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Jeudi 7 avril

Londres



Physiquement, Toni se sentait super bien après les exercices, même si elle était un rien irritée par la façon qu’avait eue Alex de vouloir se montrer par trop familier avec elle devant les autres élèves. Il se sentait mal à l’aise, elle le sentait bien, aussi n’avait-il cessé de l’appeler « Toni » au lieu de « gourou », et à deux ou trois reprises, il lui avait souri ou caressé l’épaule, histoire de faire comprendre à tout le monde qu’ils étaient un peu plus que maître et élève. Elle n’y voyait pas d’inconvénient quand ils étaient seuls au gymnase, entre eux, mais ici, c’était déplacé. Il y avait là-dedans un petit côté « elle peut me botter le cul, elle a le droit, elle est à moi ! » que Toni goûtait très modérément. Elle l’aimait, mais parfois, Alex avait des côtés tellement… enfantins.

Cela dit, la plupart des hommes de sa connaissance étaient ainsi, et lui l’était plutôt moins que la moyenne. Et surtout, il l’aimait sincèrement, aussi pouvait-elle passer l’éponge pour cette fois.

Mais ce n’était pas tout. Il y avait un autre truc qui la travaillait, elle n’aurait su dire quoi. Ce pouvait être à cause de toutes leurs tuiles au boulot, mais ça n’en n’avait pas l’air.

Il fallait qu’elle évoque ces deux problèmes… Le plus dur étant de les aborder sans déclencher une scène de ménage.

Avoir un amant qui était à la fois votre patron et votre élève pouvait parfois s’avérer compliqué. Elle n’y avait jamais réfléchi avant qu’ils ne se mettent ensemble. Sans doute parce que, dans son for intérieur, elle n’avait jamais vraiment escompté vivre avec lui. Elle l’avait désiré, plus que tout au monde, mais cela n’avait pas semblé destiné à se concrétiser. Et pourtant si, et ç’avait été merveilleux, mais pas idéalement parfait.

Il était toujours plus simple de fantasmer sur quelque chose que de le posséder « en vrai ». Tous les couples avaient leurs problèmes : ses parents s’étaient mariés juste après la Grande Inondation, ils étaient toujours ensemble et s’aimaient toujours autant, mais même eux connaissaient les scènes de ménage. L’inverse eût été malsain. Malgré tout, Toni n’avait jamais connu jusqu’ici de relations vraiment durables, et chaque fois qu’Alex et elle avaient une prise de bec, elle le supportait très mal. Elle avait toujours peur de le perdre. Peur qu’ils se détachent l’un de l’autre. Peur d’avoir entretenu trop d’illusions sur leur couple, et que la réalité ne soit pas à la hauteur de ses attentes.

Cela dit, le cours s’était bien passé. Gourou Stewart était aussi bon enseignant que pratiquant. Il prenait le temps, pendant que les élèves s’exerçaient entre eux, de montrer à Toni tel ou tel mouvement. Leurs techniques étaient suffisamment proches pour qu’elle puisse voir l’intérêt de ses conseils et elle lui en était reconnaissante.

Alors que le gymnase se vidait, Stewart avait remarqué : « On devrait s’entraîner ensemble, soit avant, soit après les cours réguliers, avant que tu repartes. Nous aurions tant de choses à nous enseigner mutuellement si tu pouvais t’y consacrer. »

La proposition l’avait enthousiasmée. « Ce serait avec grand plaisir », avait-elle répondu.

Et maintenant qu’elle se retrouvait avec Alex dans le taxi pour regagner le nouvel hôtel que le MI-6 leur avait réservé, Toni se rendit compte à quel point elle avait apprécié ces séances d’entraînement. Le silat était simple, direct, sans détours. On exerçait le corps en même temps que l’esprit, en gardant l’un et l’autre concentrés sur des choses simples : frapper ici, esquiver là, garder une bonne assise, exploiter l’angle et l’effet de levier.

