CHAPITRE XVI
La longue colonne se traînait lentement sous un ciel lourd, chargé d’orage. Les gardes patrouillaient à cheval sur les flancs du misérable troupeau humain. Et les fouets claquaient plus volontiers que d’habitude.
— Allons, racaille, allons, remuez-vous ! Ce soir, vous aurez fini de marcher, et nous, nous dormirons dans des lits, le ventre plein de bière de Jale.
— Le ventre plein tout court, tu veux dire ! Il y a des jours que nous n’avons même plus le plaisir de mettre le feu, parce qu’on l’a fait avant nous, et que nous ne trouvons rien à prendre que quelques poulets échappés ou quelques lapins sauvages. Des jours que Targui nous rationne et nous pousse à marche forcée. Je te le dis, Ujbal, cette campagne restera dans les mémoires comme l’une des plus noires que nous ayons jamais faites. D’abord, il y a eu ce gamin, qui nous a infligé à lui seul plus de pertes que dix clans de paysans des plaines. Puis la mort de Koghor, et ce butin qui ne paiera même pas les frais. Ce n’est pas encore cette fois ci que je pourrai m’établir avec la Rëyanne, comme patron de taverne à Alkande. Et faire boire à l’œil les anciens compagnons.
— Veux-tu que je te dise, Eman ? Je me moque du butin. Il me suffit de savoir que je vais finir cette expédition en vie. Mon cousin Ham et bien d’autres ne pourront pas en dire autant.
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— Nous arriverons ce soir dans un port qu’ils appellent Gorham. Des bateaux les attendent. Ça veut dire qu’on va se reposer, enfin, après tant de journées passées à marcher. Même si c’est les fers aux pieds, à fond de cale. Ils passeront deux jours, ou trois, à boire et ripailler, avant de prendre la mer. Ce sera autant de tranquillité pour nous.
Muhar, qui avait été chef d’un village de pêcheurs lacustres, écoutait sa fille de dix ans, presque avec indifférence. Il savait comment elle avait eu ces renseignements.
Targui, le barbare géant, avait pris goût à sa compagnie, et l’appelait presque chaque soir dans sa tente.
La petite, qui vomissait et cauchemardait, après, les premiers temps, avait vite appris à profiter de sa chance. Pour glaner un fruit ou un reste de viande à grignoter, ou quelque menue faveur que n’auraient pas les autres.
Muhar essayait de se persuader que c’était bien ainsi. Que ce monstre, pour autant qu’il sache, n’exigeait d’elle que sa bouche, et que le droit d’exclusivité qu’il se réservait sur elle lui avait évité au moins d’être violée comme tant d’autres gamines plus jeunes encore.
Au fil des jours, au fil des coups et des humiliations, il s’était résigné, comme les autres.
Il espérait encore qu’ils pourraient être vendus ensemble, la fillette et lui. Sans trop y croire. Un maître ayant besoin de travailleurs robustes n’avait pas forcément l’emploi d’une enfant, trop fragile et trop jeune pour les travaux de force, et que son apprentissage actuel orientait plutôt vers une autre forme d’esclavage.
Une seule chose le tourmentait encore. Une inquiétude sourde. Il avait vu, comme les autres, son propre fils, Tish, capturé et exposé au pilori pendant deux jours. Il savait par Nyrine que c’était lui, l’auteur de tous ces coups de main qui avaient maintenu les pillards sur les dents durant des semaines.
Et, un matin, il n’avait plus été au pilori. Il n’avait pas rejoint le groupe des esclaves. Nyrine elle-même n’avait pu savoir s’il était mort de soif et d’épuisement pendant la nuit, ou s’il avait réussi à fuir une fois de plus. Le fait qu’il n’y ait plus eu ensuite la moindre sentinelle assassinée, le plus petit coup porté contre les chevaux, le butin ou les vivres, n’était guère encourageant…
Un garde lui cingla le dos, brutalement.
— Avance donc, charogne ! À quoi est-ce que tu rêves ?
