment avec une arme mais j'ai réussi à la maîtriser.

—        Sam raccrocha et se laissa aller triomphalement :

—        Alors on fait moins la maligne, hein ?

             Si vous imaginez qu'il est chargé, dit-elle en haussant les épaules.

De par son enfance dans les mauves quartiers, Sam avait quelques connaissances en armes. Il actionna le revolver pour constater qu'effectivement le chargeur était vide.

Déjà, Grâce avait ouvert la porte du bureau. Elle était sur le seuil lorsqu'elle se retourna vers Sam et lui lança une sorte d'avertissement :

—        Je vous le demande une dernière fois, docteur Galloway : croyez-moi et aidez-moi. Il en va de notre intérêt à tous les deux.

Sur ce, elle quitta la pièce à la vitesse de l'éclair.