Bien moins complexe que de gérer les émotions des individus, et même ses propres émotions. Surtout peut-être ses propres émotions.

Alors qu’ils descendaient de taxi devant l’hôtel, Michaels remarqua : « On nous file, as-tu remarqué ? » Elle ne se retourna pas mais le regarda. « Quoi ? -Il y a un type dans une Toyota grise garée de l’autre côté de la rue, une trentaine de mètres en retrait. Il était derrière nous quand on s’est rendus au cours de silat. Je suis à peu près sûr qu’il était également derrière moi quand je suis descendu à pied chercher un sandwich, ce midi. Ce serait une fantastique coïncidence que le même type se trouve là chaque fois que je mets le nez dehors.

– Les services secrets britanniques ? »

Il salua d’un signe de tête le portier en uniforme lorsque celui-ci leur ouvrit les portes de l’hôtel. Il se sentait sale et collant de sueur après son entraînement, mais il lui sourit comme si Toni et lui se rendaient à un mariage princier.

« Ça se pourrait, j’imagine. Si l’un des leurs devait venir fouiner autour de nos petits secrets à Quantico, je lui mettrais moi aussi le FBI au cul, pour m’assurer que personne ne l’intercepte pour lui extorquer des renseignements.

– T’as pas l’air convaincu.

– Ma foi, si on faisait filer un de leurs hommes, je m’arrangerais pour que l’agent chargé de la filature ne se fasse pas repérer… à moins de chercher délibérément le contraire. Les Rosbifs devraient avoir des gars aussi pointus que nous pour effectuer une surveillance discrète. Ils sont chez eux, ils connaissent les lieux. Non, en toute hypothèse, je n’aurais pas dû le remarquer. »

Ils traversèrent le hall et gagnèrent l’ascenseur. Toni le devança pour appuyer sur le bouton.

« Peut-être qu’ils voulaient justement que tu le remarques. Pour te faire savoir que nous sommes sous leur protection.

– Ça serait quand même plus simple de me le dire, non ?

– Et nous, on le leur dirait ?

– Peut-être. Surtout si on pensait qu’ils vont s’en douter, de toute manière. »

Un tintement annonça l’arrivée de la cabine et les portes de bronze moulé s’ouvrirent avec une grâce pesante. Le liftier leur sourit. Une veine que le nouvel hôtel où on les avait transférés fût subventionné par les Britanniques… sinon, leur patronne aurait eu une attaque en découvrant la note.

« Un test amical ? T’as été agent traitant, toi aussi.

– Ouais. Mais j’ai perdu pas mal d’habitudes, depuis. Oh, je regarde toujours deux-trois fois dans le rétro quand je conduis, et je jette de temps en temps un coup d’œil alentour. Je ne suis pas totalement assoupi depuis cette histoire avec Selkie6, mais je ne fais pas non plus de zèle. Pas autant qu’il faudrait. Non, ce type n’est pas un bon, c’est tout. Je n’arrive pas à croire que le MI-5 ou 6 m’assigne un mec pareil et s’imagine que je ne le remarque pas.

– Peut-être qu’ils ne veulent pas gâcher un élément de valeur rien que pour toi. Qu’ils ont envoyé la seconde équipe parce qu’ils s’imaginent que tu es un affreux Amerloque trop imbu de sa personne pour remarquer quoi que ce soit. » Elle sourit. « Il se pourrait qu’ils aient raison. Mais je pense quand même que je vais passer un coup de fil à Angela Cooper, voir de quoi il retourne. »

Ils entrèrent dans la cabine. Le liftier leur demanda l’étage.

« Quatre, je vous prie », dit Toni. Au lieu de son vague accent du Bronx, elle s’était fendue d’une imitation passable d’accent britannique snob. Cela donnait quelque chose comme « quââtre ». Michaels la regarda, légèrement interloqué.