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Gorham était étrange. Trop calme. Comme assoupie. Les auvents des échoppes d’artisans étaient baissés, les auberges fermées et les éventaires des commerçants repliés. Peu de monde dans les rues. Des passants furtifs, qui se hâtaient de disparaître. Targui ressentait de plus en plus un sentiment de malaise, qu’à leur silence, il devinait partagé par ses hommes.
Un grand diable sec, noir de poil et de peau, vint à leur rencontre. Il portait le manteau de pourpre aux lourdes broderies, insigne de la prévôté. Mais Targui ne se souvenait pas l’avoir jamais rencontré.
— Hélas, pardonne-nous, noble marchand, mais tu entres aujourd’hui dans une ville en deuil. Arkham, notre prévôt bien-aimé, est mort il y a trois nuits, entre les bras d’une fille de chez Grovel. J’ai décrété une semaine de tristesse et de mortification à sa mémoire, ainsi qu’il est de règle.
C’était donc ça ! Targui sentit se déchirer le voile d’appréhension. Il se cala sur sa selle, et heurta la poitrine du bonhomme du bout de sa botte.
— Une semaine de deuil, hein ? Pour ce gros porc pourri de graisse. C’est cher payé, si tu veux mon avis ! En tous cas mes hommes et moi avons fait une longue route, et avalé des tonnes de poussière. Nous rêvons depuis des jours du goût de la bière et des lèvres des filles. Alors ce soir, les tavernes seront ouvertes !
L’homme semblait avoir hérité, avec les insignes de sa fonction, de l’obséquiosité du gros Arkham. Il s’inclina très bas.
— Il va de soi que des étrangers comme vous n’ont pas à subir le contrecoup de notre peine. Il en sera comme tu veux.
— Parfait, bonhomme ! Tu comprends vite, et tu m’as l’air d’avoir l’échine souple. Nous nous entendrons bien. Le temps de faire monter mes prisonniers à bord, et j’irai te verser ta dîme. Il faudra en discuter, d’ailleurs. La campagne a été mauvaise, tu peux le constater toi-même. Le forfait qu’Arkham réclamait d’habitude serait bien trop lourd, cette année.
L’autre se raidit, comme si, en touchant à son porte-monnaie, on avait atteint un point sensible.
— Nous en parlerons tout à l’heure. Mais les prix restent les prix.
Targui grommela une vague menace dans sa barbe puis fit signe à ses gens de pousser le troupeau. Il était rassuré. Un moment, cette ville aux volets clos lui avait semblé presque hostile.
Le chef des hommes du fer retrouva Yriel et Tish à la prévôté.
Il avait tenu son rôle avec la maîtrise d’un bateleur professionnel.
De larges barges à fond plat attendaient à quai, pour conduire les esclaves aux navires, auxquels la faible profondeur de la rade interdisait l’approche immédiate des quais. Targui s’étonna. Les gens qui menaient ces esquifs étaient tous, apparemment, des marins du port. Pas un seul, parmi eux, des hommes que Koghor avait laissés pour garder les vaisseaux.
— Chez nous, noble seigneur, la semaine de deuil commence toujours par deux jours de libations et de ripaille. Afin de rappeler aux vivants que la vie continue. Et de se donner du courage pour les cinq jours de jeûne et de pénitence qui vont suivre. Vos hommes ont largement sacrifié à nos coutumes. Si largement qu’aujourd’hui il m’étonnerait que vous en voyiez un sur le pont pour autre chose qu’aller vomir par-dessus bord.
— Les chiens d’ivrognes ! Il faudra que je leur montre qui commande, désormais, et que je mette bon ordre à tout ça ! C’est bon, Rom, choisis-moi quatre hommes par barge, pour escorter cette racaille à bord et me la mettre aux fers. Qu’ils montent la garde jusqu’à ce les autres aient dessoûlé. Tu organiseras la relève, pour qu’ils aient droit à leur part de bon temps, comme tout le monde.
Les fouets claquèrent de plus belle. Le bétail humain fut entassé dans les chaloupes, qui déhalèrent, poussées par les longues perches des nautoniers.