Dès qu’ils furent dans leur suite, Michaels sortit son virgil pour appeler Cooper. Toni fit couler l’eau sous la douche et il la regarda se déshabiller tandis que Cooper prenait la communication. Il l’avait surprise chez elle et elle avait activé la caméra. Le peu qu’il voyait lui révéla qu’elle portait un petit truc rouge et soyeux. Le cadrage s’arrêtait juste au ras des épaules. Il activa lui aussi sa cam.

« Alex, que puis-je faire pour vous ?

– Me répondre honnêtement à une question.

– Bien sûr.

– Est-ce vous ou le MI-5 qui me fait suivre ?

– Certainement pas nous. Je doute que ce soit le Service secret, mais je peux vérifier. Ne quittez pas. » L’image se figea et la mention « En attente » s’inscrivit en incrustation sur le minuscule écran.

Toni ôta sa culotte, fit passer la brassière de sport par-dessus sa tête. Elle se retourna, s’offrant à lui dans toute sa splendeur, puis, avec un petit signe de main, elle s’éclipsa sous la douche et fit coulisser la porte.

Il décida d’abréger l’entretien. Il avait grande envie d’entrer sous la douche avant que Toni n’en ressorte. Il s’était senti déjà pas mal excité tout au long du cours de silat, et cela n’avait fait que croître et embellir lors du retour en taxi.

« Alex ? Le MI-5 dit qu’ils ne vous ont pas mis sous surveillance. Auriez-vous remarqué quoi que ce soit d’anormal ? » Cooper souriait.

Il réfléchit promptement. « Non, je pense que ce doit être la parano due au grand âge.

– Vous n’êtes pas si vieux.

– Je vous vois demain. Désolé de vous avoir dérangée chez vous.

– Appelez quand vous voulez. Ça ne me dérange pas. » Elle s’appuya au dossier de son siège et la robe ou le corsage de soie rouge s’entrebâilla légèrement, révélant l’amorce du décolleté.

Il discommuta* et, aussitôt, son radar masculin crut avoir capté un signal. Était-ce… de l’intérêt ? Il n’avait fréquenté qu’un nombre réduit de femmes. Depuis son divorce, Toni était la seule à avoir sérieusement éveillé son intérêt. Il manquait peut-être de pratique en la matière mais de toute évidence, Cooper n’avait pas l’air de le trouver bon à jeter. Loin de là.

Intéressant. Sympa pour son vieil ego de savoir qu’une femme intelligente et superbe pût éventuellement s’intéresser à lui. À supposer qu’il ait bien décodé le signal.

Même si cela n’avait pas grande importance. Il avait bien plus intéressant sous la main. Il se dirigea vers la douche, ôtant un à un ses vêtements trempés de sueur.

« Qu’est-ce qu’elle a dit ? lança Toni, de sous le jet.

– Que ce n’était pas quelqu’un de chez eux.

– Alors, il faut qu’on découvre qui c’est. »

Il ouvrit la porte de la cabine, fut récompensé par un nuage de vapeur brûlante qui embua aussitôt les miroirs derrière lui.

« Demain. Tu me fais un peu de place ? »

Son regard s’abaissa. « Si tu restes devant moi. Je n’ai pas envie d’être poignardée dans le dos. »

Il sourit. « Ça alors. Voyez-vous ça. Je me demande bien d’où ça vient.

– Un cadeau de Mlle Cooper, peut-être ? »

Il fronça les sourcils. « Quoi ?

– Eh bien, tu ne l’avais pas avant d’avoir décroché ton virgil, pas vrai ? »

Est-ce qu’elle cherchait à le taquiner ? Elle souriait, mais il n’était pas si sûr.

Autant de considérations qui eurent le don de… refroidir ses ardeurs.

Toni le remarqua. « C’était une blague, Alex. »

Il était au comble de l’embarras. Il s’empara du savon et du gant de toilette. « Tourne-toi. Je vais te laver le dos.

– Alex…

– Je suis vraiment fatigué. C’était crevant, cet entraînement, j’ai pas l’habitude. Il faut que je dorme. » L’excuse paraissait bancale et il savait qu’elle n’était pas dupe. Il fit mousser le savon sur le gant, Toni se tourna et il lui récura le dos. Peut-être avec plus d’énergie qu’il n’eût été de mise.

Quelque chose se passait entre eux, une chose qu’il ne comprenait pas. Quoi que ce puisse être, ça ne lui disait rien qui vaille. Absolument rien.

Toni n’insista pas, toutefois, et il lui en fut reconnaissant. Il n’avait pas du tout envie de se lancer dans une querelle d’amoureux. Il était réellement vidé.

Il était crevé mais, au contraire de Toni qui s’endormit quelques minutes après être sortie de la douche, il resta à bouquiner pendant une heure. Il se décida enfin à se coucher, éteignit la lumière, essaya de dormir. Après avoir vainement cherché le sommeil pendant encore une heure, il comprit qu’il n’y n’arriverait pas de sitôt : il était trop énervé, trop crispé pour se détendre.

Il sortit du lit avec précaution, se rendit dans la salle de bains, passa un jean, un T-shirt, des tennis. Il sortit le kick-taser* de son étui et en vérifia la batterie. La petite arme sans fil utilisait comme propulseur une cartouche de gaz comprimé. Non létale, elle tirait une paire de fléchettes porteuses d’une charge à haute tension – de quoi estourbir n’importe quel agresseur, même tirées à travers des vêtements. La portée efficace n’était que de quelques mètres, mais c’était la distance où se produisaient la majorité des fusillades. La vieille maxime des tireurs du FBI à ce sujet restait toujours valable : « Trois pieds, trois balles, trois secondes. » Si un mec se trouvait à cinquante mètres de vous en train de détaler dans la direction opposée, il n’était pas vraiment dangereux. L’armurier de la Net Force lui avait dit que quelqu’un avait inventé un gilet tissé d’une résille électromagnétique capable de neutraliser une charge de taser. Mais un gilet n’était pas une armure intégrale, on pouvait toujours viser les jambes ou la tête. Et l’appareil était simple d’emploi grâce à son viseur laser. On plaçait le minuscule pointeur rouge sur la cible, calibré pour tenir compte de la légère dispersion des deux fléchettes avec la distance, et c’était l’emplacement qu’elles atteindraient une fois le bouton pressé. À la seule condition de ne pas être trop loin. Et de ne pas avoir la main qui tremble. Il n’avait eu à tirer qu’une seule fois pendant le service, et les résultats avaient été plutôt concluants.

Il glissa le taser dans sa poche arrière, enfila un coupe-vent pour masquer le tout et sortit discrètement de la chambre.

Alex Michaels quitta l’hôtel par la porte de service, contourna le pâté de maisons et s’approcha par l’arrière de l’endroit où s’était garée la Toyota grise.

Et où la Toyota était toujours garée, le même type installé au volant. Il avait descendu sa vitre et fumait un cigare. L’odeur était décelable à quinze mètres.

Le commandant de la Net Force contourna la voiture au moment où un bus passait, le courant d’air renvoyant la fumée à l’intérieur de l’habitacle. Le type à l’intérieur eut un mouvement de recul.

Michaels sortit son taser, se précipita vers le côté droit, celui du conducteur dans ce pays, et s’accroupit le long de la portière en plaçant l’arme sur le rebord de celle-ci.

« Salut ! Alors, on s’amuse bien ? »

Le gars, maigre, calvitie naissante, dans les trente-cinq ans, faillit en avaler son cigare.

« Seigneur Dieu ! Faites pas ça ! Vous m’avez flanqué une peur bleue ! » Américain, l’accent ne laissait planer aucun doute. Un « Occidental ».