— C’est bon, quartier libre pour tout le monde. Les tavernes devraient avoir ouvert leurs portes, maintenant. Sinon, ouvrez-les vous-mêmes à coups de hache. Et attention, hein ? Pas d’histoires. Contentez-vous des filles à plaisir qui sont là pour ça. Tapez-vous sur la gueule si vous voulez avec les pouilleux d’ici, mais évitez de m’en égorger un trop grand nombre. Le nouveau prévôt en prendrait encore prétexte pour augmenter sa dîme. Ça m’a l’air d’un fameux rapace, celui-là. Rom, et vous autres, vous venez avec moi. J’ai toujours pensé que Koghor prétendait chaque fois payer plus qu’il ne donnait. Et mettait la différence dans sa poche, en plus de sa part. Vous constaterez vous-mêmes qu’avec moi, le partage est honnête.
Là-bas, sur les navires, les hommes d’escorte étaient montés à bord et faisaient grimper les captifs, un à un, à une échelle de corde. Un silence de mort régnait sur les longs vaisseaux aux voiles carrées. Ces pochards ne semblaient même pas avoir été réveillés par le remue-ménage.
— J’aurais dû ordonner qu’on les balance à la mer pour leur faire retrouver leurs esprits. Avec des sentinelles pareilles, n’importe quel pêcheur du port aurait pu s’emparer des bateaux.
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Les trente gardes étaient là, rangés comme à la parade, plus raides et solennels qu’ils ne l’avaient jamais été. Ils faisaient une haie d’honneur à l’état-major des pillards, au long du couloir menant à la salle commune. Allons, ce barbu noiraud était peut-être un rapace, mais il leur témoignait plus de déférence que n’en avait jamais eu le gros Arkham.
Targui laissa la piétaille de son escorte avec les gardes, poussa largement la lourde porte à deux battants et pénétra d’un pas martial dans la grande salle, ses lieutenants sur les talons.
— Par les Djars ! Trahison !
Ils étaient neuf. Neufs bandits derrière qui les portes de la vaste pièce claquèrent. Et qui se trouvèrent encerclés par une bonne vingtaine d’hommes vêtus de hardes disparates, brandissant épieux, haches ou épées. Une vingtaine parmi lesquels se remarquaient tout de suite une superbe gamine blonde, une espèce de monstre velu, casqué de fer, armé d’une massue, et qui découvrait les dents sur un cri de mort impressionnant, et ce gamin que Targui avait tenu trois jours au pilori, avant qu’il ne s’échappe.
Derrière les battants, des bruits de lutte leur confirmèrent que les villageois en habit de gardes s’occupaient activement à délivrer leur escorte de ses peines et de ses petites douleurs terrestres.
Targui et son ambassade étaient venus là avec toutes leurs armes, leur tenue de combat de cuir, de fer et de peaux de bêtes. Pour impressionner les bourgeois de Gorham. Le barbare géant leva sa hache énorme.
— Dos au mur, mes garçons, ce ne sont que des guerriers d’occasion !
De fait, devant le mur d’épées qui hérissait le groupe, les assaillants hésitèrent. Tish, lui-même, ne voyait plus trop comment aborder ce combat. Il avait voulu ce piège. L’idée de prendre tous les chefs, ensemble, et d’être là pour la curée, était séduisante. Mais il se rendait compte que l’embuscade, finalement, n’avait pas été aussi redoutable qu’il l’aurait fallu. Qu’en laissant aux chasseurs d’esclaves le temps de réaliser et de tirer leurs armes, il avait mis son armée sans expérience en fâcheuse posture.
Puis Yriel aboya quelque chose qui sonnait comme le cri d’attaque d’un grand fauve, et l’homme-singe se rua. Profita de la stupeur que causaient sa taille et son aspect. Coucha deux adversaires d’un même moulinet. Bouscula la formation. Jeta les hommes les uns contre les autres. Les livra, enfin, désorganisés à l’attaque des villageois qui, cette fois, se jetèrent ardemment dans la mêlée.
— Laissez-le-moi !