Posé à l’avant sur le siège voisin, Michaels remarqua un petit ordinateur à écran plat, une caméra numérique et une paire de jumelles. Il y avait également une bouteille isotherme et un sac en papier taché de graisse, sur lequel était posée une barquette en carton contenant les reliefs de son repas : friture de poissons et pommes frites. Et sur le plancher, un vase à large bec. Vide. En vue de satisfaire un besoin naturel.

Si Michaels avait encore eu le moindre doute, ce dernier élément finit de le dissiper. L’homme au cigare assurait une planque.

« Très bien, mec, alors qui es-tu et pourquoi est-ce que tu me files ?

– Merde, mais de quoi parlez-vous ? J’ignore qui vous…

– Écoute, on peut faire ça gentiment ou adopter la manière forte. Tu peux me parler… ou je peux appeler mes copains du renseignement britannique, te faire arrêter pour espionnage et boucler dans un cachot si profond qu’il faudra un mois au soleil brumeux de ce pays pour y parvenir.

– Hé, je suis citoyen américain, j’ai des droits…

– On est en Angleterre, l’ami. Ici, ils ne jouent pas selon les mêmes règles. À toi de choisir… »

L’homme au cigare réfléchit quelques secondes. Il était grillé et il n’allait pas s’en sortir en parlementant. Il haussa les épaules. « Je suis un détective privé de Boise. »

Michaels plissa les paupières. Un privé ?

« Qui vous a engagé ?

– Je sais qui vous êtes. Je sais que vous pouvez me créer un monceau d’emmerdes. Vous pouvez me coller au trou si ça vous chante, mais je ne peux pas vous dire pour qui je travaille. Que ça se sache, et ma carrière professionnelle est fichue. Mais vous êtes un type malin, devinez vous-même. »

Boise. Et merde…

Megan. Mais enfin… pourquoi ?

Michaels rangea le taser. Il se releva. « Je ferais mieux de rentrer. Si jamais je vous revois dans les parages, je vous promets que je demande aux flics de vous faire déguerpir. »

Il s’écoula un long moment, puis l’homme au cigare démarra. Michaels regarda sa voiture s’éloigner.

Il sortit son virgil. Ici, on était au milieu de la nuit, il y avait… quoi… sept-huit heures de décalage horaire avec l’Idaho…

Peu importait l’heure là-bas. Tant pis s’il tombait sur elle à son travail. Il pressa la touche mémoire, cliqua sur le numéro de son ex.

« Salut, Alex », fit-elle. Réfrigérante. Sa voix était un entrepôt de glace en plein hiver au pôle Nord. Et à l’ombre. « Quitte pas une seconde, le temps de trouver un coin tranquille où l’on puisse parler. »

Elle reprit la communication au bout de quelques secondes, puis alluma sa caméra. Elle était en tenue professionnelle, les cheveux coiffés en chignon. L’air en pleine forme, comme toujours.

« Megan. Comment va Susie ?

– Elle va très bien. Tu m’appelles au boulot pour me demander ça ?

– Non. Je viens juste d’avoir des mots avec un privé au crâne dégarni et fumeur de cigares, lança-t-il, se contrôlant avec difficulté. Pourquoi me fais-tu suivre ?

– Autodéfense.

– Bon sang, mais de quoi parles-tu ?

– Après avoir tabassé Byron le soir de Noël, tu m’as menacée, au cas où tu aurais oublié7 ! » La glace dans sa voix se mit à fondre. À présent, c’était plutôt un volcan qui grondait, prêt à entrer en éruption. « Tu m’as dit que si jamais il avait le malheur de passer une nuit sous mon toit – je dis bien mon toit, Alex, pas le tien et le mien – tu me ferais légalement déchoir de mes droits maternels !

– Je n’ai jamais dit ça. Je n’ai jamais dit que tu étais une mère indigne !

– Tu me fais marrer, tiens ! Tu as dit que tu m’enverrais Byron dans ma gueule de pute et réclamerais la garde exclusive de notre fille. Eh bien, mon petit bonhomme, on sera deux à jouer ce petit jeu. Byron va passer ce soir la nuit sous mon toit, tout comme il l’a fait la nuit dernière, et celle d’avant, et comme il le fera encore la nuit prochaine ! Et autant de putains de nuits que je voudrai le garder auprès de moi ! Et tu sais quoi ? En me baisant à me rendre folle, en plus ! »

Comme elle avait toujours su si bien faire, elle réussit à le mettre en rogne. Incapable de se maîtriser, il rétorqua, du tac au tac : « Ça devrait pas être trop difficile, t’as déjà de bonnes bases. »

Elle rit, consciente d’avoir réussi à le mettre en colère. Quand elle reprit la parole, elle était redevenue la reine glacée : « Très drôle. Mais tu peux bien rire, moi, je sais tout de tes petites coucheries. De cette petite mijaurée de Toni Fiorella. Au moins, Byron est de mon âge, je ne l’ai pas pris au berceau. On verra bien comment le tribunal apprécie que tu tringles une de tes employées ! »

Et merde !

« Oui, mais moi je ne fais pas ça devant Susie. » Il aurait pu trouver mieux comme repartie.

« Bref, ce que tu es en train de me dire, c’est que tu peux baguenauder comme un prêtre défroqué avec des putes, mais que s’agissant d’un couple fiancé sur le point de convoler t’es plus d’accord ! Je doute que le juge de Boise se laisse vraiment émouvoir par ce genre d’argument. Mais tu as toujours eu le chic pour déformer la réalité afin de la plier à ta définition de la morale, pas vrai ? »

Il aurait dû s’excuser, il le savait. Verser une barrique d’huile sur ces eaux troubles, l’apaiser. Lui dire qu’il avait perdu son sang-froid quand il s’était jeté sur son petit ami (qui avait quand même commencé, ne pas l’oublier) et dit des choses qu’il ne pensait pas. Le seul problème est qu’il les avait pensées. Et qu’il les pensait toujours, même si désormais l’affaire se présentait sous un nouveau jour. Elle avait raison. Aucun juge n’allait ôter à Megan la garde de Susie, à moins qu’il puisse prouver qu’elle était une mauvaise mère, or la vérité l’obligeait à reconnaître que c’était une mère formidable. C’était déjà son opinion quand ils étaient ensemble, et il n’en avait pas changé. Et surtout, il n’avait pas envie de perdre sa fille. S’il se retrouvait cantonné à des visites annuelles ou bisannuelles durant les vacances, leur relation serait condamnée. Elle grandirait en considérant Byron comme son vrai père. Ce serait lui qui la conduirait à l’école ou au centre commercial, lui qui l’aiderait à faire ses devoirs et tout ce dont Michaels aurait dû s’acquitter à sa place.

Il aurait dû s’excuser, tenter de rattraper le coup. Mais il tergiversa trop longtemps.

« Au revoir, Alex. Tu peux toujours appeler Susie, je ne veux pas qu’elle s’imagine que je te chasse de sa vie, mais toi et moi, nous n’avons plus rien à nous dire. Et salue de ma part ta jeune dulcinée. »

Elle coupa la communication.

Michaels plissa les yeux. Planté au milieu du trottoir d’une rue du centre de Londres en pleine nuit, il avait l’impression de s’être fait plaquer par un trois quarts adverse. Son ex-épouse était au courant de sa relation avec Toni – pour une jeune dulcinée, elle n’avait quand même que douze ans de moins que lui ! – et c’est le genre d’argument qu’on allait lui renvoyer dans les gencives au tribunal si jamais il contestait la garde de sa fille. Toni et lui étaient l’un et l’autre majeurs, mais il était son patron. Bref, ça s’annonçait mal. Le FBI voyait d’un très mauvais œil ce genre de relation et puisqu’il n’avait aucune expérience avec la nouvelle directrice, il était douteux qu’elle soit prête à se mouiller pour lui sauver la mise si jamais le scandale éclatait.

Pour dire les choses crûment, il s’était fait baiser.