Tish faisait face à Targui, qui venait de fendre proprement le crâne du chef des hommes du fer, plus courageux que bon combattant. Le garçon avait remplacé sa clef anglaise, restée aux mains des marchands d’hommes après sa capture, par une hachette de combat solidement emmanchée, et une épée à lame courte. Un peu courte, justement, pour faire pendant à l’énorme cognée à double tranchant que Targui maniait à deux mains. Il évita d’un saut de carpe un coup porté de haut en bas, qui fendit le bois de la grande table de chêne derrière laquelle Arkham le prévôt avait coutume de siéger. Trébucha. Vit l’homme relever l’arme redoutable, pour un autre coup qui le couperait en deux. Plongea sous la garde. Frappa sous l’aisselle droite. Sa lame traversa l’épaule. Targui n’avait plus qu’un bras valide et la hache, alors, devint trop lourde. Il l’abattit, au hasard, une dernière fois, et la laissa plantée dans le plancher. Fit le geste de dégainer l’épée qu’il portait à la ceinture. Le fer de la hachette de Tish lui mordit l’épaule gauche. Il recula. Le jeune chasseur eut un rire de loup. Il laissa tomber ses armes. Et ramassa, dans le mouvement, l’épieu abandonné par le chef des hommes du fer.
Autour d’eux, la mêlée était confuse, le sang ruisselait en cascades. Les gémissements et les râles d’agonie se mêlaient aux « ahans » des combattants. Mais malgré leur valeur guerrière inférieure, le nombre était trop à l’avantage des alliés pour que l’issue de la confrontation puisse être douteuse.
Hodd, le pêcheur de la rivière, embrocha proprement un pillard, assez sot pour avoir voulu sauver son chef, en attaquant Tish par-derrière, au lieu de se garder lui-même.
Le garçon avait poussé Targui jusqu’à la grande porte massive, du bout de son épieu. Le chasseur d’esclaves transpirait, le visage déformé par la douleur, ses deux bras inutiles pendant le long du corps.
— Ouvre la bouche !
Et le géant, livide, d’obéir. Et Tish de pousser la pointe d’épieu entre ses lèvres.
— Suce le fer, maintenant. Suce-le !
L’homme obtempéra. Il était gris. Sa vue se brouillait. Il perdait son sang à gros bouillons, et la peur lui liquéfiait les tripes. Un petit filet de bave coula dans sa moustache rousse.
— Souviens-toi de ma sœur, souviens-toi !
Tish pesa sur l’arme, de tout son poids. Le fer creva le palais et la nuque. Cloua le géant au battant de chêne. Un flot de sang jaillit dans un gargouillis immonde. Tish regarda crever son adversaire, avec une joie mauvaise.
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Rom savait reconnaître quand une bataille était perdue. Et comprenait qu’il ne servait à rien de demander quartier. Il laissa son épée dans le ventre d’un paysan qui râlait. Boita jusqu’à la fille blonde, qui regardait le carnage, dans un coin, en se mordant les poings. Lui mit un bras autour du cou, et son couteau sous la gorge.
— Arrière, tous, arrière ! Laissez-moi sortir, vous entendez ? Ou je la tue !
Cheg était de l’autre côté de la pièce. Tenant à bout de bras, par le cou, deux pillards qu’il avait soulevés de terre. Il cogna les têtes l’une contre l’autre et fit face. Tish le retint. Il n’aurait réussi qu’à faire égorger Yriel.
— Obéissez ! Faites ce qu’il veut !
Yriel serrait les dents. Elle s’était laissée prendre comme une idiote. À elle de se sortir de là. Elle leva le pied, et rua, brutalement. En plein sur l’attelle du genou du pillard. Un rugissement. Un trait de sang dessiné par la lame dans la chair tendre. La jeune fille glissa des doigts de l’homme comme une anguille. Un épieu anonyme, lancé de main de maître, envoya Rom rejoindre Koghor, Targui, et les autres, dans un ailleurs que sa vie terrestre laissait imaginer peuplé de plus d’épines que de roses.
Tish se précipita.
— Yriel, tu est blessée ?
Elle haussa les épaules.
— Juste une égratignure. Le dernier coup de griffe d’une bête mauvaise. À peine de quoi me faire plaindre.
Cheg intervenait. Arrachait Yriel aux bras du jeune chasseur. Et elle se serrait contre lui, mettant du sang dans les poils de sa poitrine…
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Les pillards qui s’étaient répandus dans les tavernes de la ville n’avaient pas eu un meilleur sort. Dans les caves, dans les alcôves où les traînaient les filles de mauvaise vie, ils avaient trouvé, au lieu de vin ou de plaisir, des grappes farouches d’hommes en armes qui n’avaient pas fait de détail.
Ceux qui avaient commencé à festoyer virent soudain déferler des porteurs d’épée qui se bousculaient dans les escaliers des chambres, écartaient les rideaux des arrière-salles, surgissaient derrière eux par les portes d’entrée. Certains voulurent se rendre. Mais ils eurent beau crier grâce de toute la force de leurs poumons, il semblait que ces paysans enragés soient tous devenus sourds.
Les gargotiers durent mettre des jours à nettoyer le sang répandu sur leurs dalles pendant la bataille.
Il y eut malgré tout quelques prisonniers qui furent honnêtement jugés. Le tribunal était constitué par leurs propres victimes, ce qui fait que dès le lendemain, ils servaient d’épouvantails et d’avertissement aux habitants, qui avaient ordre exprès de ne les décrocher sous aucun prétexte avant qu’ils ne tombent en poussière. Macabres ornements alignés aux portes de la ville, inconfortablement épinglés sur des pieux acérés, qui valurent un temps au bourg de Gorham le surnom de « Port des empalés ». Comme disait Hodd, non sans humour « Quand on commence un nettoyage, il faut aller au fond des choses ».
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Les quelques bandits préposés à la garde des esclaves sur les navires n’avaient pas eu plus de chance. À peine leurs camarades avaient-ils déserté le port, pour s’égailler dans les lieux de perdition où ils allaient rencontrer leur destin, que des pas montant de la cale leur firent croire au réveil de leurs compagnons, jusqu’à ce que jaillissent sur le pont des groupes de braillards excités et beuglants qui brandissaient leurs armes comme des rôtisseurs leurs lardoires, mais luttaient à cinq contre un. Il n’y eut guère de pertes, ni parmi les assaillants, ni parmi les esclaves pris entre le marteau et l’enclume. Il fallut ensuite empêcher ces malheureux, épuisés et chargés de chaînes, de bondir dans les barges pour aller régler leurs comptes eux-mêmes avec les responsables de leur triste situation.
Certains, là encore, eurent l’inconscience de vouloir se rendre. Ils furent jetés en pâture à leurs victimes d’hier, qui les mirent en pièces avec délectation.
Après quoi l’on tira de la cale où il avait été tenu enfermé le forgeron du bourg bientôt nanti de ses outils, qui brisa les fers avec autant d’ardeur qu’il en mettait à les river d’ordinaire. Ce dont on le remercia en le laissant en vie.
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La bataille n’avait pas été une de ces charges héroïques menées au grand galop et dont on fait les légendes qui enchantent les soirées d’hiver et font vivre les bateleurs ambulants. Mais elle était gagnée, et bien gagnée. Bientôt, les prisonniers libérés tombaient dans les bras de leurs sauveurs, avant de s’aller vêtir et restaurer aux frais des bourgeois de Gorham. Ceux-ci s’arrachaient les cheveux, se juraient et promettaient de veiller à choisir avec plus de discernement ceux à qui ils offriraient désormais le refuge de leur rade.
Dans le port, les trois longs vaisseaux flambaient. On y avait entassé les cadavres, pour éviter les épidémies engendrées par la pourriture.
Le même jour, Gorham se vit dotée d’un conseil prévôtal, mis en place par l’envahisseur et où siégeaient les alliés de la veille, ces humbles pêcheurs ou traîne-misère qui avaient ouvert leurs maisons aux premières troupes de Tish et d’Yriel et qui signèrent sur-le-champ avec les vainqueurs un traité d’alliance que ratifièrent également les chefs de clans libérés. Ce traité jetait les bases d’une coopération militaire et commerciale qui devait être le premier pas vers ce que le monde allait connaître sous le nom de Confédération d’Atlantis et apprendre à respecter.